2097. AU CONSEILLER ANDRIÉ A LONDRES.

Quartier général de Bautzen, 9 décembre 1745.

Je viens de recevoir les relations que vous m'avez faites le 23 et le 26 du mois de novembre passé. Quoique toutes les belles assurances<367> que le lord Harrington continue à vous donner sur les arrangements qu'on veut prendre par rapport à l'opiniâtreté de la reine de Hongrie, qui refuse absolument, et avec tout le mépris possible pour le roi de la Grande-Bretagne et ses ministres, à acquiescer à la convention d'Hanovre, néanmoins, pour vous dire ce que j'en sens, je commence à douter sur la sincérité du ministère britannique, ou, si j'ose le dire, du Roi leur maître. B y a déjà bien du temps que le lord Harrington vous a promis qu'on instruirait incontinent leurs ministres aux cours étrangères et surtout à Pétersbourg et à la Haye d'agir en conséquence de notre convention; cependant, les lettres que j'ai eues de Pétersbourg du 20 de novembre passé, m'apprennent que le lord Hyndford n'a pas encore été instruit de notre affaire, qui pourtant, dans la très bonne volonté où il est, pourrait coopérer avec succès à mettre à la raison le ministre russien Bestushew, qui serait lui-même bien aise peut-être de tirer son épingle du jeu; et il me semble que pareilles instructions auraient mérité l'envoi d'un courrier anglais à Pétersbourg, dont pourtant depuis longtemps jusqu'ici aucun n'est passé par mes pays. D'ailleurs, le silence que le sieur Trevor à la Haye garde sur tout ce qui peut avoir du rapport à la convention d'Hanovre, m'est un mauvais garant de ce que l'Angleterre chemine droit avec moi. C'est pourquoi il faut que je vous dise que, si avant le 15 de ce mois mes justes alarmes ne sont point finies, et que je n'aie pas la réponse finale qu'on a promise de vous donner sur les secours réels et effectifs qu'on me donnera contre la cour de Vienne, je serai bongré malgré moi obligé de pourvoir d'ailleurs à ma sûreté, de quoi personne alors n'aura lieu de se plaindre avec raison, étant plus de quatre mois depuis la signature de la convention d'Hanovre que je n'en ai eu le moindre avantage réel, et que plutôt depuis ce temps-là mes ennemis ont tâché de m'attaquer et agir contre moi avec plus d'acharnement et de fureur qu'ils n'ont fait auparavant. Enfin, c'est avec bien de l'impatience que j'attends cette réponse finale, pour savoir où j'en suis; aussi serez-vous bien sur vos gardes pour ne point vous laisser ni imposer ni amuser. Si pourtant la réponse finale qu'on vous donnera est telle que j'aurai lieu d'en être content, et que vous voyiez clairement qu'on marche en Angleterre de droit pied avec moi, mon intention est que vous deviez chercher une occasion convenable de parler confidemment au lord Harrington et de lui insinuer, comme une pensée qui vous était venue dans l'esprit, que, parceque la reine de Hongrie s'obstinait à ne vouloir point acquiescer au contenu de la convention d'Hanovre, malgré qu'on avait menacé de ne lui plus payer de subsides, et qu'elle ne dissimulait point par là qu'elle voulait perpétuer la guerre aux dépens et au grand détriment des Puissances maritimes; si — continuerez-vous — notre convention d'Hanovre ne pouvait pas servir de base à une pacification entre la France et les Puissances maritimes — il faudrait alors bien que la reine de Hongrie y consentît, quand elle verrait qu'elle ne pouvait plus compter sur<368> l'Angleterre et la Hollande pour lui aider à perpétuer la guerre, et que, si le lord Harrington goûtait cette idée, vous êtiez persuadé que je voudrais bien travailler à une pacification entre les Puissances maritimes et la France; que vous vous faisiez même fort de l'assurer que je ne m'y refuserais point, surtout si le lord Harrington voulait s'ouvrir confidemment avec moi sur les conditions qu'il pensait qu'une telle pacification pourrait être réglée à la satisfaction des Puissances maritimes, et que vous ne doutiez nullement qu'on ne réussisse de parvenir par là à une pacification avec la France et qu'on ne finisse par là tous les malheurs que cette funeste guerre avait causés jusqu'ici. Vous n'oublierez rien de ce qui peut faire valoir cette idée au lord Harrington, en lui insinuant même la liberté d'en parler au Roi son maître et aux autres membres principaux du conseil, en l'assurant que vous étiez fermement persuadé que, si cette idée venait à être goûtée, vous n'en seriez point désapprouvé de moi, sachant de science certaine que je ne souhaitais rien tant que de voir finir les troubles de la France et des Puissances maritimes et de donner à l'Angleterre une preuve convainquante des sentiments sincères que j'avais et garderais toujours pour elle. Vous ne manquerez pas de me mander au plus tôt possible tout ce que le lord Harrington vous aura répondu là-dessus, et de m'envoyer même votre relation sur ce sujet par un courrier, si la réponse du lord Harrington est telle qu'elle vaut l'envoi d'un courrier.

Au reste, vous n'oublierez pas de bien relever auprès de tous les principaux de la nation l'orgueil déplacé de la cour de Vienne, en voulant prescrire des conseils et des maximes à l'Angleterre selon lesquels celle-ci devait se gouverner, et qu'on pourrait voir par là ce que l'Angleterre avait à attendre d'une pareille cour qui voulait gouverner le monde selon ses vues et ses caprices, en oubliant assez légèrement tous les bienfaits de l'Angleterre, et que c'était sûrement encore la même cour qui avait autrefois tant chagriné les Puissances maritimes par l'établissement de la compagnie d'Ostende,368-1 après que celles-ci avaient tout sacrifié pour elle dans la guerre précédente. Sur quoi, je prie Dieu etc.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



368-1 Vergl. S. 189.