1463. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRAEFFEN A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Pyrmont, 7 juin 1744.

Le courrier Eckert m'ayant apporté les dépêches que vous m'avez faites en date du 30 du mai passé et du 3 de ce mois, j'ai vu avec plaisir la confidence que le sieur de Chavigny vous a faite, touchant la chipoterie qu'il y a entre le maréchal de Noailles et le comte d'Ormea, dont la réussite serait d'un grand poids, quoique je sois du sentiment du sieur de Chavigny que le roi de Sardaigne ne changera de parti qu'à la dernière extrémité, et il n'y a que les opérations vigoureuses de la France qu'il faudra faire tant en Flandre qu'au Rhin et en Italie, qui peuvent opérer cette extrémité.

Si les nouvelles que l'Empereur a eues de la Russie, lui annoncent que mes négociations à cette cour sont fort aisées et ne promettent qu'un heureux succès, elles sont effectivement bien différentes de celles que j'en reçois, qui continuent d'être toujours les mêmes que celles que je vous ai déjà mandées par ma dernière,170-1 et je puis vous assurer que <171>je suis par rapport à cette négociation dans le même état d'incertitude que j'ai été ; aussi les difficultés que j'y ai à surmonter, ne font qu'augmenter par l'arrivée du ministre anglais Tyrawley à Moscou, qui commence à se mettre bien dans l'esprit sinon de l'Impératrice au moins de toute sa cour, par ses manières aisées, et qui a déjà su trouver des moyens de mettre de la froideur entre l'Impératrice et le marquis de La Chétardie, pour ne pas parler de ce qu'il a fait ébruiter par ses banquiers à Pétersbourg qu'ils avaient des lettres de change pour 400,000 roubles à sa disposition. Voilà où je suis jusqu'à présent avec cette cour, et je veux bien vous permettre que vous pourriez vous expliquer là-dessus en gros avec le sieur de Chavigny et même vers l'Empereur, quoiqu'avec celui-ci avec tout le ménagement possible et sous le sceau du plus grand secret, pour lui faire comprendre les raisons que j'ai d'aller bride en mains et ne pas me précipiter par rapport à la signature du traité secret entre l'Empereur et moi.

Quant au convenances à faire à la cour de Saxe pour l'attirer dans notre parti, vous direz au sieur de Chavigny que le biais qu'il avait pris pour y disposer l'Empereur, me plaisait fort, mais que je croyais que c'était principalement à la France à régler ces convenances, et que, si une fois celle-ci était convenue avec moi là-dessus, je croyais que l'Empereur serait bien obligé d'en être content.

Les assurances que le sieur de Chavigny vient de vous donner sur mon sujet, m'ont charmé, et vous pouvez l'assurer de toute ma confiance. Il y a pourtant encore des conditions sur lesquelles il faut absolument que je sois tout-à-fait assuré, avant que je puisse lever le bouclier, et sur lesquelles il faut que vous vous ouvriez cordialement envers le sieur de Chavigny, et le disposer de les faire goûter à sa cour, pour que celle-ci me rassure tout-à-fait là-dessus, c'est

1° Que la France tâche d'éloigner, par des opérations vigoureuses, le plus qu'il sera possible les armées autrichiennes des frontières de la Bohême, et leur donner tant d'occupations qu'elles, et surtout celle sous les ordres du prince Charles, ne soient pas à portée de rentrer en Bohême avant que j'aie pris Prague. Car, à dire franchement, c'est la base de tout mon système d'être maître de Prague avant que les troupes autrichiennes puissent retourner en Bohême, et si l'armée autrichienne avait le loisir d'y venir plus tôt, tout serait manqué, et il serait même impossible que je pourrais me déclarer contre la reine de Hongrie, ni opérer, si je ne vois que je puis être maître de Prague avant le retour de l'armée autrichienne en Bohême, étant sûr que, si ce coup me manquait, j'opèrerais tout-à-fait infructueusement et ne ferais que gâter mes affaires, sans aider ni l'Empereur ni la France.

2° Ne faudra-t-il pas que les armées de France restent à la défensive, lorsque je serais entré en Bohême, mais il faudra plutôt donner toute l'occupation du monde aux armées des alliés de la Reine, tant en Flandre qu'au Haut-Rhin et sur la Moselle, pourque celles-ci ne puissent <172>détacher des troupes au secours des Autrichiens en Bohême. Il serait même fort intéressant pour la cause commune que vers le temps que j'entre en Bohême la France fît le siège de Fribourg, pour avoir la communication libre vers la Bavière et pour partager les forces des Autrichiens.

3° Que la France par ses opérations me tienne le dos libre par rapport au pays de Clèves et mes autres provinces au delà du Wéser, afin que, pendant que je serais occupé des toutes mes forces en Bohême, ni les Autrichiens ni les alliés de la Reine ne puissent envahir ou ruiner ces provinces.

4° Que, lorsque l'armée impériale rentrera en Bavière, la France ne discontinue pas avant la fin de la guerre à payer régulièrement les subsides à l'Empereur, puisque sans cela son armée sera rien, en très peu de temps, et que j'aurais tout le fardeau des troupes autrichiennes sur moi.

Vous ne manquerez pas de vous expliquer sur ces points avec le sieur de Chavigny, en lui insinuant que ce n'est pas par irrésolution à agir ni par quelque autre considération que je souhaite d'être assuré sur ces conditions, mais que l'unique raison en est de me bien concerter avec la France sur toutes les opérations que nous aurons à faire, et de convenir avec elle des mesures les plus efficaces pour arriver bientôt à notre but commun, c'est-à-dire à une paix stable et glorieuse, au rétablissement des affaires de l'Empereur et à l'abaissement de la maison d'Autriche. Vous ferez même comprendre au sieur de Chavigny combien la France est intéressée de faire tous les efforts imaginables pour y réussir, étant certain que, si-elle laisse passer cette occasion pour abaisser la maison d'Autriche, celle-ci, après s'être reconnue dans la guerre présente sur ses propres forces, aura tout-à-fait le dessus sur la France, lui fera perdre toute considération en Europe, et, en s'unissant avec l'Angleterre, tiendra la France quasi sous la férule, en foulant à pieds tous les États de l'Allemagne. Vous me ferez alors votre rapport sur les assurances que je puis avoir de la part de la France sur ces points.

Touchant la publication et la communication à faire du recez de l'Union, toutes les raisons qu'on m'allègue pour en faire dès aussitôt la publication, seraient très bonnes, si nous n'avions pas à faire avec la cour de Vienne, qui ne craint guère de pareils traités et qui ne plie jamais que sous la force. Si on voulait publier d'abord ce recez, cela n'effectuerait autre chose que de servir d'avis à la cour de Vienne et de lui faire prendre des mesures pour garder ses armées assez proches de ses pays héréditaires et pour rendre impossibles par là les opérations que je médite, surtout lorsque cette cour me saura être de la partie, sachant déjà par l'expérience que, quand je menace, le coup y suit assez promptement. Ainsi ces raisons, fondées dans la raison et dans l'expérience, font que je ne suis nullement d'avis qu'on publie déjà ledit recez; il faut même que je déclare tout nettement que, si on s'avisait de pu<173>blier ce recez ou de le communiquer à qui que ce soit, à mon insu et sans mon approbation, je me tiendrai quitte de tout mon engagement; ce que je déclare aussi, si contre toute attente on faisait ébruiter la moindre chose de mon traité secret à faire avec l'Empereur; et je vous ordonne de vous expliquer de cette manière tant envers l'Empereur qu'envers le sieur de Chavigny.

Federic.

Nach dem Concept.



170-1 Vergl. oben Nr. 1449.