1370. AU MAJOR GÉNÉRAL COMTE DE ROTHENBURG A PARIS.

Berlin, 30 mars 1744

Après mon retour de la Silésie, je viens de recevoir à la fois vos deux relations du 9 et du 16 de ce mois.

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Quoique j'aie été très content du détail que vous m'avez fait sur la situation où vous avez trouvé la cour de France, je suis pourtant fâché de vous dire que, quant aux affaires mêmes, vous vous êtes trop précipité, lorsque vous vous êtes expliqué vers les ministres de la France sur de certaines conditions de ma part; mon intention, à ce que vous vous souviendrez, n'ayant point été de parler le premier, mais de faire parler et expliquer les autres et de les voir venir. Ce qui ne m'aurait pas tant exposé comme je le suis à présent, si l'affaire devait manquer de réussir, et aurait obligé la France de me rechercher, au lieu que, de la manière dont vous vous êtes pris, il paraît que je recherche la France, et que celle-ci se croit par-là en droit de marchander sur les articles que vous lui avez proposés, et d'y ajouter plusieurs choses dont je ne puis point convenir. Par exemple, dans l'article second, qu'elle ne veut faire passer ses troupes en Allemagne que lorsque par les opérations que je dois faire, je me serais attiré toute l'armée autrichienne; dans le quatrième article, l'inclusion du roi d'Espagne pour les affaires d'Italie, etc.

Comme j'espère pourtant que par le savoir-faire que je vous connais, vous sauriez redresser le pas que vous avez fait, je veux bien vous expliquer encore une fois mes intentions sur toute cette affaire de la manière qui suit:

Que je suis intentionné de m'engager avec la France, mais que c'est conditionnellement, savoir:

1° Que l'alliance que je suis prêt de conclure avec la Russie et la Suède, soit préalablement faite, soit pour les faire entrer dans le plan que je me propose, ou, du moins, que ni l'une ni l'autre n'y apporte aucun empêchement; ce que la France peut aider à accélérer par Chétardie et Lanmarie, en leur donnant des ordres en conséquence;

2° Qu'outre la garantie que la France'm'a déjà donnée de tous mes États et de la Silésie principalement, elle me promette et garantisse positivement et non conditionellement, outre le petit reste de la Haute-Silésie dont la reine de Hongrie est actuellement encore en possession, mes convenances à faire en Bohême; c'est-à-dire, le morceau de Bohême selon le cours de l'Elbe, la seigneurie de Pardubitz et les villes de Kolin, Kuttenberg, Czaslau, Chrudim et Hohenmauth y ajoutées; moyennant quoi je renoncerai à mes prétentions sur l'Ostfrise en faveur de l'Électeur palatin, qui alors pourra renoncer au Haut-Palatinat en faveur de l'Empereur;

3° Ces préalables établis, je ne puis agir qu'au mois d'août de cette année, les arrangements nécessaires qu'il me faut faire n'étant point prêts avant ce temps-là; ainsi la France, ce préalable établi, peut aller toujours son train, sans que cela ne la déroute en rien;

4° Qu'ainsi la France fasse, en attendant, l'ouverture de la campagne, en prenant Fribourg, et qu'elle agisse vigoureusement avec ses armées tant dans les Pays-Bas qu'en Italie, et qu'elle fasse marcher alors <72>son armée de la Moselle ou du Main en Westphalie, pour couper les Hanovriens de l'électorat d'Hanovre. Quoique je croie que, si elle marchait tout droit dans le pays d'Hanovre, elle l'aurait au même prix ;

5° Que, quand tout sera réglé de cette façon, j'entrerai au mois d'août avec un puissant corps d'armée en Bohême, je prendrai Prague et tâcherai de m'emparer de Budweis, et marcherai vers Pilsen, où je combattrai l'armée autrichienne, si je la trouve dans mon chemin, pour prendre alors les quartiers d'hiver en Bohême. Il ne faut pas oublier qu'en même temps que j'agirai en Bohême, je ferai entrer un corps de 24,000 hommes en Moravie, pour prendre Olmiitz;

6° Que mon alliance avec la France réglée sera tenue bien secrète, et qu'elle ne doive être publiée, ne paraisse point comme la raison qui me fait opérer, mais que plutôt le prétexte de mes opérations sera le traité d'union confédérale que je vais conclure avec l'Empereur et quelques autres États de l'Empire pour le maintien de l'Empereur, pour le rétablissement du repos dans l'Empire et pour pacifier l'Allemagne, dont le sieur de Chavigny n'aura pas manqué de mander à sa cour toutes les circonstances;

7° Lorsque l'armée autrichienne quittera le Rhin, il la faut d'abord faire suivre par l'armée impériale, pour reprendre, en même temps que je combattrai celle d'Autriche, la Bavière;

8° De la manière susdite, une alliance avec l'Empereur et la France ira fort bien, mais comment puis-je procurer à l'Espagne les conditions que les ministres de la France me demandent ? à quoi je ne saurais prêter la main, ne voulant promettre rien de plus que ce que je puis réaliser. Tout ce que je puis faire, c'est de pousser jusqu'au Danube et de ne faire la paix que lorsque l'Empereur, la France et moi serons satisfaits. Pour moi, je suis persuadé qu'une bonne bataille gagnée et une marche vigoureuse de mes troupes et de celles de l'Empereur, les unes aux confins de la Bohême, à l'Autriche, les autres jusqu'à Linz tandis que les armées de la France agiront en même temps avec vigueur dans le Brabant, au Rhin et en Italie, sans que mes opérations déroutent celles de la France en rien — finirait la guerre, puisqu'on ôtera par là à la maison d'Autriche les ressources pour continuer la guerre.

Quant au dessein que la France a de faire marcher la Suède, je crois qu'elle y réussira présentement assez facilement, à l'occasion du mariage qui vient d'être conclu entre l'héritier de la couronne et entre ma sœur, la princesse Ulrique.

Voilà le précis de mes sentiments, sur lequel vous devez vous régler, et vous concerter avec le sieur de Chambrier sur la manière la plus convenable et la plus sûre qu'il vous faut prendre pour entrer en matière avec les ministres de France, et pour préparer les matériaux pour cette alliance; cela fait, on pourra de la part de la France faire le projet de notre traité et me l'envoyer, pourque j'y puisse acquiescer ou <73>envoyer un contre-projet, et que, dès que mon alliance avec la Russie sera faite, on puisse signer de part et d'autre.

Sur ce que vous dites dans votre relation, que c'est à présent le temps de m'allier avec la France ou jamais, il faut que je vous dise que cette guerre est bien loin d'être finie, et que pour l'abaissement de la maison d'Autriche la France aura toujours besoin de moi, outre qu'il faut qu'avant que de conclure avec la France, je voie bien clairement de quelle manière celle-ci commencera ses opérations, et si elle agira avec vigueur, ou si elle fait comme du temps passé, c'est-à-dire de rester sur la défensive et d'agir mollement, en tâchant de pousser le temps par les épaules, ce qui ne m'encouragerait guère de conclure avec elle. A quoi j'ajoute que, si mes affaires ne s'arrangent pas de façon à frapper le coup cette année, la suivante ne serait pas moins favorable.

Vous ne manquerez point de me faire à son temps votre rapport détaillé du train que vos affaires ont pris.

Federic.

Mon cher Rothenburg, vous avez été ébloui par la cour de Versailles, et son brillant vous a fait oublier toutes les instructions que je vous avais données de voir venir et d'attendre parler les autres ; au lieu de cela, vous avez parlé tout seul, ce qui n'était pas mon compte. Je ne me paie pas de paroles, je veux voir des actions et l'accomplissement de tout le préalable que j'exige, sans quoi je ne me remue non plus qu'une pagode de Péquin de sa niche; prenez tous les matins une poudre blanche et ne vous précipitez en rien. On ne fait pas des alliances comme des parties de plaisir, il y faut un peu plus de précaution.

Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

Federic.