1416. AU CONSEILLER HOFFMANN A VARSOVIE.

Berlin, 2 mai 1744.

Je viens de recevoir de fort bon endroit des rnémoires détaillés,; concernant les vues que la cour de Dresde se propose dans le voyage prochain en Pologne. Ils portent en substance que le principal objet de. ce voyage est de tenir la diète à Grodno, suivant les lois et constitutions du Royaume et l'alternation une fois établie, pour amadouer en quelque manière les Lithuaniens, assez mécontents que, depuis l'avénement du roi de Pologne à la couronne, il ne s'est pas encore tenu de pareille assemblée chez eux; qu'une autre raison en était-la nécessité de contenter les Grands du Royaume en général, qui se plaignaient amèrement de la longue absence de leur Roi, l'envisageant comme la première source de tous les troubles et de toutes les divisions qui agitent les grandes maisons de la République ; mais que les objets les plus, intéressants pour la cour sont de faire réussir l'augmentation de l'armée et de faire prendre à la République de nouvelles et étroites liaisons avec la cour de Vienne.

Qu'à l'égard du premier point, le dessein des Polonais partisans de la cour était de porter l'augmentation de leurs troupes réglées à 100,000 hommes et qu'ils y destinaient le trésor de trois couvents les plus riches du royaume, nommément celui de Czenstochau, où ils se flattaient de trouver quelques millions, mais que la cour, qui juge ce projet chimérique et impraticable, semble se borner à une augmentation de 20,000 hommes pour la Pologne et de 10,000 pour la Lithuahie ; qu'au cas qu'elle y réussisse, elle vise à faire tomber le commandement d'une partie de ces troupes sur le général Renard, lequel ayant l'indigénat de Pologne et étant attaché au Roi, paraît mieux convenir que tout autre à ses intérêts.

Que quant au second article, on est intentionné d'entamer l'affaire par proposer à la Diète le renouvellement de la ligue sacrée entre la République et la cour de Vienne contre la Porte Ottomane, renouvellement sur lequel le comte d'Esterhazy, ministre de la reine de Hongrie, a. déjà commencé d'insister fortement à Dresde auprès des ministres de la République ; que, comme on craint que la Diète ne se rompe ou ne se sépare du moins infructueusement, la résolution est prise en ce cas de convoquer ensuite un Senaius Consilium, où l'on tâcherait de faire passer ce renouvellement, d'autant que la ligue en question est regardée en Pologne comme un point tellement privilégié que pour la renouveler il ne serait pas besoin d'un décret de la Diète, et que le simple consentement des sénateurs assemblés en conseil y suffirait ; que l'on se flatte d'y ajouter ensuite quelques articles secrets pour étendre la disposition de cette alliance, au cas où l'une ou l'autre des parties contractantes serait attaquée par une puissance chrétienne; que l'on se servirait de cette occasion pour sonder les sénateurs sur la nécessité de <116>former une confédération, en leur représentant que l'espérance d'établir à l'aide des diètes un bon ordre dans le royaume et de le mettre en état de défense, étant entièrement évanouie, il ne reste plus d'autre moyen pour garantir la République contre le danger dont elle paraît menacée de la part de ses voisins que celui d'une confédération; que si l'on s'apercevait que le Sénat inclinât pour ce remède, la cour y donnerait pareillement les mains; que pour réussir plus sûrement dans ce dessein, elle a assigné au prince Wisniowiecki, grand-général de Lithuanie, outre un superbe service de porcelaine dont elle lui a fait présent, la somme de 12,000 ducats d'or, à prendre sur les revenus du sel et des péages des économies royales, qu'il devait employer à mettre dans les intérêts de la cour la petite noblesse de Lithuanie; qu'elle destine de riches starosties tant au grand-général de Pologne qu'à d'autres seigneurs mécontents du royaume, outre de grandes sommes d'argent que la cour a fait remettre par la voie de Hollande au sieur d'Unruh à Danzig, pour être employées à gagner les Polonais : que tous ces projets ont été ébauchés et perfectionnés par le comte de Poniatowski, qui a la direction principale de l'intrigue et travaille sans relâche à faire entrer dans ces mesures les maisons les plus accréditées en Pologne.

Vous sentirez sans peine que c'est principalement contre moi et mes intérêts que se prennent toutes ces mesures, et que, par conséquent, il m'est d'une importance extrême de les rompre à temps. Aussi suis-je bien résolu de n'y épargner aucun soin ni dépense, et comme, par le long séjour que vous avez fait en Pologne, vous êtes plus en état que personne de juger de la situation des affaires de ce pays, et de ce qui peut ou non y réussir, je souhaite de savoir vos idées sur ce sujet, s'il y a apparence que les projets en question auront le succès dont les auteurs se flattent, et quels obstacles on pourrait leur opposer, par quels moyens la Diète pourra être le plus aisément rompue, de quels nonces on pourra se servir pour cet effet avec le moins de risque, si l'on peut faire quelque fond sur le prince Ulric Radziwill, s'il a assez de résolution et de bonne volonté pour entreprendre un pareil ouvrage soit par lui-même ou par le canal d'autrui, et combien d'argent il faudra y employer; enfin, au cas qu'après la rupture de la Diète la cour vienne à bout de former une confédération générale, quelles mesures il y aurait à prendre pour la dissiper ou pour en empêcher l'effet; comment il faudra s'y prendre pour faire échouer le dessein de la cour de faire passer, en cas de rupture de diète, par un Senatus Consilium le renouvellement d'alliance avec la cour de Vienne ou bien de celle qu'on appelle Foedus Sanctum, avec cette cour, celle de Russie et la république de Venise.

Il est nécessaire aussi que vous ajoutiez les noms et les portraits bien détaillés des principaux partisans de la cour et de ceux du parti opposé, aussi bien que des personnages que vous croyez les plus propres pour être employés à faire échouer les vues de la cour et à rompre ses mesures, en indiquant les moyens par lesquels on pourrait les <117>gagner, et les personnes confidentes dont on pourra se servir pour les mettre dans mes intérêts.

Ainsi vous ne manquerez pas de me faire une relation bien détaillée et chiffrée sur tous ces points et d'en envoyer les duplicata à mes ministres du département des affaires étrangères.

Federic.

H. Comte de Podewils. C. W. Borcke.

Nach dem Concept.