12995. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Kunzendorf, 27 juin 1761

J'ai eu la satisfaction de recevoir à la fois vos deux lettres du 23 de ce mois. Tout ce que l'on voit seulement des projets de nos ennemis, c'est que les Russes veulent s'emparer de Colberg, dans le dessein<490> d'hiverner dans la Nouvelle-Marche et dans la Poméranie; mais, comme leur flotte ne peut guère arriver que le 15 du mois prochain, ils sont intentionnés de suspendre leurs opérations jusqu'à ce temps-là, et c'est là apparemment la cause qui [arrête]490-1 les mouvements des Autrichiens.490-2

Je ne saurais pas deviner encore si le maréchal Daun veut faire ses efforts en Saxe ou s'il veut se tourner du côté de la Silésie. Les Autrichiens ont un gros magasin à Jung-Bunzlau qui, se trouvant au centre, seconde toutes les opérations qu'ils voudront entreprendre, soit en Lusace soit en Silésie.

Après avoir lu vos bulletins, dont je vous remercie, et tout ce que vous me mandez, je crois que je devine quelque chose de ce que vous y marquez. Le courrier que le maréchal Daun a reçu de l'armée des Russes, pourra avoir contenu à peu près les excuses, premièrement, de ce qu'ils n'envoient point de secours à Laudon et, en second lieu, la cause du retardement de leurs opérations; mais la raison pourquoi Daun a été reconnaître à Proschwitz,490-3 sera sûrement qu'on lui aura fait un projet de vous attaquer, dont il aura voulu examiner la possibilité, et dont à peu près telle a été la disposition de faire passer le corps de Lacy sur les hauteurs de Proschwitz et d'y établir des batteries le long de l'Elbe pour vous empêcher d'occuper les hauteurs du côté de Meissen ; d'attaquer avec un corps considérable la ville de Meissen et, pour vous faire diversion en même temps, de faire passer un corps par Dœblen et par Rosswein pour vous donner de la jalousie sur les Katzenhæuser. Vous verrez qu'il vous sera facile de vous opposer à ce projet-là, vu que les hauteurs de Kynast490-4 dominent beaucoup celles de Proschwitz, et qu'en soutenant la ville de Meissen et ses hauteurs, l'ennemi se pourrait casser le nez.

Je viens à présent aux autres opérations de la guerre. Il est sûr qu'en toute guerre qui se fait avec forces égales, votre système, comme le plus sûr, doit être préféré au mien; mais ce n'est point le cas où nous nous trouvons. Nous n'avons que deux armées, et nous en avons quatre contre nous. Or, dans ce cas-là, il faut bien nécessairement se défaire d'une pour pouvoir accourir à l'autre, et principalement compasser le temps, pour que les armées puissent paraître doubles [en temps],490-5 puisqu'il faut que chacune des nôtres agisse contre deux armées. C'est dans ce dessein que j'ai fait le détachement de Goltz, et c'est à présent sur quoi j'ai mes yeux ouverts. Si ce projet réussit, comme<491> j'espère, nous écarterons, premièrement, les Russes des frontières; secundo, le projet des Russes sur Colberg tombera, et, en opposant le prince de Württemberg aux Russes, ce sera autant qu'il faudra cette campagne-ci, et alors, en supposant que les forces principales des Autrichiens se proposassent d'agir en Saxe, je puis vous renforcer d'un assez gros détachement, pour vous mettre en état d'y résister; ou, si le maréchal Daun portât de ce côté-ci ses forces, vous pourrez laisser le général Hülsen avec un nombre de troupes proportionné à celui que le général Serbelloni commandera, en Saxe, et vous joindre avec le reste aux troupes en Silésie, tout comme nous étions convenus dans notre premier plan.491-1 Mais, supposé que cette expédition de Goltz ne réussît point, dans ce cas-là nos ennemis poursuivront le projet de campagne qu'ils ont formé à présent, et nous ne nous en trouverions guère plus mal que jusqu'ici.

Ainsi voilà, à peu près, tout ce que je puis vous dire sur la situation présente des choses. Il est très sûr que, depuis ma marche en Silésie, nos ennemis ont changé deux fois de plan d'opération. Si Goltz est heureux, ils en changeront encore, ainsi que, de votre côté tout comme du mien, notre attention ne doit être autre que d'opposer nombre au nombre, savoir que, si l'ennemi fait ses plus grands efforts en Saxe, ce sera de ce côté-là qu'il faudra amasser notre nombre; mais, si les grands efforts de l'ennemi se tournent vers la Silésie, c'est à vous de m'y renforcer.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



490-1 Nach dem Concept; Vorlage: „fortifie“ .

490-2 Dem Hauptmann von Götzen wird am 27. Juni auf seine Berichte vom 26. geantwortet, „dass, was ohngefähr bisher und jetzt in den feindlichen Lägern bei Zittau und sonsten wegen des Remuiren derer Truppen passiret, wohl nichts anderes als eine Veränderung und Vertauschung unter denen Regimentern mit einander ist, dergleichen Ich angemerket, dass es alle Jahr bei denen Oesterreichern geschehen ist, wenn sie ihre Corps formiren wollen“ . [Ausfertigung im Besitz des Lieutenants Grafen Götzen in Berlin.]

490-3 Nördl. von Meissen, rechts der Elbe.

490-4 Westl. von Meissen.

490-5 Ergänzt nach dem Concept.

491-1 Vergl. Nr. 12835.