<I>

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

<II><III>

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

Les ouvrages de Frédéric le Grand excitèrent du vivant même de l'Auteur un puissant intérêt, bien que le public n'eût alors connaissance que des moins importants de ses ouvrages historiques, les Mémoires de Brandebourg et les Éloges, des poésies de jeunesse, et de quelques traités isolés, imprimés en partie seulement pour les personnes qui formaient le cercle intime du Roi. Ces poésies avaient même subi, par des motifs politiques, de notables modifications, avant d'être livrées à une publicité que les circonstances avaient rendue indispensable. Elles n'en furent cependant pas moins imprimées à plusieurs reprises, ainsi que les Mémoires de Brandebourg, les Éloges et L'Antimachiavel; et il parut de ces ouvrages des contrefaçons et des traductions, qui se répandirent rapidement à un nombre considérable d'exemplaires.

Mais à quel point la curiosité publique ne dut-elle pas être émue, lorsqu'on apprit que le Roi, devenu son propre historien, avait tracé de sa main le récit de ses guerres et de son administration, et que ces mémoires, soigneusement rédigés et souvent corrigés, avaient été<IV> déposés aux archives secrètes du Cabinet, à la fois comme un témoignage de la sagesse de son règne, et comme un monument élevé, par un grand capitaine et un prince reconnaissant, à la valeur et au dévouement de son armée. On savait aussi que plusieurs écrits, les uns philosophiques, d'autres militaires, et les poésies de son âge mûr, destinés tous également à la publicité, avaient été confiés à un serviteur fidèle, le secrétaire Villaume. Quelques manuscrits, sur le sort desquels le Roi n'avait pas prononcé, se trouvaient dispersés dans les divers châteaux royaux; une correspondance surtout, entretenue pendant cinquante-trois ans avec des amis, des parents et des hommes de lettres, promettait de jeter de nouvelles lumières sur le caractère du Roi, et d'intéresser vivement les admirateurs de ce grand monarque.

Il ne faut donc pas s'étonner si, du vivant même de l'auguste auteur, on vit arriver à Potsdam des libraires étrangers, attirés par le désir de s'approprier exclusivement le droit de publier ces précieux manuscrits.

Frédéric-Guillaume II comprit qu'à lui seul appartenait l'honneur de faire don au public des ouvrages de son prédécesseur. Mais sa volonté généreuse fut loin d'être fidèlement exécutée; les manuscrits, livrés à des mains peu dignes, furent traités avec une légèreté impardonnable : l'on négligea également la correction du texte, et les soins que réclamait l'exécution matérielle.

Les innombrables défauts de cette édition lui attirèrent à juste titre le blâme des hommes éclairés. Le célèbre auteur de l'Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain, Gibbon, en fit une critique sévère, qu'il rendit encore plus humiliante par la comparaison de ce qu'aurait fait l'Angleterre, en pareille circonstance, pour la gloire littéraire d'un tel prince. On blâma principalement la distribution des manuscrits en Œuvres publiées du vivant de l'Auteur et en Œuvres posthumes, distinction par laquelle leur liaison mutuelle se trouvait détruite; mais ce qui mit le comble à la désapprobation générale, ce fut la publication, faite à Bâle, de manuscrits supplémen<V>taires, vrais et apocryphes. Les éditeurs de Berlin se virent alors dans la nécessité de publier ces mêmes manuscrits, ainsi que d'autres écrits du Roi que l'on avait soustraits à la connaissance du public par des motifs de prudence. Les six volumes intitulés Supplément aux Œuvres posthumes, et portant en titre la ville de Cologne comme lieu supposé d'impression, provenaient d'éditeurs et de libraires anonymes; ils contenaient à la fois des ouvrages originaux et des reproductions de l'édition de Bâle. On y trouvait aussi des écrits apocryphes, tels que les Pensées sur la religion, ouvrage d'un militaire étranger, nommé de La Serre; la comédie de Tantale en procès, de M. Pottier, poëte de la cour du margrave Charles; et la Lettre d'un aumônier de l'armée autrichienne, feuille volante du marquis d'Argens. Le Dialogue entre Marc-Aurèle et un récollet, par Voltaire, avait usurpé une place dans les Œuvres posthumes. Des extraits de l'Histoire de l'Église de l'abbé Fleury, et du Dictionnaire de Bayle se trouvaient dans le Supplément, auquel ils appartenaient aussi peu que d'autres collections semblables que le Roi avait fait imprimer pour son propre usage, et qui pourtant n'avaient point été admises par les éditeurs, par exemple le Choix des meilleures pièces de madame Deshoulières et de l'abbé de Chaulieu, et l'Extrait tiré des Commentaires du chevalier Folard sur l'Histoire de Polybe.

A côté des superfluités se faisaient sentir les lacunes : une série d'écrits et de lettres, qui du vivant de l'Auteur avaient déjà paru isolément, destinés soit à ses seuls amis, soit pour le public, se trouvaient exclus de cette édition; il manquait encore deux petits opuscules, composés, en 1784, dans le but de former une ligue entre les princes allemands, l'Avant-propos de la première publication des Mémoires de Brandebourg et l'Avant-propos de la première rédaction de l'Histoire de mon temps, ainsi que les Pièces justificatives faisant partie du Mémoire raisonné sur la conduite des cours de Vienne et de Saxe, imprimé à Berlin en 1756, in-4. Le Roi avait expressément joint ces dernières<VI> Pièces au troisième chapitre de sa Guerre de sept ans, afin de prouver que ses ennemis avaient été les véritables agresseurs; mais elles furent détournées, ainsi que les quatre précédentes, et insérées par un haut fonctionnaire dans son propre Recueil d'actes et écrits publics, et dans ses Dissertations académiques, au lieu d'obtenir la place qui leur appartenait dans les écrits historiques du monarque. D'autres manuscrits du plus grand intérêt furent soustraits par le nouveau ministre de l'Instruction publique; il se les appropria, et les garda sans en tirer d'utilité. Trente-six paquets de lettres adressées au Roi par ses amis et ses parents, furent déposés aux archives par la même personne pour y être conservés. Les libraires et les éditeurs donnèrent, comme à l'envi, beaucoup de manuscrits et de lettres à des amateurs d'autographes : c'est ainsi que la moitié de l'ouvrage contre Machiavel, écrit de la main du Roi, vint en la possession d'un particulier de Berlin, qui en connaissait d'ailleurs la valeur. Ces éditeurs, qui se montraient à la fois si généreux et si peu consciencieux, se contentèrent de reproduire la première édition, bien connue, de L'Antimachiavel, que Voltaire avait faite en Hollande, et qui avait été loin de satisfaire le Roi. Outre l'Examen du Système de la nature, des Remarques sur le Système de la nature furent annoncées au public : mais les libraires ne se crurent point obligés à accomplir leur promesse; ils ne donnèrent même pas d'explications précises sur ces deux ouvrages, qui n'étaient peut-être que des rédactions différentes d'un même travail. Ces Remarques sur le Système de la nature ont été perdues, et nous n'avons pu nous procurer aucun renseignement sur leur sort ni sur leur contenu.

Un pareil destin était réservé aux poésies disséminées dans les trois parties des Œuvres. Remonter à la première édition des Odes et Épîtres eût coûté trop de soins aux nouveaux éditeurs; aussi s'en tinrent-ils aux Poésies diverses, que Frédéric avait altérées par une nécessité momentanée. Cependant l'Ode X, Au comte de Brühl, leur<VII> causa des scrupules; ils la supprimèrent tout entière, et à sa place ils en intercalèrent arbitrairement une autre, l'Ode sur le Temps. Ils changèrent de même, selon leur bon plaisir, l'ordre à observer dans le classement des poésies : les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste, furent remplacées par l'Ode sur la Gloire, et renvoyées plus loin; les onze Lettres en vers et prose à Jordan et à Voltaire, les six Épigrammes, ainsi que la Palinodie à Darget, ne trouvèrent place que dans trois volumes différents du Supplément; une Épître à Césarion remplaça cette Palinodie. De semblables transpositions ou modifications eurent lieu pour un tiers, au moins, des Poésies posthumes, dont nous possédons une liste renfermant vingt-six pièces; deux, Aux Écraseurs et Congé de l'armée des Cercles et des Tonneliers, qui reparurent dans le premier volume du Supplément, furent remplacées par l'Epître à ma sœur Amélie, par la pièce Sur la lecture du Salomon de Voltaire et par l'épître A Voltaire (Œuvres posthumes, t. VII, p. 166, 277 et 278). Les altérations deviennent manifestes si on compare les poésies avec leur texte antérieur, et avec les reproductions fréquentes qu'on en trouve dans la Correspondance. Les mots omis et les noms propres furent souvent indiqués, ainsi que dans les lettres, par des étoiles, et nous les avons dû deviner. Nous ignorons ce qu'étaient les deux autres tiers de ces poésies, car les manuscrits en sont perdus. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces manuscrits passèrent, revus et épurés, des mains de l'éditeur dans celles du compositeur, qui, par une inadvertance insigne, prit le troisième cahier pour le premier, le fit suivre de celui-ci, et plaça le second en troisième lieu. Personne ne s'aperçut de cette incroyable méprise, jusqu'à ce que le traducteur allemand des Œuvres posthumes, à l'attention duquel elle ne pouvait échapper, en donna connaissance, dans sa préface, avec une louable franchise.

Les poésies que l'Auteur n'avait pas rassemblées furent considérées par les éditeurs comme peu dignes de voir le jour; ils ne laissèrent<VIII> pas néanmoins d'en publier quelques-unes, afin de couvrir par ce remplissage l'absence des poésies rejetées.

Parmi le grand nombre des Écrits sur l'art militaire, ils n'en conservèrent que deux, l'un intitulé Des marches d'armées et de ce qu'il faut observer à cet égard; l'autre, Instruction militaire du roi de Prusse pour ses généraux, traduction française d'une copie tronquée de la traduction officielle en langue allemande, et accompagnée assez naïvement des remarques polémiques et antiprussiennes du traducteur, officier saxon. Deux autres écrits, l'un Sur les talents militaires et sur le caractère de Charles XII, roi de Suède, et l'autre Sur la direction de l'Académie des Nobles, trompèrent les mêmes éditeurs par leurs titres, et obtinrent ainsi une place qui ne leur appartenait en aucune manière.

Les lettres du Roi n'étaient pas destinées à un meilleur sort que ses autres ouvrages, et elles furent traitées avec une légèreté également coupable. Rangées par séries, elles firent partie des Œuvres posthumes, tandis que les réponses à ces mêmes lettres parurent dans d'autres volumes. Diverses correspondances se trouvèrent complétées dans le Supplément; mais on eut à déplorer l'absence de toutes les lettres de Voltaire, parmi lesquelles plus de deux cents restées inconnues jusqu'aujourd'hui : elles avaient cependant été promises expressément, et déposées, avec quelques lettres de lord Marischal au Roi, entre les mains du libraire, afin qu'il en fît part au public dans un nouveau Supplément. Des lettres au comte Algarotti et au baron Grimm furent rangées à tort parmi les lettres à Voltaire et au marquis d'Argens. Au milieu des lettres écrites à Jordan, on trouve l'Élégie de la ville de Berlin, adressée au baron de Pöllnitz, ainsi que d'autres pièces qui auraient beaucoup mieux figuré parmi les Plaisanteries.

Toute sollicitude pour la commodité du lecteur et l'intelligence du texte fut négligée dans ce travail. Les éditeurs ne songèrent à donner ni l'indication des époques auxquelles ont été composés les<IX> différents écrits du Roi, ni une table générale des matières de ces vingt-cinq volumes si mal classés. Tout éditeur qui remplit sa tâche avec conscience, éprouve le besoin d'initier le public au résultat de ses travaux, et de l'appeler en témoignage de l'exactitude et du zèle qu'il a déployés dans l'accomplissement de son devoir : on comprendra donc sans peine pourquoi les éditeurs des Œuvres de Frédéric le Grand ne les firent pas précéder d'une Préface, servant de compterendu. C'est par cette raison qu'il nous a été impossible de découvrir sur qui pèse la responsabilité de l'ensemble de l'édition. Trois personnes seulement sont connues pour avoir pris part à cette publication; ce sont le comte de Hertzberg et M. de Wöllner, ministres d'État, et M. de Moulines, tous trois membres de l'Académie des Sciences. Nous sommes intimement persuadé et il est évident que ce fut le comte de Hertzberg qui disposa, avec un plein pouvoir, des quatre grands ouvrages historiques; mais nous craindrions de hasarder quelques conjectures au sujet de sa participation ultérieure. Nous n'oserions de même rien affirmer de la collaboration de M. de Moulines, que le traducteur allemand des Œuvres posthumes appelle le réviseur et l'éditeur de ces ouvrages. Un article officiel, dans les deux gazettes de Berlin du 6 février 1787, lui attribue seulement la correction de quelques-unes des fautes grammaticales et orthographiques qui se trouvaient dans les manuscrits achetés à M. Villaume. Enfin, quant à M. de Wöllner, qui, selon les gazettes que nous venons de citer, conserva les manuscrits depuis le moment où ils furent acquis jusqu'à celui où l'on en commença l'impression, il n'existe aucune trace de sa coopération littéraire.

On sait maintenant dans quel état de mutilation les Œuvres de Frédéric le Grand arrivèrent dans les mains du public.

On avait déjà pressenti, avant même que cette édition fût terminée, ce qu'elle contiendrait d'inexact et d'incomplet. En conséquence,<X> les libraires se crurent obligés de protester contre la prétendue malveillance qui avait répandu le bruit que ces écrits avaient subi des altérations considérables. Ils rappelèrent, à l'appui de leur défense, l'assurance solennelle donnée dans une assemblée publique de l'Académie des Sciences, par le ministre d'État comte de Hertzberg, « qui a présidé à la révision de l'ouvrage, » que les précieux manuscrits seraient imprimés « sans aucun changement ni retranchement essentiel. » Ils déclarèrent que les négligences mêmes seraient religieusement respectées; bien plus, ils promirent qu'aussitôt l'impression terminée, les manuscrits seraient déposés à la Bibliothèque royale, afin que chacun pût en prendre connaissance; mais cette promesse fut illusoire comme la précédente, et nous ne saurions dire ce qu'ils sont devenus : le comte de Hertzberg avait retenu obstinément ceux des grands ouvrages historiques, et il ne les rendit aux archives royales du Cabinet qu'en février 1795, peu de mois avant sa mort.

Cette édition, toute défectueuse qu'elle était, fut cependant accueillie avec tant d'enthousiasme, que la compagnie des libraires éditeurs paraît avoir été obligée de réimprimer les Œuvres posthumes la même année (1788), avant que la première publication eût été tout à fait achevée. Cette réimpression diffère de l'édition originale en ce qu'on y adopta un autre principe de correction, et qu'on y observa de nouveaux ménagements politiques; elle s'en distingue en outre par une légère différence dans l'indication du lieu d'impression, qui est simplement Berlin, tandis que la première porte A Berlin. Les connaisseurs préfèreront l'édition « A Berlin » à celle « Berlin; » mais dans le moment même de la publication, toutes les deux se répandirent rapidement et sans distinction par toute l'Europe; et des critiques éminents, tels que Jean de Müller et le baron de Spittler, en exprimèrent leur reconnaissance et leur admiration dans un langage digne du royal auteur, et de la science, dont ils étaient les interprètes; mais ces savants n'oublièrent pas de blâmer<XI> en même temps la conduite des éditeurs, qui osaient présenter un pareil trésor dans un état aussi déplorable.

Tout esprit élevé, depuis Justus Möser et Göthe, a rendu et rendra un légitime hommage aux Œuvres de Frédéric, comme au monument impérissable d'un grand règne et d'une haute intelligence. Avec la gloire littéraire du Roi, on vit tous les jours grandir aussi l'influence salutaire de ses ouvrages : rois, ministres, savants, militaires, hommes de tous états et de toutes croyances, trouvèrent une matière inépuisable d'enseignement et d'admiration dans les écrits d'un prince à la fois père de son peuple et ami des savants, mais ami surtout de la vérité; d'un prince qui consacra ses rares loisirs aux travaux de l'esprit et à l'instruction de ses généraux; qui peignit de main de maître les personnages et les événements de son temps, et voulut être avec franchise et loyauté l'historien de son propre règne. La postérité lui a su gré d'avoir laissé subsister, à côté du roi, l'homme et le penseur; et en même temps qu'il soumettait lui-même hardiment les principes des devoirs royaux à l'examen philosophique, d'avoir donné l'essor dans ses vers tantôt à sa verve satirique, tantôt aux sentiments tendres et religieux de son âme; enfin de s'être laissé voir tout entier dans ses nombreuses correspondances, par lesquelles cet esprit ardent et communicatif allait déposer, dans le sein de ses amis, ses convictions et ses sentiments les plus intimes.

Mais rien n'atténuait le regret de ne posséder les Œuvres du grand roi que dans une édition si informe. On se livra même à des suppositions qui n'étaient que trop justifiées par un travail aussi arbitraire que négligé; et des hommes haut placés, parmi lesquels nous citerons M. de Dohm, soupçonnèrent les éditeurs d'avoir, dans une intention blâmable, altéré le texte et substitué des passages entiers. Aujourd'hui que tous les moyens de preuve sont entre nos mains, nous pouvons déclarer, à l'honneur des éditeurs, que ces soupçons n'étaient pas fondés.

<XII>Les protestations énergiques de Jean de Müller et de Gibbon, avaient trouvé de l'écho, et il n'y eut depuis qu'une voix sur la nécessité de publier enfin les Œuvres de Frédéric le Grand d'une manière digne de lui et de ses arrière-neveux.

Ce désir sembla augmenter encore par l'approche de l'anniversaire séculaire de l'avénement de Frédéric au trône; et un ouvrage composé à cette occasion, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, Vorarbeit zu einer echten und vollständigen Ausgabe seiner Werke, par J.-D.-E. Preuss, dont Sa Majesté Frédéric-Guillaume IV, alors prince royal, daigna accepter la dédicace, appela sur cet objet l'attention de l'Académie royale des Sciences.

Diverses critiques, celle surtout de M. Varnhagen d'Ense, à la fois si bienveillante et si patriotique, signalèrent l'importance de ce projet, et des amis éclairés du pays appuyèrent de leur autorité cet appel aux sentiments généreux des chefs de la nation. Le digne ministre du Culte et de l'Instruction publique, dont nous eûmes bientôt à déplorer la perte, et avec lui, le ministre d'État Ancillon, le grand chancelier de Beyme, et quelques personnes encore vivantes, se distinguèrent par l'empressement avec lequel ils accueillirent cette proposition. Ce fut alors que Frédéric-Guillaume III, dont le grand cœur comprenait si bien toutes les questions d'honneur national, donna ordre de publier les Œuvres historiques de son grand-oncle : le projet complet de cette entreprise fut le dernier travail que le baron d'Altenstein mourant présenta à son roi.

Mais il ne fut accordé à Frédéric-Guillaume III que de poser les premières pierres des monuments qu'il voulait élever à la mémoire de Frédéric le Grand; et c'est à son fils, l'héritier de son trône, de ses vertus et de ses nobles projets, qu'a été laissée la gloire de les achever. Le nouveau roi chargea l'Académie des Sciences de la publication des Œuvres complètes et authentiques de Frédéric le Grand, et mit libéralement à sa disposition tous les fonds nécessaires.

<XIII>De son côté, l'éditeur actuel n'a épargné ni son temps ni ses soins pour être au niveau de sa tâche. Les Avertissements qu'il a placés au-devant des différents ouvrages, contiendront le résumé des rapports adressés par lui, depuis trois ans, à l'Académie royale des Sciences. Ces rapports de l'Éditeur embrassent trois ordres distincts : ils rendent compte de ses travaux dans les archives royales du Cabinet et de l'État; des manuscrits dus à la bienveillance des particuliers, ainsi que des copies qui en ont été faites; enfin des progrès successifs de la révision, aujourd'hui entièrement terminée.

La traduction des notes, des Avertissements et de cette Préface, a été confiée, ainsi que la révision grammaticale, à un littérateur français, M. Paul Ackermann, connu par plusieurs publications antérieures. L'Éditeur en a fait des rapports particuliers au Comité académique, qui n'a pas cessé un instant d'être tenu au courant des moindres détails.

Le but que l'on se propose par la présente édition, est de reproduire, dans leur totalité et leur intégrité, les Œuvres de Frédéric le Grand; de les classer avec ordre, et de les accompagner des notes et des éclaircissements nécessaires.

Afin de ne négliger aucun moyen de rendre ce travail exact et complet, l'Académie des Sciences s'est adressée au public et à la direction des archives royales du Cabinet; elle a écrit aussi à différentes cours étrangères, afin de rentrer en possession d'écrits importants. Deux princes du sang, S. A. R. le prince Guillaume et feu le prince Auguste, les cours de Brunswic, de Schaumbourg-Lippe, de Nassau, de Russie, et de Suède, plusieurs particuliers, parmi lesquels il faut surtout citer madame la comtesse Henriette d'Itzenplitz-Friedland, à Cunersdorf, et M. Benoni Friedländer, à Berlin, ont augmenté de la manière la plus obligeante le nombre des manuscrits qui étaient déjà recueillis.

<XIV>Grâce à tant de secours, nous pouvons affirmer que nous possédons maintenant la totalité des ouvrages historiques, philosophiques, et militaires. A l'égard de quelques poésies composées pendant la jeunesse du Roi, et dont les titres ne nous sont connus que par sa correspondance avec Voltaire, il y a tout lieu de croire qu'elles sont à jamais perdues. Quelques livrets d'opéras-comiques que le Roi mentionne dans sa correspondance avec Algarotti, ont probablement subi le même sort. Le Dialogue des morts entre Madame de Pompadour et la Vierge Marie, et toutes les poésies posthumes qui inspirèrent quelques scrupules, entre autres le Poëme sur l'origine des Polonais et l'Epître de remercîment au prince de Soubise, composée à Rossbach le soir même de la bataille de ce nom, ont sans doute été anéantis par les auteurs de l'édition précédente.

Nous espérons que la Correspondance s'enrichira un jour d'une manière importante par la communication des onze volumes formant la collection des lettres du Roi à sa sœur favorite, la margrave Wilhelmine de Baireuth, source historique plus pure et plus instructive que les Mémoires de cette princesse, qui sont pleins d'une exagération choquante. Mais toutes nos démarches ont été infructueuses pour recouvrer les correspondanees du Roi avec le baron Didier de Keyserlingk, connu sous le nom familier de Césarion; avec Louise-Éléonore de Wreech, née de Schöning; avec madame Louise de Brandt, née de Kameke; avec la signora Barberina (Barbe Campanini), depuis baronne de Cocceji et plus tard comtesse de Campanini; avec la landgrave Caroline de Hesse-Darmstadt; avec l'électrice douairière Antonie de Saxe; avec la comtesse Skorzewska, veuve d'un général polonais; et enfin avec madame de Kannenberg, sœur du ministre d'État comte de Finckenstein. Nous avons lieu de croire que l'intéressante correspondance avec la reine Julienne, femme de Frédéric V de Danemark, existe encore en entier; quant aux lettres et aux billets que Voltaire, pendant son séjour de trois années à Potsdam, adressa au<XV> Roi, toutes nos demandes à la famille du dernier possesseur sont demeurées sans réponse.

L'Éditeur n'a pu découvrir jusqu'ici ce que sont devenues quelques lettres écrites par le Roi, dans sa jeunesse, au duc Léopold d'Aremberg, à lord Baltimore, et au comte Ernest-Christophle de Manteuffel. Il ne peut non plus établir d'une manière certaine si le Roi entretint jamais une correspondance avec le comte de Rottembourg, le colonel Quintus Icilius et quelques autres amis. Si ces lettres, dont nous présumons l'existence, étaient retrouvées, elles ne pourraient manquer d'offrir un grand intérêt, comme tout ce qui a rapport au caractère de ce roi si plein de sagesse, de gaieté et de cœur.

Les Œuvres de Frédéric, qui comprendront les ouvrages déjà imprimés et les manuscrits dont nous sommes en possession, seront divisées en cinq parties : les Œuvres historiques, les Œuvres philosophiques, les Œuvres poétiques, auxquelles nous avons joint les Mélanges littéraires, la Correspondance, et enfin les Écrits sur l'art militaire. Ces cinq parties paraîtront en trente volumes.

Nous avons cru nécessaire, d'après l'exemple donné par l'Auteur lui-même, de faire disparaître toute irrégularité orthographique, et de corriger les noms de personnes et de lieux qui se trouvaient être inexacts. Comme le Roi n'a jamais adopté de principe orthographique particulier, il était difficile de décider quel serait celui qu'on suivrait dans l'édition nouvelle de ses Œuvres. L'Éditeur était d'avis qu'on prît pour règle absolue les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, la dernière édition originale des Mémoires de Brandebourg, et les éditions originales de toutes les autres Œuvres de Frédéric publiées séparément par lui-même, bien que revues par un grand nombre de personnes, telles que Darget, d'Arnaud, Voltaire, l'abbé de Prades, le marquis d'Argens, de Beausobre, de Catt, de Francheville, Thiébault, l'abbé Bastiani : on allait mettre ce dessein à exécution, et les compositeurs recevaient déjà leurs instructions à cet effet, lorsqu'il surgit<XVI> des difficultés de tous genres; de sorte que le Comité académique décida qu'on adopterait, de préférence, l'orthographe de la sixième et dernière édition du Dictionnaire de l'Académie française, de 1835. Ce moyen lui-même n'était pas sans inconvénients; car ce dictionnaire, excellent dans les détails, est toutefois pauvre de mots, et surtout il présente une inconséquence perpétuelle dans la partie grammaticale de l'orthographe, suite naturelle de la diversité des habitudes et des jugements de ce grand nombre d'hommes qui y ont successivement mis la main. Néanmoins on s'est attaché à en suivre l'orthographe le plus exactement possible, afin de ne s'écarter en aucune manière des usages reçus.

Nous en avons usé de même à l'égard des noms de lieux francisés; dans les noms de personnes et de lieux allemands, pour arriver à une plus grande exactitude, nous avons admis la différence établie entre ü et u, et conservé ou seulement pour les noms terminés en bourg; ainsi nous écrivons : Lützen, Schlüter; Ruppin, Blumenthal; Charlottenbourg, Schulenbourg. Pour les noms des lieux célèbres par des victoires, nous avons préféré la forme historique à la forme topographique, par exemple, Blenheim à Blindheim; Lowositz à Lobositz; Hochkirch à Hohkirch; nous avons agi dans le même sens pour quelques noms de familles nobles qui ont adopté l'orthographe étrangère : c'est ainsi que le lieutenant-général Frédéric-Rodolphe comte de Rothenburg s'écrit Rottembourg; que lord Marischal s'est toujours écrit en français Le Maréchal d'Ecosse, et que le fils illustre du commandant général d'artillerie Hans Meinhardt von Schönburgk, a toujours signé Le Maréchal duc de Schonberg, quoiqu'il porte dans tous les ouvrages historiques, sur les médailles, et jusque dans les actes officiels de Brandebourg, le nom de Schomberg. Toutes les fois que l'Éditeur emploie le nom du Roi, il l'écrit Frédéric; mais lorsqu'il s'agit de la signature même des lettres ou des divers écrits, on trouvera jusqu'au premier juin 1737 Frederic, sans accents, et Federic à partir de cette époque.<XVII> Comme le Roi n'avait pas adopté cette orthographe sans dessein, nous l'avons conservée.

L'exactitude des noms propres a été pour nous l'objet d'une sollicitude toute particulière : à l'égard de ceux des généraux et officiers de l'armée prussienne dont Frédéric a consacré la mémoire dans ses ouvrages, nous avons eu recours aux autographes eux-mêmes qui se trouvent déposés aux archives, et surtout à la chancellerie secrète de la guerre; pour les noms de lieux, la chambre des plans du grand état-major de l'armée, le bureau de statistique, et le cabinet des cartes géographiques de la Bibliothèque royale, nous ont été d'un grand secours.

Une fidélité scrupuleuse étant un des premiers caractères d'une bonne édition, nous n'avons rien changé aux expressions, quelque peu correctes qu'elles aient pu être trouvées. On sait d'ailleurs que le Roi ne prétendait pas à une élégance très-recherchée du style, puisqu'il s'appliquait lui-même, peut-être à tort, l'épithète de tudesque. On ne s'étonnera donc pas de trouver régence pour gouvernement, recevoir l'Électorat pour hériter de l'Électorat, etc.; au reste nous avons suivi en cela l'exemple de Voltaire, qui n'a pas corrigé ces expressions, lorsqu'il revit, en 1751, les Mémoires de Brandebourg. Il n'y a que les fautes grammaticales les plus élémentaires que nous nous soyons permis de rectifier, telles que les fautes contre l'accord des genres et des nombres, et en général celles qui peuvent passer plutôt pour des inadvertances de plume ou des fautes d'impression, que pour une manière particulière de concevoir la langue.

Les faits historiques sont aussi conservés dans toute leur intégrité; mais on y a joint des notes pour les expliquer, les appuyer, et quelquefois pour les rectifier. On comprendra qu'elles soient particulièrement nombreuses dans le premier volume des Œuvres historiques, contenant les Mémoires de Brandebourg, cet ouvrage n'étant en grande partie qu'une compilation. L'Éditeur aurait désiré réunir ces notes, et tout<XVIII> ce qui se rapporte à la critique, à la fin de chaque volume ou de chaque série, en partie par respect pour l'œuvre de l'écrivain, en partie aussi dans la crainte de compromettre la beauté typographique; mais il a dû se ranger à l'avis du Comité de l'Académie des Sciences, qui, dès le principe, a décidé unanimement que les notes accompagneraient le texte. Une auguste décision a levé d'ailleurs toutes les incertitudes à cet égard; et lorsque les premières feuilles de l'édition de luxe, imprimées les unes avec notes, les autres sans notes, furent présentées à Sa Majesté, elle se déclara expressément pour le maintien des notes historiques au-dessous du texte.

Deux éditions des Œuvres du Roi sont exécutées en même temps : l'une de luxe, in-4, tirée à deux cents exemplaires, et ornée d'environ soixante portraits historiques, de cent cinquante vignettes au moins, de plusieurs vues de bâtiments exécutés selon les ordres ou sur les dessins de Frédéric le Grand, et de quelques fac-similé; Sa Majesté Frédéric-Guillaume IV se réserve d'en faire des dons particuliers. L'autre édition, in-8, exactement pareille à la première dans ses divisions et sa correction, et littéralement la même quant au texte, a été de la part du monarque l'objet d'une égale sollicitude : il a daigné faire lui-même le choix des types, et entrer dans tous les détails relatifs à l'exécution matérielle.

Jusqu'ici les Œuvres historiques étaient incomplètes et imprimées sans suite; aujourd'hui elles forment sept volumes rangés dans un ordre naturel. Le premier volume renferme les Mémoires de Brandebourg avec les quatre essais historiques qui les suivent; l'histoire du règne de Frédéric le Grand comprend cinq volumes; et les Mélanges historiques, au nombre de douze pièces, occupent le septième. Nous avons cru devoir restituer tout ce que les éditeurs précédents avaient altéré dans le texte, et retrancher ce qu'une étrange vanité les avait portés à y ajouter, par exemple les Pièces authentiques de la négociation de Braunau, de 1778. Les lacunes ont été remplies d'après les manuscrits<XIX> autographes du Roi. L'Avant-propos aux Mémoires pour servir à l'Histoire de Brandebourg, fait en 1748, et celui de 1746, qui devait précéder l'Histoire de mon temps, avaient été tous les deux laissés de côté; nous les avons joints à ceux de 1751 et de 1775. Les Pièces justificatives touchant le vrai motif de la guerre de sept ans, ont été intercalées en la place que leur avait assignée l'Auteur, y compris les deux petites pièces, déjà mentionnées, Sur une ligue allemande. Par des motifs que nous avons développés dans les Avertissements, en tête des différents écrits, nous avons joint comme appendice aux Œuvres historiques une relation faite par le Roi de la bataille de Chotusitz ou de Czaslau, sa première victoire, et dont l'honneur lui revient tout en tier; sa correspondance avec l'ambassadeur d'Angleterre à la cour de Saxe, Thomas Villiers, à l'occasion de la paix de Dresde; celle avec le roi de Pologne, à propos de l'invasion des troupes prussiennes en Saxe, au commencement de la guerre de sept ans, correspondances divulguées à dessein; puis sa Disposition testamentaire, datée du quartier général de Grüssau, le 10 août 1758, et adressée au prince Henri, son frère; enfin le Testament du Roi du 8 janvier 1769. Quant aux testaments politiques de 1752 et 1768, tous deux olographes, une autorité supérieure n'en a pas jugé la publication convenable.

Ce que nous venons de dire s'applique aussi aux vingt et un opuscules des Œuvres philosophiques, que nous avons classés par ordre de date, et qui forment deux volumes, dont l'un contient les quatre traités que l'Auteur composa n'étant encore que prince royal, et l'autre, les dix-sept traités qu'il fit après son avénement au trône. On y trouvera L'Antimachiavel, d'abord tel que l'a donné la première édition fort répandue qui en a été faite, assez arbitrairement il est vrai, par Voltaire (A la Haye, chez Jean van Duren, MDCCXLI.), et qui fut reproduite par les éditeurs de Berlin en 1789; puis tel que nous le possédons dans la rédaction autographe, mais antérieure et plus imparfaite du Roi, dont il ne nous manque qu'un seul chapitre.<XX> L'on a reproduit les autres traités d'après les manuscrits, ou, à leur défaut, d'après l'édition originale; mais, lorsque ces deux secours ont manqué, nous nous sommes vu forcé de suivre l'ancienne édition de Berlin. Selon le désir exprès de l'Auteur, nous avons ajouté le petit mémoire diplomatique, nécessaire pour comprendre un passage des Considérations sur l'état présent du corps politique de l'Europe. Deux essais composés pendant la jeunesse de Frédéric, se sont répandus dans le public par la voie de l'impression; mais ils ne nous ont pas paru écrits dans des circonstances et avec une franchise qui permissent de les considérer comme étant de véritables ouvrages du Roi; ils sont d'ailleurs antérieurs à l'époque où l'esprit de l'Auteur acquit cette force et cette indépendance de pensée qui date de Rheinsberg et de Ruppin, et qui atteignit sa maturité à Sans-Souci. Ces essais sont : Manière de vivre d'un prince de grande naissance, de l'année 1720; et De la politique actuelle de la Prusse (composé à Cüstrin avant que Frédéric eût recouvré sa liberté); ils sont tous les deux écrits en français. Un troisième, en langue allemande, adressé à Frédéric-Guillaume Ier par son fils en exil, et intitulé Plan wegen des Commercii nach Schlesien, n'a jamais été imprimé. Le second de ces ouvrages, qui est adressé sous forme de lettre à M. de Natzmer, gentilhomme de la chambre, trouvera sa place dans la Correspondance. Le dernier doit être considéré comme l'appendice d'une lettre du Prince royal au roi son père. Les Réflexions sur les Réflexions des géomètres sur la poésie, du mois d'avril 1762, et l'Exposé du gouvernement prussien, de l'année 1776, que nous devons aux archives royales du Cabinet, étaient jusqu'ici tout à fait inconnus. Les poésies, et les écrits que leur forme littéraire permet de placer dans la même série, ont été rassemblés et divisés en trois parties. Deux volumes contiendront les poésies que Frédéric fit paraître en 1750, et que, dans une Préface en vers, il consacra à ses amis sous le titre, conservé par nous, d'Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Contraint plus tard par les circonstances, il en fit réim<XXI>primer la moitié, non sous le premier titre qu'il leur avait donné, mais sous celui de Poésies diverses, en y ajoutant un Avant-propos en prose; il les qualifia au reste de bâtardes, à cause des altérations qu'elles avaient dû subir. Nous suivons fidèlement l'édition originale, améliorée, de 1752; mais nous plaçons, en même temps, sous le texte toutes les variantes de l'édition de 1760, notamment les changements que le Roi y avait apportés par suite de considérations politiques. Ces changements consistent en cent sept nouveaux vers, sur cinq poëmes, et en plusieurs expressions mitigées ou corrigées. L'Ode à la Calomnie et les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste, que le Roi avait ajoutées à dessein à l'édition destinée au public, ont été conservées en leur place, mais ne font point partie du chiffre des poésies contenues dans l'édition que l'Auteur avait fait faire pour ses amis intimes. L'Ode au Temps a été replacée parmi les Poésies éparses, et l'Ode sur la Gloire, dans le second volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Nous donnons sous forme d'appendice l'Ode VII, Aux Prussiens, et le commencement du grand poëme didactique L'art de la guerre, tels qu'ils existent dans les rédactions primitives, et avec les remarques de Voltaire.

Les deux volumes suivants contiendront les poëmes d'une époque postérieure, intitulés par nous, au défaut d'un titre donné par l'Auteur, Poésies posthumes. Elles seront reproduites d'après le texte des Œuvres posthumes, mais dans l'ordre où elles se trouvaient dans les derniers manuscrits, qui ont été perdus; nous avons suivi, pour le rétablir, des renseignements et des catalogues officiels. Nous donnons comme appendice deux odes et huit épîtres de cette collection, d'après les rédactions antérieures et imparfaites du Roi, entre autres deux essais de l'Ode au prince Henri; nous joignons à trois autres poëmes plus travaillés les variantes des manuscrits originaux : nos longues recherches et nos efforts constants ne nous ont pas permis de faire davantage, dans le manque où nous étions des derniers manuscrits<XXII> autographes, passés tous, comme les manuscrits des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, en des mains étrangères. Les poëmes adressés à Voltaire et au marquis d'Argens, que le Roi reprit dans sa Correspondance pour les placer dans les deux collections de ses poésies, sont reproduits deux fois par nous : en premier lieu, parmi les poëmes, d'après la dernière correction qui en a été faite; secondement, dans la Correspondance et dans les lettres auxquelles ils appartiennent, d'après la rédaction primitive.

Les deux derniers volumes comprennent, sous le titre que nous leur avons donné de Poésies éparses et de Mélanges littéraires, d'abord tous les poëmes et tous les ouvrages littéraires dont Frédéric ne se souvenait plus lorsqu'il fit imprimer sa première collection, puis tous les poëmes qu'il composa après avoir terminé la seconde collection, et enfin les pièces, presque toutes facéties satiriques en prose, qui aussitôt après leur composition se répandirent dans le public, écrites ou imprimées sur de simples feuilles détachées, ou qui souvent ne parvinrent qu'aux amis de l'Auteur, et que lui-même oublia, n'en ayant point, à son propre regret, conservé de copie. Outre les diverses pièces déjà connues, se trouvent dans ces deux volumes quelques acquisitions nouvelles et précieuses : un grand nombre d'odes et d'épîtres; trois livrets d'opéra; une comédie; dix poëmes érotiques, composés pendant les dernières calamités de la guerre de sept ans, et adressés par le Roi, au nom de son secrétaire Henri de Catt, à la fiancée de ce dernier; la Description poétique d'un voyage à Strasbourg, complète; un Éloge de la paresse; deux Rêves, écrits d'un style très-élevé; et un Sermon sur le jour du jugement, composé ironiquement dans le ton de Bossuet. Les deux Rêves nous sont venus de la Bibliothèque impériale de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg, où sont conservés les manuscrits de Voltaire achetés à Ferney par le comte de Suchtelen.

C'est dans ses lettres que se manifestent le mieux les qualités de<XXIII> cœur et d'esprit du Roi, et qu'à son insu il se peint lui-même le plus fidèlement; aussi sa Correspondance forme-t-elle une des parties les plus importantes de ses Œuvres : nous nous estimons donc heureux de pouvoir la donner plus complète que ne l'ont fait nos prédécesseurs. La direction des archives secrètes du Cabinet n'a pas été autorisée à nous livrer toute la correspondance de famille; mais elle a enrichi considérablement les autres, et surtout la collection des lettres au marquis d'Argens et à M. et Mme de Camas; elle nous a aussi communiqué les lettres au comte de Hoditz, jusqu'ici inconnues, et la correspondance complète de Frédéric avec son père, en langue allemande. Nous avons acheté plusieurs lettres importantes; d'autres sont dues à la générosité des particuliers ou des gouvernements qui les possédaient. L'excellente édition des Œuvres de Voltaire par M. Beuchot, nous a été d'un grand secours dans la correspondance du Roi avec Voltaire, surtout pour les lettres de ce dernier. Nous avons également mis à profit la Correspondance de Frédéric II, roi de Prusse, avec le comte Algarotti, publiée en 1799 par M. Oglievi, en Italie, sous l'anonyme et sans indication du lieu d'impression; elle a été toutefois soigneusement vérifiée, et en partie augmentée, au moyen des copies de treize lettres, que M. Frédéric de Raumer a faites sur les autographes conservés à la Bibliothèque royale de Turin.

Nous rangeons parmi les lettres écrites à des amis ou à des parents, celles adressées par le Roi à des généraux de son armée auxquels l'attachaient les liens de l'amitié ou du sang, tels que le prince Henri, le duc Ferdinand de Brunswic, le feld-maréchal Keith, le baron de La Motte Fouqué, bien que ces correspondances aient roulé en partie sur les affaires de la guerre; mais le ton qui règne dans ces lettres indique assez la place qu'on devait leur assigner. A l'égard des correspondances avec la célèbre duchesse Louise-Dorothée de Saxe-Gotha, avec le stadhouder Guillaume V d'Orange, et Gustave III de Suède, tous deux neveux du Roi, bien qu'on n'y puisse méconnaître une<XXIV> teinte politique, nous avons cru devoir les ranger parmi les précédentes, ce qui a eu lieu aussi pour les lettres adressées à milord Marischal, où, à travers l'expression d'une affection véritable, perce quelquefois un certain ton diplomatique.

Il n'entre pas dans notre plan de publier les ordres de Cabinet et les instructions administratives de Frédéric, non plus que ses correspondances purement politiques ou militaires, les comptes-rendus de ses batailles et les bulletins de ses campagnes : ils sont destinés à former un monument d'un autre genre, qui montrera à la postérité, dans tout leur jour, la grandeur et l'activité infatigable de l'homme d'État et du général.

S'il s'agissait ici d'une édition destinée aux écoles ou aux savants, nous aurions, dans les douze gros volumes de la Correspondance du Roi avec ses parents et ses amis, suivi l'ordre chronologique; mais dans l'édition monumentale que nous préparons, il convenait de conserver un ordre analogue à celui qui avait déjà été adopté pour les poëmes et pour les Œuvres entières elles-mêmes, c'est-à-dire de mettre ensemble toutes les lettres adressées à la même personne, d'autant plus que les réponses étaient, quant au nombre et au contenu, d'un égal intérêt; que beaucoup manquaient de date, et que des correspondances entières écrites en langue allemande, par exemple les lettres à son père, à ses amis de jeunesse, le margrave Henri de Schwedt et le lieutenant de Gröben, à son trésorier Fredersdorff, à l'abbé Stusche, et à plusieurs généraux prussiens et savants allemands, ne pouvaient être privées de l'attention qu'elles méritent. Un avantage réel résultera de cet arrangement : les rapports personnels du Roi avec plusieurs célébrités de l'époque, se présenteront à l'esprit du lecteur d'une manière beaucoup plus satisfaisante, et l'intérêt qu'inspirent les personnes et les choses ne se trouvera ni troublé ni interrompu; d'ailleurs, un index à la fin des correspondances rétablira l'ordre chronologique.

<XXV>La dernière section de cette édition comprendra les Instructions militaires du Roi, et formera trois volumes; les pièces qu'ils renfermeront sont au nombre de plus de quarante, dont vingt et une seulement furent rédigées primitivement en français; les autres paraîtront en langue allemande, ainsi qu'elles ont été distribuées aux généraux et officiers de l'armée.

Ce grand homme de guerre a écrit à la fois pour l'infanterie et la cavalerie; il a traité de l'emploi des canons dans les batailles, de l'attaque et de la défense des places, et il a laissé, dans toutes les branches de l'art militaire, des travaux où se montre l'admirable sagacité de son esprit. Savant théoricien en même temps que capitaine expérimenté, il commanda son armée et instruisit ses généraux, et fut également heureux dans ce double emploi de son génie.

L'Éditeur a réussi à rassembler tous ces trésors dans une même collection. Il a lieu de penser qu'on sera satisfait de la manière dont le classement a été exécuté : une place distincte a été assignée aux écrits français, une autre, aux écrits en langue allemande; et l'on a admis de préférence l'ordre chronologique, afin de montrer le progrès successif des idées du Roi dans l'art de la guerre.

Ces Instructions, adressées aux officiers exécuteurs de ses ordres les plus secrets, comme aussi aux plus illustres par leur rang, tels que Fouqué, Winterfeldt, Seydlitz, Keith, le prince Henri et le duc Ferdinand de Brunswic, acquièrent par là une nouvelle importance historique, et nous montrent ce grand prince à la fois comme le chef d'une nouvelle école, et comme le principal représentant des idées militaires de son temps.

Parmi les Instructions composées en langue française et jusqu'ici inconnues, nous citerons les Pensées et règles générales pour la guerre, 1755; l'Avant-propos pour un livre de siége, 1771; et les Règles de ce qu'on exige d'un bon commandeur de bataillon en temps de guerre, 1773;<XXVI> toutes trois communiquées par madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland.

Les Principes généraux de la guerre, dont les archives royales du Cabinet conservent deux rédactions différentes, en français et de la main du Roi, paraissent ici pour la première fois, d'après le dernier autographe, du printemps de l'année 1748, considérablement améliorés, et enrichis de trois importants chapitres, qui ne se trouvent ni dans la traduction authentique allemande de 1753, dont nous ajoutons sous le texte toutes les variantes, traduites en français, ni dans l'édition française non-authentique de 1761.

Les Réflexions sur quelques changements à introduire dans la façon de faire la guerre, du mois de décembre 1758, seront imprimées d'après la copie originale qui, corrigée de la main même de l'Auteur, fut communiquée par lui au prince Ferdinand de Brunswic, et qui est beaucoup plus exacte et plus complète que le texte publié.

Le traité Des marches d'armée et de ce qu'il faut observer à cet égard, sera imprimé d'après l'unique exemplaire connu de l'édition de 1777, qui, avec la plus grande partie de la bibliothèque de Sa Majesté le roi Frédéric-Guillaume III, fut légué par ce prince à la Bibliothèque royale de Berlin.

Nous n'avons pu découvrir aucune preuve matérielle de l'authenticité de l'Instruction secrète dérobée à Frédéric II, roi de Prusse, traduite de l'original allemand par leprince de Ligne, 1779. Les archives secrètes du Cabinet et les archives du grand état-major de l'armée n'en possèdent ni manuscrit original, ni copie vérifiée; les lettres mêmes du Roi n'en font aucune mention; et, qui plus est, Gerhard Scharnhorst, qui, dans sa célèbre collection, fit imprimer, en 1794, la traduction allemande de la prétendue édition du prince de Ligne, n'a donné aucun renseignement à ce sujet.

Parmi les pièces en langue allemande reproduites ici pour la première fois dans leur entier, nous distinguerons l'Instruction pour le<XXVII> feld-maréchal de Lehwaldt, lorsqu'il commandait en chef l'armée contre les Russes, en 1756, et l'Instruction, non moins remarquable, adressée aux Quartier-Meister-Lieutenants, dictée par le Roi lui-même à M. Freund, lieutenant de génie, à Leitmeritz, peu de jours après la bataille de Kolin.

La première Instruction donnée aux hussards est la seule pièce de cette série que nous ne possédions pas. Nous regrettons d'autant plus de n'avoir pu encore la découvrir, qu'au dire de madame de Blumenthal, dans sa biographie du général de Zieten, ce célèbre chef des hussards lui fut redevable de ses premiers succès militaires. Le Roi en fait lui-même mention dans son Instruction générale pour les colonels et officiers de hussards, du 25 mars 1742, en ces termes : « Et comme Sa Majesté a donné, l'année passée, une ample Instruction aux régiments de hussards, elle la réitère et la confirme en tous ses points, et ordonne aux chefs et commandeurs de la faire publier et bien inculquer aux officiers. » S'il était à la connaissance de quelqu'un que cette pièce importante existât encore, nous prions instamment qu'il nous en soit donné communication, afin que nous lui rendions la place qui lui appartient dans les Œuvres du Roi.

L'époque et le caractère de cette édition complète et authentique des Œuvres de Frédéric le Grand, nous placent au-dessus des conseils d'une prudence trop timorée. Toutefois on doit aussi de la reconnaissance aux auteurs de l'édition de 1788, qui, avec une impartialité digne d'éloges, bien qu'ils n'en eussent peut-être pas entièrement conscience, et dans la plus évidente contradiction avec eux-mêmes, ont fait imprimer dans la Correspondance et dans les Poésies tout ce que le Roi a écrit de plus hardi touchant ses principes, ses croyances politiques et religieuses, et ses opinions sur les devoirs d'un prince. Ajoutons cependant que la même impartialité n'a pas été observée aussi scrupuleusement à l'égard des personnages historiques. Quoi qu'il en soit, justice doit être rendue à l'éditeur responsable, avec d'autant<XXVIII> plus de raison, que la publication de plusieurs poëmes, lettres et traités, a été considérée à tort, dans les Mémoires de M. de Dohm (Denkwürdigkeiten meiner Zeit), comme une déloyauté du ministre d'État de Wöllner envers le grand roi.

Nous sommes heureux de pouvoir offrir au lecteur ce que nous avons fidèlement et si péniblement recueilli, sans rien omettre de ce qui rentre dans le domaine des Œuvres que nous publions. De tant de poésies, il n'y en a pas une seule que nous ayons mise de côté; car, à part le mérite littéraire, elles renferment toutes, plus ou moins, quelque particularité ou allusion intéressante : seulement, parmi le grand nombre des lettres, nous nous sommes permis d'en supprimer quelques-unes trop complétement insignifiantes pour figurer dans notre collection.

Quant aux harangues et paroles mémorables prononcées et non écrites par Frédéric, mais que des contemporains nous ont conservées dans leurs mémoires ou dans des recueils d'anecdotes, nous n'avons pas cru devoir les admettre, quelque belles et caractéristiques qu'elles fussent : toutes ont été mentionnées dans l'ouvrage cité cidessus, Friedrich der Grosse als Schriftsteller; et elles seront mises tôt ou tard en lumière, comme elles le méritent à si juste titre.

Chaque écrit particulier sera précédé d'un Avertissement, qui contiendra les éclaircissements indispensables sur le manuscrit et sur l'édition antérieure. L'origine de chaque pièce des Poésies éparses et des Mélanges littéraires sera également indiquée en note. De cette manière, toutes les sources de l'édition se trouvant désignées en leur lieu, elles témoigneront de notre gratitude envers les personnes qui nous en ont ouvert l'accès, et attesteront la fidélité de l'Éditeur.

Les manuscrits qui ont été envoyés, soit à l'Académie des Sciences, soit à l'Éditeur lui-même, ainsi que ceux mis à la disposition de ce dernier aux archives royales du Cabinet, ont été transcrits de sa main, et il a toujours eu le soin de les collationner de nouveau sur les auto<XXIX>graphes. Le peu qu'il a fait transcrire aux archives a été trouvé parfaitement conforme aux manuscrits originaux, ainsi que les pièces dues à la bienveillance de madame la comtesse d'Itzenplitz. Les gouvernements de Schaumbourg-Lippe, de Russie et de Suède ont fait don de plusieurs copies; l'Éditeur croit pouvoir se reposer sur la scrupuleuse exactitude avec laquelle elles ont été prises.

Nous avons soigneusement collationné tous les écrits déjà imprimés, lettres, poëmes ou traités, dont les autographes se trouvent aux archives, ou que nous nous sommes procurés ailleurs.

D'après ce qui vient d'être dit, il serait complétement inutile, et même impossible, d'appeler le public à contrôler les travaux de l'Éditeur; mais ces mêmes manuscrits et les copies originales resteront toujours comme un témoignage à présenter à la critique et aux juges compétents; les particuliers en possession des manuscrits originaux, pourront d'ailleurs s'assurer facilement de la fidélité de notre travail en comparant les pièces imprimées avec les pièces manuscrites qu'ils ont entre les mains; et, s'il arrivait que, pour un motif quelconque, l'on désirât acquérir la même certitude, il serait toujours aisé de s'adresser aux possesseurs. Bien que l'exactitude de l'Éditeur comme historien n'ait jamais été mise en doute, il croit cependant devoir en offrir une dernière garantie, en faisant appel à tous les possesseurs ou conservateurs publics des manuscrits qui ont servi à cette édition, et en les priant de ne pas craindre de faire parvenir leurs observations au public par la voie des journaux, s'ils remarquaient de l'incurie ou des infidélités dans notre édition. Quant aux textes de quelques traités philosophiques, de la collection des Poésies posthumes et de quelques autres poëmes, ainsi que de correspondances entières, que, dans le manque de manuscrits originaux, nous nous sommes vu dans la nécessité d'emprunter aux précédentes éditions de Bâle ou de Berlin, ou aux éditions partieulières des correspondances, nous devons déclarer que nous n'en acceptons pas la responsabilité. Nous indiquons ces<XXX> emprunts dans nos Avertissements, et ne garantissons pas que le texte n'en ait point été altéré par les différents éditeurs, c'est-à-dire, selon eux, amélioré : nous le donnons tel qu'ils nous l'ont transmis. Les éditions originales des Œuvres du Roi seront au besoin une preuve de la conscience avec laquelle nous les reproduisons. Les écrits dont il n'existe ni autographes, ni copies retouchées par l'Auteur, et dont aucun passage, dans la Correspondance, ne mentionne l'existence, ont été cependant conservés par nous comme appartenant légitimement au Roi, en raison de preuves puisées à d'autres sources, bien que les preuves immédiates manquassent.

Lorsque l'Auteur a oublié la date d'un écrit quelconque, nous l'avons déterminée à l'aide de nos recherches, et mise entre parenthèses, ainsi que les noms de lieux et les dates que nous avons suppléés dans les lettres, afin de les distinguer des indications originales. Les remarques du Roi qui accompagnent le texte de ses ouvrages en prose ou en vers, sont indiquées dans tout le cours de notre édition par des chiffres arabes. Les notes de l'Éditeur sont désignées par des lettrines. Les noms et les mots laissés en blanc par les éditeurs précédents dans les lettres et dans les poëmes, n'ont pu être tous restitués par nous : ceux que nous avons suppléés se trouvent entre parenthèses.

Toutes les fois que, dans les Œuvres historiques, l'exactitude du Roi a eu besoin d'être justifiée ou défendue, nous avons pris cette tâche sur nous, ou nous avons indiqué les endroits qui, dans les écrits de ses adversaires ou de leurs amis, avaient rapport aux passages en question. Il nous a paru superflu de mentionner les traités de paix, parce que le lecteur peut les trouver dans les collections de Du Mont et de Rousset, de Dogiel, de Wenck, du comte de Hertzberg et de Martens; nous avons également passé sous silence les bulletins des nations ennemies, notamment ceux des Autrichiens, donnés dans l'excellent journal militaire qui, depuis 1811, paraît à Vienne sous le titre de<XXXI> Oestreichische militärische Zeitschrift; mais nous avons joint aux ouvrages philosophiques et militaires les remarques nécessaires, et avons fait notre possible pour éclaircir les allusions qui se trouvent dans les poëmes et dans les lettres : partout où le Roi cite des vers ou des sentences, nous en avons désigné les sources.

A la fin de chaque volume et de chaque série, une table en indiquera le contenu; le dernier volume offrira une table chronologique générale des divers ouvrages. On ne s'étonnera pas de n'y point trouver quelques écrits qui ont été attribués à Frédéric : c'est qu'en toute assurance nous nous sommes cru autorisé à déclarer ces pièces apocryphes, et par conséquent à les supprimer, à partir des Considérations sur l'état de la Russie sous Pierre le Grand jusqu'aux Matinées royales et aux Dernières pensées du grand Frédéric. Il y faut aussi ajouter un Commentaire sacré sur le conte de Peau d'âne nommé par erreur dans les Souvenirs de Thiébault au lieu du Commentaire théologique de dom Calmet sur Barbe bleue. Jusque dans la liste officielle des manuscrits trouvés à la mort de Frédéric, et dans le catalogue de ceux que possédait son secrétaire de Catt, se sont encore glissés divers écrits apocryphes. D'autres manuscrits se sont perdus avant que ces deux collections aient été déposées aux archives. La tragédie intitulée Alexis, achetée au secrétaire Villaume, n'est autre que la tragédie d'Irène, dernier ouvrage dramatique de Voltaire : le Roi l'avait demandée à la famille du poëte, et elle lui avait été envoyée avec la permission autographe du préfet de police, datée du 6 janvier 1778, qui autorisait la représentation et l'impression de cet ouvrage.

Les fac-similé ajoutés à chaque série, montreront comment Frédéric orthographiait la langue dans laquelle il écrivait.

Le magnifique monument littéraire élevé à la mémoire de ce grand prince par Sa Majesté Frédéric-Guillaume IV, satisfaisant à la fois aux exigences du goût et de la science, restera comme un témoignage de la sagesse et des lumières du monarque régnant; il témoignera en<XXXII> même temps de la haute perfection à laquelle l'art typographique est parvenu de nos jours.

Si ce n'était point une témérité de dire, en terminant, quelques mots sur notre position individuelle, nous ajouterions qu'en choisissant hors de son sein l'homme auquel une œuvre de cette importance allait être confiée, l'Académie des Sciences, qui doit son existence à Frédéric le Grand, a fait preuve d'impartialité et de justice. Nourri des ouvrages de ce prince, et initié par seize ans d'étude aux travaux qu'exige l'édition qui s'exécute, professeur lui-même d'histoire de Prusse et historiographe de la maison royale de Brandebourg, l'Éditeur ose croire que nul plus que lui n'était en droit de consacrer son dévouement à cette grande tâche. Le lecteur comprendra donc que la présente édition soit pour nous une œuvre toute de patriotisme et d'amour pur de la science. Nous avons d'ailleurs, et nous sommes heureux de le dire, rencontré partout le plus sympathique empressement lorsque, dans des questions hors de notre domaine, nous avons dû recourir aux lumières des personnes compétentes; c'est donc pénétré de reconnaissance, que nous adressons ici nos remercîments à ceux qui ont bien voulu nous aider de leurs recherches et de leurs conseils.

Berlin, ce 6 janvier 1846.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.