740. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.

Selowitz, 15 mars 1742.

Monsieur mon Cousin. Depuis notre expédition de Basse-Autriche, les ennemis ont jeté un secours considérable dans Brünn, de sorte que la garnison composée de hussards, dragons et fantassins, tout compté 6,000 hommes, nous a presque entièrement coupé la communication avec la Haute-Silésie. De plus, un corps de 12,000 Hongrois s'est avancé jusqu'à Scalitz vers la Morawa, et de plus encore, un autre corps hongrois de 10,000 hommes est entré par la Jablunka, pour me couper totalement de mes derrières. Toutes ces nouvelles m'ont déterminé à investir Brünn de plus près, à détacher le prince Dietrich avec 8,000 hommes, qui a fait à Goding 300 prisonniers hongrois, et qui a chassé le maréchal Palffy de Scalitz. Le Prince a ordre de continuer sa marche par Ungarisch-Brod à Meseritsch, où il a encore un corps considérable de Hongrois. Les quartiers que nous occupons présentement sont entre la Morawa, la Taya et la Schwarzawa. Les Saxons sont derrière l'Iglawa. Un détachement de 8,000 hommes, venus de l'armée du maréchal Khevenhüller, tout le corps du prince Lobkowitz et quelques régiments de cavalerie du corps du prince Charles de Lorraine sont en Basse-Autriche, entre Horn, Waidhofen et Stockerau, ce qui peut composer 24,000 hommes. Les Saxons, qui en font au plus 13,000, et mon corps de 16,000, qui font 29,000 combattants, seront en état de les attaquer ou de les repousser, selon l'occurence.

M. de Broglie se voit par cette position en toute sûreté, et les régiments que vous avez fait marcher de Strasbourg, étant arrivés le 11 à Donawerth, doivent mettre la situation des Français hors de toute insulte.

Je vous prie instamment, Monsieur, de ne rien changer au projet de campagne que vous m'avez envoyé, et dont nous sommes venus d'accord. L'Empereur, trop pressé pour la Bavière, ne pense pas assez à la Bohême, qui cependant dans cette affaire ici fait l'objet principal, car je serais d'avis de rendre le corps de Bohême plus considérable que celui de Bavière, pour que, lorsque nous serons sur le Danube, les autres opérations soient bien plus faciles. Je vous informerai de plus de toutes les dispositions que j'ai faites pour bien remplir ma tâche le printemps qui vient. Je fais marcher le prince d'Anhalt avec 25 bataillons et 35 escadrons vers Troppau, Ratibor et Fulnek. J'aurai ici auprès de Brünn un corps de 40 bataillons et 100 escadrons, joint aux 20 bataillons saxons et à leurs 36 escadrons, de sorte que je suis sûr du succès de mon côté.

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J'espère que vous venez par ces arrangements que je suis fidèle à mes engagements, et que je fais même plus qu'on ne pouvait demander de moi. Mais je crois aussi être sûr, d'un autre côté, de ne point obliger des ingrats, et de trouver en mes alliés des princes qui me tiendront compte de mes efforts.

Je vais à présent vous parler sur les affaires politiques de l'Europe. A commencer par la Russie, je suis persuadé que le présent ministère ne se soutiendra pas. Vous verrez encore de fréquentes révolutions dans cet empire, et pour le présent, je les crois hors de toute influence sur les affaires d'Allemagne.

L'Angleterre est en si grande agitation, à présent, qu'il est difficile de prévoir quel parti prendra la nation. Il me semble qu'un traité de neutralité avec l'électeur d'Hanovre, un traité d'amitié avec l'Empereur et lui, moyennant quoi cet Électeur reconnaîtrait la royauté de Bohême, ferait un très bon effet, et dans ce cas les troupes françaises pourraient toutes se mettre dans le pays de Juliers, Bergue et Liège, ce qui contiendra à coup sûr les Hollandais. L'augmentation n'est point résolue et me paraît même encore fort éloignée; rien qu'une bataille perdue contre la reine de Hongrie pourrait faire déclarer la Hollande.

C'est donc sur l'Allemagne que doivent se tourner toutes nos attentions. Si vous faites encore un effort, Monsieur, je suis sûr que vous viendrez à bout de vos desseins, mais il ne s'agit pas simplement d'envoyer de bonnes troupes, il faut des têtes pour les conduire. Ainsi envoyez de bons officiers généraux et des troupes complètes, qui tâchent d'en venir aux mains avec l'ennemi, s'il se peut le lendemain de leur arrivée, et je vous garantis que le tableau deviendra bientôt plus riant qu'il n'est actuellement. L'on pourrait encore ménager adroitement à Francfort une négociation avec les princes de l'Empire, pour que l'Empire déclare la guerre à la reine de Hongrie, et qu'on la mette au ban de l'Empire.

Il n'y a offres et propositions que la reine de Hongrie ne m'ait faites pour me séparer de l'alliance, mais le tout est peine perdue, et vous voyez par les efforts que je fais le peu d'effet qu'ont eu toutes ces négociations. Il ne s'agit à présent que d'agir cordialement ensemble, et de ne point prêter l'oreille aux méfiances que l'ennemi nous veut inspirer mutuellement. Tout l'orgueil de la reine de Hongrie est fondé à présent sur ses succès d'Autriche et sur une somme de 900,000 florins qu'elle a reçue d'Angleterre par Nuremberg, ce qui fait que nous allons être inondés de Hongrois et de l'engeance la plus maudite que D'eu ait créée. Je vous prie, Monsieur, de ne point douter de l'estime entière et inviolable avec laquelle je suis à jamais, Monsieur mon Cousin, votre très fidèle et inviolable ami

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

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