<331>

Comme la Saxe est en alliance avec la Russie, mais que celle-ci l'est aussi avec moi, et que la Russie m'a promis par son traité son assistance en cas que je fusse attaqué, voilà le casus foederis qui me met en droit de réclamer de la Russie l'assistance qu'elle m'a promise. Ainsi donc, il faudra à présent que je sache à quoi me tenir avec elle, savoir si elle veut prendre fait et cause dans cette querelle, et auquel traité elle se veut tenir alors, c'est-à-dire, à celui qu'elle a avec moi ou à celui qu'elle a avec la Saxe, ou si la Russie aimera mieux de rester neutre alors et de se mêler plutôt de la pacification, en déhortant les Saxons de n'agir plus hostilement, soit directement soit indirectement, contre moi, et de retirer plutôt les troupes qu'elle a en Bohême. Voilà sur quoi vous devez parler, d'une manière convenable, au ministère russien et surtout à Woronzow et mes autres amis en Russie, et joindre alors adroitement des libéralités, pour me gagner ces gens dans l'affaire dont il s'agit. Et comme le temps me presse extrêmement, pour que je ne sois plus sur cette affaire dans le même état d'incertitude que je suis jusqu'à présent, j'attends que vous ne perdiez plus de temps et me mandiez alors bien naturellement par une relation assez détaillée, que vous enverrez en toute diligence par un courrier, ce que j'ai à craindre ou à espérer de la Russie.

Quant au succès que vous souhaitez d'apprendre d'une bataille entre moi et le prince Charles, il faut que je vous dise qu'il n'est point si aisé de donner bataille quand on veut, dans ce pays-ci, qui est si montueux, si fourré et difficile qu'il est rempli, de quart de lieue en quart de lieue, de défilés, de marais, d'étangs et de bois très touffus, ainsi que, si l'ennemi ne veut point combattre, il est impossible de l'y obliger. J'en ai fait l'épreuve à trois au quatre différentes reprises, où je suis marché tout droit à l'ennemi, et où j'ai tout fait au monde pour l'obliger à une bataille ; mais il a toujours su se poster, par l'aisance que ce pays-ci lui a donnée à cela, de la manière qu'il a été absolument impossible de venir à lui. Aussi faut-il que j'avoue que l'ennemi a pris fort sensément ce parti de ne vouloir point combattre, puisque par là il s'est non seulement sauvé, mais m'a obligé, faute de subsistance qui commençait à me manquer absolument, de me replier avec mon année vers les frontières de la Silésie, pour l'y faire subsister; ce dont vous serez parfaitement instruit par la relation détaillée que je vous enverrai en peu de temps de toute la campagne passée. En attendant, je puis vous assurer, sans blesser la modestie ni la vérité, que, si jamais l'ennemi avait voulu hasarder une bataille, il aurait, selon toutes les apparences, fort risqué, puisque dans toutes les petites occasions où quelques-unes de mes troupes sont venues aux mains avec celles de l'ennemi, ces dernières ont toujours eu le dessous, quoique pour la plupart elles aient été supérieures en nombre. Après cela, quoiqu'il ne me soit pas agréable que faute de subsistance je me suis vu obligé de me replier vers les frontières de la Silésie, je suis néanmoins toujours bien résolu de rentrer l'année