2103. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Bautzen, 11 décembre 1745.

Votre dépêche du 23 novembre dernier m'a été bien rendue.

Quelles que soient les difficultés que la cour de Russie puisse rencontrer dans la marche effective des troupes qu'elle destine au secours de la Saxe, je pose en fait que les frères de Bestushew remueront toutes sortes de ressorts pour les surmonter et pour déterminer l'Impératrice à me faire encore durant l'hiver diversion dans la Prusse. Ce n'est certainement que cette unique espérance qui fortifie la cour de Dresde dans l'étrange éloignement qu'elle fait paraître derechef pour un accommodement par où je ne lui demande rien que la simple paix, de l'amitié, et de la sûreté pour mes États, et qui est cause que, quoique d'abord elle eût fait semblant de répondre à mes avances, et que pour accélérer la négociation de la paix j'eusse fait venir ici mon ministre du cabinet, le comte de Podewils, le conseil de Saxe paraît maintenant vouloir reculer, m'ayant fait attendre jusqu'aujourd'hui la réponse ci-jointe qu'elle vient de m'envoyer par le canal du sieur Villiers, dont je vous communique pareillement la lettre, et, la réponse étant telle qu'en combinant le contenu avec les avis qui me viennent de Bohême, je ne puis qu'en juger que la cour de Dresde, au lieu de songer sérieusement à se tirer de ses détresses présentes moyennant une bonne paix, paraît vouloir prendre de nouveau la funeste résolution de tenter toutes sortes d'extrémités et d'appeler dans son pays toute l'armée du prince Charles, afin de transporter le théâtre de la guerre dans mes États et de faire une seconde tentative pour mettre en exécution les pernicieux desseins que mon entrée en Saxe a d'abord fait échouer.

Ainsi vous ferez bien de redoubler votre attention aux résolutions que la cour de Russie pourra prendre à cet égard, et de tenter jusqu'à l'impossible pour rompre les mauvais desseins de son ministère, en relevant, et faisant relever comme il faut par vos amis, auprès de l'Impératrice l'étrange acharnement que les Saxons continuent de manifester contre moi et qui me met contre mon inclination dans la nécessité indispensable de pousser ma pointe et de poursuivre les mesures et les opérations que j'ai commencées, pour détourner de mes États l'invasion dont mes ennemis persistent de les menacer, et pour transporter dans<374> les leurs le théâtre et les incommodités de la guerre, jusqu'à ce que la cour de Dresde prenne des sentiments plus raisonnables qu'elle n'en paraît avoir jusqu'à présent, et donne des marques moins équivoques de la sincérité de ses intentions pour le rétablissement de la bonne intelligence avec moi, ainsi que vous verrez par ma réponse au sieur Villiers que vous trouverez à la suite de la présente, et que vous pouvez communiquer, aussi bien que les autres pièces susalléguées, tant au comte Bestushew qu'à tous ceux dont vous avez lieu de présumer qu'ils en feront un usage assortissant avec mes intérêts.

P. S. 1.

Sur le contenu de votre post-scriptum du 23 de ce mois, concernant la conduite du lord Hyndford, je veux bien ne pas vous cacher que les avis qu'on vous a donnés que ce ministre offrait la bourse et le crédit de sa cour pour hâter la marche des troupes auxiliaires russiennes, ne sont nullement destitués de vraisemblance, et que le désaveu du lord Hyndford et les protestations qu'il vous a faites du contraire ne détruisent pas entièrement ce soupçon, vu que par les raisons que je vous ai détaillées dans une de mes dépêches précédentes,374-1 il est mal aisé d'imaginer une autre source qui dans les circonstances présentes puisse fournir la dépense nécessaire pour la marche en question. La chose semble du moins mériter beaucoup d'attention, et vous ferez bien d'y veiller de près et de ne rien épargner pour l'approfondir et pour savoir avec certitude ce qui en est. Cela sera d'autant plus nécessaire au cas que le lord Hyndford continue dans le refus d'agir à la cour de Russie en faveur des arrangements que j'ai pris avec Sa Majesté Britannique pour la pacification de l'Allemagne, et, si à la réception de la présente il n'a pas encore reçu les instructions favorables que le lord Harrington m'a positivement assuré de lui avoir envoyées à ce sujet, il faut que je me tienne pour dit que la cour britannique ne charrie pas droit, et que toutes les démonstrations de sincérité et de vigueur qu'elle a faites jusqu'ici, ne sont que pour me mieux tromper.

P. S. 2.

Je viens d'apprendre que le général de Pretlack est déjà parti de Vienne pour se rendre à Saint-Pétersbourg et qu'il a pris sa route par la Pologne. Comme il ne faut pas douter que le comte de Bestushew n'appuie de toutes ses forces la proposition d'une alliance entre les cours de Russie et de Vienne dont le susdit ministre est chargé, je compte que vous emploierez pareillement tout ce qui est humainement possible, et que vous ferez jouer toutes sortes de ressorts pour contrecarrer la négociation du ministre autrichien, et, au cas qu'il n'y ait absolument pas moyen d'empêcher que l'alliance ne se conclue, je me flatte du<375> moins que vous saurez faire en sorte que le cas de la présente guerre y soit nommément excepté.

Federic.

H. Comte de Podewils.

Nach dem Concept.



374-1 In einem der Erlasse aus dem Ministerium.