<46>N'aurais jamais quitté qu'au moment de la mort
Mes sujets, mes États, et mon trône tout d'or,
A présent un désir qui passe la croyance,
Digne d'un empereur et d'un sage qui pense,
M'entraîne vers Paris, où, malgré les censeurs,
On veut récompenser les talents enchanteurs.
A l'Homère français s'érige une statue;a
Ah! pour me rajeunir qu'on l'élève à ma vue,
Ce spectacle charmant réveille mes esprits;
Partons subitement, et volons à Paris.
J'aime à voir le grand homme, honoré dès sa vie,
Écraser sous ses pieds les serpents de l'envie,
Respirer à longs traits cet encens, ces parfums
Que le public cruel n'accorde qu'aux défunts.
Mais cela vu, je pars, sans parler à personne,
Fuyant avec dédain les fous de la Sorbonne,
Les grimauds du Parnasse, phénomènes d'un jour,
Les lourds financiers, les freluquets de cour,
Les faiseurs de projets, les charlatans de prêtres,
Les ignorants titrés, et les fats petits-maîtres.
Aux rives de la mer je vole en palanquin;
Les vents et mon vaisseau me rendront à Pékin,
Où, tandis qu'au couchant tout ressent le désordre,
Je chasserai chez moi saint Ignace et son ordre.


a Le sculpteur Pigalle avait été chargé d'exécuter cette statue, que les gens de lettres érigeaient à Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à d'Alembert, du 28 juillet 1770.