1668. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Berlin, 29 décembre 1744.

J'approuve entièrement les représentations nerveuses que vous avez faites au ministère de France, suivant votre dernier rapport, qui est du 14 de ce mois, pour lui faire voir la nécessité de prendre, pour les opérations de la campagne prochaine, les mesures les plus vigoureuses qui se puissent, et de commencer dès à présent et sans le moindre délai à les mettre en exécution. Vous ferez bien d'y insister sans relâche, et je le trouve d'autant plus nécessaire que la cour de Vienne et ses alliés semblent redoubler leurs efforts en Allemagne contre l'Empereur et moi, afin de regagner partout leur ancienne supériorité, de sorte que j'appréhende extrêmement que l'Empereur ne soit accablé encore dans le courant de l'hiver, à moins que les troupes françaises qui se trouvent en Souabe et dans l'Autriche antérieure ne volent promptement à son secours et qu'elles ne fassent toute la diligence possible pour arriver à temps dans le Haut - Palatinat. Je crains qu'il n'en arrive de même au maréchal de Maillebois, et que le faible corps qu'il a sous ses ordres, ne soit guère en état de résister à un corps de 36,000 hommes que les ennemis, en conséquence du concert formé à la Haye, font maintenant marcher vers le Haut-Rhin et qu'ils comptent d'établir à Bingen, dans le dessein d'obliger par là ledit maréchal d'abandonner le poste qu'il occupe, et d'empêcher même que vers le printemps prochain il ne puisse s'approcher ni du Bas-Rhin ni de la Westphalie. Si tous ces desseins s'exécutent — et il faut avouer que le parti contraire ne néglige rien pour les faire réussir — il faut compter que les affaires de l'Empereur retomberont dans une situation aussi désolée qu'au commencement de la campagne passée ; que l'armée des ennemis, s'établissant aux environs de Mayence, donnera la loi à tous les pays d'alentour et encouragera la Saxe, aussitôt qu'elle se verra délivrée du voisinage des troupes françaises et d'une irruption dans la Thuringue, à se livrer sans réserve <375>au parti opposé et à agir offensivement en faveur de la reine de Hongrie.

En un mot, le danger presse tellement de tous côtés qu'il faut courir au remède sans perte de temps, et, dans la position présente des affaires, il n'y a que la France qui en puisse apporter, en prenant des résolutions de vigueur et en les exécutant avec célérité. Il est fâcheux, à la vérité, de fatiguer les troupes, dans une saison aussi rude que la présente, et de les priver du repos dont je conçois très bien qu'elles ont grand besoin pour se rétablir. Mais les miennes se trouvent dans le même cas, et, puisque les ennemis, malgré la rigueur de la saison, ne discontinuent point leurs opérations, on ne saurait s'empêcher de suivre leur exemple, sans causer un préjudice irréparable à ses affaires.

Dans une conjoncture aussi épineuse, rien n'aurait pu arriver plus à contre-temps que l'enlèvement du maréchal de Belle-Isle, incident qui dérange totalement le concert qu'il faudrait nécessairement prendre, et qui m'étonne d'autant plus que ledit maréchal a été expressément averti, d'ici, d'éviter avec soin le territoire d'Hanovre, et que je ne saurais concevoir par quel aveuglement ou par quelle fatalité il a pu négliger un avis qu'il aurait naturellement dû prendre de soi-même. Comme on l'a saisi à l'imprévu, il ne faut pas douter que l'on ne se soit emparé de tous ses papiers, et que les ennemis n'y trouvent non seulement des découvertes de la dernière importance, mais encore de quoi rendre l'Empereur et ses alliés de plus en plus odieux, dans l'Empire aussi bien qu'au dehors.

La chose mérite la dernière attention, et je présume que le ministère de Versailles songera sérieusement aux moyens de remédier au mal et d'en prévenir les suites. Vous ne laisserez pourtant pas de leur recommander fortement ce point, en les assurant qu'ils peuvent entièrement compter sur' moi et sur ma résolution constante et inébranlable de rester attaché à l'Empereur et la France et de faire tous les efforts qui dépendent de moi et que mes forces me permettent, pour l'avancement de la cause commune. J'espère d'ailleurs que l'on sera déjà revenu en France du soupçon comme si j'étais en chipotage avec la reine de Hongrie, puisque la conduite de la cour de Vienne envers moi, son acharnement à pousser les opérations de guerre contre mes États, nonobstant la rigueur de la saison, et le manifeste qu'elle a répandu partout pour annoncer son dessein de recouvrer la Silésie, ne sauraient plus laisser aucun doute sur ce chapitre.

Federic.

H. Comte de Podewils.

Nach dem Concept.

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