<129>Permettez donc encor que je compare
Votre destin au sort d'un vieil avare.
Quand le jour vient, ce jour tant odieux,
Qu'il lui faudra dénicher de ces lieux,
Ce gros richard, qu'on dit homme de mise,
Tout moribond, péniblement s'épuise
A fabriquer un ample testament.
Aux tribunaux, quoiqu'on s'en formalise,
Vingt avocats affamés, disputant,
Trouvent pour eux ses biens de bonne prise,
Et vont réduire, en vous le commentant,
Ses volontés et ses dons à néant.
Vous êtes sûr, en perdant la lumière,
Qu'exactement on exécutera
Et codicille et volonté dernière;
Car, vieux baron, rien ne vous restera,
Et vous serez votre héritier vous-même.
Que j'applaudis encor sur ce point-là,
Ainsi qu'en tout, votre prudence extrême!
Mais je m'égare en n'apercevant pas
Que ce n'est point, ô Pöllnitz! votre cas;
Car si Caron veut que notre séquelle
Du noir Pluton n'habite les États
Qu'en lui payant le fret de sa nacelle,
Exempt, baron, à jamais du trépas,
Vous jouirez d'une vie éternelle.

(Envoyée à Voltaire le 4 avril 1773.)