759. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.

Selowitz, 27 mars I742.

Monsieur mon Cousin. Vos lettres me font toujours un plaisir infini, j'y vois le tableau de l'Europe en raccourci, dessiné par Carrache et coloré par Rubens. Les conjonctures présentes, qui s'embrouillent de plus en plus, donnent lieu à bien des réflexions. Si l'Angleterre déclare la guerre à la France, sans le concours de la Hollande, elle pourrait bien avoir lieu de s'en repentir, et si la Hollande se joint à l'Angleterre, la République en sera le sacrifice. Je vais plus loin, et j'examine le but que peuvent avoir l'Angleterre et la Hollande d'allumer le flambeau de la guerre en Flandre? On me dira que c'est pour opérer une diversion à la reine de Hongrie, mais quelle diversion peuvent faire ces deux puissances combinées, en Flandre, où une triple barrière de places où l'art de la fortification s'est épuisée, défendent les limites de la France? Ce n'est donc point une guerre offensive qu'elles peuvent entreprendre, et je demande si, lorsqu'on veut faire la guerre, l'on commence par la défensive? De ceci je conclus que tout l'appareil de guerre en Angleterre et en Hollande n'est jusqu'à présent qu'une montre d'ostentation, et qu'à moins que le peuple de Hollande ne prenne généralement la rage, il n'est pas à présumer que les États-Généraux s'engagent de gaieté de cœur dans une guerre ouverte avec la France.

Voici l'état où se trouvent les affaires d'Allemagne. M. de Khevenhüller a détaché, à la vérité, un corps de 12,000 hommes de ses troupes vers la Basse-Autriche, mais ce corps a été remplacé par 12,000 Croates et hussards. J'ai appris par grand nombre de lettres interceptées que le projet de M. de Khevenhüller est d'aller jusqu'en Souabe, au devant du secours français, et de le combattre, ce qui obligera, je crois, les Français de marcher en corps de troupes et non pas par détache<93>ments. M. de Lorraine s'opiniâtre à soutenir avec un corps de 9 à 10,000 hommes Budweis et Tabor; je crois cependant que l'armée de Bohême pourra facilement l'obliger, le printemps qui vient, à évacuer ces postes. Le prince de Lobkowitz a étendu 12,000 hommes des troupes qu'il commande, joints aux 13,000 qui sont sous les ordres de Saint-Ignon, de Krems, Horn, Waidhofen, Teltsch, Laa à Nicolsbourg; une armée hongroise sous les ordres du maréchal Ghillanyi, forte de 18,000 hommes, est à Tirna, sur les frontières de la Moravie, et n'attend que quelque secours pour opérer. Le maréchal de Palffy avec un corps de 20,000 Hongrois pénètre en Haute-Silésie, par la Jablunka, et nous pas jour incommode beaucoup.

J'ai envoyé un détachement de 8,000 hommes, qui ont un peu nettoyé les frontières de la Moravie; ils ont fait 800 prisonniers, mais indépendamment de ceci, le grand mal est que nous ne pouvons pas faire des magasins. A Brünn il y a 1,000 hussards, à Landskron 1,200, à Teltsch 700, à Nicolsbourg 1,500, à Scalitz 200, à Weisswasser 600, à Teschen 900; cette cavalerie légère est partout, elle nous coupe nos communications, les paysans armés de même, de sorte que je ne vois encore à la subsistance.

M. de Schwerin, malgré les ordres que je lui avais donnés pour cet effet, dès qu'il s'empara d'Olmütz, a fort négligé ce point si important, ce qui me chagrine beaucoup. Les Saxons, qui ne veulent jamais rien faire, crient miséricorde et auraient grande envie de retourner en Saxe. Ils croient de voir dans la désolation de la Bavière les malheurs qui les attendent.

Je suis avec toute l'estime et l'amitié que l'on ne saurait vous refuser, Monsieur mon Cousin, votre très fidèle ami

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.