5854. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

Potsdam, 14 avril 1753.

J'ai bien reçu votre rapport du 2 de ce mois et suis bien aise que le ministre de Würtemberg, le sieur de Wernicke, vous ait confirmé ce que je vous avais marqué par mes dépêches antérieures398-5 touchant le<399> dessein que le prince Louis de Würtemberg médite de quitter la France. Mais comme sans cela je puis parfaitement tabler sur le canal par où mes avis à ce sujet sont dérivés, je veux bien vous dire à présent que la cour de Vienne a répondu aux propositions dudit Prince qu'on acceptait ses offres, ne doutant pas qu'il ne suivrait les traces de feu son père et qu'il ne ramènerait aussi son frère, le Duc régnant, sur la bonne voie. Que l'Impératrice-Reine était prête à lui conférer le grade de général major, tout comme il l'avait actuellement en France, qu'elle y joindrait un des trois régiments d'infanterie qui viendraient successivement à vaquer, vu qu'elle s'était déjà engagée pour les deux premiers qui vaqueraient; mais qu'on présumait que le Prince n'eût point de pension considérable de la France et qu'en conséquence ne prétendrait pas d'en avoir de l'Impératrice, puisque, selon le système présent de la cour de Vienne, l'on n'était du tout porté à accorder des pensions extraordinaires à qui que ce fût. Mon intime à Vienne remarque d'ailleurs que ladite cour prenait tant de soin pour envelopper le secret de cette chipoterie qu'elle venait de donner ses ordres à son ministre à Berlin, à qui elle avait confié cette réponse au Prince, qu'il ne devait absolument la lui faire parvenir par les voies directes, ni même par un courrier, mais qu'il la devait adresser au secrétaire d'ambassade, le sieur Mareschal à Paris, dès qu'il trouverait une occasion de le faire avec sûreté, pour que ledit sieur de Mareschal la fît rendre aux mains propres du Prince. Qu'après avoir eu la déclaration de celui-ci làdessus, il399-1 ne devait encore la point envoyer directement à Vienne, mais avec d'autres dépêches qu'il expédiait secrètement chaque semaine de Paris à Bruxelles, pour qu'on ne sût pas soupçonner même ce qui se négociait à cet égard.

Comme je trouve nécessaire que vous communiquiez tout ce que dessus à M. de Contest, vous vous en acquitterez le plus tôt que vous saurez, afin qu'il songe aux moyens les plus propres pour rompre indirectement le dessein du susdit Prince, vu les suites fâcheuses qui ne manqueraient d'arriver à l'égard du duc régnant de Würtemberg, si le Prince réalisait son dessein. Vous n'oublierez avec tout cela de conjurer M. de Contest sur le secret impénétrable qu'il me gardera de cette confidence; car je ne veux point vous cacher que je suis un peu en peine là-dessus par la raison de ce que je vous ai déjà marqué par une de mes dépêches antérieures au sujet du secret trahi sur ce que j'avais communiqué avec la France au sujet de certaines insinuations à faire à la Porte Ottomane,399-2 touchant l'évènement de la vacance future du trône de Pologne. Et comme je viens d'avoir de nouveaux avis de Vienne que la cour là est exactement informée de ce qui est passé là-dessus relativement à la Porte Ottomane, et qu'elle s'applaudit d'avoir su traverser toutes ces insinuations, vous pouvez bien insinuer à M. de<400> Contest de la manière que vous estimerez la plus convenable que je ne saurais comprendre d'où le secret avait pu s'éventer, vu que de ma part j'avais pris toutes les sûretés et les précautions imaginables que rien n'avait peu transpirer de ce secret, et que je priais M. de Contest de vouloir bien avoir quelque attention sur cette circonstance si singulière. Vous ne manquerez pas de me faire votre rapport sur tout ceci.

Federic.

P. S.

Je viens d'être averti confidemment par un très bon canal en Suède que, si le ministre de France à Stockholm continuait d'être l'appui du parti sénatorial, l'on ne saurait pas jurer que cela ne culbutât à la fin le système.400-1 Que l'on saurait me marquer en confidence que le parti antisénatorial était actuellement à négocier une grosse somme d'argent à la cour de Russie, afin de l'avoir toute prête au temps de la Diète future et pour ne pas se trouver en défaut de ce qui lui avait fait perdre le terrain à la dernière. Que, s'il arrivait que la chance tournât en sa faveur, la cour aurait beau faire et ne pourrait peut-être point empêcher que les choses ne pussent être portées plus loin qu'elle ne voudrait elle-même. Que ce n'était pas de l'aveu du Roi qu'on négociait cet argent en Russie, mais que la chose était avérée et vraie au point que, si les finances dérangées de la Russie ne lui permettaient pas de réaliser sa bonne volonté à cet égard, le parti antisénatorial avait pris déjà la résolution de recourir alors à l'Angleterre. Qu'il n'y avait qu'un seul moyen à conjurer l'orage qui se préparait, savoir de persuader la France du tort qu'elle se ferait en permettant à son ministre d'agir comme il fait aujourd'hui et qu'il vaudrait beaucoup mieux qu'elle rendît le roi de Suède le modérateur des moyens dont elle se servait pour donner le mouvement à son parti, parcequ'aussi le Roi le serait alors des deux partis.

Je vous communique ces avis tels que je les ai eus; mais comme ils me paraissent mériter de l'attention, vous devez prendre l'occasion d'en parler à M. de Contest, pour lui insinuer que j'étais dans de fortes appréhensions que les affaires en Suède s'irriteraient et prendraient un fort mauvais train, si la France ne songe à ménager plus la cour de Suède qu'elle n'a fait jusqu'à présent.

Nach dem Concept.



398-5 Vergl. S. 357. 378.

399-1 Mareschal.

399-2 Vergl. S. 381.

400-1 Das System des französisch-preussisch-schwedischen Einvernehmens.