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Si le cardinal Fleury en avait agi ainsî, et qu'il n'eût pas voulu, par un esprit d'économie déplacé, ménager les revenus du roi de France, l'année 41 et 42, je ne veux point être honnête homme, ou la reine de Hongrie était perdue; et la durée de la guerre fait qu'il en a coûté à présent le triple et le quadruple au Roi votre maître. J'espère que ce Prince sera satisfait de la façon dont j'en agis envers lui: je passe par l'article de Russie, stipulé dans notre alliance, et il me suffit d'apprendre qu'il soit attaqué dans ses États pour que je me porte à bout pour le dégager. Je me flatte au moins de quelque gratitude de sa part, et qu'il ne voudra pas abandonner, dans les opérations les plus hasardeuses et les plus difficiles, un allié qui combat dans le fond pour sa gloire et pour ses intérêts; car vous pouvez compter que, dès que mes opérations commenceront, la reine de Hongrie et l'Angleterre commenceront à négocier avec la France, en partie pour vous distraire de vos opérations, et en partie pour nous détacher les uns des autres; et si dans cette occasion le roi de France se laissait éblouir par les propositions avantageuses qu'on pourrait lui faire, que deviendrais-je? Car ne croyez point que je sois seul en état de faire tête à la reine de Hongrie, à l'Anglais et aux Saxons; il y va de l'honneur et de l'intérêt de votre maître de remplir ses engagements avec toute l'exactitude possible. Je ne disconviens point qu'il ne pût trouver un intérêt momentané dans une paix séparée, mais ni vous ni moi, si nous connaissons bien nos intérêts, ne nous séparerons; il ne peut avoir aucune jalousie entre nous, et nous pouvons nous être réciproquement très utiles. De plus, mes ennemis sont les vôtres, et, selon toutes les apparences, ils ne changeront de sentiment que lorsqu'ils seront réduits dans l'impossibilité de nous nuire. En un mot, je mets toute ma confiance dans la bonne foi d'un prince éclairé et sage, et qui n'a jamais de sa vie manqué à ce qu'il a promis, et les marques d'attachement que je lui donne à présent, doivent le confirmer plus que jamais dans ces sentiments.

Le malheur de M. de Coigny vient de ce qu'on a voulu qu'il agisse défensivement; mais j'espère que tant d'exemples que vous avez depuis trois ans des mauvais succès qu'ont les guerres défensives, vous feront embrasser le parti d'agir partout offensivement et avec audace; c'est, après tout, l'unique parti pour venir à bout de nos desseins ; il faut que tout soit nerf dans nos opérations, et qu'il n'y ait aucun moment vide ou d'inaction. Je vous prie, Monsieur, de joindre sus ces points vos représentations aux miennes, afin que le Roi votre maître sente bien l'importance de ces objets. J'ai oublié de vous dire qu'il est absolument nécessaire que vous dissimuliez sur le sujet du marquis de La Chétardie avec la Russie. Rien ne se pourrait de mieux, que si le Roi voulait se résoudre d'y envoyer sur-le-champ un autre ministre qui témoignât à l'Impératrice le mécontentement du Roi sur la conduite de La Chétardie, et qui en même temps lui apporte la recognition du titre impérial. Si vous prenez un autre parti, vous donnez pour longtemps cause gagnée