3878. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 20 septembre 1749.

L'on ne saurait être plus surpris que je l'ai été, quand j'ai vu tout ce que vous m'avez marqué par votre dépêche du 8 de ce mois concernant la lettre que le marquis de Puyzieulx vous a dit avoir reçue de M. des Issarts à Dresde au sujet d'une indiscrétion que mon ministre là, le sieur de Voss, doit avoir commise. J'avoue sincèrement que je n'entends rien de toute cette tracasserie-là, ni de ce qui l'a pu occasionner; car, pour ce qui est du discours qu'on m'attribue avoir tenu au maréchal de Saxe,100-2 je vous l'ai déjà dit et je l'ai confirme<101> encore qu'il ne m'en est rien de pareil échappé, ni que je lui ai parlé mot des affaires qui concernent ce sujet-là, et qu'enfin je ne me suis entretenu là-dessus qu'avec le marquis de Valory.

Pour ce qui regarde mon ministre à Dresde, le sieur Voss, je puis vous dire que, supposé pour un moment qu'il se soit expliqué de la façon que M. des Issarts le doit avoir mandé, il aurait absolument agi sans mon ordre; d'ailleurs je ne saurais comprendre d'où il aurait pu tirer une nouvelle aussi apocryphe que celle que j'avais signé un traité avec la Suède et le Danemark, ni comment il aurait osé la débiter, sans m'en avoir informé préalablement et sans demander mon aveu là-dessus. Comme je viens de lui ordonner de la manière la plus énergique de s'en expliquer et de m'en faire sa justification, je n'attends que son rapport, pour vous en instruire fidèlement.

Mais ce qui me persuade presque qu'il faut qu'il y ait absolument du malentendu, c'est ce qu'il me marque encore, par une dépêche à la date du 16 de ce mois,101-1 et avant que mon ordre par où je demande sa justification ait pu partir, en termes exprès que l'ambassadeur de France lui avait raconté que, le maréchal de Saxe ayant débité à Paris que j'avais conclu un traité défensif avec le Danemark, sa cour lui marquait son étonnement de ce que lui, Voss, ne lui avait parlé que d'un accommodement entre la Suède et le Danemark; qu'il lui avait répondu qu'il ne savait rien d'un traité défensif conclu avec moi et que ce n'avait été uniquement qu'en confidence qu'en ce temps-là il lui avait parlé d'un accommodement entre la Suède et le Danemark. Voilà un rapport difficilement à accorder avec ce que la lettre de M. des Issarts a voulu mettre à sa charge.

En attendant, pour en assurer le marquis de Puyzieulx, j'ai commandé à mes ministres du département des affaires étrangères de faire lire au marquis de Valory la relation du sieur de Voss en original et d'un bout à l'autre, afin d'en pouvoir faire son rapport à sa cour. Mais plus j'envisage cette affaire, plus j'y crois entrevoir de la manigance du comte de Brühl, que je soupçonne d'avoir artificieusement controuvé toute cette affaire, dans la vue de mettre par là de la tracasserie entre la cour de France et moi. J'emploierai tous mes soins pour en développer 1 artifice et j'espère de parvenir à même de convaincre à la fin le marquis de Puyzieulx que je ne me suis point trompé dans mes soupçons.

Au surplus, quand vous aurez l'occasion de parler à ce ministre de tout ce que dessus, vous ne laisserez pas de lui insinuer convenablement que je ne saurais pas comprendre avec quelle raison l'on pourrait nous imputer des sentiments que ni la France ni moi n'avons, lorsque nous faisons des alliances pendant un temps où d'autres puissances, qui ne Pensent nullement bien sur nous, tâchent de s'en fortifier partout où elles peuvent. Encore auraient-elles lieu de le relever si c'étaient des alliances offensives; mais comme il ne s'agit que d'alliances défensives, qui<102> jusqu'ici ont passé chez tout le monde pour innocentes, je n'y vois aucun sujet d'ombrage pour elles. Vous lui ferez faire encore la réflexion qu'en considérant naturellement les liaisons que la Suède avait prises avec le Danemark, l'on trouverait aisément qu'il y avait peu de réalité là-dedans et que la Suède en aurait retiré peu d'avantage si l'on n'en avait fait une certaine ostentation, afin d'en imposer aux autres, de façon que j'étais presque assuré que la déclaration ferme que la France avait faite relativement aux affaires du Nord, et ce que la Porte Ottomane avait fait déclarer si énergiquement au ministre de Russie à Constantinople, avec la nouvelle qu'on a eue de l'alliance renouvelée entre la Suède et le Danemark, ont été les seuls motifs qui ont inspiré au chancelier Bestushew des sentiments plus modérés, au point qu'il a bien radouci les termes de la déclaration que le sieur Panin a faite à Stockholm — à ce que vous aurez vu par ce que je vous en ai fait communiquer — à proportion de ce qu'elle a été selon le premier projet qu'on en avait couché, et que nous en avons retiré au moins cet avantage que nous sommes sûrs que la tranquillité du Nord sera conservée aussi longtemps que le roi d'à présent de Suède restera en vie, et qu'en gagnant du temps nous avons peut-être gagné tout le reste.

Federic.

Nach dem Concept.



100-2 Vergl. S. 23. 96.

101-1 Vergl. S. 105.