1373. AU MARÉCHAL COMTE DE SECKENDORFF A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Berlin, 31 mars 1744.

Monsieur. Après avoir bien reçu vos deux lettres en date du 24 de ce mois, le comte de Bünau vient de me rendre celle que vous m'avez écrite du 27, avec le plan des opérations pour la campagne future.

Comme cette dernière lettre roule principalement sur trois points, savoir

1° sur la démarche que le prince Guillaume de Hesse vient de faire à l'occasion des desseins prétendus de la France sur l'Angleterre en faveur du Prétendant,

2° sur les convenances à me faire, si j'agissais avec mes troupes en faveur de Sa Majesté Impériale, et

3° sur le plan des opérations —

je trouve nécessaire de m'expliquer vers vous d'une manière tout- à-fait cordiale sur chacun de ces articles.

Quant au premier donc : J'avoue que la démarche que le prince Guillaume vient de faire en faveur de l'Angleterre, m'a d'autant plus disconsolé que j'ai toujours compté ce Prince inséparable des intérêts de l'Empereur et de la cause commune de l'Empire; mais ce qui me frappe le plus, est que, lorsque ce Prince me communiqua, par une lettre en date de 14 de ce mois, ses appréhensions touchant le prétendu dessein de la France en faveur du Prétendant, et que je l'avais rassuré tout- à-fait là-dessus par la réponse que je lui fis, en le priant d'une manière touchante de ne point abandonner Sa Majesté Impériale pour des bruits sans fondement, ce Prince, nonobstant de tout cela, ait fait la démarche en faveur de l'Angleterre et rompu, au grand préjudice de l'Empereur, son traité avec la France si intéressant pour lui; car je suis bien persuadé que Carteret n'entendra point finesse sur l'offre que ce prince lui a faite, mais qu'il le prendra au mot et gardera ces 6,000 Hessois aussi longtemps que la guerre durera. Si j'osais me fier assez aux ministres de l'Empereur qu'ils ménageaient assez les lettres qu'on leur communique, et s'il n'y avait des exemples que des lettres que j'ai autrefois écrites en confidence, avaient été imprimées,74-1 j'aurais déjà communiqué à votre cour la lettre que j'ai écrite au prince Guillaume. Cependant, pour vous faire voir tout ce que j'ai remontré à ce prince touchant l'af<75>faire en question, j'envoie la copie de ma réponse au sieur de Klinggraeffen, avec ordre de vous la faire lire, et il me semble qu'après avoir fait toutes ces remontrances, et que nonobstant de tout cela ce Prince ait pris un autre parti, je ne saurais plus lui faire de nouvelles remontrances, pour ne pas risquer d'être la dupe. C'est aussi la raison pourquoi je n'ai répondu à une autre lettre de ce Prince, datée du 26 de ce mois, par laquelle il m'instruisait de la démarche qu'il avait actuellement faite, que d'une manière assez sèche75-1 comme vous verrez par la copie que le sieur de Klinggræffen vous en montrera, et je me flatte encore que Cette réponse sèche fera peut-être plus d'effet sur l'esprit du Prince que si je lui avait fait force de remontrances.

Sur ce qui est sur l'article 2, touchant les convenances à me faire, je me remets en cela au sieur de Klinggræffen, qui est parfaitement instruit sur mes intentions à ce sujet, ainsi qu'il ne me reste ici qu'à vous prier de considérer que ce sera moi qui serai obligé de conquérir la Bohême pour l'Empereur, et qu'il n'y a guère apparence que Sa Majesté Impériale ait jamais la Bohême, si je n'y contribue pas de toutes mes forces, et qu'ainsi je puis prétendre de bon droit à des convenances proportionnées aux hasards et risques que j'ai à encourir sur cela, dont je me passerais bien, s'il y avait des autres expédients pour faire avoir la Bohême à l'Empereur.

Quant à l'article 3, par rapport au plan des opérations dont Sa Majesté Impériale demande mon sentiment, et que je doive remplir le vide touchant les marches et entreprises que j'avais dessein à faire, il faut que je vous fasse ressouvenir de ce que je vous ai expliqué à Potsdam, savoir, qu'avant que je pusse entreprendre la moindre chose, il fallait que j'eusse préalablement fait mes affaires avec la cour de Russie et de Suède, et qu'après cela il me faudrait voir si la France agirait tout de bon et avec vigueur par ses armées et de quelle manière elle s'y prendrait. Et ce sont encore les deux articles sur lesquels il faut que je sois assuré, avant que de tôper au jeu, ce qui ne pourra être qu'au commencement ou vers le milieu du mois de mai. Touchant le plan de l'opération même, je n'y trouve rien à dire, sinon qu'il me paraît qu'il y a la même faute d'omission qui s'est trouvée dans tous les plans précédents d'opérations, c'est-à-dire, qu'on n'y a mis que ce qu'on pense de faire, sans avoir pris assez en considération ce que l'ennemi pourra faire en contre; article pourtant qui mérite d'être bien pesé et dont on ne pourra presque point juger, avant que les Français n'aient ouvert la campagne par le siège de Fribourg, pour voir alors les mesures que les Autrichiens prendront, s'ils laisseront prendre cette place, si les Français soutiendront ce siège, et quelles opérations ils feront d'ailleurs et autre part.

Ce qui concerne les opérations que j'aurai à faire, mon sentiment <76>en est qu'après que j'aurai fait mon traité avec la Russie et la Suède, que j'aurai vu les Français opérer avec vigueur, et que je pourrai faire ma convenance avec Sa Majesté Impériale, je commencerai à agir, dans le mois d'août. D'abord que mes troupes commenceront leur marche, il sera nécessaire que la France fasse marcher son armée de la Moselle en Westphalie, dans le pays de Munster et aux environs, pour couper l'électorat d'Hanovre, ou, s'ils veulent faire les choses de meilleure grâce, tout droit dans le pays d'Hanovre.

Il est à présumer qu'aussitôt que j'entrerai avec un puissant corps d'armée dans la Bohême, les Autrichiens retireront leur armée du Rhin et qu'ils marcheront par la Bavière vers la Bohême. C'est pourquoi mon intention est de prendre Prague, de tâcher à m'emparer de Budweis et de Tabor, avant que l'armée autrichienne puisse occuper ces deux postes si avantageux, et de marcher alors vers Pilsen, pour y attendre l'armée autrichienne et la combattre. Tandis que je ferai ces opérations en Bohême, un autre corps de mes troupes entrera dans la Moravie, pour prendre Olmütz et pour inquiéter ce pays, afin que les Autrichiens n'en puissent tirer ni subsistance ni en avoir ressources. Lorsque l'armée autrichienne quittera le Rhin pour venir à moi, il faudra que l'armée impériale la suive alors incontinent pied à pied, pour reprendre la Bavière pendant le temps que je me chamaillerai avec l'armée autrichienne; chose d'autant plus facile à faire qu'il est à présumer que les Autrichiens ne laisseront en Bavière que 8 à 10,000, ou tout au plus 15,000 hommes; et, comme il est à croire que lesdites opérations seront d'un bon succès, mon idée est que les troupes impériales ne doivent cesser d'agir que jusqu'à ce qu'elles ont poussé vers Linz, et j'espère alors d'être en état de marcher vers le Danube, pour y appuyer l'aile droite de mon armée.

Voilà les idées que j'ai de mes opérations et de celles que les troupes impériales auront à faire. J'ai trop de confiance en vous, Monsieur, pour que je ne dusse être tout-à-fait rassuré que vous n'en ferez qu'un bon usage et que vous les ménagerez avec tout le secret possible.

Mais avant que de finir ma lettre, il faut vous avertir encore d'une chose dont personne n'entend mieux les conséquences que vous; c'est ce que j'espère que l'Empereur ne s'impatientera pas ni n'en fera un sujet de griefs, quand mon armée, lorsqu'elle sera entrée en Bohême, y prendra à son temps les quartiers d'hiver, ou lorsque qu'elle en [tirera] des fourrages et autres choses nécessaires pour subsister et se conserver, de même si mes troupes étaient obligées de se faire respecter contre les gens du plat pays, en cas que ceux-ci voulussent prendre les armes contre mes troupes et faire feu sur celles-ci; comme aussi si je me voyais obligé de chasser quelques-uns des plus mal intentionnés de la ville, au lieu desquels l'Empereur pourra placer alors d'autres, qui lui sont bien affidés. Il n'est nullement à douter que dans de pareils cas <77>le parti autrichien ne dût tâcher de faire parvenir mille criailleries à l'Empereur, pour mettre seulement de la méfiance entre lui et moi ; mais je suis trop persuadé des lumières et de la pénétration de Sa Majesté Impériale pour qu'elle veuille ajouter foi alors à toutes pareilles plaintes, ni qu'elle en veuille faire alors un sujet de mécontentement contre moi, étant certain que, pour finir au plus tôt cette affaire, il faudra que j'aie les bras libres d'agir avec toute la vigueur nécessaire, dont pourtant je n'abuserai jamais au préjudice de l'Empereur.

Je suis avec des sentiments d'estime, Monsieur, votre très affectionné ami

Federic.

Vous savez, Monsieur, les conditions que je me suis proposées comme des préalables avant que d'agir; ainsi, les articles secrets qui feront la validité de l'alliance et en détermineront l'activité, ne pourront être signés que lorsque nous serons d'accord des conditions essentielles et que les affaires du Nord seront finies totalement. Quant au projet de traité que j'ai envoyé à l'Empereur, je ferai expédier à Klinggræffen les pleins-pouvoirs pour les signer, mais ceux-là ne signifient rien pour le réel, si les articles séparés n'y sont joints.

Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



74-1 Vergl. Preussische Staatsschriften I, 392.

75-1 Vergl. Nr. 1371.