1941. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Camp de Chlum, 28 juillet 1745.

Vous aurez vu par ma dernière lettre que nous concevons les choses d'une même façon, et qu'en général nous sommes d'accord sur la fin que nous nous proposons; peut-être ne différons-nous que sur les moyens d'y parvenir. Valory n'a reçu aucune réponse de Dresde, et, en jugeant des effets par les événements qui les précédent, il est à croire que la conduite du prince de Conty rendra cette négociation entièrement infructueuse. C'est ce qui m'a déterminé à faire marcher le prince d'Anhalt. Je vous prie, ne vous effrayez pas d'une résolution qui du premier coup d'œil vous paraîtra hardie, mais que la réflexion vous fera trouver sagace. Que savez-vous, par exemple, de l'intention du roi d'Angleterre et de milord Harrington? Ne serait-ce pas qu'ils ont le dessein de nous amuser par de belles paroles, pour gagner en attendant la supériorité que leur donnera l'élection du Grand-Duc, tant par cette dignité que par le gain de tout l'Empire, obligé de concourir dans toute opération qu'ils imagineront? Ne paraît-il pas que les cours de Vienne, de Dresde et d'Hanovre ont la même mauvaise [volonté] contre nous qu'ils ont eue, et qu'ils la laissent dormir pendant qu'ils suivent d'autres desseins, après quoi l'animosité qu'ils ont contre moi se réveillera avec d'autant plus de force qu'ils auront plus d'espérance de la rendre efficace? Y a-t-il donc de la prudence à donner à son ennemi le temps de gagner la supériorité, et n'est-ce pas être infiniment plus prévoyant que de profiter du moment et de se défaire à temps d'un ennemi qui par la suite peut vous devenir dangereux? La guerre une fois portée en Saxe, Leipzig une fois renversé et ruiné, d'où viendra l'argent pour payer les troupes et pour entretenir la cour? L'Angleterre, pourra-t-elle surhausser de 500,000 écus les dépenses excessives qu'elle fait à présent? Il paraît plus apparent que nous verrons les forces saxonnes s'évanouir comme se flétrissent les feuilles d'un arbre dont on a coupé les racines. Après tout, croyez-vous que, si nous n'attaquions pas la Saxe, nous en serons plus tranquilles chez nos Lares, auprès de nos foyers? Point du tout! Ceux qui ont formé le dessein d'avoir le duché de Magdebourg et la principauté de Glogau, l'ont encore; et l'Empire une fois obligé de déclarer la guerre à la France et à ses alliés, fournirait un prétexte spécieux, revêtu de quelque ombre de justice, pour que la Saxe pût dépouiller juridiquement son voisin. Je vois que vous n'avez rien à me répliquer; « mais, dites-vous, si le Roi veut se ménager un accommodement par la négociation de l'Angleterre, ce n'est pas là le moyen d'y parvenir. » Souffrez que sur ceci j'ose encore vous contredire:

1° Nous ne sommes point sûrs de la sincérité du roi d'Angleterre, ni de celle de Harrington.

2° Si ce Prince et son ministre paraissent plus souples à se prêter à une négociation par leur médiation, croyez-vous que c'est par prédi<241>élection pour nous? Point du tout! C'est qu'ils croient avoir besoin du roi de Prusse, tant pour affermir la Hollande dans ses engagements que faire agir selon leur gré le grand corps de troupes autrichiennes et saxonnes qui sont en Bohême; c'est qu'ils ont vu que c'était en vain qu'on se flattait d'accomplir le partage stipulé par le traité de Varsovie, et que la guerre que je fais avec la reine de Hongrie n'aboutit qu'à notre ruine mutuelle. Plus donc nous donnerons des marques de vigueur, et plus on sentira à Hanovre le besoin indispensable qu'ils ont de moi, et leur liaison avec les Saxons les obligera à faire tous les efforts imaginables pour moyenner la paix.

„Il faut faire déclarer au lord Harrington, en lui envoyant notre manifeste,241-1 que nous montrerons toujours la même modération que nous avons eue jusqu'à présent, et que, du moment que l'Angleterre voudra nous faire des propositions équitables, et que les préliminaires seraient signés, nous évacuerons la Saxe et la Bohême; il faut faire insinuer également par Biilow que nous ne voulons qu'une paix équitable et que, du moment qu'on aura réglé les conditions, nos troupes finiront les hostilités. B est en même temps nécessaire que la Saxe et tous nos voisins apprennent qu'on ne nous offense pas impunément, et qu'il ne faut pas se lier si légèrement avec nos ennemis. Tous les ordres sont donnés pour l'entrée des troupes, et je crois que le prince d'Anhalt y sera le 6 ou 7 d'août.

Adieu, mon cher Podewils, secondez bien mes desseins par vos négociations, et souvenez-vous que ce n'est qu'en agissant vigoureusement qu'on parvient à une bonne paix.

Federic.

P. S.

Dans toutes les instructions que vous donnerez à mes ministres aux cours étrangères par rapport à l'entrée de mes troupes dans la Saxe, vous ne manquerez pas de leur ordonner qu'ils doivent déclarer et relever partout, dans des termes convenables et énergiques, que ce n'était absolument pas par aucun motif d'ambition, d'intérêt ou agrandissement, que j'avais fait cette démarche contre la Saxe; que j'attestais Dieu que mon intention n'était point de faire des acquisitions sur la Saxe, mais uniquement pour n'être plus exposé à toutes les avanies cruelles qu'on m'avait faites depuis bien du temps jusqu'à présent, de la part de la cour de Dresde, et pour parvenir par là à vivre avec elle en paix et en repos, et que par ce principe j'étais prêt à tout moment de faire ma paix avec elle, et que du jour même que les préliminaires en seraient signés, je ferais cesser toutes les hostilités et retirerais mes troupes.

Federic.

Nach der Ausfertigung.

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241-1 Nr. 1925.