5371. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

Potsdam, 11 mars 1752.

Je ne crois que trop fondé ce que vous conjecturez des sentiments à présent peu favorables de l'Espagne vis-à-vis de la France et de son peu d'empressement pour renouer avec elle; mais ce qui me frappe

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plus que tout cela, c'est la grande indifférence avec laquelle les ministres de France regardent ces affaires, et la vivacité trop remarquable avec laquelle les ennemis de la France poursuivent leur plan pour saper sa puissance et pour la mettre hors d'influence dans toutes les affaires de l'Europe, sans que les susdits ministres emploient aucun des moyens qu'il faudrait pour prévenir toutes les suites fâcheuses qui résulteront, si une fois les rivaux de la France ont réussi à lui arracher l'Espagne.

Mon intention est donc que vous preniez une occasion favorable pour donner du réveil là-dessus aux susdits ministres et que vous les piquiez par l'exemple de Louis XIV, en leur représentant modestement que ce Prince avait tout hasardé pour faire monter son petit-fils au trône de l'Espagne, dans la vue qu'il dût être une intelligence et liaison constante et perpétuelle entre les deux branches de la maison de Bourbon, à quelle fin le susdit Prince avait sacrifié ses forces et ses trésors; qu'en conséquence il serait bien douloureux, si l'on reprochait à juste titre un jour au ministère d'à présent de la France d'avoir laissé sortir de ses mains un allié si proche et si important à tous égards; que ces ministres n'avaient qu'à réfléchir sur le grand embarras où se trouverait la France, quand elle se verrait jamais nécessitée d'entrer dans une nouvelle guerre et que l'Espagne y resterait neutre, et combien cet embarras augmenterait, si la dernière favorisait alors les ennemis de la France ou lui donnait à craindre sur ses dispositions, pour ne rien dire ici des suites préjudiciables au commerce de France, quand une fois l'Angleterre aura gagné l'ascendant sur l'Espagne. Enfin, je laisse à votre dextérité de représenter tout ce que dessus aux ministres de France de la manière la plus convenable, pour leur donner du réveil sur cette importante affaire, dans des termes les moins choquants à eux.

Comme milord Tyrconnell tire malheureusement à sa fin, ayant été depuis quelques jours très mal et dans un état agonisant, en sorte qu'on s'attend, à chaque heure, à sa mort, et qu'il m'importe beaucoup à ce qu'alors son poste soit rempli par un autre sujet sage, raisonnable et point brouillon ou évaporé, à qui je puis prendre confiance et qui sait garder un secret qu'on lui confie, mais qui avec tout cela ait également la confiance de sa cour, afin qu'elle se fie à ses rapports et y fasse réflexion — vous devez faire de tout votre mieux pour disposer les ministres, s'il y a moyen, à ce qu'au cas de mort de milord Tyrconnell sa place soit confiée à un sujet tel que je le souhaite.

Au reste, que le passage que vous trouverez dans la dépêche d'aujourd'hui du département des affaires étrangères, de ne faire rien sentir aux ministres de France des réflexions susdites touchant l'Espagne, ne vous embarrasse pas, ma volonté étant que vous devez suivre plutôt ce que je vous ordonne en conséquence de mes ordres immédiats.

Federic.

Nach dem Concept.

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