1125. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Berlin, 1er juin 1743.

Vos deux dépêches ad manus du 7 et du 14 du mois de mai passé m'ont été bien rendues, et je suis très satisfait de la manière dont vous vous êtes acquitté pour satisfaire à ma curiosité sur les deux sujets dont j'ai voulu être instruit.369-1

Quoique je sois bien persuadé que, dans la situation où l'empire de Russie se trouve maintenant, je n'aurais pas à craindre qu'il voulût prendre parti contre moi, de la manière de m'entamer par une guerre offensive, néanmoins, comme tout est sujet au changement, et qu'il faut penser en temps de paix aux moyens de se défendre contre toute insulte, et pour que je n'aie plus à craindre les mêmes inquiétudes, par rapport à la Russie, que j'avais du temps du commencement de la guerre de Silésie, mon intention est que vous devez vous instruire au fond de tout le détail du plan d'opération que la cour de Vienne et ses partisans eurent conçu du temps de la princesse Anne pour envahir quelques-unes de mes provinces.369-2 C'est pourquoi vous me manderez si l'on a voulu faire marcher les troupes russiennes vers la Prusse par la Lithuanie ou par la Courlande, en quel endroit on a cru pouvoir débarquer en Poméranie, l'état des troupes non régulières, et les chefs et commandants de celles-ci. Vous me manderez aussi de quelle manière il se faut prendre pour entretenir des intelligences avec <370>ceux-ci, et pour les gagner et les corrompre,370-1 si jamais le cas devait le demander. Vous ajouterez encore de quelle manière vous croyez que je pourrais me servir alors des Polonais contre ceux de l'Ucraine; enfin, vousentrerez dans tout le détail possible pour me mettre bien au fait sur toutes ces circonstances et sur les moyens qu'il y a pour n'en avoir aas infiniment à craindre.

Ce n'est pas qu'il me viendra jamais dans l'esprit de vouloir me frotter de gaieté de cœur à la Russie; au contraire, je ferai tout au monde jour entretenir toujours une bonne harmonie avec cet empire, mais je ne veux plus l'avoir tant à craindre que du temps passé, et je veux bien vous dire en confidence que c'est une des raisons que j'ai eues l'augmenter mon armée jusque-là que je puisse avoir toujours un corps de troupes de 20 à 30,000 hommes en Prusse.

J'ai été charmé de voir que, par les bons offices du sieur Woronzow, le dessein d'une quadruple alliance est allé en fumée;370-2 aussi ai-je ordonné qu'on doit glisser dans mes rescrits des expressions flatteuses pour lui. Vous devez même me mander s'il ne serait pas bon que je vous envoyasse quelque anneau avec mon portrait, ou autre pareille chose, afin que vous puissiez vous en servir bien à propos pour mes intérêts dans des occurences où le temps qu'il vous faudrait pour m'en faire votre rapport, pourrait faire manquer le moment favorable.

Vous ferez tout au monde pour empêcher que de pareilles alliances comme dessus ne soient mises sur le tapis, et vous ne aisserez échapper une occasion pour barrer les Saxons dans leurs intrigtues, et pour les mettre mal dans l'esprit des ministres russiens, sans que vous y paraissiez ouvertement.

Au reste, vous me manderez quand il sera temps de donner la Ratification aux ministres russiens au sujet de l'alliance que je viens de conclure avec l'Impératrice, à quoi j'ai destiné la somme de 8,000 écus, si vous croyez que cela suffit.

Federic.

Nach dem Concept.



369-1 Vergl. oben Nr. 1113 S. 362.

369-2 Die Grundzüge des Plans waren nach Mardefeld's Bericht vom 7. Mai: „d'envoyer un corps d'année en Prusse, d'embarquer un autre sur les galères pour l'entamer d'un autre côté et pousser jusqu'en Poméranie, et surtout d'employer un grand nombre de troupes irrégulières pour saccager et ruiner le pays, projet qu'on suivrait infailliblement en cas d'une guerre. Il est à remarquer là-dessus que: 1° l'armée de terre n'aurait pas beau jeu, 10,000 hommes des troupes de Votre Majesté pouvant sans miracle battre 25,000 Russes; 2° que les galères courent grand risque d'être absorbées par les vagues au premier orage qu'il ferait, les côtes depuis Réval jusqu'à Riga étant pour la plupart escarpées et les rivages en plusieurs endroits inaccessibles, ce qui ne se trouve pas du côté de la Suède; 3° que les Kalmouks, par une somme d'argent, pourraient facilement être gagnés et disposés de tourner les armes contre les Russes mêmes, que les Cosaques, sans en excepter ceux du Don, ne sauraient tenir tête aux hussards de Votre Majesté, et que, si l'on pouvait se servir des Polonais contre ceux de l'Ucraine, il serait très probable qu'au premier revers de fortune ils secoueraient le joug que les Russes leur ont imposé.“

370-1 Vergl. S. 369 Anm. 2.

370-2 Vergl. Droysen V, 2, 116.