2334. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS, ENVOVÉ EXTRAORDINAIRE, A VIENNE.

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Graf Otto Podewils berichtet, Wien 31. August: „Les procédés que cette cour a à l'égard de Votre Majesté depuis la conclusion de l'alliance [avec la Russie], tant dans l'affaire de la garantie de l'Empire que par rapport à la satisfaction qu'Elle lui a demandée sur le livre scandaleux qui a pour titre Politische Historie,178-1 et la déclaration qu'on vient de Lui faire touchant le comte de Henckel, joints au changement que je remarque dans la manière dont on en use à mon égard, le retardement de l'envoi du général Bernes, qui commence à me paraître fort affecté, et les mauvaises manières qu'on a envers l'Electeur palatin, me font soupçonner qu'en contractant l'alliance avec la Russie, on a eu des vues plus étendues que celles de s'assurer simplement du secours contre Votre Majesté. Il m'a été assuré d'ailleurs que cette cour s'est donné beaucoup de mouvements pour engager l'impératrice

Potsdam, 9 septembre 1746.

Je vous sais bon gré que vous m'ayez exposé tout naturellement, par la relation que vous m'avez faite en date du 31 d'août passé, les conjectures que vous avez faites, tant par rapport à la conduite que la cour de Vienne tient depuis peu à l'égard de moi, que sur les différents sujets que vous y touchez encore, et vous avez fort bien fait de m'en avertir. Je crois en général vos soupçons bien fondés, je suis cependant persuadé que, nonobstant que la cour de Vienne ait pu avoir des vues bien plus étendues que celles de s'assurer du secours contre moi en contractant

de Russie de prendre des engagements offensifs avec elle, sans avoir pu y réussir. Il est probable encore que le comte de Bestushew est entièrement gagné par cette cour, qu'il n'a peut-être pas tenu à lui que l'alliance ne fût pas simplement à la défensive, et qu'il n'y a aquiescé que par l'impossibilité de faire autrement Cette supposition faite, il se peut que la cour d'ici, de concert avec ce ministre, prenne à tâche de pousser Votre Majesté et de Lui faire faire quelque démarche qu'elle puisse relever comme un dessein de rupture, ou comme une infraction au traité de Dresde, et qui fournisse au comte de Bestushew un prétexte pour mettre la Kussie au jeu et pour engager sa souveraine à rompre avec Votre Majesté.“

sa nouvelle alliance avec celle de Pétersbourg, néanmoins ces engagements ne sont que purement défensifs. Ce qui me confirme dans cette conjecture, c'est qu'il est fort à présumer que cette alliance n'a nullement été contractée à l'insu et sans le concert de l'Angleterre, qui selon toutes les apparences m'a bien voulu tenir en échec par là, afin que la reine de Hongrie ait les bras d'autant plus libres d'agir contre la France, mais que la cour de Londres n'a pas voulu permettre que les choses allassent trop loin, mais seulement jusqu'à un certain point d'où il n'en pourrait pas résulter une nouvelle guerre au Nord, nullement convenable aux intérêts de la Grande-Bretagne.

Il est constant que le ministre russien, le grand-chancelier Bestushew, est présentement tout-à-fait gagné par la cour de Vienne, et qu'il est tout plein de mauvaises intentions contre moi; mais il n'y a point d'apparence qu'on pourra si facilement engager la Russie d'agir offensivement contre moi; et comme il est assez connu que les finances de cet empire sont si dérangées et délabrées qu'il manque absolument des fonds pour soutenir de soi-même les grands frais qu'il faudrait pour me faire pareille guerre, je laisse à juger à vous-même d'où cette puissance les pourrait tirer. Il n'est pas à présumer que la cour de Vienne soit en état de les fournir, et l'Angleterre, outre la garantie qu'elle m'a faite de me maintenir à la possession de la Silésie, ne discontinue pas à me donner les assurances les plus fortes qu'elle soutiendra ses engagements pris avec moi, et qu'elle me fera avoir, à la paix future générale, la garantie de toutes les puissances contractantes; ainsi que, quoique je sois parfaitement persuadé de toute la mauvaise volonté des Autrichiens contre moi, je vous laisse à juger si ceux-ci avec toute leur mauvaise volonté seront en état de me faire la guerre et d'y fournir tous les frais qu'il faut pour la faire avec quelque apparence de succès. Ainsi donc voici le problème que vous devez me résoudre, et dont vous devez me dire votre sentiment de la manière la plus naturelle et sans me rien cacher : savoir si la cour de Vienne pourrait bien être si enragée que, nonobstant la garantie que l'Angleterre me donne sur ma Silésie, celle-là voudrait bien m'assaillir, et outre cela, si ladite cour sera assez puissante en argent de me faire la guerre de ses propres fonds et sans plus tirer de subsides de l'Angleterre, après la paix faite avec la France. Voilà le problème dont j'attends votre explication mûrement pensée.

 

Je ne suis point étonné que la cour de Vienne pousse à présent sa hauteur naturelle et son impertinence ordinaire au plus haut degré; cela ne vient probablement que parcequ'elle se croit adossée de la Russie, et de ce qu'il lui paraît que la guerre qu'elle a actuellement sur les bras, sera bientôt finie; c'est, selon moi, d'où vient qu'elle se croit être en état de me braver impunément et de me chercher noise sur différents petits objets qui ne sont pas assez importants pour en commencer une guerre, mais qui ne laissent cependant pas d'être choquants, ou qui du moins ne permettent pas de vivre dans une intelligence étroite. Mais y a-t-il de quoi s'étonner que cette cour-là soit ainsi impertinente envers ceux qu'elle n'aime pas et qu'elle croit être ses ennemis, lorsqu'elle traite avec la même arrogance ceux qui sont ses bienfaiteurs et sans le secours et l'appui desquels elle aurait été abîmée?

Quant à la paix générale, il ne me paraît pas qu'elle soit déjà si proche comme on en juge à Vienne, et il me semble être fort difficile que l'Espagne et la France se puissent séparer d'intérêt; au contraire, il est fort à présumer que, si la paix se fait avec l'une, il faudra qu'elle comprenne en même temps l'autre; ainsi que la pacification sera toujours générale, où j'espère que mes intérêts ne seront point oubliés, et que j'y serai compris avec les garanties qu'on me promet. Si contre toute attente la cour de Vienne devait réussir à parvenir à une pacification séparée avec l'Espagne, elle aurait encore à soutenir la guerre contre la France, ce qui lui donnera, j'espère, encore tant à faire qu'il lui sera difficile de se tourner en même temps contre moi. Si elle s'attend, de concert avec le ministre de Russie, à me faire faire quelque démarche qu'elle pourrait relever comme un dessein de rupture, pour mettre la Russie en jeu, elle comptera sans son hôte, et je saurai me garder, quoique toujours avec dignité, de donner dans de pareils piéges.

Je ferai fort observer les gens que vous m'accusez, et sans envelopper l'innocent avec le coupable, je tâcherai de faire observer de bien près les démarches de ceux qui se font soupçonner. Je tâcherai, s'il est possible, de faire enlever secrètement cet homme dont vous m'avez averti,180-1 si jamais il se laisse trouver sur mon territoire; cependant, autant que j'ai eu des informations sur lui, c'est un misérable qui avec beaucoup de malice est assez ignorant dans mes affaires de la Silésie et ne sait rien des autres, n'ayant été que simple copiste dans la chambre de Breslau. J'ai été content de la réponse que le sieur Robinson vous a faite touchant le mémoire qu'on vous a donné au sujet de Henckel. L'argument le plus fort sur lequel vous devez appuyer avec lui sur cette affaire-là, sera toujours celui que, si l'Angleterre voulait tenir pour juste la demande insolente que la cour de Vienne m'a fait sur ce malheureux,

 

elle donnerait lieu aux Français de se servir des mêmes raisons contre l'Angleterre, dans l'affaire des rebelles d'Écosse.

Federic.

P. S.

Souhaitant fort de savoir sur quel pied la cour de Dresde peut être à présent avec celle de Vienne, et si cette étroite intelligence qu'il y a eu autrefois entre ces deux cours s'est altérée par la démarche que la Saxe a faite en contractant son traité de neutralité et de subsides avec la France, ma volonté est que vous deviez tâcher à bien approfondir cet article-là, pour m'en pouvoir faire votre rapport avec toute l'exactitude possible. Vous tâcherez à bien démêler si la cour de Vienne a été choquée du traité en question, ou si elle l'a regardé avec indifférence, croyant peut-être de n'avoir pas besoin des troupes saxonnes; ou si peut-être elle aime à voir que la Saxe tire des subsides de la France, pour qu'elle rétablisse par là ses troupes, afin que l'Impératrice-Reine s'en puisse servir un jour pour les vues qu'elle pourra avoir contre moi. Sur quoi vous devez me faire un rapport bien juste. Au surplus, comme vous avez remarqué du changement dans les manières dont les ministres de Vienne usent à votre égard, je voudrais bien savoir en quoi ce changement consiste. En attendant, vous vous garderez bien de plier devant eux, et si ces ministres font les impertinents ou les arrogants vers vous, vous devez leur répondre sur le même ton et ne point du tout leur marquer ni faiblesse ni timidité.

Federic.

Nach dem Concept.



178-1 „Politische Historie der Staatsfehler, welche die Europäischen Mächte in Betrachtung der Häuser Bourbon und Brandenburg begangen.“ S. 1. 1746. 40. Als Verfasser wurde dem Gesandten der Hofrath von Fritsch genannt.

180-1 Ein gewisser Collen, der als Beamter des Feldcommissariats 1744 desertirt war und in Wien eine Pension bezog.