3633. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 25 avril 1749.

J'ai bien reçu la dépêche que vous m'avez faite du 14 de ce mois, et comme j'ai lieu d'être assez satisfait des sentiments que le marquis de Puyzieulx vous a témoignés sur la part que la France prendrait, si la Suède et moi devions être attaqués, vous devez l'en remercier dé ma part bien obligeamment, en l'assurant que je recevais ces marques de l'amitié de la France pour moi avec toute la reconnaissance possible, et, quoique je souhaitasse autant que la France que la tranquillité du Nord ne soit point interrompue et que les nuages qui la menacent se dissipent, nonobstant de cela je conserverai toujours la même reconnaissance à la France de sa bonne intention que si le cas en question avait réellement existé. Vous ajouterez d'une manière convenable que, parceque je voyais que la France voudrait bien voir secourue la Suède par des troupes, en cas que celle-ci fût attaquée, la pensée m'était venue que le moyen le plus propre à cela pourrait être, si la France voulait faire négocier des troupes de quelques Princes de l'Empire, comme Gotha et d'autres encore, pour les donner à la Suède, et, au cas que la France n'aimât pas de paraître elle-même là-dedans, je n'hésitais point d'y donner mon nom, afin qu'elle n'y parût pas du tout. Vous ferez observer au marquis de Puyzieulx que, selon la convention faite entre les deux cours impériales que je lui avais fait communiquer,512-1 le dessein de la cour de Vienne était d'envoyer à la Russie un corps de troupes auxiliaires de 30,000 hommes, ce qui, joint avec ce que la Russie avait de troupes dans la Livonie et dans la Courlande, formerait une armée de 70,000 hommes que j'aurais sur les bras de ce côté-là; que de l'autre côté la cour de Vienne mettrait une armée de 60,000 combattants, sans compter les troupes irrégulières qu'elle y joindrait, à laquelle j'aurais à m'opposer encore, et que ces raisons-là m'empêchaient absolument de donner du secours en troupes à la Suède, dont elle avait cependant fort besoin; mais ce qui me faisait le plus de peine, était que, quand même les Russes attaqueraient la Suède, je ne saurais leur faire aucune diversion, parceque la Courlande est un pays peu habité et mal cultivé, où une armée ne saurait subsister, et que, par conséquent, si je voulais faire là une diversion aux Russes, il serait nécessaire ou que je fisse charrier par terre toutes les choses qu'il faut pour faire vivre une armée, ce qui était cependant impraticable, ou que je fisse côtoyer les parages de la Courlande, par des vaisseaux qui m'amèneraient les vivres et les fourrages, ce qui était encore impossible, parceque je n'avais pas de vaisseaux et que la Russie avait des galères. Qu'en troisième lieu, les troupes légères dont la Russie peut disposer et qu'elle pourrait m'envoyer, par la Pologne, au dos, les galères dont elle pourrait m'infester les côtes de la Poméranie, les villes point fortifiées ni tenables en Prusse, et<513> la communication avec mes autres provinces qui pourrait m'être coupée si les Russes se nichaient dans la Prusse polonaise — tout cela pourrait me rendre la guerre extrêmement difficile, si je voulais opérer de ce côté-là. Que d'ailleurs je croyais que le projet des Russes était de prendre d'abord toute la Finlande sur la Suède, afin d'avoir par là le dos libre, et de se tourner alors avec toutes leurs forces contre moi.

Comme tout ce que je viens de vous dire regarde proprement le militaire, et qu'il pourrait en arriver quelque contre-sens si cela n'était pas bien exprimé, vous ferez bien de faire quelque précis par écrit de tout ce que vous ai marqué à cet égard et de le lire après au marquis de Puyzieulx, pour lui faire voir le vrai état des choses, quoique toujours sans lui en donner ni lui en laisser tirer copie.

P. S.

[Potsdam], 26 avril 1749.

Après avoir fini ma dépêche, je viens de recevoir celle que vous m'avez faite, de même que celle du comte de Finckenstein, en date du 17 de ce mois. J'avoue qu'après avoir vu tout ce que ces deux dépêches contiennent, je suis tout-à-fait confirmé qu'il n'y a à présent point à faire quelque chose de solide avec la France. Et quoique je sache bien qu'en conséquence du traité que j'ai avec elle et des garanties qu'elle m'a données sur la Silésie, je serais en droit de réclamer dès à présent son assistance contre ce qui me menace de guerre, je n'en ferai cependant rien, voyant bien que ce serait infructueusement, à moins que la guerre ne se commence actuellement; et alors il sera assez temps pour voir ce que l'on pourra faire avec la France.

Si le marquis de Puyzieulx paraît se douter de la réalité de la convention ou traité fait entre les deux cours impériales dont je lui ai communiqué le précis,513-1 parcequ'il n'y a pas de date, j'espère que, selon les ordres que je vous avais donnés, vous lui aurez fait remarquer que je lui communiquais ce précis tout comme je l'avais reçu, sans avoir permis qu'il en fût changé une syllabe, mais que d'ailleurs le traité avait été signé à Moscou le 7 du février dernier.

Quant à l'alliance que je médite de faire avec la cour de Turin, je crois qu'il n'y aura pas de quoi embarrasser ce ministre, quand vous lui aurez fait observer que cette alliance ne sera que purement défensive, contre les entreprises que l'Impératrice-Reine voudrait tenter sur les cessions qu'elle a été obligée de nous faire, qu'elle ne regarderait ni directement ni indirectement aucun autre objet, et que, pour ainsi dire, elle ne serait qu'une alliance d'ostentation. Vous ferez remarquer encore au marquis de Puyzieulx que, comme mes ennemis tâchaient à se lier avec tout ce qu'il y a de puissances à l'entour de moi, et que je ne savais pas encore ce que je pourrais avoir à attendre de ceux qui sont les garants de la paix d'Aix-la-Chapelle, il me semblait qu'il ne saurait<514> jamais déplaire à la France, si à mon tour je tâchais aussi à prendre des liaisons avec une puissance qui est dans le même cas que moi contre les attentats de l'Impératrice-Reine, et que j'espérais au moins que M. de Puyzieulx voudrait s'expliquer confidemment à vous en quoi il croyait qu'une alliance de cette nature et qui ne visait uniquement qu'à nous garantir des entreprises de la cour de Vienne, saurait déplaire à la France.

Federic.

Nach dem Concept.



512-1 Vergl. S. 470.

513-1 Vergl. S. 470.