2074. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Quartier général de Moys, 25 novembre 1745.

Mon cher Podewils. J'espère que la lettre que je vous ai faite le 23 de ce mois, touchant l'avantage que l'avant-garde de mon armée a eu sur le corps saxon qui était entré avec l'armée autrichienne de la Bohême en Lusace, vous sera bien parvenue. Après que j'ai fait faire une recherche plus exacte des avantages que nous avons eus de cette affaire-là, il se trouve qu'il y a 1.050 prisonniers, 31 officiers, entre les<346>quels il y a le général Buchner, le colonel O'Byrn, et plusieurs autres officiers de marque, quatre canons, trois enseignes, deux étendards et deux paires de timbales de pris, et que tout ce corps-là a été mis entièrement en déroute. Comme j'ai marché incontinent après tout droit sur les Autrichiens, pour les combattre, ceux-ci, au lieu de m'attendre, ont pris le parti de se retirer avec toute la diligence possible vers la Bohême, en prenant le chemin de Zittau et Ostritz, où ils sont aujourd'hui; ils ont abandonné en même temps le grand magasin qu'on avait amassé pour eux à Görlitz, duquel nous nous sommes emparés. Je ferai demain encore une marche sur eux pour les rechasser tout-à-fait de la Lusace en Bohême, après quoi j'établirai là mes quartiers, pour n'avoir plus à craindre qu'on ne voulût laisser passer une armée ennemie dans le dessein d'envahir mes provinces. Je vous fais part de cette agréable nouvelle, afin que vous la communiquiez, au plus tôt possible, à tous mes ministres résidents aux cours étrangères, et surtout, par une estafette expresse, au baron de Mardefeld, avec ordre d'en faire d'abord communication tant au ministre Bestushew qu'à l'Impératrice même, en lui déclarant en mon nom que la raison de l'entrée que j'avais faite avec mon armée dans la Lusace, n'avait point été autre que parceque celle des Autrichiens, conjointement avec les troupes saxonnes qui avaient été en Bohême, étaient entrées en Lusace dans le dessein de passer par là pour envahir mes pays électoraux; qu'ayant vu, par tous les arrangements, qu'on avait faits, qu'on voulait effectivement réaliser un tel dessein et que l'armée autrichienne était passée en deçà de Görlitz, je m'étais vu obligé de marcher tout droit sur eux, pour les aller combattre et ne point permettre qu'ils entrent impunément dans mes pays; qu'ayant trouvé sur mon chemin le corps saxon qui était sorti de la Bohême avec les Autrichiens, je n'avais pu m'empêcher de le combattre, ce qui avait été exécuté de la manière que vous savez; que là-dessus j'avais marché tout droit sur l'armée autrichienne, mais que celle-ci avait pris le parti de rebrousser plutôt vers la Bohême, en abandonnant le magasin que les Saxons lui avaient fait à Görlitz, et en pillant même tous les pays de la Lusace où elle avait cantonné, avant de m'attendre. Après cela, Mardefeld doit déclarer en mon nom tant au ministre qu'à l'Impératrice que, nonobstant tous ces avantages considérables, par lesquels je me voyais le maître d'une bonne partie de la Saxe, j'étais néanmoins tout-à-fait résolu de me tenir simplement et purement à ce qui avait été stipulé par la convention d'Hanovre, et que, si Sa Majesté Impériale de toutes les Russies voulait employer ses bons offices pour disposer la cour de Dresde, afin que celle-ci se contentât des conditions stipulées dans la convention et qu'elle y accédât, j'étais prêt non seulement de retirer d'abord toutes mes troupes qui sont entrées en Saxe, mais que je voulais oublier tout et vivre avec la cour de Dresde en paix et bonne intelligence; qu'il était impossible que Sa Majesté l'Impératrice ne dut être convaincue par là de ma modération et du désir que j'avais de<347> vivre en paix et en bonne harmonie avec la cour de Dresde, pourvu que celle-ci voulût une bonne fois finir de machiner contre moi et ne point permettre que mes ennemis passassent par son pays dans le mien, et renoncer aux desseins pernicieux qu'elle avait eus sur mon chapitre. Je crois que Mardefeld fera aussi fort bien de parler de tout cela à milord Hyndford, pour que celui-ci travaille avec lui à redresser le ministre russien.

Outre cela, mon intention est que vous deviez écrire sans perte de temps et par une estafette au ministre anglais Villiers à Dresde, et lui mander tout naturellement tout ce qui s'est passé par rapport à mon entrée dans la Lusace, mais que, nonobstant tous ces avantages que j'avais remportés, je voulais me tenir fort et ferme à la convention d'Hanovre, et que, si les Saxons voulaient encore y accéder, j'étais prêt à me réconcilier avec eux et de retirer alors toutes mes troupes de la Saxe, aussitôt qu'ils auraient accédé à ladite convention, et qu'il ne dépendrait que d'eux à présent de m'avoir pour ami ou ennemi. Vous devez même écrire à ce ministre anglais à Dresde que, vu la situation où j'étais avec sa cour, je le recherchais de déclarer tout ce que je viens de dire, au comte de Brühl et même au roi de Pologne, et que le ministre anglais pouvait être assuré qu'il n'aurait de ma part jamais quelque démenti à craindre, s'il voulait déclarer au roi de Pologne et à son ministre tout ce que je viens de vous mander.

Vous verrez par tout ceci que ce n'est point ma faute, si je n'ai pas la paix avec mes voisins. Vous ne manquerez pas d'informer Andrié le plus tôt le mieux de tout ce détail.

Dans ce moment, on vient de me rapporter qu'un détachement de mes troupes est entré dans Görlitz, qu'on y a trouvé tout le magasin des Autrichiens, que les Autrichiens se sont encore retirés aujourd'hui plus en avant vers la Bohême, d'abord qu'ils se sont aperçus de mes hussards que j'ai envoyés pour les reconnaître, et qu'on y a pris encore à Görlitz 200 Saxons du régiment de la garde avec plusieurs officiers. Vous n'oublierez pas de faire faire une relation de tout ce qui s'est passé ici, pour la faire mettre dans les gazettes publiques, afin de rassurer d'autant mieux le public à Berlin. Sur quoi, je prie Dieu etc.

Federic.

Nous avons Görlitz, et soyez tranquille de ce côté ici.

P. S.

Après avoir fini cette dépêche, je viens de recevoir vos lettres du 23 de ce mois. Je crois que, par tout ce que je viens de vous mander, vous verrez que vous n'avez pas lieu de vous presser trop sur l'envoi des choses précieuses et des archives à Stettin ou à Spandau, mais que tout pourra rester à Berlin, pourvu que les succès du prince d'Anhalt répondent à ce que j'attends de lui.

Federic.

<348>

Tout va ici à souhait; si les Saxons ne sont pas aveuglés, nous pouvons avoir la paix bien vite, car je ne leur demande rien.

Nach der Ausfertigung, Der Zusatz zu dem Hauptschreiben sowie der zu dem Postscript eigenhändig.