12110. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Camp de Meissen, 25 mai 1760.

J'ai reçu vos rapports du 9 et du 13 de ce mois. Tout ce que je saurais vous répondre, est qu'il paraît, selon mes nouvelles de<372> La Haye, que le comte d'Affry voudrait rentamer la négociation de paix avec l'Angleterre sur un autre pied; car, selon le rapport de Hellen,372-1 le susdit ministre a répondu à M. Yorke, quand il lui a dicté la déclaration ferme de l'Angleterre,372-2 qu'il ne regardait cependant pas la négociation à La Haye comme rompue et qu'il espérait que le roi de la Grande-Bretagne trouverait conjointement avec le Roi les moyens de rendre à l'Europe sa tranquillité; qu'il avait reçu la permission de faire un tour à Versailles, qu'il comptait d'être absent pour un mois et que, si M. Yorke recevait en attendant quelque réponse de Londres, il le priait de la lui écrire, ou directement au duc de Choiseul ou par le canal du marquis de Grimaldi.372-3 Sur quoi, M. de Yorke lui ayant répondu qu'il croyait qu'il ne recevrait absolument rien sur cette déclaration vague qui ne semblait guère calculée à se rapprocher davantage, et qu'il pouvait assurer à son arrivée à Versailles d'avance, ajoutant et lui répétant de nouveau, que l'Angleterre ne pouvait ni ne voudrait jamais traiter, sans y comprendre ses alliés et nommément moi, ledit comte d'Affry a répliqué par ordre à M. Yorke que la France avait toujours entendu que le but de son accommodement particulier dût être d'effectuer par là une pacification générale en 'Europe, et que Sa Majesté Très-Chrétienne ne serait même pas contraire de stipuler d'avance par un article préliminaire que, d'abord qu'on serait tombé d'accord sur l'arrangement de la querelle particulière, l'on agît de concert pour pacifier les autres parties belligérantes.

Le sieur de Hellen ajoute à tout ceci qu'ayant rencontré le comte d'Affry à une fête que le prince de Weilburg372-4 avait donnée aux ministres étrangers, il l'avait accosté pour lui souhaiter un heureux voyage, en ajoutant qu'il se flattait qu'il apporterait des instructions plus pacifiques à son retour, il lui avait dit que les intentions de sa cour étaient les plus sincères pour la paix et même de contribuer à me faire sortir d'affaire; que la chose n'était difficile que quant à la forme; qu'il ferait un rapport exact et fidèle de la situation et dirait son sentiment au risque de tout ce qui pourrait lui en arriver; qu'il ne croyait cependant pas la chose possible sur le pied que l'Angleterre le voulait; et que le comte d'Affry avait lui donné à entendre encore, quoique en termes très vagues, qu'on pourrait peut-être parvenir à comprendre les pays de Clèves et cetera, comme faisant en quelque façon partie de la guerre avec l'Angleterre, si la chose ne tenait qu'à cela.

Mon petit sentiment sur tout ceci est que les ministres anglais veulent volontièrement poursuivre, comme de raison, la campagne par le motif des grandes avantages qu'ils ont obtenus sur les Français, afin de ruiner de fond en comble le commerce de la France et accabler ses possessions aux Indes, de sorte que je présume que toute cette<373> négociation présente s'en ira tout-à-fait en fumée, d'autant plus qu'il se développe fort clairement [que]373-1 tout ce que la France fait insinuer de [son] désir pour le rétablissement de la paix, n'est fondé que sur des propos vagues et artificieux pour faire illusion à l'Angleterre et mettre de la division entre elle et ses alliés, comme M. Pitt l'a d'abord très judicieusement pénétré.373-2 Aussi je me tiens au sentiment que ce digne et éclairé ministre vous a déclaré à ce sujet en conséquence de vos Tapports antérieurs, et je veux bien vous dire tout nettement que, si les Français restent dans le principe et s'imaginent que la paix doit se faire à mes dépens, ils se font illusion et que jamais et du tout je ne consentirai à de pareilles conditions, tant373-3 qu'il me restera la moindre espérance de pouvoir tirer des secours de la Porte Ottomane. Si malheureusement cette ressource me devait manquer, ce dont il faut que je sois instruit de l'un ou de l'autre cas positivement vers la mijuin et avant le retour du comte d'Affry à La Haye, et avant qu'il pourra faire de nouvelles propositions, ce sera alors toujours le temps d'y penser et de me relâcher ou non, selon les circonstances où se trouveront les affaires.

Voilà ce que je vous dis, quoique pour [votre] seule direction. Au surplus, je ne saurais vous cacher la conduite ridicule avec laquelle le maréchal Daun se prend en commençant sa campagne, en retirant d'ici les corps de Laudon, de Beck et de Hadik pour les faire rentrer en Bohême, sur des appréhensions qu'on lui a inspirées d'un concert pris entre mon frère Henri et le prince Ferdinand de Brunswick, de tomber tout d'un coup chacun de sa part sur la Bohême et se réunir vers Prague. Ce qui me vient fort à propos et rend meilleure en quelque façon ma situation.

Federic.

Nach dem Concept.



372-1 D. d. Haag 17. Mai. Vergl. Nr. 12109.

372-2 Vergl. S. 332.

372-3 Der spanische Gesandte im Haag.

372-4 Karl Christian Fürst von Nassau-Weilburg.

373-1 In der Vorlage „par“ .

373-2 Vergl. Nr. 12032.

373-3 In der Vorlage: tandis.