1161. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

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Podewils berichtet, Berlin 3. August: „Hyndford est venu dans ce moment chez moi pour ne dire qu'il avait reçu un courrier, il y a une heure, avec un ordre positif du Roi son maître de se rendre auprès de Votre Majesté, partout où Elle serait, pour Lui communiquer de bouche des choses de la dernière importance, sans le moindre délai. Voici de quoi il s'agit. Le maréchal de Noailles à envoyé l'intendant de Strasbourg à l'électeur de Mayence, pour le prier de vouloir au nom de la France faire parvenir par son canal au roi d'Angleterre et à la reine de Hongrie les propositions suivantes :

[Neisse, 6 août 1743.]

Remarques:

Pourquoi l'intendant de Strasbourg? Pourquoi à l'électeur de Mayence? Cela me paraît suspect.

1° Que la France ne s'opposerait pas, mais qu'elle tâcherait même de concourir pour qu'on élût le jeune archi-duc d'Autriche roi des Romains.

C'est ce qui peut être vrai, quoiqu'en ce cas tous les trésors que la France a dépensés pour ôter la dignité impériale de la maison d'Autriche seraient autant de perdu.

° Que si l'on ne pouvait pas autrement contenter la reine de Hongrie, et la porter à faire quelque cession à l'Empereur ou une paix avantageuse avec ce prince, la France tâcherait de faire rendre la Silésie à la Reine, et aiderait même les alliés à la reprendre à Votre Majesté.

Comment la France tâcherat-elle d'effectuer cette promesse? enverra-t-elle des troupes? la reine de Hongrie voudra-t-elle de nouveau inonder ses États des forces de ses ennemis? Toutes les forces

 

autrichiennes, d'ailleurs, qui sont dans l'Empire, dans leurs deux armées, ne font pas 43,000 hommes, après ce qui a été détaché pour l'Italie. Est-ce un nombre suffisant pour m'attaquer? 40,000 hommes ne suffiront pas pour bloquer Neisse et Glatz, comment suffiront-ils donc pour en attaquer 140,000 bien fortifiés? qui paiera les subsides à la Reine, sans quoi elle est entièrement hors d'état de me faire la guerre? voudra-t-elle exposer ses provinces voisines à être ruinées par mes troupes totalement, après l'avoir déjà été en partie par une guerre de deux années? Et quand même la France donnerait des secours, je vous demande si l'on a lieu de craindre de pareils alliés que les Français?

3° Que, si l'Empereur ne voulait pas se raccommoder sur un pied raisonnable, la France le planterait là et ferait sa paix à part avec la reine de Hongrie et ses alliés.

Je crois que l'article de l'Empereur, s'il n'est pas vrai, pourra le devenir; il jouera le rôle du roi Jacques et de Stanislas.

4° Que la France se faisait fort de porter l'Espagne à la paix la plus avantageuse que l'Angleterre pourra souhaiter d'elle.

C'est ce qui n'est point vrai, car la perte du commerce d'Espagne entraînerait celui de France, et je crois que l'on cèderait plutôt la Lorraine que de renoncer à ce commerce. Cette proposition et sûrement inventée par Carteret, car il n'y a aucune vraisemblance que la France fît un si grand sacrifice sans une plus grande nécessité.

L'intendant de Strasbourg a exigé de l'électeur de Mayence le secret sur ces propositions par serment, ce que ce prince a réfusé de faire, lui ayant déclaré que la seconde proposition, doter à Votre Majesté la Silésie, lui paraissait si noire qu'il se croyait obligé en conscience de communiquer ces propositions, telles qu'elles étaient, au roi d'Angleterre et à la cour de Vienne.

Si l'intendant de Strasbourg a exigé le secret de l'électeur de Mayence, il est à croire qu'il ne lui aura rien communiqué avant que de l'avoir obtenu promesse, et si l'Électeur ne lui a rien promis, l'autre ne lui aura rien dit. Cela paraît encore une circonstance malourdie pour donner de la vrai-

 

semblance à l'apocalypse de Carteret. Il me semble que si l'affaire était vraie, on aurait envoyé un émissaire à milord Carteret avec des propositions où l'on eût principalement eu envie de concilier les intérêts de l'Angleterre et ceux de la France; naturellement dans une pareille négociation il n'aurait point été question de la Silésie, on aurait réglé des intérêts directes, et point des accessoires.

Milord Carteret a écrit à Hyndford que le roi d'Angleterre en avait été frappé; qu'il avait d'abord fait venir le prince Charles de Lorraine, le maréchal comte de Khevenhüller, et le baron de Wasner, ministre de la reine de Hongrie auprès de lui, en leur communiquant ces belles propositions de la France; que tous ces messieurs avaient insisté à les faire communiquer sans perte de temps à Votre Majesté pour Lui donner la marque la plus évidente de la droiture de la reine de Hongrie et du roi d'Angleterre, et qu'on sentait bien que c'était une ruse de la France.“ . . .

„J'avoue que je ne saurais revenir de ma surprise sur cette communication. H est certain qu'il faut se méfier de ces sortes de confidences . . . ., mais ceci est accompagné de tant de circonstances, et a. passé par les mains du premier électeur de l'Empire, que la France ne saurait lui donner un démenti, quelque sauce ou couleur qu'elle voulût y mettre et, en cas que l'Électeur persiste à le soutenir, il faut convenir que c'est la plus noire de toutes les trahisons et perfidies, et que l'amorce que la France a présentée à la reine de Hongrie et à ses alliés a été toujours bien tentante .... Je laisse aux hautes lumières et à la pénétration de Votre Majesté l'usage qu'Elle croira le plus convenable de tout ceci, et le parti qu'Elle aura à prendre avec le temps dans cette épineuse époque, qui devient de jour en jour plus critique.“

Le conseil tenu en présence du comte Khevenhüller, du prince Charles, et de Wasner, est encore une chose suspecte; croyez-vous, si ces propositions étaient vraies, que l'on n'eût pas d'abord faire partir un courrier pour Vienne? et le roi d'Angleterre ne m'aurait informé du fait qu'après avoir reçu réponse de la Reine. Par quelle nécessité fallait-il tant presser Hyndford de m'informer de propositions qui regardent la reine de Hongrie, et qui seraient fort agréables au roi d'Angleterre, s'il voyait du jour pour les exécuter? Pourquoi, si le tout était vrai, ne communique-t-on pas des pièces originales, et pourquoi se contente-t-on de ne faire le tout que verbalement? ... Le fond de cette affaire est que l'on voudrait me faire entrer dans leurs projets, pour être plus sûr de moi, ou peut-être pour que je perde sang en même temps qu'eux, ou peut-être par ce qu'ils n'ont pas assez de troupes pour exécuter leurs desseins contre la France.

Federic.

Nach der eigenhändigen Aufzeichnung (praes. 9. August) am Rande des Berichts.

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