Extrait d'une lettre de Munich du 27 août 1750.

A mon arrivée en cette cour, j'ai été bien reçu de Leurs Altesses Électorales, autant que de Sa Majesté l'Impératrice douairière et de toute la sérénissime famille électorale. Les uns et les autres m'ont d'abord témoigné beaucoup d'empressement à conserver et à resserrer toujours davantage les nœuds d'une étroite amitié avec Leurs Majestés Impériales et Royales. Le ministère m'a parlé sur le même ton, et j'ai répondu par des contestations réciproques. Bientôt après, on a commencé à me sonder sur Mirandole et Concorde,98-1 sur l'accomplissement de l'article 15 des préliminaires de Füssen,98-2 sur quelques vieilles prétentions d'ici, comme le débit du sel de la Bavière en quelques contrées de la Bohême, et enfin sur tout ce que notre cour avait encore à remplir à l'égard de celle d'ici, quoique la plupart de ces prétentions ont été invalidées ou faute des conditions non remplies pour lesquelles certains avantages ont été stipulés, ou par le quinzième article de la paix de Bade. Comme mes instructions étaient trop générales pour m'autoriser à entrer dans la discussion de ces prétentions, j'ai tâché de les décliner, mais on m'a dit qu'on s'attendait une fois ici à voir les effets des paroles.

Cela m'a fait comprendre que la bonne harmonie n'était pas encore établie sur un assez bon pied, tant qu'on lui pose pour principe des sacrifices que notre cour doit faire; et comme toujours l'on a pris à tâche de la part d'ici de faire sonner haut à la cour de Londres l'éloignement que témoignait la nôtre de vouloir entrer en discussion des susdits objets, tandis que toujours de ce côté-ci l'on a éludé la matière, en dépit des instances faites par MM. les comtes de Chotek et Frankenberg, j'ai enfin par ordre de ma cour, et pour mettre celle-ci dans tout son tort vis-à-vis du ministère anglais, donné un mémoire, le 5 de juillet, par lequel j'ai déclaré que j'étais prêt et autorisé à finir tous les différends qui pourraient subsister sous le titre von nachbarlichen Irrungen; à quoi l'on n'a encore répondu, depuis deux jours, que par un compliment vague et préliminaire.

Le parti français, qui est le plus fort et qui environne la personne de l'Électeur, ne laisse pas de lui fournir de temps en temps des idées qui l'éloignent plutôt qu'elles ne le rapprochent de nous; ce Prince, qui, au fond, paraît avoir de fort bons sentiments, est trop étranger dans les affaires pour éviter toujours les pièges qu'on lui tend, et cela<99> donne beau jeu aux Français et aux partisans de la cour palatine. Son confesseur99-1 épouse chaudement les intérêts de cette dernière, à laquelle il rend de bons services, tandis qu'il dessert son maître et l'engage à des démarches pernicieuses et qui même ne sont pas approuvées de la plupart des ministres. Il a su longtemps détourner l'Électeur d'un nouvel engagement avec les Puissances maritimes, sous prétexte qu'il valait toujours mieux prendre des subsides d'une puissance catholique que d'une puissance protestante. L'exemple de la cour de Bonn et les conseils des bien intentionnés ayant enfin prévalu sur l'Électeur, pour rechercher la Grande-Bretagne, et le traité étant sur le point de se conclure, on impute audit père confesseur d'être la cause des anicroches qui l'arrêtent encore, parcequ'il doit avoir de nouveau engagé l'Électeur à des liaisons avec la cour palatine et à s'intéresser pour certaines propositions faites par cette même cour au ministère d'Hanovre. Comme tout le monde est persuadé que les subsides sont utiles et nécessaires, on est généralement fort mécontent du zèle déplacé de ce bon père, qui sort des bornes de sa vocation et se mêle de choses qui ne sont pas de son département. Il s'agit maintenant de voir ce qu'on dira à Hanovre sur les commissions dont M. de Haslang, ministre de cette cour-ci, a été chargé relativement aux susdites prétentions de la cour palatine; l'on attend ici de moment à autre le retour du courrier qu'on y a envoyé d'ici à ce sujet, au lieu qu'il aurait dû être le porteur de la ratification. Je ne crois pas qu'on voudra s'opiniâtrer absolument ici, mais il est à appréhender que, si le ministère anglais se roidissait trop, le parti adverse ne mît cela à profit pour détourner cet Électeurci totalement de l'alliance des Puissances maritimes, les intentions de la cour palatine, selon moi, n'étant pas sincères, malgré toutes les belles espérances qu'on nous donne ici de son favorable changement, et ses vues n'allant qu'à accrocher plutôt le renouvellement du traité de subsides avec cette cour-ci qu'à y prendre part de bonne foi.

La France n'entre en apparence que très peu dans les affaires, et le comte de Bachi, son ministre en cette cour, est retourné depuis plus de deux mois à Paris, sans qu'on entende parler de son successeur; cependant l'intérêt de cette couronne n'en souffre nullement, parcequ'il est ménagé sous main par ses adhérents, qui sont en grand nombre.

Il est vrai que l'Électeur s'en défie beaucoup, mais la même raison qui lui fait donner quelquefois dans le panneau avec la cour palatine, l'empêche souvent de démêler les artifices du parti français.

Votre Excellence aura sans doute appris ce qui s'est passé dans la fameuse affaire de Hohenlohe,99-2 où le corps des Protestants a procédé de son chef à l'exécution, pour se rendre justice à l'égard de certains griefs formés en vertu de la paix de Westphalie. La France, toujours<100> attentive aux occasions de mettre la main dans les affaires de l'Empire, n'a pas manqué de parler de sa garantie de cette paix, et quelques Catholiques peu instruits de leurs propres intérêts lui ont prêté l'oreille. Cette affaire, gâtée par une trop grande vivacité de part et d'autre, a beaucoup compromis l'autorité impériale et m'a aussi fait naître bien des obstacles en cette cour, tandis qu'elle a donné beau jeu aux partisans français. Mais on a trouvé moyen d'apaiser la chose, quoiqu'elle ne soit pas encore étouffée. A présent, toute l'attention est tournée à ce qui se passe à Hanovre, d'où l'on s'attend à de grandes nouvelles qui pourraient bien être relatives à l'élection d'un roi des Romains, aux investitures100-1 et à tout ce qui peut intéresser la situation présente de l'Empire.



100-1 Vergl. S. 11.

98-1 Vergl. S. 48.

98-2 Vergl. Bd. IV, 135 Anm. 2.

99-1 P. Daniel Stadler S. J.

99-2 Vergl. Bd. VII, 390. 402. 403.