1057. AU MARQUIS DE VALORY, ENVOYÉ DE FRANCE, A BERLIN.

Potsdam, 11 février 1743.

Monsieur. Je vous adresse ci-joint la réponse que j'ai faite à la lettre du Roi votre maître, et j'espère que vous ne manquerez point d'avoir soin pour qu'elle vienne bientôt à sa destination.

On vient de m'envoyer une pièce par écrit, dont je vous envoie la copie ci-close. Comme je trouve cette pièce assez curieuse et intéressante, j'ai bien voulu vous la communiquer, ne doutant pas que vous n'en pourriez faire un bon usage. Je le fais néanmoins sous la condition expresse qu'on ne saura jamais qu'elle vous est venue de ma part, en quoi je me remets absolument sur votre bonne foi. Je suis avec des sentiments d'estime, Monsieur, votre bien affectionné

Federic.

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Projet politique conforme aux véritables intérêts de la France.

Dans la guerre où la France se trouve engagée, il y a trois chemins pour en sortir, savoir

Si la France fait le sacrifice aux Anglais de ses établissements des Indes;

Si la France cède la Lorraine et une partie de la Flandre à la maison d'Autriche;

Ou si elle fait les efforts convenables en Allemagne, par mer contre les Anglais, en Flandre contre les Autrichiens, pour contraindre ses fiers ennemis à recevoir d'elle les conditions de la paix.

Si l'on s'imagine qu'en faisant revenir les troupes françaises d'Allemagne sur le territoire français, ce serait finir la guerre, on se trompe beaucoup; car les Anglais et les Autrichiens, fiers de la supériorité qu'ils gagneraient par là, pousseraient les Français plus vivement dans leur propre pays; toute cette milice barbare les y suivrait et devasterait ces contrées; les pertes des batailles deviendraient plus importantes, les ressources moins fécondes, et les ennemis, par leur supériorité, forceraient l'Empire à s'unir à eux, pour augmenter les ennemis de la France.

Quant au premier des trois points, il me semble que le commerce d'Orient est trop important pour la France pour qu'elle puisse le sacrifier aux Anglais, en leur faisant des cessions en Amérique.

Quant au second article, il est si humiliant qu'il n'est pas à présumer que la France voulût acheter la paix par une pareille bassesse.

Tout se réduit donc au dernier point, savoir à faire la guerre avec vigueur.

Reste à savoir comment, et quels moyens choisir pour se procurer une supériorité certaine.

Le premier est que la France déclare la guerre à la maison d'Autriche et à l'Angleterre, par terre et par mer. Qu'elle rassure les Hollandais sur leur barrière, en cas qu'ils prissent ombrage. Il faut, de plus, remuer dans l'Empire et faire assembler à tout prix une armée de neutralité. L'armée française en Flandre doit être composée de 70,000 hommes complets. Il faut qu'elle en ait une, dans le Brisgau et les Etats autrichiens de Souabe, de 40,000 complets, et une de 50,000 hommes en Bavière, ses places garnies par des milices, et un corps de 25,000 hommes du côté de Trêves.

De cette façon, il est indubitable que les Français parviendront à leur but, avec un ordre à tous les généraux de ne pas marchander à l'ennemi, mais de le combattre toute part avec vigueur, et d'agir toute part offensivement.

Le général Keith des Russiens a quitté ce service; c'est un habile général; il est à croire que la France en pourrait tirer de bons services. <327>Une armée française en Souabe contiendrait non seulement tout l'Empire dans son devoir vers l'Empereur, mais encore empêche que les Anglais n'y viennent; et en cas que les États du Cercle ne se conduississent pas bien, les Français et l'Empereur y profiteraient des contributions.

Der Brief nach Abschrift der Cabinetskanzlei, die Denkschrift nach dem eigenhändîgen Concept.