<236> de l'ennemi qu'on ne peut dire d'en être bien instruit. Cependant, en faisant plusieurs suppositions et en se représentant les choses probables qui peuvent arriver, on se fait une règle générale pour se conduire, que, si tout n'est pas applicable, du moins s'en trouve-t-il une partie: voilà donc tout l'usage qu'on peut tirer de ces réflexions, qui seront toujours utiles, s'il s'y trouve quelque chose d'applicable aux conjonctures dans la suite de cette campagne.

On voit, en général, que les vues de la cour de Vienne vont à faire cette année de grands progrès en Silésie. Pour cet effet Laudon se trouve avec un corps de 20000 hommes en Haute-Silésie, et son dessein, qui se découvre de plus en plus, de mettre le siège à Neisse, me paraît devoir être contenu d'un côté par les Russes, dont le dessein se décèle également par, la formation de leurs magasins, de vouloir assiéger Colberg. Daun pense que, vu l'éloignement des lieux, il faut nécessairement que nous options entre les Russes ou Laudon; que, si nous marchons vers Neisse, les Russes, en un moment, deviennent maîtres de la Poméranie. Il comprend, d'ailleurs, que le corps de Fouqué ne saurait rester longtemps dans cette position, et il tient 20000 hommes prêts en Lusace, pour pouvoir pénétrer en Silésie par Lœwenberg.

En Saxe il y a apparence qu'il a fait fortifier tous les postes aux environs de Dresde, pour être en état de les soutenir avec peu de troupes, et qu'à l'ouverture de la campagne il passera l'Elbe et se campera à Grossenhain ou quelque part aux environs, et qu'il destine le corps de Deux-Ponts pour faire une diversion dans le Magdeburg et le Halberstadt.

Il est sûr qu'à considérer notre situation avec les dangers qui nous menacent, elle me paraît terrible, et tout ce que l'on peut faire pour s'opposer, me semble insuffisant, à moins que quelque prompt changement ne survienne. Si je marche contre les Russes et que dans quinze jours je ne me batte point, le grand éloignement m'empêchera d'arriver à temps pour secourir Neisse. Si je partage l'armée de la Silésie en deux parties égales, chacune ne fera que 28000 hommes au plus, chacune sera obligée d'agir sur la défensive, et, étant faible partout, c'est risquer d'être battu de tous les côtés. Si donc on rassemble des forces considérables d'un côté, il faut en faire usage pour se débarrasser d'un ennemi et pour courir s'opposer à l'autre, comme cela m'a souvent réussi; et, si malheur arrive, on est abattu tout d'un coup, au lieu que, si l'on n'avait rien risqué, on aurait péri quatre mois plus tard.

Pour obvier cependant, autant que je l'ai pu, aux malheurs qui pourraient arriver, et pour gagner du temps, j'ai ordonné qu'on jetterait 4 bataillons et 200 dragons à Neisse,1 pour que la place fût d'autant



1 Vergl. S. 230.