1519 INSTRUCTION POUR LE FELD-MARÉCHAL COMTE DE SCHMETTAU, TOUCHANT LE VOYAGE QU'IL DOIT FAIREEN FRANCE.

Berlin, 29 juillet 1744.

Sa Majesté le Roi, ayant résolu d'envoyer pour quelque temps le maréchal comte de Schmettau auprès du roi. de France, ledit Maréchal doit incontinent partir d'ici et aller le chemin le plus court, mais en même temps le plus sûr, vers Metz, où le roi de France sera apparemment arrivé, lorsque le Feld-Maréchal y pourra venir.

A son arrivée là, il tâchera d'être présenté, le plus tôt le mieux, par le maréchal de Noailles, au Roi, à qui il présentera alors la lettre ci-jointe, avec un compliment convenable, en l'assurant de la part de Sa Majesté de l'amitié la plus constante et d'un attachement inviolable.

Les points principaux que le Feld-Maréchal doit traiter pendant son séjour à la, cour de France, sont:

1° Qu'il doit se servir de toute la dextérité dont il est capable, pour disposer et animer le roi de France, afin qu'il agisse bien vigoureusement par ses armées contre la reine de Hongrie et ses alliés.

2°Comme le Feld-Maréchal est assez instruit des desseins de Sa Majesté, et qu'elle fera marcher ses troupes sous titre d'auxiliaires de l'Empereur, le 12 d'août qui vient, pour entrer et opérer en Bohême, en faisant en même temps entamer la reine de Hongrie par une autre année du côté de la Moravie, ledit Maréchal doit faire toutes les insinuations possibles au roi de France de la nécessité qu'il y a que les Français arrêtent par leurs opérations l'armée autrichienne du prince Charles, afin que celle-ci ne puisse ni rétrograder ni détacher vers la Bohême avant que Sa Majesté n'ait pris la ville de Prague.

Raisons : que le Roi ne pourrait pousser ses opérations ni faire subsister son armée ni prendre des quartiers d'hiver en Bohême, si, pendant que le Roi est occupé à prendre Prague, l'armée autrichienne pouvait occuper tout le pays; sans parler ici de la nécessité qu'il y a qu'il se soit rendu maître des postes de Budweis et de Tabor avant que l'armée autrichienne puisse revenir en Bohême.

Une des bonnes raisons qu'il faut alléguer pour que l'armée française et impériale agisse d'abord, est que plus l'on pressera les Autrichiens, et plus tôt l'on en viendra à bout ; que, lorsque les Autrichiens voudront venir sur moi, les troupes impériales trouveront le seul moment propre pour reprendre la Bavière, et que dans ces sortes d'entreprises tout dépend de profiter du bénéfice du temps et de faire les choses lorsqu'il en est temps.

3° Qu'aussitôt que l'armée autrichienne fasse mine de vouloir repasser le Rhin pour rétrograder vers la Bohême, l'armée française, avec celle de l'Empereur, la talonne, et fasse ébruiter comme si elle la voulait suivre jusqu'en Bohême, pour la mettre, s'il était possible, entre deux feux.

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Il faudra bien que l'armée impériale et française longe le long du Danube, sans quoi elle ne pourrait point trouver de subsistance ; mais le grand objet 'du Maréchal doit être de hâter la lenteur des Français dans leurs opérations, et principalement dans celles qui ont pour objet de pousser en Bavière et vers le pays d'Hanovre; de faire bien sentir que le roi d'Angleterre est plus sensible pour ce qui regarde ses possessions de Westphalie que sur son royaume, et qu'en an mot c'est là l'unique moyen d'avoir une paix prompte et bonne.

4° Mais que l'armée impériale, après s'être fortifiée des troupes hessoises et des régiments allemands de France et d'autres troupes encore, passe alors tout d'un coup du côté gauche vers la Bavière, pour la reprendre; et le roi de France détache alors un corps de 20 à 25,000 hommes vers la Westphalie, pour donner de l'ombrage et des inquiétudes au roi d'Angleterre pour ses États héréditaires.

5° Que la France mette l'armée impériale en état de pouvoir passer en Bavière, en fournissant les sommes en argent qu'il faut à cette entreprise, et

6° Que la France continue à payer les mêmes subsides à l'Empereur, pendant tout le cours de la guerre, comme il les a eus jusqu'à présent, et qu'on n'en diminué rien, quand même l'Empereur devrait rentrer dans la possession de ses États héréditaires; puisque sans cela l'Empereur serait mis hors d'état de conserver ses troupes ni d'agir efficacement contre l'ennemi commun.

7° Que le roi de France se concerte déjà avec Sa Majesté Prussienne, dans l'automne qui vient, sut les opérations à faire dans l'année future, afin que les arrangements nécessaires soient pris à temps, pour ouvrir la campagne de fort bonne heure.

Art. 8: Que le roi de France rende les troupes palatines mobiles, afin que 9 à 10,000 que l'Électeur entretient, puissent joindre l'armée impériale et coopérer avec tes alliés à mettre nos desseins plus efficacement en exécution.

Voilà les grands points sur lesquels le maréchal de Schmettau doit travailler, dont les principaux sont pourtant : de seconder l'invasion de la Bohême et de la Moravie par des opérations vigoureuses, et d'arrêter l'armée du prince Charles qu'elle ne puisse rétrograder avant que Prague ne soit pris et Budweis et Tabor occupés ; que l'armée impériale soit mise à même de suivre l'armée du prince Charles, lorsque celle-ci se portera vers la Bohême, et que l'armée impériale, jointe de troupes françaises, marche alors le long du Danube en Bavière, et qu'un corps de troupes françaises de 20 à 30,000 hommes soit envoyé dans le pays d'Hanovre.

Outre cela, le Feld - Maréchal poussera toujours à la roue que la France ne prenne plus le parti d'agir défensivement, mais qu'elle agisse <230>plutôt toujours offensivement et que tous les efforts se fassent à la fois et sans mollesse.

Le Feld-Màréchal ne manquera pas de faire, le plus souvent qu'il se peut, ses rapports au Roi; il se servira du chiffre ci-joint et se concertera avec le baron de Chambrier, à qui Sa Majesté a écrit d'agir avec lui confidemment, dans toutes les occasions où il faudra.

Il faut, de plus, que le Maréchal ne néglige aucune occasion pour démontrer et prouver au roi de France qu'à présent et toujours les intérêts de la France sont inséparables de ceux de la Prusse. Il doit fort caresser le duc de Richelieu, favori du Roi, lui faire mille amitiés de ma part, et tâcher de parler au Roi tête à tête le plus qu'il pourra, afin d'entendre tout de sa propre bouche, lui faire des insinuations directes et de lire dans le fond de son âme.

(L. S.)

Federic.

P. S.

Quoique Sa Majesté veuille bien se prêter à faire assiéger et prendre Égra par ses troupes, si le temps et les conjonctures le permettent, elle n'aime cependant point d'y laisser de ses troupes en garnison, pour ne les pas éparpiller par ci par là. C'est pourquoi le Feld-Maréchal doit tâcher de diriger cette affaire de manière que, Égra pris, on y mette ou des troupes impériales, ou des Palatins, ou qu'on négocie des mar graves d'Ansbach et de Baireuth un couple de bataillons pour les y mettre.

Nach der Ausfertigung. Die eingerückten Stellen sind eigenhändige Zusätze.