3054. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE, A VIENNE.

Potsdam, 10 mai 1748.

Ce que vous me marquez, par votre dépêche du 1er de ce mois, avoir dit à la comtesse de Dietrichstein sur l'affaire de la tutelle de Saxe-Gotha, est beau et bon, et ce que vous lui avez proposé pour y trouver une issue, a mon entière approbation, par la tournure favorable que vous avez su donner par là à cette affaire.

La raison de la consternation qui s'est répandue à la cour où vous êtes, lors de l'arrivée du courrier au sieur Robinson, n'a été autre que les propositions qu'il lui a faites pour lui insinuer comme quoi, l'Angleterre et la Hollande étant lasses de la guerre contre la France, elles avaient résolu de faire la paix à tout prix avec cette dernière puissance Tous les avis qui me sont venus là-dessus, me confirment à le penser, et le chevalier Legge ne fait point difficulté de s'en expliquer fort distinctement.

Il m'est outre cela venu la nouvelle aujourd'hui que les préliminaires de paix entre la France et les Puissances maritimes avaient effectivement déjà été signés.106-1 J'ai aussi appris de bon lieu que c'était par le comte de Kaunitz que la France avait travaillé à faire quelque chose qui dérangeât entièrement les alliés dans le concert que l'Angleterre tâchait de maintenir entre eux, qu'en conséquence la cour de Versailles avait travaillé à faire la paix par la cour de Vienne, en procurant à celle-ci les objets que son ambition peut lui faire désirer en Italie aux dépens du roi de Sardaigne; que la chose était d'autant plus vraisemblable par l'attachement que la cour de Vienne a toujours eu pour l'Italie, qu'elle a toujours regardée comme ses Indes, parceque le maître et ses ministres en tirent des secours considérables en argent et que les charges de ce pays-là, tant militaires que civiles, ont toujours été un grand appas pour les Autrichiens, sans compter le pied de troupes que la cour de Vienne a eu ordinairement en Italie, et qu'elle est persuadée que, plus elle y sera puissante, plus elle le sera dans l'Empire. Qu'on y ajoute que la France ne se soucie plus de l'Italie, qu'elle n'aime pas à y rentrer et qu'elle est piquée contre le Sarde à cause du système qu'il s'est fait de se tenir indissolublement avec l'Angleterre, que la cour de Vienne a aussi une dent de lait contre ce Prince — qui s'est agrandi à ses dépens et dont<107> le système favori est de continuer à le faire, soit en empêchant la cour de Vienne de devenir trop puissante en Italie, soit en l'obligeant à consentir à son agrandissement dans ce pays-là aux dépens du tiers que l'Angleterre lui sacrifie — enfin, que la cour de Vienne peut s'entendre avec les cours de Versailles et de Madrid de se procurer des avantages en Italie aux dépens du roi de Sardaigne. L'exécution en serait fort aisée, par les forces supérieures que les parties contractantes sont en état de faire agir, pouvant décider avec la même facilité de l'établissement de l'Infant, lequel établissement pourrait se faire aux dépens du roi de Sardaigne, puisque sa Savoie et son comté de Nice se trouvent actuellement entre les mains des Français et des Espagnols et que l'Angleterre ne pourrait point empêcher l'effet de ce concert contre le roi de Sardaigne. Et comme la paix en deviendrait une suite indispensable, l'Angleterre se trouverait moins en état de se procurer en Amérique les avantages qu'elle y désire pour son commerce aux dépens de celui des Espagnols et des Français. On avait tout lieu d'être assuré que la cour de Vienne avait négocié une paix particulière avec la France, mais que l'Angleterre avait tâché de la prévenir et de convenir des articles préliminaires avant que la cour de Vienne avait pu se rapatrier avec la France, et voilà apparemment la raison de la consternation dans laquelle la cour de Vienne est tombée après les audiences que le sieur Robinson en a eues. Vous redoublerez d'attention pour être informé des suites de tout ceci, afin d'être en état de m'informer exactement à votre tour des résolutions que la cour où vous êtes prendra à ce sujet.

Federic.

Nach dem Concept.



106-1 Die Unterzeichnung der Friedenspräliminarien durch die Bevollmächtigten Frankreichs, Englands und der Generalstaaten erfolgte zu Aachen am 30. April 1748. Der neueste Abdruck bei M. de Clercq, Recueil des traités de la France, T. I, Paris 1864, S. 59.