11798. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 4 février 1760.

Vous jugerez aisément de la satisfaction que j'ai eue, en recevant aujourd'hui à la fois vos dépêches du 4, 8, 11, 15 et 18 du mois passé,59-1 qui, quoiqu'elles n'aient pas pu remplir entièrement mon attente, m'ont cependant été bien intéressantes. J'ai d'abord vu avec beaucoup de plaisir que sur la plupart des affaires ma façon de penser s'est heureusement rencontrée avec celle des ministres anglais et surtout avec celle du digne M. Pitt.

Quoique sur la plupart des choses au sujet desquelles vous demandez de nouvelles instructions de moi, mes lettres que je vous ai faites dans le mois passé de janvier du 1er, 4, 11, 13, 16, 19, 20, 23 et du 26,59-2 vous doivent avoir déjà prévenu, en combinant tout ce qu'elles comprennent, je suis cependant bien aise de vous les répéter, en y joignant mes intentions sur d'autres affaires que je n'avais pas pu prévoir.

Pour donc venir au fait, je vous dirai que, comme M. Pitt vous a témoigné souhaiter que vous soyez autorisé à faire la communication sur différentes matières dont vous l'avez entretenu, également au duc de Newcastle et au lord Holdernesse, tout comme aux autres ministres qu'il jugera à propos, je veux bien m'y prêter, et vous autorise par la présente de la faire aussi souvent et toute fois que vous le jugerez convenable, en conséquence du désir de M. Pitt.

J'applaudis à ce que ce ministre vous a dit de ne laisser absolument pas tomber la négociation entamée avec la cour de Pétersbourg, malgré sa réponse peu satisfactoire et impertinente qu'elle a délivrée au sieur Keith;59-3 les raisons que M. Pitt vous a alléguées pour continuer cette branche de négociation, sont trop justes pour m'y opposer; et, quant à la réponse qu'il voudrait qu'on fît à la susdite note de la part des deux Rois, en la restreignant uniquement à la Saxe, en y joignant la déclaration de ma part que je serais disposé à restituer cet électorat à son souverain, aussitôt qu'on serait parvenu à une paix solide et acceptable, jusqu'à insinuer même que je me prêterais volontiers aux avantages que l'impératrice de Russie pourrait proposer en faveur de la Saxe en réparation des maux qu'elle avait soufferts, bien entendu que nen n'en serait à mes dépens : j'ai trouvé cette idée de M. Pitt excellente et je m'y conforme absolument et de sorte que je n'y ai pas le mot à y redire.

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Comme vous me marquez réitérément, combien on désire là d'être exactement éclairci de ma situation présente en Saxe et de la tournure que les affaires ont prise, je vous informerai du véritable état de notre situation telle qu'elle est. Il faut savoir préalablement que ni moi, ni les Autrichiens n'avons pris des quartiers d'hiver, mais que les armées sont restées sur le pied où elles ont été, quand elles ont fini de camper.

Les Autrichiens sont à la vérité maîtres de la ville de Dresde, mais nous le sommes de tout le reste de la Saxe. Il faut que vous sachiez d'ailleurs que, par l'échec que le corps de Finck a souffert auprès de Maxen, nous n'avons pas perdu des régiments entiers, mais la moitié à peu près seulement d'un chacun, de sorte que j'ai travaillé d'abord de remettre au possible ces régiments et de les compléter au mieux, autant que le temps a voulu me le permettre. Cependant, comme la reine de Hongrie s'est imaginé cette perte bien plus considérable de ma part qu'elle ne l'est effectivement, elle a cru, en calculant les autres malheurs que nous avons eus l'année passée, que mon armée serait fondue par là, en sorte que, par les efforts qu'elle ferait conjointement avec les Russes, il ne lui coûterait plus guère d'écraser le reste. C'est pourquoi elle a tant mis en œuvre à Pétersbourg et fait là tant de corruptions pour gagner cette cour, afin d'agir encore contre moi. tout comme celle-ci agira aussi certainement.

Ce que je crains avec raison, c'est que les Français augmenteront leur armée au Rhin, en renonçant plutôt à tout projet d'invasion en Angleterre; qu'ils formeront une armée de 40000 hommes à peu près au Rhin et une autre de 80000 sur le Main ou dans ces contrées. L'armée du prince Ferdinand de Brunswick, que je calcule, inclusivement le secours qu'on lui prépare actuellement en Angleterre, à 80000 hommes, dont il faut décompter 10000 pour les garnisons, sera forcée de se partager en deux corps, l'un vers le Rhin, l'autre vers le Main, et tout ce que le prince Ferdinand pourra faire avec ces deux corps, ce sera de se soutenir pendant la campagne et de se trouver à la fin dans la situation dans laquelle il est actuellement.

Pour moi, j'aurai ici vis-à-vis de moi 80 000 Autrichiens du côté de la Saxe, l'armée de l'Empire, à laquelle les Autrichiens ont ajouté 25000 hommes, qui, par conséquent, feront 40000 hommes, moyennant quoi ce seront 120000 hommes qui agiront contre la Saxe, auxquels je ne pourrai opposer que 48000 hommes. 20000 Autrichiens agiront sur les frontières de la Bohême du côté de la Silésie, 60000 Russes du côté de la Pologne, auxquels je ne pourrai opposer que 47000 hommes, et je ne mets pas en ligne de compte les Suédois même. Si vous voulez faire attention à la grande supériorité de ce nombre, le découragement que beaucoup de mauvais succès ont mis dans les troupes, vous vous figurerez facilement que nous ne devons pas nous flatter des avantages pendant la campagne prochaine, et qu'il est presque impos<61>sible que des forces si supérieures que nous aurons contre nous et de tant de côtés, ne nous prennent au dépourvu de l'un ou de l'autre côté. Les véritables effets de cette situation ne se feront sentir qu'au mois de juin ou de juillet, lorsque les Russes commenceront d'agir.

Ce sont ces malheurs que je prévois et que je voudrais prévenir; je n'y vois aucun autre moyen que celui de détacher la France, puisque cela paraît le plus facile par l'empressement qu'elle témoigne pour la paix. Voici les conséquences qui en résulteront, si l'Angleterre peut s'accommoder avec la France. Les subsidiaires de la France tomberont avec elle, comme la Suède et quelques Princes de l'Empire. Une partie de l'armée aux ordres du prince Ferdinand, ne fût-ce que 40000 hommes, qui ferait des démonstrations pour m'assister, paraîtrait aux yeux de la cour de Vienne et de Russie mettre tout l'équilibre dans nos forces, pour ne pas plus se natter de remporter sur moi des avantages faciles, et cela peut-être pourrait les obliger que, se voyant abandonnés de la France, de prêter à la fin les mains à la proposition de la paix.

Vous aurez vu par mes dépêches précédentes que la cour de Vienne et celle de Pétersbourg, séduite par l'autre, se roidissent orgueilleusement contre toute pacification et qu'elles déclinent le congrès auquel on les avait invitées; elles nous tracent par là le chemin que nous devons suivre, et nous indiquent que c'est aux Français que nous devons nous attacher. Il est certain que ce colosse, formé de tant de parties hétérogènes, tombera dès qu'on commencera à les séparer.

Au surplus, vous devez vous attendre que, de ce côté-ci, nos opérations et celles des Autrichiens commenceront à la fin de mars qui vient.

J'avais oublié de vous dire que la résolution, prise par les ministres anglais, d'ordonner au général Yorke de s'expliquer d'une façon certaine avec le comte d'Affry, est très sensée et bien pensée, pour entendre au moins ce que ces gens diront, et, pourvu qu'on entende seulement les Français et qu'ils commencent à parler, on n'aura pas de la peine de comprendre bientôt où ils en veulent, et ce qu'on peut s'en promettre.

Vous ne manquerez pas de faire votre usage de tout ce que cette ma dépêche comprend, envers M. Pitt et les autres ministres, et j'attendrai non sans impatience le rapport que vous m'en ferez.

Voici tout ce que j'ai cru pouvoir vous écrire, pour vous mettre non seulement au fait de la situation véritable des affaires, mais aussi de ma façon de penser sur des points dont il vous importait d'être instruit. Je ne doute point que vous n'agissiez avec tout le zèle et toute l'ardeur et que vous n'employez également l'adresse et la persuasion dans une conjoncture de la plus grande importance pour l'État. Vous pouvez être assuré que je vous tiendrai compte de toutes vos<62> peines, et, comme je ne vois aucune impossibilité morale qui s'oppose à nos vœux, je me flatte qu'avec quelques soins vous réussirez; sinon, il faut se pendre.

Federic.

Nach dem Concept. Der Zusatz eigenhändig auf der im übrigen chiffrirten Ausfertigung.



59-1 So nach der Ausfertigung. Im Concept : „de ce mois“ .

59-2 Die Concepte sowohl wie die Ausfertigungen sind datirt vom 10. (nicht 11.). 12. (nicht 13.), 24. (nicht 26.) Januar. Vergl. S. 18. Anm. 1, Nr. 11754 und Nr. 11777.

59-3 Vergl. Nr. 11 740.