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13092. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Giesmannsdorf, 27 juillet 1761.

Mon cher Frère. Le genre humain vous doit une statue pour la belle apologie que vous en faites;1 il n'y manque que la persuasion, et j'en reviens, mon cher frère, à mon opinion que les meilleurs des humains ce sont les moins vicieux. J'ai, par mon expérience, appris à connaître cette espèce à deux pieds, sans plumes, et, si vous ne supposez pas que je suis tombé entre la canaille la plus fieffée, il faut que vous conveniez que les bons caractères sont plus rares que les conjonctions des planètes et l'apparition des comètes. Ne pensez pas, cependant, que l'amour naisse de la tendresse; si je ne m'y trompe, je le crois produit par l'instinct des sens, par le besoin de la nature. Le sentiment se mêle, je ne sais comment, à la nécessité d'aimer qui nous presse et dont, cependant, une volupté brutale est l'objet. C'est une nécessité dans l'adolescence, c'est coutume dans l'âge avancé. Ne m'accusez pas, cependant, d'une morale trop austère, car je regarde l'amour comme la faiblesse la plus aimable et la plus excusable des hommes. Vous m'envoyez dans les cabanes des pauvres chercher la vertu; mais les hommes qui les habitent, sont-ils sans passions? Voilà ce qui mène à une vertu parfaite, et ce qu'on trouve aussi peu dans les chaumières que dans les palais. Enfin, mon cher frère, relisez, s'il vous plaît, les Maximes de Larochefoucauld; il plaidera ma cause plus éloquemment que je ne le pourrais faire.

Peut-être croirez-vous que monsieur Laudon me rend grognard et fâcheux; je ne disconviens pas qu'il en pourrait être quelque chose et que, si nous l'avions bien battu, je m'adoucirais pour le genre humain. Nous avons 83 jours à passer qui seront difficiles et pénibles; je les compte sur le bout des doigts, je sue et je travaille. Il est naturel de prendre part à ce qui nous touche intimement; aussi dit-on d'un général que, lorsqu'il avait un bon quartier, il s'écriait : « Voilà l'année bien campée! » Tout le monde en fait à peu près autant. Je ne l'approuve pas, mais cela est inhérent à l'homme; pourvu qu'on ait un cœur et de la sensibilité, il faut pardonner le reste. Je souhaite, mon cher frère, que vous en fassiez autant, vous priant de me croire avec une parfaite amitié, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur

Federic.2

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



1 Schreiben des Prinzen, d. d. Schlettau 23. Juli.

2 Dem Prinzen Ferdinand von Preussen wird am 27. Juli für seinen Glückwunsch zu dem Siege des Prinzen Ferdinand von Braunschweig gedankt „Je souhaite, mon très cher frère, de me voir bientôt à même de vous donner de bonnes nouvelles d'ici.“ Eigenhändig fügte der König hinzu: „Vous ne m'écrivez rien de ma sœur Amélie, ce qui me fait espérer que sa santé se remet. Nous sommes ici proche de quelque évènement decisif dont l'effet ne tardera pas à nous éclaircir de notre sort. Ne m'oubliez pas, mon cher frère, et soyez persuadé de ma tendresse.“ [Berlin. Hausarchiv.]