<148> on fasse des épargnes annuelles en argent, à employer à des corruptions. Le roi d'Angleterre peut servir ici de grand modèle, qui, par ses épargnes annuelles de ce que sa nation lui fournit, est en état de faire les corruptions nécessaires pour faire toujours la plus forte partie dans ses parlements. Si le Prince-Successeur l'imite — joignez-y le commandement absolu de l'armée qu'il tâcherait de se procurer — il ne manquera point d'avoir une supériorité marquée dans le Sénat et aux Diètes et d'y diriger tout selon son bon plaisir.

Si donc le prince-successeur de Suède, après la mort du Roi, obtient l'entier et véritable commandement de l'armée, mon sentiment est que du commencement il s'en contente, et qu'ensuite il ne saura manquer, par telle ou autre corruption, d'avoir toujours la supériorité dans le Sénat.

Je me flatte que le projet que je viens de tracer est le plus convenable, par le moins de bruit qu'il fera dans le monde, et parceque les voisins de la Suède ne voudront ni pourront même y mettre empêchement; car à ce dont il s'agit, il y a deux considérations principales à faire. La plus forte de ces considérations est le malin vouloir du Danemark et de la Russie, pour éviter de ne les pas heurter de front. Le second point à considérer, et duquel j'envisage l'exécution comme plus facile, c'est de tâcher de tourner la nation de manière qu'elle entre dans les idées du Prince-Successeur. Dès qu'une fois l'armée se trouvera dans sa dépendance, je me figure les autres parties qui contribueront à l'augmentation de la puissance de ce Prince comme des conséquences naturelles de ce principe, qui nécessairement en doivent résulter tôt ou tard. Du moment que le Prince-Successeur se trouvera être mis en état de conférer des bénéfices et d'avantager certains sujets, il lui en résultera du crédit, ce crédit lui fera des créatures, et si alors il témoigne une espèce de modération, si de temps à autre il fait paraître de la fermeté dans le Sénat pour y soutenir ses sentiments, qu'il passe sous silence les affaires odieuses, les faisant plutôt proférer par d'autres, qu'il tâche de concilier avec une certaine dignité les esprits sur les dissensions qu'il y pourrait avoir entre eux, qu'il ne parle qu'en bon patriote sur le bien de la patrie, et qu'il fasse adroitement paraître et envisager les dissidents comme autant d'ennemis fourrés de la patrie, il ne manquera ainsi de gouverner en fort peu de temps la Suède, et il parviendra de la sorte par gradation au faîte d'une grande puissance, sans que la nation ellemême ni aussi les puissances voisines n'en puissent concevoir les ressorts et que ces dernières ne puissent éclater à cet égard.

Voilà un exposé de mes sentiments, dont vous ferez part confidemment à la Princesse Royale, ma sœur, lui déclarant néanmoins en même temps en mon nom que je les soumettais à sa pénétration et à son bon discernement; qu'effectivement je pouvais bien lui fournir des idées en gros, mais que ce serait à elle, qui était sur les lieux, à considérer et à balancer tout ce qu'elle pouvait espérer et attendre des Grands et des États du royaume, et à voir ce qu'après cela il lui restait