1946. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Camp de Chlum, 31 juillet 1745.

Mon cher Podewils. Je réponds à vos deux lettres en même temps et je me flatte de lever tous vos doutes. Pour commencer par les affaires de Flandre, les nouvelles de mes ministres et des nouvelles particulières assurent que les alliés, forts seulement de 25,000 hommes, se sont retirés derrière le canal d'Anvers, que les Hollandais ont fait lâcher les écluses de Bois-le-Duc, de Breda et de Berg-op-Zoom; que la consternation est générale chez eux, et que le parti est pris de se tirer d'affaire par une paix prématurée, dans un si grand danger; c'est ce qui a si fort accablé le roi d'Angleterre. Le duc de Brunswick mande qu'il était dans un si grand chagrin qu'il n'était pas maître de le cacher. L'armée du Grand-Duc244-1 ne détachera assurément point avant que le couronnement soit fait; le roi de Sardaigne demande du secours à corps et à cris, et il menace si bien de quitter la partie qu'il faudra ou bien qu'on abandonne l'Italie ou qu'on y envoie des Bavarois et tout ce que l'on pourra trouver; quoique, de quelque côté que l'on emploie les Bavarois, ils n'arriveront nulle part avant le mois d'octobre. Si le roi d'Angleterre ne procure pas de puissants secours aux Hollandais, ils le quitteront assurément, et je pense même avant le mois d'octobre. C'est donc dans ces conjonctures que, pour accélérer les embarras du roi d'Angleterre, j'attaque son allié, l'électeur de Saxe; je me suis procuré la supériorité dans ce pays-là, et, quand même les Saxons244-2 y devraient détacher, je détacherai toujours à proportion et ferai la défensive dans la Bohême, où je puis<245> subsister mieux avec 35,000 hommes qu'avec 80,000, et où je traînerai la campagne en longueur, affectant toujours de faire des projets et me trouvant toujours à force égale avec les Autrichiens. Ceci ne suffit point, car dans le temps que nous entrons en Saxe, il faut proposer au roi d'Angleterre des conditions de paix et s'obliger à ce prix de retirer incessamment les troupes après la signature des préliminaires. Vous qui n'êtes pas sans prédilection pour les Saxons, vous, dis-je, êtes sur le point de donner dans le piége que leur fausseté vous tend, touchant la voix pour l'élection du duc de Lorraine; ne voyez-vous pas que ce Lorrain a la supériorité entière dans le collége électoral, et que les Saxons, d'ailleurs nos ennemis, et par conséquent ne se concertant point avec nous, n'empêcheront point cette élection? Mais la Saxe, ruinée et perdant totalement son commerce, ne voyant plus moyen de fournir pour l'entretien de ses troupes, sera obligée de s'accommoder séparément avec nous ou de faire notre accommodement par le roi d'Angleterre. C'est ce qu'il faut que vous fassiez insinuer à Bulow et au ministère, et qu'ils sont maîtres de finir la guerre d'un moment à l'autre. Ou bien je suis entièrement aveuglé, ou bien je dois vous avoir donné dans le dernier chiffre245-1 des raisons assez fortes pour autoriser ma conduite. J'ai prévu que vous feriez mouvoir votre vieil épouvantail de Moscovie; mais la Saxe sera sûrement cuite lorsqu'on apprendra à Pétersbourg que les hostilités ont commencé; c'est, en un mot, le seul moyen d'obliger le roi d'Angleterre à faire notre paix, et d'ôter aux Saxons les moyens d'exécuter le traité de Varsovie. N'avezvous donc pas vu que les Saxons ont des vues sur Magdebourg? depuis quand y ont-ils renoncé? le traité de Varsovie est-il rompu? Votre avis est de négliger le bénéfice du temps, pour attendre patiemment que nos ennemis, après s'être renforcés, viennent fondre sur nous et nous prennent alors pieds et poings liés. Nous sommes dans une mauvaise situation, je l'avoue, mais dans des maux désespérés il faut des remèdes violents. Vous ferez déclarer aux Polonais que cette guerre ne les regardait point et que ce n'était que l'Électeur et son électorat que je me voyais obligé d'attaquer; que j'étais persuadé que ce Prince voudrait se servir des troupes qu'il a fait lever en Pologne, pour m'attaquer directement de la Pologne; que je les priais de l'empêcher, pour que la poursuite de ces troupes n'attirât pas la guerre sur leur fond, quoique j'éviterais de toucher leur territoire et vivrais religieusement en bonne amitié avec eux, pourvu qu'ils ne souffrissent Point qu'on m'attaque de leur côté, et qu'ils ne se laissent point séduire Par toutes les insinuations que la cour de Saxe leur ferait contre moi. Peut-être pourrait-on offrir la médiation à cette république : c'est ce que je vous laisse à considérer et à suivre là-dessus ce que vous trouverez de plus convenable. J'approuve tout ce que vous avez écrit à Cham<246>brier; les nouvelles de Beckers ne sont pas orthodoxes, sans quoi nous en verrions les effets.246-1 Soyez persuadé que ce coup-là nous va donner la paix. Adieu.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



244-1 Die österreichische Rheinarmee.

244-2 Das sächsische Auxiliarcorps in Böhmen.

245-1 Nr. 1941.

246-1 Podewils hatte, Berlin 24. Juli, berichtet: „Beckers dit que sa cour est informée qu'on craint si fort à Vienne et à Hanovre que Votre Majesté ne gagne le roi de Pologne, et que ce Prince ne se mette tout de bon en tête de vouloir devenu empereur, qu'on tâchera de faire sa paix avec Votre Majesté.“