3497. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 27 février 1749.

J'ai reçu à la fois vos deux dépêches du 10 et du 14 de février. Toutes les nouvelles que je vous ai données dernièrement par rapport aux affaires du Nord, se confirment de jour en jour davantage. Les armements du Danemark augmentent, l'on est presque convaincu que les Anglais leur paient des subsides, le silence obstiné que l'Angleterre continue à garder sur les affaires du Nord, paraît la convaincre de l'intelligence avec les autres puissances, les arrangements militaires que prend l'Impératrice-Reine tant en Hongrie qu'en Moravie, Autriche et Bohême, font assez juger qu'elle ne regarde point la paix comme durable, et je suis persuadé que cette Princesse joue derrière le rideau, et que c'est elle qui excite tout l'orage qui menace le Nord. Les nouvelles qui me reviennent de tous les pays, confirment mes soupçons sur le projet des nos ennemis; le changement dans le gouvernement de Suède ne sert que de prétexte pour colorer les armements de ses voisins, mais l'intention véritable est de changer la succession de ce royaume.

Il me semble que tant de soupçons et tant de probabilités donnent un degré d'évidence aux desseins que je suppose de nos ennemis, et voyant l'activité avec laquelle ils forment leurs liaisons, l'on ne peut qu'endurer fort mal l'indolence avec laquelle la France envisage la situation de ses alliés : la cause de la haine que la Russie et l'Angleterre ont contre la Suède et la Prusse, est qu'elles les regardent comme des alliés de la France. C'est le péché originel, et vous pouvez dire hardiment à M. le marquis de Puyzieulx qu'il n'aurait tenu qu'à moi, plus de cent fois, d'être bien avec l'Angleterre, si j'avais voulu me prêter à tous les desseins que sa haine contre la France lui suggère. On aurait vu dès à présent une ligue offensive de tous les dehors, et une<395> ligue défensive se former entre tous les princes de l'Allemagne, pour mettre le roi d'Angleterre en état d'imposer des lois à la France. La façon dont j'ai constamment rejeté pareille proposition qui me faisait horreur, leur a fait comprendre que la France était comme un grand arbre auquel il fallait couper les branches avant que de penser à l'abattre; c'est ce qui leur a fait tourner tous leurs desseins du côté du Nord, où ils espèrent qu'après avoir dompté la Suède et m'avoir hé les pieds et les poings, en sûreté sur les derrières ils n'en auraient que meilleur jeu de la France. Vous pouvez dire en même temps à M. de Puyzieulx qu'intéressé comme j'y suis, je souhaite de tout mon cœur que mes tristes prédictions ne s'accomplissent point; que je n'ai aucune intention d'entraîner la France dans quelque guerre que ce puisse être; qu'il sera convaincu par les événements que ce ne sera pas moi qui mettrai le feu aux étoupes, et que, si la guerre commence, on verra clairement par l'ambition de quel prince elle a été couvée.

Je me soumets au jugement de M. de Puyzieulx s'il ne croirait pas que ce serait de l'avantage de la France et de ses alliés d'étouffer des projets aussi dangereux avant leur naissance, si on pouvait le faire d'une bonne manière, et s'il ne croirait pas qu'en s'expliquant cordialement avec l'Angleterre sur ce sujet-là, on pourrait faire faire peut-être des réflexions au roi d'Angleterre qui l'empêcheraient à s'abandonner aveuglément à la véhémence de ses passions; que la France pourrait faire une démarche comme celle-là sans se commettre en rien et sans s'engager plus loin qu'elle voudrait bien le faire; que cela ajouterait le comble de gloire à la cour de France, d'avoir procuré dans une seule année deux fois la paix à l'Europe.

Il me semble, encore, que, si la France envisageait bien la chose, par une déclaration vigoureuse faite à Londres elle pourrait encore arrêter à présent l'exécution de tous ces noirs projets.

Voilà ce que vous aurez à insinuer convenablement à M. de Puyzieulx.

Mais je ne comprends que trop que ce sont des choses dont il ne faut pas se flatter; que la France, craignant la guerre, évitera scrupuleusement le moindre pas qui pourrait la commettre avec l'Angletene; qu'elle parlera peut-être — mais trop tard, quand les autres agiront, et que, n'ayant déjà que trop donné à connaître sa faiblesse, elle fournira au roi d'Angleterre tous les moyens d'en profiter. En un mot, je ne compte pas dans toute cette affaire-ci sur la France; dans ces dernières années elle a presque toujours fait trop tard ce qu'elle devait faire, et peut-être n'ouvrira-t-elle véritablement les yeux sur sa propre situation que lorsqu'il n'en- sera plus temps. Réflexions que je ne fais cependant que pour votre seule direction, sans que vous en deviez faire remarquer quelque chose au marquis des Puyzieulx; mais il faut que vous me marquiez là-dessus vos sentiments, pour me dire jusqu'où je puis avoir raison et en quels points je puis m'être trompé.

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Sur le sujet du subside que la France ferait payer à la Suède, je vous dirai que c'est à la vérité un grand bien pour cette couronne, mais qu'il faut, comme vous le dites très bien, que l'argent arrive à temps, et, de plus encore, que les Suédois le rendent utile par l'emploi qu'ils en feront.

De plus, pour vous donner une idée de la situation des choses, il faut que vous sachiez que la Suède n'a pas, à beaucoup près, le nombre de troupes qu'il lui faut pour résister aux forces de la Russie et du Danemark. Il lui faudra opposer une armée en Finlande aux Russes et une armée en Norvége aux Danois. Il me semble donc que, si la France voulait secourir efficacement les Suédois, elle devrait tâcher d'engager dans l'Empire un corps de troupes des petits Princes pour des subsides et le faire passer en Suède avant que les flottes russe, danoise et anglaise puissent leur défendre ce trajet. Ce que je ne vous dis, encore, que pour votre direction seule, ne croyant pas qu'il serait convenable que vous en laissiez déjà entrevoir quelque chose au marquis de Puyzieulx.

Quant à ce qui me regarde, si M. de Puyzieulx s'informe de ma conduite, vous pouvez dire positivement que je ferais voir clairement à la France que je n'aime pas tant la guerre qu'on a voulu le lui persuader.

Vous pouvez d'ailleurs lui dire que nous ne pouvions pas attaquer les Russes dans le fond de leurs marais, combattre contre la reine de Hongrie, le roi d'Angleterre et le Danemark en même temps, et que, pour dire en un mot les choses comme elles étaient, si la guerre venait à se faire, je pouvais compter hardiment la Saxe au nombre des ennemis que je venais de citer ici.

Vous devez être fort attentif à ce que le marquis de Puyzieulx vous répondra à tout ce que vous lui expliquerez à ce sujet, et n'oublierez pas de m'en faire votre rapport bien détaillé.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.