2906. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Berlin, 22 janvier 1748.

Les réflexions que le marquis de Puyzieulx a faites au sujet des moyens pour faire tomber insensiblement la médiation de la paix générale entre mes mains, et dont vous m'avez rendu compte par la dépêche que vous m'avez faite le 8 de ce mois, sont assez bonnes. Je me réfère cependant à ce que je vous ai déjà marqué par ma précédente à ce sujet. Je connais d'ailleurs assez combien mes intérêts sont inséparablement attachés à ceux de la France, et je tâcherai en conséquence à faire tout ce que je pourrai pour retenir l'Empire dans sa neutralité; mais je ne saurais vous laisser ignorer une nouvelle circonstance dont je viens d'être instruit par un canal très sûr, que je vous communique cependant sous le sceau du secret le plus absolu et dont je ne vous permets de parler qu'au marquis de Puyzieulx, après avoir tiré préalablement de lui la promesse la plus forte de vouloir m'en garder religieusement un secret impénétrable — savoir que, puisque le roi d'Angleterre veut absolument abaisser la France et qu'il appréhende cependant toujours que je ne fasse aux alliés tôt ou tard quelque diversion en faveur de la France, il vient de faire une nouvelle convention très secrète, et même à l'insu et à l'exclusion de la république de Hollande, avec la cour de Pétersbourg, selon laquelle cette cour-ci s'est engagée qu'outre le secours de 30,000 hommes de ses troupes qu'elle envoie contre la France, elle tiendra prêts aux confins de la Livonie et de la Courlande 44 bataillons, 3 régiments de cuirassiers et autant de dragons, avec 6,000 Cosaques et Kalmouks et un train convenable d'artillerie, pour qu'en cas que j'attaquasse-soit le pays d'Hanovre, soit les provinces héréditaires autrichiennes, soit la Saxe, cette armée russienne me dût tomber d'abord sur le corps, en attaquant la Prusse, et qu'outre<15> cela un certain nombre de galères russiennes devraient être tenues prêtes pour faire en même temps une invasion dans ma province de Poméranie. Cette convention-là a été signée la nuit du 20 du décembre dernier dans le quartier du ministre autrichien à Pétersbourg, le général Pretlack.

Que le marquis de Puyzieulx considère par là combien le roi d'Angleterre est acharné contre la France, et s'il est à croire qu'il voudra jamais admettre ma médiation pour la paix future; qu'il réfléchisse d'ailleurs combien le roi d'Angleterre prend à cœur de me brider pour que je ne saurais faire quelque démarche en faveur de la France, et combien il paraît par là que tout ce que je saurais faire id'insinuations à l'Angleterre au sujet de la paix à faire, fera peu d'impression au roi d'Angleterre, puisqu'il se croira appuyé des toutes les forces russiennes, qu'il croit tenir à sa disposition. On ne saurait même douter que, si je me remue, l'on voudrait encore employer les 30,000 Russes que l'Angleterre vient de prendre à sa solde, auxquels apparemment alors se joindraient les troupes saxonnes et des Autrichiens pour m'assaillir de tous côtés.

J'attends votre rapport de ce que le marquis de Puyzieulx vous aura dit là-dessus; en attendant, outre le secret le plus absolu que vous demanderez au marquis de Puyzieulx pour ne pas me faire perdre le canal dont j'ai su ces particularités, je vous ordonne que vous ne devez faire à mes ministres du département des affaires étrangères aucun double de votre relation à ce sujet ni en faire la moindre mention dans des rapports que vous leur ferez.

Federic.

Nach dem Concept.