1465. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Pyrmont, 8 juin 1744.

Le comte de Mortagne, qui vient d'arriver ici, et à qui j'ai parlé dans un lieu voisin, tout proche d'ici, pour garder d'autant mieux l'incognito, m'a bien remis la dépêche que vous m'avez faite en date du 5 de ce mois. Comme ce dit comte s'est fort bien acquitté des commissions dont il a été chargé, et qui m'ont mis au fait de plusieurs circonstances importantes, je me suis expliqué envers lui sur tout ce que je crois être absolument nécessaire pour me mettre en état d'agir, en son temps, avec succès pour les intérêts de l'Empereur, auquel ce comte fera son rapport de bouche. Il m'a fait voir la réponse qu'il a <174>reçue de la part du roi de France sur le mémoire qu'il lui a remis touchant les opérations à faire, et qui me paraît un peu vague.

Comme je lui ai détaillé174-1 tout au long ce qu'il faudra pour me mettre en état d'opérer, je veux bien vous communiquer en raccourci de quoi il s'est agi, afin que vous soyez d'autant mieux en état de l'appuyer auprès de l'Empereur et auprès du sieur de Chavigny.

J'ai donc demandé comme des conditions très nécessaires à régler avec la cour de France :

1° Que les Français doivent arrêter par leurs opérations l'armée autrichienne sous les ordres du prince Charles, que celle-ci ne puisse rétrograder ni marcher vers la Bohême avant que je n'aie pris Prague, et cela par deux raisons, savoir, que, si l'armée autrichienne peut revenir en Bohême avant que je sois en possession de Prague, je ne pourrais point prendre les quartiers d'hiver pour mes troupes ni leur fournir la subsistance qu'il leur faut absolument. La seconde raison pourquoi il faut que je sois maître de la ville de Prague avant le retour de l'armée autrichienne, est à cause des Saxons, puisque ceux-ci n'entreront jamais dans notre parti aussi longtemps que Prague n'est pas prise, et qu'ils, s'ils voyaient une armée autrichienne en Bohême, ou à portée, pour soutenir Prague, ne manqueraient point de chipoter avec les Autrichiens et de nous causer mille et mille embarras. Comme il me faut un temps de six semaines pour assembler mes troupes et les mener en Bohême, et, outre cela, quinze. jours au moins pour prendre Prague, il faudra que l'armée autrichienne soit arrêtée par les Français jusqu'à deux mois, comme le temps qu'il me faut pour marcher en Bohême, pour faire le siège de Prague, et, s'il est possible, pour occuper Budweis et Tabor.

2° Faudra-t-il que, d'abord que l'armée autrichienne commence à rétrograder vers la Bohême, les armées française et impériale fassent ébruiter partout qu'ils suivraient incontinent les Autrichiens dans leur marche vers la Bohême et cela dans l'intention de les mettre entre deux feux en Bohême.

3° Puisque ce ne sont que des bruits que je demande, les véritables opérations doivent être que les troupes impériales, avec celles de Hesse et les régiments allemands que la France veut faire joindre à l'armée impériale, marchent tout d'un coup vers la Bavière, et que la France détache alors de son armée de Flandre un corps de troupes, pour passer le Rhin à Dusseldorf et camper dans ces cantons, pour donner de l'ombrage au roi d'Angleterre pour son pays d'Hanovre, étant sûr et à n'en pouvoir douter qu'il n'y a point de moyen plus efficace pour brider le roi d'Angleterre et pour le détacher même du parti qu'il a pris, que de lui faire peur pour ses États en Allemagne.

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4° Que la France continue à l'Empereur, pendant tout le cours de la guerre, les subsides qu'elle lui donne, sur le même pied qu'il les a actuellement.

5° Que, les opérations de cette campagne faites, on se concerte d'abord, et même déjà dans l'automne qui vient, sur les opérations de la campagne qui suit, afin de régler d'avance toutes les mesures qu'il faut pour ouvrir la campagne de fort bonne heure.

6° Il me sera la même chose, si, avant que je puisse commencer mes opérations, on veut faire passer le Rhin aux armées française et impériale, selon que la France paraît le souhaiter dans la réponse donnée au mémoire du comte de Mortagne, ou si la France aime mieux de presser tant, par ses armées en Flandre, l'armée des ennemis qui y est, afin d'obliger par là le prince Charles de Lorraine d'y détacher de son armée un corps de troupes, pourvu qu'on mette celle-ci hors d'état de pouvoir rétrograder en Bohême avant que j'aie pris Prague.

Voilà tout ce que j'ai à vous dire cette fois, le temps ne permettant pas de vous répondre sur les autres points que vous m'avez mandés par votre dépêche, et vous contribuerez de votre mieux afin qu'on prenne un concert sûr et stable là-dessus. Vous n'oublierez pas de témoigner au sieur de Chavigny l'obligation que je lui ai de la déclaration qu'il vient de vous faire par écrit,175-1 et qu'il peut compter sur toute mon amitié. Et, sur cela, je prie Dieu etc.

Federic.

P. S.

Aussi ai-je vu avec beaucoup de satisfaction, par le post-scriptum de votre relation du 3 de ce mois, que l'acquisition que j'ai faite d'Ostfrise ait fait plaisir à Sa Majesté Impériale, dont vous ne manquerez pas de lui témoigner ma reconnaissance par un compliment bien poli de ma part, en redoublant pourtant vos instances pour que la sauvegarde y soit congédiée. Le bruit qu'il y a eu, comme si la Princesse douairière était encore enceinte, a été sans fondement, aussi l'a-t-elle déclaré elle-même; et, par des lettres qu'elle m'a écrites depuis, elle ne demande que ma protection. Vous témoignerez au baron de Wallbrunn, ministre de Wurtemberg, que la bonne grâce avec laquelle il a reconnu mon droit de succession,. m'a fait un véritable plaisir, et que je ne manquerai pas de lui marquer ma bienveillance, dans toutes les occasions qui s'y présenteront. Vous tâcherez avec cela de le rectifier un peu sur les sentiments outrés qu'il a eus jusqu'ici contre les intérêts de l'Empereur, ayant fait paraître déjà dans plus d'une occasion combien il a de penchant pour le parti autrichien.

Federic.

Nach der Ausfertigung.

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174-1 In seinem Bericht vom 13. Juni erwähnt Klinggräffen: „Mortagne lut son mémoire, que Votre Majesté lui avait, en partant, dicté, au sieur de Chavigny et à moi.

175-1 Die von Klinggräffen eingesandte Stelle aus einem Briefe Chavigny's vom 3. Juni lautet: „Tout est dit sur la sincérité avec laquelle je me suis voué pour jamais aux principes, aux conseils et aux vues qui unissent et doivent unir nos maîtres indissolublement. Le temps, qui est un grand maître, développera mes intentions mieux encore que la profession que j'ai faite entre vos mains.“