1614. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.

Camp de Konopischt, 20 octobre 1744.

Vos relations des 14, 17 et 21 de septembre m'ont été bien rendues. Je serais charmé, si vous pouviez vous aviser de moyens pour attirer le comte de Bestushew dans mon parti; et, s'il n'y a pas d'obstacle pour parvenir à ce but que l'étroite union qui subsiste présentement entre moi et la France, vous pourriez dire confidemment et avec toute la prudence requise audit ministre que tout ce que je venais de faire, n'était pas tant pour l'amour de la France, mais plutôt pour tirer l'Empereur de ses détresses, de le mettre hors du jeu et de rétablir le calme et la paix dans l'Empire. Que je ne me mêle point des affaires de la France, et que, si le Grand-Chancelier y contribuait, je serais prêt de m'entendre avec lui là-dessus pour y travailler efficacement. Que les vastes vues de la cour de Vienne sont l'unique raison pourquoi j'ai fait ce coup d'éclat, puisque la cour de Vienne a eu non seulement le dessein d'opprimer tout à fait l'Empereur, mais d'incorporer même à ses États héréditaires la Bavière, en jetant l'Empereur hors de l'Empire, en lui assignant ou les provinces qu'on avait envie de conquérir sur la France, ou le royaume de Naples. Que pour obvier à des desseins si pernicieux et dangereux à toute l'Europe, je me suis vu forcé de me lier avec la France, quoiqu'uniquement dans le but de soutenir l'Empereur et la liberté de l'Empire. Que j'ai trop bonne opinion de lui, Bestuhew, qu'il ne dût goûter mes raisons, et que, s'il voulait disposer sa souveraine à s'entendre avec moi, je suis prêt de la convaincre alors de la sincérité <307>de mes intentions. Mais que, pour arriver à ce but salutaire, il serait absolument nécessaire que Sa Majesté Impériale Russienne rectifiât la Saxe, pour que celle-ci retirât le secours qu'elle venait de prêter à la reine de Hongrie, qui par là ne deviendra que plus roide et inflexible qu'elle n'a été jusqu'à présent. Que j'ai bien des raisons pour me plaindre de la conduite que la cour de Dresde a tenue jusqu'à présent à mon égard, étant assez informé des plans qu'elle a proposés pour m'entamer, mais que je me promets de l'amitié de l'Impératrice qu'elle saurait tenir cette cour dans des bornes d'une exacte neutralité.

Vous ne manquerez pas de faire usage de tout ceci, autant que vous le trouverez convenable, et l'habillerez d'une façon que vous croyez la plus propre pour le faire goûter à ce ministre.

Mes plus grandes espérances se, fondent qu'après le retour de la cour de Kiovie vous aurez trouvé moyen de vous concerter avec vos amis et de rectifier le Vice-Chancelier, si pendant son absence il avait, comme je crains, pris des sentiments contraires à mes intérêts. Vous lui peindrez la conduite de la Saxe, telle qu'elle est, et lui ferez considérer si ce n'était la Saxe qui venait m'attaquer de gaîté de cœur, sans rime et sans raison; qu'il conviendrait que, si la Saxe m'attaquait ou continuait à agir si hostilement contre moi, je serais forcé à la fin de me défendre, et que je n'aurais d'autre parti à prendre que de la prévenir : ce qui entraînerait infailliblement, quoique contre mon gré, le théâtre de la guerre dans la Saxe. Qu'en considération de l'Impératrice, je ne viendrais jamais à une pareille extrêmité, si je ne m'y voyais pas forcé par une nécessité indispensable, mais que, pour éviter tous ces inconvénients, je me promets que le Vice-Chancelier voudrait bien contribuer de son mieux auprès de sa Souveraine afin qu'elle obligeât la cour de Saxe de ne pas témoigner tant de mauvaise volonté contre moi, de même de se tenir hors du jeu et de retirer ses troupes qu'elle a données à la reine de Hongrie. Vous ajouterez encore d'une manière convenable que, si l'on ne mettait pas la Saxe hors du jeu, et que celle-ci m'assaillirait comme elle a commencé, je ne pourrais pas me dispenser de réclamer l'assistance de l'Impératrice, selon nos traités ;307-1 que je suis d'autant plus en droit de demander cette assistance, qu'on avait fait assurer au roi d'Angleterre qu'on lui le enverrait secours stipulé par les traités, quoiqu'il ne fût attaqué de personne soit en Angleterre soit dans ses possessions en Allemagne, au lieu que, la Saxe s'acharnant partout contre moi, je suis la partie lésée. Que tout cet embarras cesserait, si l'Impératrice retenait la Saxe de ne pas se mêler de la guerre présente.

J'espère que ces représentations ne manqueront point de faire un bon effet sur l'esprit du Vice-Chancelier, surtout quand vous y ajouterez ce que vous savez.

Au reste, comme je m'aperçois que l'éloignement de la cour de <308>Russie vous cause bien de l'embarras, j'espère qu'après son retour vous regagnerez le haut du pavé. D n'y a rien que vous ne tenterez pour faire en sorte que la Saxe soit obligée de ne pas se mêler de la guerre présente, et que l'Angleterre n'obtienne pas le secours qu'elle prétend de la Russie.

Federic.

Nach Abschrift der Ministerialkanzlei.



307-1 Vergl. Bd. II, 312 Anm. I.