<145>

APPENDICE.[Titelblatt]

<146><147>

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Nous avons donné plus haut une réimpression exacte des poésies qui se trouvent dans le VIIe et le VIIIe volume des Œuvres posthumes; les éditeurs de ce recueil avaient suivi essentiellement la dernière rédaction du Roi. Nous reproduisons ici des rédactions antérieures de quelques-unes de ces pièces, dont nous avons retrouvé les manuscrits originaux ou des impressions faites du vivant de l'Auteur, mais à son insu; quoique plus imparfaites, elles serviront de preuve du zèle infatigable avec lequel Frédéric cultivait la poésie. En voici la liste.

1o Deux rédactions différentes de l'Ode à mon frère Henri. Le manuscrit de la première porte la date Le 4 octobre 1757, dans les camps auprès de la Saale. Il est tout entier de la main du Roi, et soigneusement corrigé, quatre pages in-4, papier à bordure noire. Cet autographe appartient à M. le bailli Rotger, à Tangermünde.

Le second manuscrit de cette Ode, daté du 6 octobre 1757, se trouve aux archives royales du Cabinet, caisse 365, K, dans une enveloppe portant le cachet du prince Henri, qui y a mis l'inscription Ode du Roi. Cette pièce est écrite en entier de la main de l'Auteur, et également corrigée avec grand soin, quatre pages in-4, papier à bordure de deuil.

2o La 14e et la 16e strophe de l'Ode au prince Ferdinand de Brunswic sur la retraite des Français en 1758, telles que nous les reproduisons dans l'Appendice, se trouvent dans la Vie privée du roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la<148> vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même. A Amsterdam, chez les héritiers de M.-M. Rey, MDCCLXXXIV, in-12, p. 127. Cette impression, la première qui ait paru de ce morceau, présente quelques variantes curieuses.

3o Le manuscrit de l'Ode à la duchesse de Brunswic sur la rnort de son fils le prince Henri (Archives royales du Cabinet, caisse 397, D) est de la main de M. de Catt, et corrigé par le Roi. L'indication du lieu et de la date manque, mais on la retrouve dans une lettre à M. de Catt, datée de Strehlen, le 18 novembre 1761, lettre que le Roi avait envoyée à son lecteur avec cette poésie corrigée. Dans la réimpression qu'en donnent les Œuvres posthumes, t. VII, p. 146, cette Ode est assez changée pour qu'on y reconnaisse aisément le travail de l'Auteur.

4o Le manuscrit de l'Épître au marquis d'Argens, Apologie du suicide, est aussi la propriété de M. Rötger. Elle est écrite en entier de la main du Roi, sur deux feuilles in-4 à bordure de deuil; on y remarque des corrections réitérées de la main de l'Auteur. La date manque, et nous n'avons pu la déterminer d'après la correspondance du Roi avec le marquis d'Argens; mais dans les Œuvres posthumes, t. VII, p. 184, l'Épître est datée d'Erfurt, le 23 septembre 1757, époque qui correspond à la mention que Voltaire fait, dans sa correspondance, de cette poésie, dont il a transcrit quelques passages dans l'ouvrage précité, La vie privée du roi de Prusse, p. 102-106, mais d'après une autre rédaction de la main du Roi.

5o Les vers imprimés t. XII, p. 93 et 94, sous le titre de : Au sieur Gellert, furent en réalité adressés à Gottsched (Voyez t. X, p. 158), et ils lui furent remis cachetés, le 16 octobre 1757, vers les neuf heures du soir, à la suite d'une discussion littéraire que l'Auteur avait eue avec ce savant. Nous en reproduisons ici la première impression, insérée par Gottsched lui-même dans son recueil périodique intitulé : Das Neueste aus der anmuthigen Gelehrsamkeit. Leipzig bei Breitkopf, Wintermond 1758, p. 125.

6o La leçon la plus ancienne que nous connaissions de l'Epitre à ma sœur de Baireuth, du 12 octobre 1758, est celle qui se trouve dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Nouvelle édition, plus complette qu'aucune de celles qui ont paru, et enrichie de variantes. Jouxte la copie in-4, imprimée au donjon du château de Sans-Souci, en 1750. A Neuchâtel, 1760, in-12, p. 195-200.

C'est ce texte que nous reproduisons ici. Il diffère beaucoup de celui que nous avons donné t. XII, p. 101-107, soit par les améliorations que le Roi y a faites plus tard, soit par les corrections des éditeurs des Œuvres posthumes.

7o L'autographe de la Lettre en vers et prose à Voltaire forme trois pages in-4 d'une écriture très-serrée, et ne porte pas de date. Il est conservé aux archives<149> royales du Cabinet (Caisse 397, D). Dans la correspondance avec Voltaire, cette pièce est datée Du camp près Wilsdruf, le 17 de novembre 1759. Elle a été réimprimée dans les Œuvres posthumes, t. VII, p. 254; mais la rédaction primitive est plus complète.

8o Le manuscrit de l'Epître à M. d'Alembert est tout entier de la main du Roi, et se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D). D'Alembert remercia le Roi de l'envoi de cette poésie, par sa lettre du 11 mars 1760. Ce texte paraît préférable à celui des Œuvres posthumes, t. VII, p. 279.

9o Le manuscrit de la poésie intitulée simplement Épître se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D); il est en entier de la main du Roi. Les Œuvres posthumes, t. VII, p. 304, en présentent une rédaction postérieure et plus correcte.

10o Les deux pièces réunies en une, l'Épître au marquis d'Argens et la Gazette militaire (t. XII, p. 162), en entier de la main du Roi, sont conservées aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D). L'Épître ne porte d'autre litre que les mots Au camp de Bunzelwitz; c'est de là en effet que le Roi l'envoya au marquis d'Argens, ainsi que la Gazette, le 24 septembre 1761.

11o Il existe aux archives royales du Cabinet (Caisses 396, F, et 397, D) cinq rédactions de l'Épître sur la méchanceté des hommes (t. XII, p. 173). Elles sont toutes de la main du Roi, et offrent de nombreuses corrections. Ce ne sont du reste que des fragments. L'une porte la date A Strehlen, ce 9 de novembre 1761; une autre A Strehlen, ce 11 de novembre 1761. Nous donnons la plus complète de ces rédactions.

12o Le manuscrit de l'Épître intitulée, dans les Œuvres posthumes, t. VIII, p. 121, Au marquis d'Argens sur son jour de naissance, se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 365, L), parmi les papiers laissés par l'abbé de Prades, qui fut lecteur du Roi de 1753 à 1757, temps où cette poésie fut composée. Cette pièce est de la main du lecteur. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'elle contient des corrections de la même main.

Il existe encore aux archives royales un autographe de l'Ode aux Germains, qui porte la date A Freyberg, ce 29 mars 1760 (t. XII, p. 15), et deux ébauches de l'Épître à ma sœur de Baireuth (t. XII, p. 36); mais ces autographes sont si incomplets, que l'impression en serait peu utile. Il ne s'y trouve que dix-huit strophes de l'Ode aux Germains. Le premier manuscrit de l'Épître à ma sœur de Baireuth, qui forme un tiers du tout, n'a qu'une page, d'une écriture serrée, avec la note suivante de M. de Catt : « Sa Majesté m'a donné ce brouillon, fait quelques<150> semaines après la bataille de Kolin. » L'autre manuscrit, plus complet à la vérité, n'est cependant qu'un brouillon très-imparfait.

Les manuscrits de l'Ode au prince Ferdinand (t. XII, p. 8), du Stoïcien (t. XII, p. 181), de l'Épître au comte Hoditz (ci-dessus, p. 69), de l'Épitre au baron de Pöllnitz (ibid., p. 110) et de l'Épitre à mademoiselle de Knesebeck (ibid., p. 114), se rapprochent tellement du texte de l'édition de 1788, que nous nous bornons à en donner les variantes à la fin de ce volume. Les quatre derniers de ces manuscrits se trouvent aux archives royales du Cabinet; ils sont tous de l'écriture d'un secrétaire, et corrigés par le Roi. Quant à l'Ode au prince Ferdinand de Brunswic sur la retraite des Français en 1758, il ne sera pas hors de propos d'ajouter quelques mots sur son histoire. Le manuscrit original de cette poésie, d'où nous avons tiré les variantes, est conservé aux archives du grand état-major de l'armée, à Berlin (M. 2. B. h. Correspondenz des Königs mit dem Herzog Ferdinand in den Friedensjahren. 1765). A la fin de la pièce, écrite par un secrétaire du Roi, on lit ces mots de la main du copiste : Fait à Grüssau, le 6 avril 1758; le Roi y a ajouté : Corrigé le 26 février, à Potsdam, 1765, et plus bas : Fr. L'auguste Auteur a aussi écrit de sa main, par courtoisie, à ce qu'il semble, et comme dédicace, les mots Ode au prince Ferdinand, tout au haut de la première page, à gauche du titre que le secrétaire avait mis en tête de la pièce. Enfin, on lit, sous l'inscription du Roi, cette note du prince Ferdinand : « Reçu le soir du 8e mai 1765 des propres mains de Sa Majesté le roi de Prusse, au concert. »

A ce volume est joint le fac-similé du commencement de l'Ode à mon frère Henri, rédaction du 4 octobre 1757.

Berlin, le 31 mai 1849.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.

<151>

I. (a) ODE A MON FRÈRE HENRI.151-a

Tel que d'un vol hardi s'élevant jusqu'aux nues,
Déployant dans les airs ses ailes étendues,
S'échappant à nos yeux,
L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense
Qui du monde au soleil occupe la distance,
Et perce jusqu'aux cieux;

Ou telle que l'on voit, dans l'ombre étincelante,
Dans son rapide cours la comète brillante
Traverser l'horizon,
En éclipsant les feux de la céleste voûte,
Tracer au firmament, dans son oblique route,
Un lumineux rayon :

Tel, subjugué du dieu dont le transport m'inspire,
Plein de l'enthousiasme et du fougueux délire
Qui dompte mes esprits,
Je m'élance soudain des fanges de la terre
Aux palais d'où les dieux font tomber leur tonnerre
Sur les humains surpris.

<152>Mes accents ne sont plus ceux d'un mortel profane,
C'est Apollon lui-même, animant mon organe.
Qui parle par ma voix :
Des destins éternels la volonté secrète
Se dévoile à mes yeux, je deviens l'interprète
De leurs augustes lois.

O Prussiens! c'est à vous que l'oracle s'adresse,
Vous, que l'acharnement d'un sort barbare oppresse
Sous cent calamités :
Sachez qu'aucun État dans sa grandeur naissante
N'éprouva sans revers la course triomphante
De ses prospérités.

Rome parut souvent au bord du précipice,
Sans que pour son secours l'appui d'un dieu propice
Lui servît de patron;
Les sénateurs en deuil pleuraient la république
Quand Annibal, vainqueur, de ses guerriers d'Afrique
Eut écrasé Varron.

Au sein de ses dangers s'accrut son espérance;
Elle maintint ses murs plutôt par sa constance
Que par ses légions.
Prêt à récompenser ce sublime courage,
Mars choisit pour venger un si cruel outrage
L'aîné des Scipions.

Du Tibre désolé le démon de la guerre
Porte, en passant les mers, sur l'étrangère terre
Le carnage et l'horreur;
<153>Dans les champs africains l'ennemi prend la fuite,
Rome fut délivrée, et Carthage réduite
Sous son nouveau vainqueur.

Dans nos coupables jours, la guerre qui vous mine,
Prussiens, semble annoncer la prochaine ruine
De vos vastes États;
L'Europe frénétique, étincelant de rage,
Porte dans votre cœur la flamme, le carnage,
L'horreur et le trépas.

Cette hydre, en redressant ses têtes enflammées,
Vomissant des soldats, enfantant des armées,
Vient s'élancer sur vous;
Le monstre vainement de vos mains triomphantes
Sentit l'effort puissant; ses têtes renaissantes
Semblent braver vos coups.

Si la Haine et l'Envie, avides de leur proie,
Pensent traiter Berlin comme Agamemnon Troie
Après la mort d'Hector,
O peuple généreux! abattez leurs trophées;
Leurs couleuvres dans peu sous vos pieds étouffées
Feront changer le sort.

C'est dans les grands dangers qu'une âme magnanime
Peut déployer la force et le pouvoir sublime
Du courage d'esprit.
Qu'importe la tempête et Jupiter qui tonne?
L'homme qui, plein d'effroi, lui-même s'abandonne
Est le seul qui périt.

<154>Le souverain des dieux, de ses mains libérales,
Verse sur les humains, de deux urnes égales,
Et les biens et les maux;
Tandis que la nature en tout lieu répandue
Fait naître en même temps la casse et la ciguë,
Le cèdre et les roseaux.

Ce mélange constant de faveurs, de disgrâces.
Dans les fastes du monde éternise les traces
De nos destins cruels.
Le bonheur toujours pur, avantage trop rare.
Se dérobant à nous, se garde et se prépare
Pour les dieux immortels.

Au courage obstiné la résistance cède,
Un noble désespoir est l'unique remède
Aux maux désespérés;
Le temps met fin à tout, rien n'est longtemps extrême,
Et souvent le malheur devient la source même
Des biens tant désirés.

Les aquilons mutins d'un ormeau qu'on néglige
Par leurs fougueux assauts font incliner la tige,
Qui cède pour un temps;
Mais de la molle arène et du niveau de l'herbe
Il se lève, et dans peu de sa tête superbe
Il ombrage les champs.

Dans les bras d'Amphitrite, où son éclat expire,
Le soleil de la terre abandonne l'empire
Aux ombres de la nuit;
<155>Mais ses rayons vaillants au point du jour éclipsent
Ces flambeaux lumineux, ces astres qui pâlissent,
Et l'obscurité fuit.

Et telle m'apparaît couverte de ténèbres
Ma patrie éplorée, à ses voiles funèbres
Attachant ses regards,
155-+De nos calamités l'âme encore effrayée,
Sur nos lauriers flétris tristement appuyée,
Maudissant les hasards.

Mais le cœur déchiré de ses maux mémorables,
Et courbé sous le poids des fléaux implacables
Contre elle déchaînés,
J'entrevois, à travers cette ombre que j'abhorre,
Les prémices charmants et la naissante aurore
De ses jours fortunés.

Les dieux pour les mortels ne font plus de miracles :
Entourés de périls, de dangers et d'obstacles
Qui bordent leur chemin,
Ils leur ont départi l'audace, le courage,
Utiles instruments dont le pénible ouvrage
155-star2Asservit le destin.
<156>Le tribut de la mort, qu'on paye à la nature,
Peut vous rendre fameux, si vous vengez l'injure
De vos lares, Prussiens.
L'amour de la patrie, à Rome secourable,
Changeait en demi-dieux de ce peuple adorable
Les moindres citoyens.

Eh quoi! notre siècle est-il donc sans mérite?
Du monde vieillissant la masse décrépite
Est-elle sans vertus?
Par ses productions la nature épuisée
Laisse-t-elle en ces temps la terre sans rosée,
L'Océan sans reflux?

Non, non, de ces erreurs écartons les chimères.
Rome, de tes guerriers les vertus étrangères
Ont illustré nos camps;
Nos triomphes, témoins de cent faits héroïques,
Transmettent de nos chefs aux fastes historiques
La gloire et les talents.

Vous, que notre jeunesse avec plaisir contemple,
De leurs futurs exploits le modèle et l'exemple,
L'ornement et l'appui,
Soutenez cet État, dont la gloire passée,
Mon frère, sur le point de se voir éclipsée,
Chancelle aujourd'hui.

Ainsi les temps féconds qui jamais ne s'épuisent
Te fourniront, ô Prusse! autant que d'astres luisent,
D'appuis à ta grandeur;
<157>Ainsi ma muse annonce en ses heureux présages
Du bonheur de l'État jusqu'à la fin des âges
La durable splendeur.

Que le sein déchiré des serpents de l'envie,
Arrachant nos lauriers, l'affreuse Calomnie
Frémisse de fureur;
Qu'elle lance sur nous de ses armes fatales
Des traits empoisonnés aux ondes infernales
Pour blesser notre honneur :

Qu'importe? aucun mortel ne fut invulnérable;
Mais il trouve un vengeur dans l'arrêt équitable
De la postérité.
Une âme magnanime, amante de la gloire,
Malgré ses envieux fait passer sa mémoire
A l'immortalité.

C'est ainsi que ma muse au pied d'un vieux trophée
A pu ressusciter de la lyre d'Orphée
Les magiques accords;
Que par des sons hardis ma trompette guerrière
Des Prussiens aux combats dont s'ouvre la barrière
Animait les transports.

Faite dans les camps auprès de la Saale, le 4 d'octobre 1757.

Federic.

<158>

I.(b) ODE A MON FRÈRE HENRI.158-a

Tel que d'un vol hardi s'élevant dans les nues,
Déployant dans les airs ses ailes étendues,
S'échappant à nos yeux,
L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense
Qui du monde au soleil occupe la distance,
Et perce jusqu'aux cieux;

Ou telle que l'on voit, dans l'ombre étincelante,
Dans son rapide cours la comète brillante
Éclairer l'horizon,
Éclipsant tous les feux de la céleste voûte,
Tracer au firmament, dans son oblique route,
Un lumineux rayon :

<159>Tel, subjugué du dieu dont le transport m'inspire,
Plein de l'enthousiasme et du fougueux délire
De ses accès divins,
Je m'élance soudain des fanges de la terre
Au palais dont les dieux font tomber le tonnerre
Sur les pâles humains.

Mes accents ne sont plus ceux d'un mortel profane,
C'est Apollon lui-même, animant mon organe,
Qui parle par ma voix;
Des destins éternels la volonté secrète
Se dévoile à mes yeux, je deviens l'interprète
De leurs augustes lois.

O Prussiens! c'est à vous que l'oracle s'adresse,
Vous, que l'acharnement d'un sort barbare oppresse
Sous cent calamités :
Sachez qu'aucun État dans sa gloire naissante
N'éprouva sans revers la course triomphante
De ses prospérités.

Rome parut souvent au bord du précipice,
Sans que pour son secours l'appui d'un dieu propice
Détournât son affront;
Les sénateurs en deuil pleuraient la république
Quand Annibal, vainqueur, de ses guerriers d'Afrique
Eut écrasé Varron.

Au sein de ses dangers s'accrut son espérance;
Elle maintint ses murs plutôt par sa constance
Que par ses légions.
<160>Prêt à récompenser ce sublime courage,
Mars nomma pour vengeur d'un si cruel outrage
L'aîné des Scipions.

Du Tibre désolé le démon de la guerre
Porte, en passant les mers, sur la coupable terre
Le carnage et l'horreur;
Dans les champs africains l'ennemi prend la fuite,
Rome fut délivrée, et Carthage réduite
Sous son nouveau vainqueur.

Dans nos jours criminels, la guerre qui vous mine,
Prussiens, semble annoncer la prochaine ruine
De vos vastes États;
L'Europe frénétique, et l'œil brûlant de rage,
Porte dans votre cœur la flamme, le carnage,
L'horreur et le trépas.

Cette hydre, en redressant ses têtes enflammées,
Vomissant des soldats, enfantant des armées,
Sur nous fond en courroux;
Le monstre vainement de vos mains triomphantes
Sentit l'effort puissant; ses têtes renaissantes
Bravent encor vos coups.

Si la Haine et l'Envie, avides de leur proie,
Pensent traiter Berlin comme Agamemnon Troie
Après la mort d'Hector,
O peuple généreux! abattez leurs trophées;
Leurs couleuvres bientôt sous vos pieds étouffées
Feront changer le sort.

<161>C'est dans les grands dangers qu'une âme magnanime
Peut déployer la force et le pouvoir sublime
Du courage d'esprit.
Qu'importe la tempête et Jupiter qui tonne?
L'homme qui, plein d'effroi, lui-même s'abandonne
Est le seul qui périt.

Le souverain des dieux, de ses mains libérales,
Répand sur les humains, de deux urnes égales,
Et les biens et les maux;
Tandis que la nature attentive, assidue,
Fait naître en même temps la casse et la ciguë,
Le cèdre et les roseaux.

Ce mélange fâcheux de souffrance et de gloire
De l'archive des temps remplit la longue histoire
De désastres cruels.
Un bonheur toujours pur, dont l'éclat se conserve,
Se refuse à nos vœux; le destin le réserve
Pour les dieux immortels.

Au courage obstiné la résistance cède,
Un noble désespoir est l'unique remède
Aux maux désespérés;
Le temps met fin à tout, rien n'est longtemps extrême,
Et souvent le malheur devient la source même
Des bonheurs désirés.

Les aquilons mutins d'un ormeau qu'on néglige
Par leurs fougueux assauts font incliner la tige,
Qui cède pour un temps;
<162>Mais de la molle arène et du niveau de l'herbe
Il se lève, et dans peu de sa tête superbe
Il ombrage les champs.

Dans les bras d'Amphitrite, où son éclat expire,
Le soleil de la terre abandonne l'empire
Aux ombres de la nuit;
Mais ses rayons vainqueurs au point du jour éclipsent
Ces flambeaux lumineux, ces astres qui pâlissent,
Et l'obscurité fuit.

Telle m'apparaissant couverte de ténèbres,
Ma patrie éplorée, à ses voiles funèbres
Attachant ses regards,
De nos calamités l'âme encore effrayée,
Sur nos lauriers flétris tristement appuyée,
Maudissant les hasards;

Malgré tant de périls, de revers mémorables,
Recourbé sous le poids des destins implacables
Contre elle déchaînés,
J'entrevois, à travers cette ombre que j'abhorre,
Les prémices charmants et la naissante aurore
De ces jours fortunés.

Les dieux pour les mortels ne font plus de miracles;
Entourés de dangers, de gouffres et d'obstacles
Qui bordent leur chemin,
Ils leur ont départi l'audace et le courage,
Utiles instruments dont le pénible ouvrage
Asservit le destin.

<163>Le tribut de la mort se doit à la nature,
C'est lui rendre son bien, dont on tire l'usure
Pendant qu'on en jouit;
Mévius le lui paya de même que Virgile,
Thersite comme un lâche, en vrai héros Achille,
Et tout s'évanouit.

Cette mort, dont on craint la redoutable image,
Peut vous rendre immortels, si vous vengez l'outrage
De vos lares, Prussiens.
L'amour de la patrie, à Rome secourable,
Changeait en demi-dieux de ce peuple adorable
Les moindres citoyens.

Eh quoi! notre siècle est-il donc sans mérite?
Du monde vieillissant la masse décrépite
Est-elle sans vertus?
Par ses productions la nature épuisée
Laisse-t-elle en nos temps la terre sans rosée,
L'Océan sans reflux?

Non, non, de ces erreurs écartons les chimères.
Rome, de tes guerriers les vertus étrangères
Ont illustré nos camps;
Nos triomphes, témoins de cent faits héroïques,
Transmettent de nos chefs aux fastes historiques
La gloire et les talents.

Vous, que notre jeunesse avec plaisir contemple,
De leurs futurs exploits le modèle et l'exemple,
L'ornement et l'appui,
<164>Soutenez cet État, dont la gloire passée,
Mon frère, sur le point de se voir éclipsée,
Chancelle aujourd'hui.

Ainsi les temps féconds qui jamais ne s'épuisent
Fourniront des appuis, tant que les astres luisent,
O Prusse! à ta grandeur;
Ainsi ma muse annonce en ses heureux présages
Du bonheur de l'État jusqu'à la fin des âges
La durable splendeur.

Que le sein déchiré des serpents de l'envie,
Arrachant nos lauriers, l'affreuse Calomnie
Frémisse de fureur;
Qu'elle lance sur nous de ses armes fatales
Des traits empoisonnés aux ondes infernales
Pour blesser notre honneur :

Qu'importe? aucun mortel ne fut invulnérable;
Mais il trouve un vengeur dans l'arrêt équitable
De la postérité.
Une âme magnanime, amante de la gloire,
Malgré ses envieux fait passer sa mémoire
A l'immortalité.

C'est ainsi que ma muse au pied d'un vieux trophée
A pu ressusciter de la lyre d'Orphée
Les magiques accords;
Que par des sons hardis ma trompette guerrière
Des Prussiens aux combats d'une illustre carrière
Secondait les transports.

<165>Et dans l'horreur des camps, aux rives de la Saale,
Tandis qu'à ses fureurs la Discorde infernale
Livrait tout l'univers,
Que des antres du Nord les neiges pacifiques
S'apprêtaient à voiler tant d'images tragiques,
Phébus dicta ces vers.

Ce 6 d'octobre 1757.

Federic

<166>

II. ODE AU PRINCE FERDINAND DE BRUNSWIC SUR LA RETRAITE DES FRANÇAIS EN 1758. STROPHES XIVe ET XVIe.166-a

O nation folle et vaine!
Quoi! sont-ce là ces guerriers,
Sous Luxembourg, sous Turenne,
Couverts d'immortels lauriers,
Qui, vrais amants de la gloire,
Affrontaient pour la victoire
Les dangers et le trépas?
Je vois leur vil assemblage
Aussi vaillant au pillage
Que lâche dans les combats.

Quoi! votre faible monarque,
Jouet de la Pompadour,
<167>Flétri par plus d'une marque
Des opprobres de l'amour,
Lui qui, détestant les peines,
Au hasard remet les rênes
De son empire aux abois,
Cet esclave parle en maître,
Ce Céladon sous un hêtre
Croit dicter le sort des rois!

<168>

III. ODE A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC SUR LA MORT DE SON FILS LE PRINCE HENRI, TUÉ PRÈS DE HAMM DANS LA CAMPAGNE DE 1761.168-a

O jour de sang, de deuil, de regrets et de larmes!
Les crimes insolents, échappés des enfers,
Amènent les moments de terreurs et d'alarmes;
Que de fléaux unis désolent l'univers!
L'aurore et le couchant, l'Océan et la terre
Aux funestes lueurs des flambeaux de la guerre
Contemplent leurs malheurs.
Un cruel brigandage,
La fureur du carnage,
Ont étouffé les mœurs.

<169>L'ardeur de dominer, la soif de la vengeance,
Remplissent l'univers de leurs poisons mortels;
La loi, c'est le pouvoir; le droit, la violence;
Il n'est rien de sacré pour des cœurs criminels.
Les yeux étincelants de rage et de furie,
Les chefs, de leurs guerriers lâchant la barbarie,
Dévastent les États.
Rois, quand je vous contemple,
Je vois que votre exemple
Produit ces attentats

Oppresseurs des humains, sanguinaires monarques,
D'esclaves prosternés souverains odieux,
Vous, dont l'orgueil séduit, malgré tant d'Aristarques,
Déguisant vos forfaits, vous travestit en dieux,
Jusqu'à quand verrons-nous vos discordes fatales,
Vos désirs effrénés, vos haines infernales
Continuer leur cours,
Nourrir nos incendies,
Tramer des perfidies
Qui dégradent nos jours?

Est-ce pour vos fureurs qu'un flatteur vous compare,
Dans sa fausse éloquence, aux êtres immortels,
Vous, qu'on dirait vomis des gouffres du Ténare,
Nés d'esprits malfaisants, inhumains et cruels?
Éblouis de l'éclat de votre rang suprême,
Et trop préoccupés de l'amour de vous-même,
Vous vous idolâtrez;
En vain ils vous abusent,
Vos crimes vous accusent,
Et vous font abhorrer.

<170>De ces dieux irrités que vous couvrez d'outrage
Les traits sont effacés de vos cœurs malfaisants;
Leur courroux n'a jamais attiré notre hommage,
Mais leur seule bonté mérita notre encens.
Désoler les cités et les réduire en poudre,
C'est dérober aux dieux le redoutable foudre
Dont ils arment leurs bras.
Ah! consolez la terre,
Et bannissez la guerre
De ces tristes climats.

Où tendent ces complots que des ressorts iniques
Font mouvoir à l'envi de vos conseils hautains?
Téméraires mortels, aveugles politiques,
Vous croirez-vous toujours arbitres des destins?
N'apprendrez-vous jamais par tant d'expérience
Combien tous les desseins d'une vaine prudence
Aux revers sont sujets,
Et que de la fortune
L'inconstance commune
Renverse vos projets?

Quels siècles ont produit des mœurs plus détestables
Que cet âge fécond en crimes, en forfaits?
Des pays saccagés, des rois impitoyables,
Oppressant l'univers foudroyé par leurs traits?
L'intérêt et l'orgueil sont leurs dieux en ce monde;
Que du sang des humains le torrent nous inonde,
Leurs jours sont trop payés
Des tyrans qui gouvernent,
Si leurs regards discernent
Les morts sous leurs lauriers.

<171>Parcourez ces recueils d'exploits et de batailles;
Ces monuments d'audace et d'intrépidité
Ne vous fourniront point autant de funérailles
Que ce lustre écoulé ne nous en a coûté.
Cette terre, de sang, de carnage abreuvée,
Cette foule de morts à nos yeux enlevée,
Atteste nos regrets,
Et des pompes funèbres
Couvrent nos faits célèbres
De lugubres cyprès.

Vous cimentez d'un sang à vos regards servile
Votre gloire abhorrée, atroces conquérants.
Les humains sont-ils donc d'une espèce assez vile
Pour servir de jouets aux fureurs des tyrans?
Cruels ambitieux, vos cœurs nés pour les crimes,
Offrant à la fortune un nombre de victimes,
Méprisent ces soldats
Qui, semblables aux marques,
Ne servent aux monarques
Qu'à gagner des États.

Ces peuples éplorés, ces femmes désolées
Par des sanglots amers réclament leurs enfants;
D'aussi vives douleurs sont-elles consolées
En recueillant des morts les tristes ossements?
Rois, entendez leurs cris, que vos cœurs en gémissent :
Ces imprécations dont elles vous maudissent
Sont le prix réservé
Au cœur dur et farouche
Qu'aucun malheur ne touche
Qu'il n'a point éprouvé.

<172>Je te perds donc aussi, doux espoir de ma vie,
Prince aimable, que Mars aurait dû préserver
Des flèches du trépas que lançait en furie
Ce parricide bras que ton cœur sut braver!
Sur la fin de mes jours, ma vieillesse pesante,
Hélas! n'a pu ravir à la mort dévorante
Que tes membres sanglants.
Quoi! je vois la lumière
Pour fermer la paupière
A mes plus chers parents!

Il n'est point de mortels dont l'âme courageuse
Résiste sans frémir à ces coups d'Atropos.
O vous, ma tendre sœur, mère trop malheureuse!
Vous perdez votre fils, vous perdez un héros.
Comme un rapide éclair, rayonnant de lumière,
Au premier pas qu'il fait, entrant dans la carrière,
Il disparaît soudain;
Telle au printemps la rose
Demeure à peine éclose
L'espace d'un matin.

La fureur insensée où s'emporte l'Europe
Répand le sang abject et le sang précieux;
Le fer frappe à la fois et le cèdre et l'hysope,
Et le soldat obscur et le chef généreux.
L'âge du vieux Nestor, la jeunesse d'Achille,
Trop faibles protecteurs, ne servent point d'asile
Contre l'arrêt du sort;
Cette race proscrite
Pousse et se précipite
Dans les bras de la mort.

<173>Ah! pourquoi n'ai-je point la voix douce et sublime
Du chantre si fameux par les murs d'Amphion?
J'irais, j'irais pour vous, ô prince magnanime!
Fléchir dans les enfers Rhadamanthe et Pluton;
Mes accords toucheraient la Parque inexorable,
Mes chants feraient tomber de sa main redoutable
Les rigoureux ciseaux;
Plus heureux que Thésée,173-5
J'irais de l'Élysée
Ramener mon héros.

Malheureux! où m'égare un fortuné délire?
Quel mortel peut passer l'Achéron par deux fois?
Tout espoir est perdu. Muse, brisons ma lyre,
Terminons les accents de ma tremblante voix;
Ces chants que m'inspira ma plainte douloureuse,
Trop faibles pour percer la voûte ténébreuse
De leurs tristes clameurs,
Rappellent des peintures
Qui rouvrent nos blessures,
Et redoublent nos pleurs.

<174>

IV. (a) ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS,174-a APOLOGIE DU SUICIDE.

Ami, le sort en est jeté;
Las du destin qui m'importune,
Las de plier dans l'infortune
Sous le joug de l'adversité,
J'accourcis le temps arrêté
Que la nature notre mère
A mes jours remplis de misère
A daigné départir parprodigalité.
D'un cœur assuré, d'un œil ferme,
Je m'approche de l'heureux terme
Qui va me garantir contre les coups du sort.
Sans timidité, sans effort,
J'entreprends de couper dans les mains de la Parque
Le fil trop allongé de ses tardifs fuseaux;
<175>Et sûr de l'appui d'Atropos,
Je vais m'élancer dans la barque
Où, sans distinction, le berger, le monarque,
Passent dans le séjour de l'éternel repos.
Adieu, lauriers trompeurs, couronnes des héros,
Il n'en coûte que trop pour vivre dans l'histoire;
Trop souvent vingt ans de travaux
Ne valent qu'un instant de gloire
Et la haine de cent rivaux.
Adieu, grandeurs, vaines chimères,
De vos bluettes passagères
Mes yeux ne sont plus éblouis.
Si votre faux éclat dans ma naissante aurore
Fit trop imprudemment éclore
Des désirs indiscrets, longtemps évanouis,
Au sein de la philosophie,
École de la vérité,
Zénon me détrompa de la frivolité
Qui fait l'illusion du songe de la vie,
Et je sus avec modestie
Repousser le poison qu'offre la vanité.
Adieu, divine volupté,
Adieu, plaisirs charmants qui flattez la mollesse,
Et dont la troupe enchanteresse,
Par des liens de fleurs enchaînant la gaîté,
Compagne dans notre jeunesse
De la brillante puberté,
Fuit de l'insipide vieillesse
Les arides glaçons et la rigidité.
Ah! que l'Amour me le pardonne,
Plaisirs, si je vous abandonne;
<176>176-+Mon pinceau ne sait point flatter.
Quand neuf lustres complets m'annoncent mon automne,
Plaisirs, je vous voyais tous prêts à me quitter.
Mais que fais-je, grand Dieu! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l'allégresse?
Et sous la griffe du vautour,
Voit-on la tendre Philomèle
Ou la plaintive tourterelle
Chanter et soupirer d'amour?
Depuis longtemps pour moi l'astre de la lumière
N'éclaira que des jours signalés par nos maux;
Depuis longtemps Morphée, avare de pavots,
N'en daigna plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais au matin, les yeux chargés de pleurs :
Le jour qui dans peu va renaître
M'annonce de nouveaux malheurs;
Je disais à la nuit : Ton ombre va paraître
Pour éterniser mes douleurs.
Lassé de voir toujours la scène injurieuse
D'un concours de calamités,
Des coupables humains la rage audacieuse
Décharger contre moi leur haine furieuse
Et les perfides traits de leurs iniquités,
J'espérais que du temps le tardif bénéfice
Ferait renaître enfin un destin plus propice;
Que les cieux longtemps obscurcis,
Livrés aux ténébreux ravages
Des aquilons et des orages,
Seraient à la fin éclaircis
Par l'astre lumineux qui, perçant les nuages,
<177>De ses rayons brillants dorant les paysages,
Ramènerait des jours par ses feux radoucis.
Je me trompais, hélas! tout accroît mes soucis :
177-+Je vois briller l'éclair au sein de la tempête,
Le tonnerre en éclats va fondre sur ma tête;
Environné d'écueils, couvert de mes débris,
A l'aspect des dangers qui partout me menacent,
Les cœurs des pilotes se glacent,
Ils cherchent, mais en vain, un port et des abris.
Du bonheur de l'État la source s'est tarie,
Ses palmes sont flétries, ses lauriers sont fanés;
Mon âme, de soupirs et de larmes nourrie,
177-star2De ses douleurs trop attendrie,
Pourra-t-elle survivre aux jours infortunés
Qui sont près d'éclairer la fin de ma patrie?
Devoirs jadis sacrés, désormais superflus!
Défenseur de l'État, mon bras ne peut donc plus
Venger son nom, venger sa gloire,
En perpétuant la mémoire
De nos ennemis confondus!
Nos héros sont détruits, nos triomphes perdus;
Par le nombre, par la puissance
Accablés, à demi vaincus,
Nous perdons jusqu'à l'espérance
De relever jamais nos temples abattus.
<178>Vous, de la liberté héros que je révère,
O mânes de Caton! ô mânes de Brutus!
Votre illustre exemple m'éclaire
Parmi l'erreur et les abus;
C'est votre flambeau funéraire
Qui m'instruit du chemin, peu connu du vulgaire,
Que nous avaient tracé vos antiques vertus.
178-+Tes simples citoyens, Rome, en tes temps sublimes,
Étaient-ils donc plus magnanimes
Que, ce siècle, les plus grands rois?
Non, il s'en trouve encor qui, jaloux de ses droits,
Fermement résolu de vivre et mourir libre.
De lâches préjugés osant braver les lois,
Imite les vertus du Tibre.
Ah! pour qui doit ramper, abattu sans espoir,
Sous le despotique pouvoir
De triumvirs ingrats, de monstres politiques.
Vivre devient un crime, et mourir un devoir.178-a
Le trépas, croyez-moi, n'a rien d'épouvantable;
Ce n'est point ce squelette au regard effroyable,
Ce spectre redouté des timides humains;
C'est un asile favorable,
Qui d'un naufrage inévitable
Sauva les plus grands des Romains.
J'écarte les romans et les pompeux fantômes
<179>Qu'engendra de ses flancs la superstition,
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m'adresse point à la religion.
J'apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, croît avec les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, il baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous effacer du nombre des vivants.
Je vois, quand l'âme est éclipsée,
Qu'il n'est plus hors des sens mémoire ni pensée,
Et que l'instant qui suit la mort
Se trouve en un parfait rapport
Avec le temps dont l'existence
A précédé notre naissance;
Et que, par un ancien accord,
Tout homme est obligé de rendre
Au sein divers des éléments
Ces principes moteurs, ces immortels agents
Que d'eux la nature sut prendre
Pour former la texture et l'accord de nos sens.
Tout disparaît enfin de ce songe bizarre;
Mégère, Tisiphone et le sombre Tartare,
La vérité détruit ces fantômes savants;
Lieux que la vengeance prépare,
<180>Vous êtes vides d'habitants.
Ainsi donc, cher ami, d'avance je m'attends
Que ton esprit un peu profane
Ne prendra pas le ton des mystiques pédants
Dont la rigidité condamne
Les sentiments hardis, des leurs trop différents.
Je ne m'étonne point, d'Argens,
Que ta sagesse aime la vie;
Enfant des arts et d'Uranie,
Bercé par la douceur des chants
Des Grâces et de Polymnie,
Sybaritain heureux, abreuvé d'ambroisie,
Tes destins sont égaux, tes désirs sont contents.
Ainsi, sans crainte et sans envie,
Sans chagrin, noirceur ni tourments,
Ta tranquille philosophie
Trouve dans ses amusements,
Avec ta moitié tant chérie,
Sur le trône des agréments,
Couvert des ailes du génie,
Le paradis des fainéants.180-+
Pour moi, que le torrent des grands événements
Entraîne en sa course orageuse,
Je suis l'impulsion fâcheuse
De ses rapides mouvements.
Vaincu, persécuté, fugitif dans le monde,
Trahi par des amis pervers,
<181>J'éprouve en ma douleur profonde
Plus de maux dans cet univers
Que, dans les fictions de la Fable féconde,
N'en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines,
Comme ces malheureux, au fond de leurs cachots,
Las d'un destin barbare, et trompant leurs bourreaux,
D'un noble effort brisent leurs chaînes,
Sans m'embarrasser des moyens,
Je romps les funestes liens
Dont la subtile et fine trame
A ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Adieu, d'Argens; dans ce tableau
De mon trépas tu vois la cause.
Au moins ne pense pas du néant du caveau
Que j'aspire à l'apothéose.
Tout ce que l'amitié en ces vers te propose,
C'est qu'autant qu'ici-bas le céleste flambeau
Éclairera tes jours tandis que je repose,
Que, lorsque le printemps paraissant de nouveau
De son sein abondant t'offre les fleurs écloses,
Chaque fois d'un bouquet de myrtes et de roses
Tu daignes parer mon tombeau.

<182>

IV.(b) ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS.182-a FRAGMENT.182-b

Ami, le sort en est jeté;
Las de plier dans l'infortune
Sous le joug de l'adversité,
J'accourcis le temps arrêté
Que la nature notre mère
A mes jours remplis de misère
A daigné prodiguer par libéralité.
D'un cœur assuré, d'un œil ferme,
Je m'approche de l'heureux terme
Qui va me garantir contre les coups du sort,
Sans timidité, sans effort .....
Adieu, grandeurs, adieu, chimères;
De vos bluettes passagères
Mes yeux ne sont plus éblouis.
<183>Si votre faux éclat de ma naissante aurore
Fit trop imprudemment éclore
Des désirs indiscrets, longtemps évanouis,
Au sein de la philosophie,
École de la vérité,
Zénon me détrompa de la frivolité
Qui produit les erreurs du songe de la vie .....
Adieu, divine volupté,
Adieu, plaisirs charmants qui flattez la mollesse,
Et dont la troupe enchanteresse
Par des liens de fleurs enchaîne la gaîté .....
Mais que fais-je, grand Dieu! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l'allégresse?
Et sous les griffes du vautour,
Voit-on la tendre tourterelle
Et la plaintive Philomèle
Chanter ou respirer l'amour?
Depuis longtemps pour moi l'astre de la lumière
N'éclaira que des jours signalés par mes maux;
Depuis longtemps Morphée, avare de pavots,
N'en daigne plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais ce matin, les yeux couverts de pleurs :
Le jour qui dans peu va renaître
M'annonce de nouveaux malheurs;
Je disais à la nuit : Tu vas bientôt paraître
Pour éterniser mes douleurs .....
Vous, de la liberté héros que je révère,
O mânes de Caton! ô mânes de Brutus!
Votre illustre exemple m'éclaire
Parmi l'erreur et les abus;
C'est votre flambeau funéraire
<184>Qui m'instruit du chemin, peu connu du vulgaire,
Que nous avaient tracé vos antiques vertus .....
J'écarte les romans et les pompeux fantômes
Qu'engendra de ses flancs la superstition,
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m'adresse point à la religion.
J'apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, s'accroît dans les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, et baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous arracher du nombre des vivants .....
Vaincu, persécuté, fugitif dans le monde,
Trahi par des amis pervers,
Je souffre en ma douleur profonde
Plus de maux dans cet univers
Que, dans la fiction de la Fable féconde,
N'en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines,
Comme ces malheureux, au fond de leurs cachots,
Las d'un destin cruel, et trompant leurs bourreaux,
D'un noble effort brisent leurs chaînes,
Sans m'embarrasser des moyens,
Je romps mes funestes liens,
Dont la subtile et fine trame
<185>A ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Tu vois dans ce cruel tableau
De mon trépas la juste cause.
Au moins ne pense pas du néant du caveau
Que j'aspire à l'apothéose .....
Mais lorsque le printemps paraissant de nouveau
De son sein abondant t'offre des fleurs écloses,
Chaque fois d'un bouquet de myrtes et de roses
Souviens-toi d'orner mon tombeau.

<186>

V. AU SIEUR GELLERT.186-a

Le ciel, en dispensant ses dons,
Ne les prodigue point d'une main libérale;
Il nous refuse plus que nous ne recevons.
Pour tout peuple à peu près sa faveur est égale,
Les Français sont légers, les Anglais sont profonds;
Et s'il dénie à l'un ce qu'il accorde à l'autre,
L'amour-propre, en changeant en roses ses chardons,
Au talent du voisin fait préférer le nôtre.
Sparte possédait la valeur,
Mars se plut d'y former de fameux capitaines;
Tandis que la molle douceur
Des arts et des talents respirait dans Athènes.
De Sparte nos vaillants Germains
Ont recueilli l'antique gloire :
Combien de grands exploits ont place en leur histoire!
Mais s'ils ont trouvé les chemins,
A travers les périls, au temple de Mémoire,
Les fleurs se fanent dans leurs mains,
Dont ils couronnent la Victoire.
<187>C'est à toi, le cygne saxon,
D'arracher ce talent à la nature avare,
D'adoucir par tes soins d'une langue barbare
La dure âpreté de ses sons.
Ajoute, par les chants que ta muse prépare,
Aux lauriers des vainqueurs, dont le Germain se pare,
Les plus beaux lauriers d'Apollon.

<188>

VI. ÉPITRE A MA SŒUR DE BAIREUTH.188-a

Chère sœur, de tout temps l'homme, peu raisonnable,
Languit stupidement sous le joug de ses sens;
Des foudres enflammés la crainte formidable
Lui fit sur des autels allumer son encens.
Tout objet merveilleux lui parut adorable,
Sa peur créa des dieux de tous les éléments;
On vit des bois exprès consacrés aux Furies,
Sous le nom d'Amphitrite on adora les mers,
L'éther devint Saturne, et tant d'idolâtries
Durent leur origine aux terreurs des enfers.
Ceux que l'ambition dévora de sa rage,
Que leur force excitait à dompter leurs égaux,
Brillants par leurs exploits, brillants par leur courage,
A des peuples grossiers parurent des héros.
<189>Dès lors l'apothéose eut des routes aisées,
Le ciel, tout étonné de ces cultes nouveaux,
Fut peuplé de mortels, de plantes, d'animaux;
Et si quelques vertus furent divinisées,
Les vices à leur tour trouvèrent des dévots.
Mais parmi tant de dieux que s'était forgés l'homme,
Auxquels la folle erreur avait sacrifié,
On ne trouve, à Memphis, dans Athènes, dans Rome,
Aucun culte à l'honneur du dieu de l'amitié,
Seul être, s'il en fut, qui méritât des temples;
Tant le peuple ignorant, facile à s'égarer,
Confond ce qu'il doit craindre ou qu'il doit adorer.
Mais l'univers alors manquait de grands exemples;
Le fidèle Euryale expirant pour Nisus,
Thésée aux bords du Styx suivant Pirithoüs,
Ces beaux noms, ces héros, leurs fastes respectables,
Ne subsistaient que dans les fables.
Pour donner du lustre aux vertus,
Il faut des faits plus véritables
Et des exemples plus connus.
Vous, ma divine sœur, que j'honore et révère,
Dont mon orgueil séduit se vante d'être frère,
Si Delphes, si Colchos, dans leurs temps fortunés,
Avaient trouvé chez eux une vertu si rare,
Les temples, les saints lieux, de festons couronnés,
Les peuples empressés, à vos pieds prosternés,
La génisse expirant sous un glaive barbare,
Vous eussent confirmé l'hommage des mortels;
Et bientôt leur reconnaissance,
Des dons de l'amitié connaissant l'excellence,
Vous aurait sous son nom dédié des autels.
<190>Qui sentit mieux que moi sa bénigne influence?
Dans mes jours fortunés ou dans ma décadence
Vous goûtiez mon bonheur, vous pleuriez mes revers.
Quoi! pourrais-je oublier cette amitié constante,
Sensible, secourable, et toujours agissante,
Qui me récompensait des maux que j'ai soufferts?
O vous, mon seul refuge! ô mon port, mon asile!
Votre voix étouffait ma douleur indocile,
Et, fort de vos vertus, je bravais l'univers.
A combien de dangers votre âme généreuse
S'exposa pour me secourir,
Moi, qui préférais de périr
A l'image trop douloureuse
Des maux que je craignais que vous pouviez souffrir!
Ah! fut-il jamais un modèle
D'une tendresse plus fidèle
Que celui que vous nous donnez?
Si la vertu rend immortelle,
Les autels vous sont destinés.
Qu'un cœur pétri de boue ou qu'une âme commune,
Sans sentiments et sans honneur,
Place le souverain bonheur
Dans ces frivoles biens, jouets de la fortune;
Qu'en lâche il se livre à l'erreur
De l'intérêt qui l'importune :
Mais qui possède votre cœur,
Espoir sur lequel je me fonde,
Le trouve au-dessus, tendre sœur,
De tous les trésors de ce monde.
Ah! si tous ces mortels d'un faux éclat surpris,
Qui par de vains désirs empoisonnent leur vie,
<191>D'un cœur fidèle et pur reconnaissaient le prix,
A mes tristes grandeurs ne portant plus d'envie,
Quittant tous leurs projets, ils ne seraient jaloux
Que du bonheur que j'ai d'être chéri de vous.
Mais quel trouble soudain me coupe la parole?
Tandis qu'une image frivole
Me rappelle mes jours sereins,
Quand, pour adoucir mes chagrins,
Votre souvenir me console,
Des cris lugubres et perçants
Me font frémir d'horreur et me glacent les sens.
Mes yeux se couvrent de ténèbres;
Les Grâces, les Vertus, sous des voiles funèbres,
Par leurs plaintifs gémissements,
Méprisant leurs attraits et négligeant leurs charmes,
M'annoncent, en fondant en larmes,
Et vos dangers, et mes tourments.
La mort, l'affreuse mort menace votre vie;
Les dieux, jaloux de leurs bienfaits,
A mon bonheur portent envie,
Et le trépas, d'un bras impie,
S'apprête à déchirer, ô comble de forfaits!
Les vertueux liens de deux amis parfaits.
Non, jamais la nature avare
N'avait de ses arides mains
Prodigué de présent plus parfait ni plus rare
Qu'elle le fit, ma sœur, vous donnant aux humains.
Peut-être ce séjour, où l'audace et le crime
Ne cessent de se déborder,
Est indigne de posséder
Un mérite aussi rare, une âme aussi sublime.
<192>Hélas! quand mon cœur révolté
Contre tant de méchanceté
Détestait les humains et leur scélératesse,
Alors, de vos vertus rappelant la splendeur,
Je pardonnais en leur faveur
A tous les vices de l'espèce.
O divine Amitié! dont l'aide et la douceur,
Secourable à mes maux, apaisa leur douleur,
Ne souffrez pas, mes dieux, qu'en vain je vous implore :
Arrachez au trépas une sœur que j'adore,
Agréez mon encens, mes larmes, mes soupirs.
Si votre culte fut l'objet de mes plaisirs,
Si jusqu'aux cieux ma voix de vous se fait entendre,
Exaucez les vœux d'un cœur tendre,
Et daignez accorder à mes ardents désirs
Le seul bien qu'à jamais de vous j'ose prétendre.
Conservez les précieux jours
De votre plus parfait ouvrage;
Qu'une santé brillante accompagne leur cours,
Et qu'un bonheur égal soit toujours leur partage.
Si l'inflexible sort qui nous donne la loi
Demande un sanglant sacrifice,
Mes dieux, implorez sa justice,
Que son choix rigoureux ne tombe que sur moi.
J'attends sans murmurer, victime obéissante,
Que l'inexorable trépas,
En consommant ses attentats,
Veuille émousser sur moi sa faux étincelante.
Mais si tant de faveurs que j'ose demander
Sur un faible mortel ne peuvent se répandre,
O mes dieux! daignez accorder
<193>Qu'on me voie et ma sœur un même jour descendre
Dans ces champs ombragés de myrte et de cyprès,
Séjour d'une éternelle paix,
Et qu'un même tombeau puisse enfermer ma cendre.

Cette Épître était accompagnée de la lettre suivante :



Ma très-chère sœur,

Daignez recevoir avec bonté les vers que je vous envoie; je suis si plein de vous, de vos dangers et de ma reconnaissance, qu'éveillé comme en rêve, qu'en prose comme en poésie, votre image règne également dans mon esprit, et fixe toutes mes pensées. Veuille le ciel exaucer les vœux que je lui adresse tous les jours pour votre convalescence. Cothenius193-a est en chemin; je le diviniserai, s'il sauve la personne du monde qui me tient le plus à cœur, que je respecte et vénère, et dont je suis jusqu'au moment que je rendrai mon corps aux éléments,193-b



Ma très-chère sœur,

le très-fidèle et dévoué frère et serviteur,
Federic.

(Rodewiz) le 12 octobre 1758.

<194>La margrave étant morte le 14 octobre, et n'ayant plus reçu les deux pièces précédentes, le Roi les adressa à son beau-frère, le margrave de Baireuth, avec la lettre suivante :



Mon cher margrave,

Je vous renvoie cette malheureuse lettre qui n'a point été rendue; vous y verrez ce que je pense. Après cette affreuse perte, la vie m'est plus odieuse que jamais, et il n'y aura pour moi de moment heureux que celui qui me rejoindra à celle qui ne voit plus la lumière. Je suis avec toute l'amitié possible,



Mon cher margrave,

votre fidèle frère,
Federic.

(Girlsdorf) le 4 novembre 1758.

<195>

VII. LETTRE A VOLTAIRE.195-a

Grand merci de la tragédie de Socrate; elle devrait confondre le fanatisme absurde, vice dominant à présent en France, qui, ne pouvant exercer sa fureur ambitieuse sur des objets de politique, s'acharne sur les livres et sur les apôtres du bon sens.

Les frocards, les mitres, les chapeaux d'écarlate
Lisent en frémissant le drame de Socrate;
L'atrabilaire amas de docteurs, de cagots,
De la raison humaine implacables bourreaux,
En pâlissant de rage, en bouffissant leur rate,
D'absurdes zélateurs vont soulever les flots.
Si des Athéniens vous empruntez les dos
Pour porter à ceux-ci quelque bon coup de patte,
Les contre-coups sont tous sentis par vos bigots.
Déjà leur cabale est accrue
Du concours imposant des Mélites nouveaux,
Pédantesques tyrans, la honte des barreaux.
On s'empresse, on opine, et la troupe incongrue,
En vous épargnant la ciguë,
Pour mieux honorer vos travaux,
<196>Élève des bûchers, entasse des fagots.
Le brasier étincelle, et déjà part la flamme
Qu'allume la main de l'infâme
Pour consumer ce bel esprit,
Ce brillant précepteur d'un peuple qu'il éclaire;
Mais au lieu de griller Voltaire,
Ils ne pourront rôtir que son malin écrit.

Je vous en fais mes condoléances. Cependant, tout pesé, tout bien examiné, il vaut mieux le livre que l'homme. Vous devez bien croire que je ne me joindrai pas à ces gens-là; et si vous vous plaignez que je vous mords, c'est à mon insu, ou du moins sans intention. Pensez, je vous prie, que je suis environné d'ennemis, pressé de toute part; l'on me pique, m'éclabousse; ici l'on m'insulte; enfin la patience succombe. L'instinct d'un sentiment trop vif l'emporte sur la voix de la raison, et la colère irritée s'enflamme. Je suis dans quelques moments

Comme un sanglier écumant
Qui résiste et qui se défend
Contre les durs assauts d'une meute aguerrie.
On le poursuit avec furie;
Il attaque, il blesse, il pourfend,
Et donne à propos de sa dent
Des coups à la race ennemie,
Qui le suit de loin en jappant.
Trop irrité dans sa colère,
Il brave le fer inhumain,
Et, brouillant les objets qu'il trouve en son chemin,
Un innocent agneau lui paraît un Cerbère.
L'homme, ainsi que cet animal,
S'il souffre, irrité par le mal,
Livre à l'instinct des sens sa faible intelligence.
<197>Sous le despotisme fatal
De la sanguinaire vengeance,
Souvent son aveugle fureur
Confond le crime et l'innocence.
Le sage, qui voit son erreur,
Le plaint, le déplore, et soupire;
Détournant ses pas sans rien dire,
Il fuit d'un malheureux l'esprit rempli d'aigreur.

Laissez-moi donc ronger mon frein tant que dure cette pénible campagne, et attendez qu'un ciel serein ait succédé à tant d'obscurs nuages. Votre imagination brillante me promène à Vienne; vous m'introduisez au conseil de chasteté; mais sachez que l'expérience m'apprend ce que c'est de se frotter à de méchantes femmes.

Hélas! pensez-vous qu'à mon âge,
Le corps en rut, l'esprit volage,
L'on cherche, d'amour agité,
De Vénus le doux badinage,
Les plaisirs et la volupté?
Ce temps heureux, c'est bien dommage,
Loin de moi s'est précipité,
Et les eaux du fleuve Léthé
En ont même effacé l'image.
La tendre fleur du pucelage,
Ni l'empire de la beauté,
Sur un vieillard courbé, voûté,
Ne gagnent qu'un faible avantage.
Le conseil de la chasteté
Devient par force mon partage;
Continence est nécessité;
A cinquante ans on est trop sage.
Cependant, pour vous révéler
<198>Des maux que je devrais celer,
Je souffre d'un cruel supplice :
Trois grands mois passés, j'eus l'honneur
De recevoir, pour mon malheur,
D'une certaine impératrice
Une brûlante chaude ...
Ces lauriers sont pour les amants
Dont la folle ardeur de leurs flammes
Mesure, par trop imprudents,
Leur peu de force avec les femmes.

Je n'ai point eu, cette campagne-ci, de vision béatifique dans le goût de celle de Moïse.198-a Les barbares Cosaques et Tartares, gens infâmes à considérer en tout sens, ont brûlé et ravagé des contrées, et commis des inhumanités atroces. Voilà tout ce que j'ai vu d'eux. Ces tristes spectacles ne mettent pas de bonne humeur.

La Fortune inconstante et fière
Ne traite pas ses courtisans
Toujours d'une égale manière.
Ces fous nommés héros, et qui courent les champs,
Couverts de sang et de poussière,
Voltaire, n'ont pas tous les ans
La faveur de voir le derrière
De leurs ennemis insolents.
Pour les humilier, la quinteuse déesse
Quelquefois les oblige eux-même à le montrer.
Oui, nous l'avons tourné dans un jour de détresse,
Les Russes ont pu s'y mirer;
Cette glace pour eux n'a point été traîtresse,
On les a vus, pleins d'allégresse,
<199>S'y pavaner et s'admirer;
Voilà le sort de ma vieillesse.
Cependant cet homme bénit
Par l'antechrist siégeant à Rome,
Ce Fabius, ce plaisant homme,
Qui sur sa tête réunit
De la vanité la plus folle
Le brillant et frêle symbole,
Commence à décamper de nuit.
Je n'ose dire qu'il s'enfuit,
Jusqu'ici la pudeur nous cache
Cette attitude qui le fâche;
Mais, comptez sur moi, nous verrons
Dans peu ses culs dodus et ronds,
Sans façon, sans tant de grimace,
Lorsque, plus pressés, ils courront
Sans honte nous montrer le revers de leur face.
Alors un certain duc, s'illustrant à jamais,
Sauvera l'empire français
Sans capitaines, sans finance,
Sans Amérique, sans prudence,
Jusqu'en ses fondements sapé par les Anglais;
Couvrant tous ces objets d'un voile de prudence,
Et lâchant quelques mots remplis de complaisance,
Au genre humain rendra la paix.
Et moi, quittant l'harnais, et le casque, et l'épée,
De trop de sang humain trempée.
Je partirai soudain d'ici;
J'irai, consolant ma vieillesse
Par l'étude de la sagesse,
M'ensevelir à Sans-Souci.

<200>Ce lieu me vaut les Délices.200-a Par illusion je croirai vivre hors le grand monde, et quelquefois j'y serai solitaire. Jouissez de votre ermitage. Ne troublez pas les cendres de ceux qui reposent au tombeau; que la mort au moins mette fin à vos injustes haines. Pensez que les rois, après s'être longtemps battus, font enfin la paix; ne pourrez-vous jamais la faire? Je crois que vous seriez capable, comme Orphée, de descendre aux enfers, non pas pour fléchir Pluton, non pas pour ramener la belle Emilie, mais pour poursuivre dans ce séjour de douleur un ennemi que votre rancune n'a que trop persécuté dans ce monde. Sacrifiez-moi votre vengeance, ou plutôt immolez-la à votre réputation. Que le plus grand génie de la France soit aussi l'homme le plus généreux de sa nation. La vertu, votre devoir, vous parlent par ma bouche; n'y soyez pas insensible, et faites une action digne des belles maximes que vous débitez avec tant d'élégance et de force dans vos ouvrages. Nous touchons à la fin de notre campagne; elle sera bonne, et je vous écrirai, dans une huitaine de jours, de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu'à présent. Adieu, négociez, travaillez, jouissez, écrivez en paix, et que le dieu des philosophes, en vous inspirant des sentiments plus doux, vous conserve comme le plus bel organe de la raison et de la vérité.

Federic.

<201>

VIII. ÉPITRE A D'ALEMBERT,201-a SUR CE QU'ON AVAIT DÉFENDU L'ENCYCLOPÉDIE ET BRÛLÉ SES OUVRAGES EN FRANCE.

Un sénat de Midas en étole, en soutane,
Du mensonge stupide organe,
A, nous dit-on, proscrit vos immortels écrits;
Son imbécillité condamne
Au feu messieurs les beaux esprits :
La superstition, l'erreur et l'ignorance
Sont-ils de la raison les juges à Paris?
Avec quelle fureur, avec quelle impudence
Ces prêtres de Baal, que l'enfer a vomis,
Étouffant le bon sens, poignardant la science,
Ont sur l'art de penser, à leur arrêt soumis,
Exercé les horreurs de la Saint-Barthélemy!
Barbares Visigoths, qu'osez-vous entreprendre?
Opprobre de nos jours, votre férocité
Vous empêche donc de comprendre
Que, malgré les complots de votre iniquité,
La raison et la vérité
<202>Sont comme le phénix, qui renaît de sa cendre!
Malgré tant de brouillards qu'exhalaient les erreurs
De vos conciles et synodes,
Galilée eut raison, et vos inquisiteurs
N'ont pu, joints à tous vos docteurs.
Anéantir les antipodes.
Mais qui vous rend persécuteurs?
Pourquoi votre rage insensée
Paraît-elle émue, offensée
De ce que de profonds auteurs,
Fidèles au bon sens, nous peignent leur pensée?
O comble de forfaits! ô siècle! ô temps! ô mœurs!
Je laisse en paix le tas de vos songes trompeurs,
Du faux merveilleux la tissure apocryphe;
Le crime vous décèle, indignes imposteurs :
Le vicaire du ciel, votre premier pontife,
Protége des conspirateurs,
Des prêtres furieux dont les complots perfides
Armaient contre leur roi des sujets parricides;
Le Portugal l'atteste, et l'Europe en frémit,
Le sage dans son cœur en silence en gémit,
Et Rome en ce siècle servile
Devient le repaire et l'asile
Du crime, qui s'y raffermit.
Un ordre qui d'Ignace a reçu sa doctrine,
Qui nourrit dans son sein le meurtre et la ruine,
Aux mœurs, aux lois, à rien astreint,
Que tout roi hait, déteste ou craint,
Qui porte en tous les lieux une guerre intestine,
En bravant le pouvoir, fièrement se soutient,
Quoiqu'il ait mérité cent fois qu'on l'extermine.
<203>Osez-vous, féroces chrétiens
Qui jusqu'au sanctuaire, au milieu de vos temples,
D'attentats aux humains fournîtes les exemples,
Calomnier encor les vertus des païens?
Si vous les accusez de crimes,
Furent-ils comme vous barbares et cruels?
Songez au nombre de victimes
Dont l'inquisition a rougi les autels
D'un Dieu qui des âmes sublimes
Exigeait des vertus, non le sang des mortels.
On dirait, en voyant vos bûchers solennels,
Que vous osez offrir vos offrandes fatales
A des déités infernales.
Ah! jusqu'à quand les nations
Souffriront-elles ces scandales
Et l'abus des religions?
Voilà, voilà pourquoi ces monstres à tonsure,
Ces charlatans de l'imposture,
Ces indignes vengeurs des intérêts du ciel,
Pleins d'animosité, de fureur et d'envie,
Ont déclaré la guerre à la philosophie;
Voilà pourquoi ces flots d'amertume et de fiel
Sont répandus sur votre vie.
Le ciel sert de prétexte à leur méchanceté;
Ces fourbes, en tremblant dans leur obscurité,
Craignent que la raison, de sa vive lumière,
N'éclaire de trop près leur infâme carrière,
Et décèle la vérité.
Laissez ramper dans la poussière
Ces fléaux de l'humanité;
Qu'ils mêlent l'injure au bréviaire,
<204>Qu'ils confondent l'orgueil avec l'humilité;
De leur croassement la clameur passagère,
O sage d'Alembert! pour votre esprit austère
N'est qu'un son frivole, un vain bruit,
Qui se dissipe et qui s'enfuit.
Amant des vérités sublimes, éternelles,
Sans vous embarrasser de leurs lâches querelles,
Au haut du firmament à vos calculs soumis,
En méprisant vos ennemis,
Continuez en paix, loin des cris des rebelles,
Vos découvertes immortelles;
Tandis que leur audace excite les enfers,
Et qu'à son tribunal l'idiot vous assigne,
Par un sort plus noble et plus digne,
Vous éclairerez l'univers.

<205>

IX. ÉPITRE.205-a

Enfin, le triste hiver précipite ses pas,
Il luit, enveloppé de ses sombres frimas :
Le soleil reparaît au sommet des montagnes,
Ses rayons renaissants ont fondu les glaçons,
Les torrents argentins tombent dans les vallons,
Et coulent humecter les arides campagnes.
Dans les antres du Nord les fougueux aquilons,
Les autans et Borée ont cherché leur asile;
L'approche du printemps, le souffle des zéphyrs
Rend le sein de la terre abondant et fertile,
Et ramène aux mortels la saison des plaisirs;
Et la nature décrépite,
Que l'hiver a pendant cinq mois
Engourdi sous ses froides lois,
Du sommeil du tombeau triomphe et ressuscite,
Ainsi que le ver chrysalide
Ressort de son cocon plus brillant qu'autrefois.
La jeune, la charmante Flore,
<206>Dans ces jours doux, clairs et sereins,
Incessamment va faire éclore
Ses fleurs, l'ornement des jardins.
L'air rempli de parfums, la chaleur, tout conspire,
Pendant ces beaux jours revenus,
Pour étendre le doux empire
Que sur tout être qui respire
Exerce l'aimable Vénus.
Déjà son nouveau charme inspire
L'amour qu'en gazouillant expriment les oiseaux :
Elle échauffe l'instinct des habitants des eaux;
Par elle le berger pour sa Phyllis soupire.
Tandis qu'un même amour enflamme ses troupeaux;
Reine de la nature, elle amollit et touche
Le cœur sanguinaire et farouche
Des tigres, des lions, des cruels léopards :
Les accents de sa belle bouche
Désarmèrent jusqu'au dieu Mars.
Tandis que toute la nature
S'abandonne à l'instinct d'une volupté pure,
Quand les feux de l'amour viennent tout ranimer,
Quand l'air ne retentit que du tendre murmure
Des amants qui sous la verdure
Chantent le doux charme d'aimer,
Hélas! par une loi trop dure,
Un austère devoir nous force à nous exclure
Des plaisirs enchanteurs que je viens de nommer,
Et l'honneur et la gloire altière
Nous entraînent dans la carrière
Où l'implacable Mars au regard inhumain,
<207>Parmi des tourbillons de flamme et de poussière,
Fait dans des flots de sang rouler son char d'airain.
Là, sans cesse occupés par des exploits rapides,
Au lieu des tendres yeux de Glycère ou d'Iris,
Nous verrons ceux des Euménides;
Au lieu de doux concerts nous entendrons leurs cris.
Parmi le meurtre et les débris,
Encourager aux parricides
Ces guerriers de la gloire épris,
Et nos défenseurs intrépides.
Lorsque tout l'univers ne paraît aspirer
Qu'au noble emploi de réparer
L'affreux dépeuplement, la mémorable perte
Que l'espèce humaine a soufferte,
Que la nature enfin ne paraît s'occuper
Que du plaisir de reproduire,
Notre sort ennemi nous condamne à détruire
Ces restes de guerriers qui purent échapper
A la faux du trépas, toujours prête à frapper.
Fatal aveuglement, malheureuse folie,
Qu'à l'héroïsme l'homme allie,
Et qui semble le pervertir!
Dans sa profusion, la nature féconde
Aux mortels n'a pu départir
Qu'un moyen pour entrer au monde;
Il en est cent pour en sortir.
Loin de diminuer le nombre
De ces chemins semés de douleurs et de maux
Qui mènent à l'empire sombre,
Nous en inventons de nouveaux.
<208>Ah! quelle fureur nous enivre,
Pour immoler à Mars nos plus tendres désirs!
Qu'il en coûte, ô gloire, à te suivre!
Nous avons deux moments à vivre,
Qu'il en soit un pour les plaisirs.

<209>

X. ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS,209-a COMME LES RUSSES ET AUTRICHIENS BLOQUAIENT LE CAMP DU ROI.

Au camp de Bunzelwitz.209-b

Du philosophe des marquis,
Du Provençal le plus fidèle,
I ne m'est, d'un grand mois, transcrit
Billet, écriture ou nouvelle.
Ce n'est plus lui que je querelle,
Mais ce vil amas de brigands,
De barbares qui tous les ans
Viennent, au milieu de l'automne,
Des riches faveurs de Pomone
Dépouiller nos fertiles champs.
Ainsi qu'un ténébreux nuage
Qui renferme en ses flancs affreux
Les éclairs, la grêle et l'orage,
<210>Devancé du bruyant ravage
Des aquilons impétueux,
Cet infâme essaim de barbares,
De nos troupeaux, de nos trésors
Pillards et ravisseurs avares,
Ont inondé ces tristes bords,
Précédés par les nombreux corps
Des Cosaques et des Tartares;
L'horreur des dévastations,
Le désespoir et la ruine,
Les misères et la famine
Accompagnent leurs bataillons.
Bientôt leur vaste multitude,
Jointe au corps du brutal Loudon,
Nous entoure avec promptitude,
Et nous enferme d'un cordon.
Ce Buturlin, ce sacrilége,
Environné d'Autrichiens,
Dit : « Allons donc, que l'on assiége
Ces redoutables Prussiens;
Ils sont tombés dans notre piége;
Vive l'esprit des Russiens! »
Mais le dieu de l'intelligence,
Qui n'entre point dans les conseils
Des Midas et de leurs pareils,
Leur envoie dans son absence
La Folie avec ses grelots,
Digne d'endoctriner des sots.
Chez nous, l'active vigilance,
L'honneur et la persévérance,
Tous les matins, au trait vermeil
<211>Que dardait la naissante Aurore,
De nos yeux tout prêts à se clore
Chassait les pavots du sommeil;
Et Mars, qui, selon sa coutume,
Se rit d'un catarrhe ou d'un rhume
Gagné dans ses champs périlleux,
Au lieu de la douillette plume,
Nous fournit des lits plus pompeux
Que n'ont les courtisans oiseux
Qui, des voluptés de Versailles,
En étourdis, de nos batailles
Se font les juges sourcilleux.
Une colline en batterie,
Monument de notre industrie,
Fut le magnifique palais
Où des javelles que sans frais
Amassait une main guerrière,
Sans raffinement, sans apprêts,
Nous servaient de douce litière;
La terre portait notre faix,
Et des cieux l'immense carrière
A nos beaux lits formait le dais.
Là, quinze jours, et plus encore,
Nous vîmes la naissante Aurore,
A sa toilette le matin,
Se parer, d'un air enfantin,
Et de rubis, et d'émeraudes,
Scrupuleuse à suivre les modes
Dont Paris inonde Berlin;
Et tous les soirs, au crépuscule,
Tant que dura la canicule,
<212>On nous vit, sans nous relâcher,
Assister au petit coucher
De Phébus, qui près d'Amphitrite,
La nuit, va rendre sa visite.
Enfin, marquis, par le hasard,
Ou bien quel qu'en soit le principe,
Des barbares l'épais brouillard
En moins d'un clin d'œil se dissipe.
Où sont ces brigands qu'ont vomis
Les bords glacés du Tanaïs,
Les marais empestés du Phase,
Ou les cavernes du Caucase?
Je n'aperçois plus d'ennemis.
Les voyez-vous qui sans scrupule
S'en vont fuyant vers la Vistule,
Pour cacher la honte et l'affront
Dont on a fait rougir leur front?
Qu'ils retournent dans leur repaire,
Chez les farouches animaux,
Et qu'ils déchargent leur colère
Sur cette engeance sanguinaire
D'ours et de tigres, leurs égaux.
Pour Loudon, ce vaillant Achille,
Ce Loudon, auquel le concile
Et le pape auraient accordé
L'épée et la toque bénite
Dont on décora le mérite
De Daun, à présent brocardé,
Loudon et sa troupe dorée,
Et ses soldats et ses archers,
Se sont une belle soirée
<213>Blottis derrière des rochers
Où nous n'irons pas les chercher.
Tels sont les gestes véridiques
Et tous les exploits héroïques
Qu'ont vus les champs silésiens
Des Russes et des Prussiens.
Mais tandis que ma muse accorte
Très-succinctement vous rapporte
Les prouesses de nos soldats,
Subitement devant ma porte
Arrive, avec un grand fracas,
Cette bavarde à l'aile prompte
Qui toujours parle, et nous raconte
Ce qu'elle sait ou ne sait pas,
Et qui divulgue sur ses pas
La gloire tout comme la honte
Des belles et des potentats.
Cette rapide renommée,
Dont l'homme le plus éventé
Et le sage avec gravité
Convoitent si fort la fumée,
Nous apprend par des bruits confus
Que Daun et Broglie sont battus.
D'abord je me peins en idée,
Couvert de lauriers et de sang,
Haussé d'une demi-coudée,
Notre superbe Ferdinand;
Puis je me représente en Saxe
Monseigneur le prince Henri,
Qui se pavane sur son axe,
Appuyé sur son favori.
<214>C'est ainsi que le ciel se joue
De ce que l'homme croit prévoir;
Ce plan où se fondait l'espoir
De l'alliance, qui l'avoue,
Et que Loudon sans insister
Sur nous devait exécuter,
Ce plan dans un clin d'œil échoue.
Ceci rappelle à mes esprits
Le conte dont je fus nourri,
Dans ma jeunesse errante et vaine,
Du fameux mont de La Fontaine,
Qui, parmi le bruit et les cris,
Et du travail d'enfant en peine,
N'accoucha que d'une souris.

GAZETTE MILITAIRE.

Dans ce moment, de grand matin,
Nous apprenons par le Sarmate
Qu'un de nos braves, nommé Plate,
Vient, secondé par le destin,
De donner un bon coup de patte
Au Moscovite Buturlin,
Dont il a pris le magasin
Et deux mille ours à Kobylin.
Mais, ce qui passe la croyance,
Et fâche la russe Excellence,
Ce sont cinq mille chariots,
<215>Chacun traîné de deux chevaux,
Les fruits perdus de ses rapines;
Enfin, pour comble à tant de maux,
Sept obusiers ou coulevrines.
De plus encore, on nous apprend
Qu'une cité très-bien munie,
Capitale de Posnanie,
Par un bonheur tout aussi grand,
Signale le bras triomphant
Du vainqueur du peuple oursoman.
Neuf bataillons portent nos chaînes,
Et ce Buturlin, si rétif
A dévaster nos belles plaines,
Chez le Sarmate, en fugitif,
Se cache pour pleurer ses peines.
Ainsi, bonnes gens de Berlin,
Ne craignez plus pour cet automne
Les maux que vous ferait Bellone
Sous le masque de Buturlin.
On vient de vous tirer l'épine
Qui commençait à picoter,
Et, secourus de la famine,
Jusqu'aux ours, tout se peut dompter.
Ah! puissent-ils dans la mer Noire,
D'une pirouette ou d'un saut,
La tête en bas, le cul en haut,
S'abîmer, eux et leur mémoire!

<216>

XI. ÉPITRE SUR LA MÉCHANCETÉ DES HOMMES.216-a FRAGMENT.

Je pensais autrefois, encor jeune et novice,
Étranger dans le monde, étranger dans le vice,
Que l'homme est le meilleur de tous les animaux.
Il est bon, me disais-je, il a peu de défauts,
Il n'est point furieux, cruel, ingrat ou traître.
Je le prenais enfin pour ce qu'il devait être,
Et dans le fond du cœur j'étais bien convaincu
Qu'on rencontrait partout l'honneur et la vertu.
Cette charmante erreur, fille de l'ignorance,
Se dissipa trop tôt; dans peu, l'expérience,
Dans le tumulte affreux où je me vis jeté,
Fit briller à mes yeux la triste vérité.
Je cherchais des vertus, et je trouvais des crimes;
Que de tours odieux! que d'infâmes maximes!
Fripons, fourbes, trompeurs, fous, perfides, ingrats,
La foule d'envieux environna mes pas,
Et mon âme, confuse, interdite, éperdue,
<217>Croyait à peine encor tout ce qu'elle avait vu.
Je confessais enfin, frappé de tant de maux,
Que, malgré sa raison, de tous les animaux
L'homme est le plus cruel, le plus dur et féroce.
Non, l'animal n'a point ce caractère atroce,
Et, bien loin de porter un cœur dissimulé,
Son courroux, s'il s'ombrage, est bientôt exhalé;
Mais l'homme étant vengé conserve encor sa haine.
Qui dirait, en voyant cette espèce inhumaine,
Perverse et tant encline à la méchanceté,
Séduite par l'exemple et par l'impunité,
Qu'on y pût rencontrer de ces âmes divines
Qui sans doute du ciel tirent leurs origines,
Des cœurs tendres et doux, justes et bienfaisants,
Amis de l'innocence, ennemis des méchants?
Mais d'un présent si beau, si précieux, si rare,
La main de la nature en tout temps fut avare.
Les dieux auraient-ils donc fait d'une même main
Cet ange que j'honore et ce monstre inhumain?
Je m'arrête, interdit, au bord de cet abîme,
Où se perd en sondant l'esprit le plus sublime;
Il me suffit d'apprendre, hélas! en gémissant,
Combien le cœur humain est perfide et méchant.
Renversons ses autels, combattons l'amour-propre,
Voyons l'homme placé sur un plus grand théâtre :
C'est de là que des grands les folles passions
Éclatent en public aux yeux des nations.
Le bonheur qui jadis accompagna ma vie
Excita contre moi la fureur et l'envie
De rois ambitieux dont les sanglants complots
De l'Europe irritée ont soulevé les flots;
<218>Les désirs effrénés de leur fougueuse ivresse
Prétendent par la force opprimer la faiblesse,
Et dans l'ardente soif qu'ils ont de dominer,
Il n'est rien de sacré qu'ils n'osent profaner.
Dans ces jours de douleur, de désordre et de trouble,
De dangers renaissants que leur longueur redouble,
Le destin qui me guide a semé mes chemins
D'abîmes entr'ouverts sous mes pas incertains :
De cent peuples ligués l'effort me persécute,
Tout semble préparer leur triomphe et ma chute.
Ces implacables rois, aux forfaits endurcis,
De la nature en eux ont étouffé les cris;
Un lustre entier, témoin de leur féroce rage,
A vu renouveler leur crime et mon outrage,
Et, malgré leurs assauts, mon bras faible et tremblant
Soutenir sans secours ce trône chancelant,
En épuisant l'art même, afin de m'y défendre.
S'il y a de la grandeur à savoir en descendre,
Il y a de la bassesse à s'en laisser chasser.
Tandis que je me sens si vivement presser,
Le seul peuple en Europe auquel la foi nous lie,
Rempli de ses succès, nous plaint et nous oublie.
Ces nœuds sacrés, formés entre les nations,
De l'amitié des rois douces illusions,
Nés de la politique et de la conjoncture,
Sont chargés du limon de cette source impure.
L'intérêt à l'honneur ne peut s'associer;
Négliger un ami, c'est le sacrifier,
Car c'est dans le besoin qu'il faut de l'assistance.
Vous découvrez partout, dans ce temps de souffrance,
De ces amis de nom que la peur a glacés,
<219>Faibles consolateurs de nos malheurs passés,
Qui, d'avance élevant un pompeux cénotaphe,
L'érigent pour laisser au monde consterné
Un léger souvenir d'un peuple exterminé.
Nous n'en souffrons pas moins; pour guérir nos atteintes,
Il faut de vrais secours, non de vaines complaintes,
Une assistance mâle, un vigoureux soutien
Qui partage avec nous et le mal, et le bien.
Vous nommez-vous amis, vous que la crainte arrête,
Qui, tranquilles, du port contemplez la tempête,
Qui, sans tendre la main à ceux qui vont périr,
Par les flots courroucés les laissez engloutir?
A la compassion toujours inaccessibles,
Vous renfermez en vous des âmes insensibles.
Le nom de l'amitié, pour moi saint et sacré,
Ne doit point décorer qui l'a déshonoré;
Mais tous ces grands, nourris dans un pouvoir suprême,
Réservent leur amour et leurs soins pour eux-même;
Le ciel semble avoir fait à chaque souverain
Des entrailles de fer, avec un cœur d'airain.
Qu'ils apprennent au moins, ou qu'un d'entre eux m'explique
Quel principe inconnu règle leur politique,
Et comment de sang-froid ils ont pu regarder
Ce torrent orageux qui va tout inonder,
Dévaster les États, en effacer la trace,
Qui, même voisin d'eux, d'assez près les menace
D'un sort non moins funeste et plus injurieux.
Ce n'était pas ainsi que pensaient leurs aïeux,
Pourquoi, lorsque autrefois l'Autriche avec la France
Disputaient pour ravir une dépouille immense
Des champs ibériens avec des héritiers,
<220>A peine remplissaient les camps de leurs guerriers,
Que l'Europe agitée, émue à ces alarmes,
Par des efforts soudains parut d'abord en armes,
Mesura ses secours, et par un juste choix
Rétablit l'équilibre et protégea les rois.
Si de ses libertés elle prit la défense,
Si sa main put alors redresser la balance
Qu'un souverain puissant fait pencher à son gré,
Le mal ne parut pas autant désespéré
Que le danger présent dont l'aspect la menace.
Que de rois conjurés, que d'orgueil, que d'audace!
Ce fier quadromvirat, ardent à m'opprimer,
Que la haine fomente et semble envenimer,
Si je succombe un jour, prêt à tout entreprendre,
Sans rencontrer de rois qui puissent se défendre,
D'un fantôme de guerre arborant les apprêts,
Gouvernera l'Europe en dictant ses arrêts.
Voilà dans l'avenir ce que tout œil peut lire;
L'exemple du passé suffit pour nous instruire.
Peuples trop amoureux de votre oisiveté,
Abreuvés des poisons de la sécurité,
De votre inaction goûtez longtemps les charmes,
Laissez couler le sang et répandre des larmes
A ceux qui, succombant, ont au moins combattu;
Et puisque dans l'Europe il n'est plus de vertu,
Puisque dans mes revers en vain je vous implore,
Tournons donc nos regards vers les lieux d'où l'aurore,
Répandant, les matins, ses rayons bienfaisants,
Rend la force et la vie à tous les éléments.

<221>

XII. AU MARQUIS D'ARGENS221-a SUR SON JOUR DE NAISSANCE.

Dans ce grand jour est né le fameux Jean-Baptiste,
Non pas ce triste fou dont nous parle l'Hébreu,
Qu'à travers les déserts on suivait à la piste,
Mais le marquis d'Argens, cet esprit si fameux,
Qui ne baptise point au nom d'un triple Dieu :
A peine en croit-il un, qu'il sert en bon déiste.
Loin que dans les déserts ce sage se consume,
Ce philosophe gît dans un bon lit de plume;
Sa douce quiétude, évitant les travaux,
S'endort tranquillement dans les bras du repos.
Son front dans les combats s'était chargé du casque,
Il emprunta d'un juif et le style, et le masque,
Donnant à l'univers des chefs-d'œuvre nouveaux.
Puisse le ciel bénir ses paisibles pavots!
Sans qu'il mange jamais ni miel, ni sauterelles,
Puisse-t-il parvenir aux ans des Fontenelles!

Par son très-humble serviteur et poëte de sa cour,
Fr.

<222>

XIII. VARIANTES DE CINQ MORCEAUX DES POÉSIES POSTHUMES.

I. Variantes du manuscrit de l'Ode au prince Ferdinand sur la retraite des Français en 1758. (Tome XII, p. 9-16.)

Page 9, lignes 6, 7 et 8 :

Les plaines, de morts jonchées,
Couvrent les champs du vainqueur,
Et ce consulaire illustre, ...

Page 10, ligne 7 :

Tels ces brigands de la Seine ...

Page 10, ligne 12 :

Confiants sur leur grand nombre, ...

Page 10, lignes 11 et 12 du bas :

Autant que leur insolence
Ne trouva ...

<223>Page 10, ligne 3 du bas :

Convient seule à ces héros.

Page 12, ligne 2 du bas :

Si l'ennemi manque d'audace, ...

Page 13, ligne 13 :

Mais ils n'ont d'autre barrière ...

Page 13, ligne 13 du bas :

Le cours toujours triomphant, ...

Page 14, ligne 7 :

O nation folle et vaine! ...

Page 14, ligne 11 du bas :

Que lâche dans les combats.

II. Variantes puisées dans le manuscrit de la poésie intitulée Le Stoïcien. (Tome XII, p. 208-218.)

Page 208, ligne 2 :

De vous-même et des dieux ennemis implacables, ...

Page 209, lignes 9 et 10 :

Le vers Sacrifiez-lui .... précède le vers Elle doit ....

Page 210, lignes 6 et 7 :

Votre goût offensé hait l'absinthe amère;
N'en grondez pas, son suc n'en est point radouci.

<224>Page 210, ligne 12 :

Mais votre emportement est prêt à l'imiter.

Page 211, ligne 5 :

Et voir tout l'univers de tes hauts faits frappé, ...

Page 211, ligne 15 :

Lorsqu'un jour le trépas, en étendant ses ailes, ...

Page 212, ligne 2 :

Leur exemple suffit, leur sort doit nous instruire ...

Page 213, ligne 2 du bas :

Les grands et les États ont leur borne prescrite.

Page 214, lignes 2, 3 et 4;

J'ai vu George, et Auguste, et ce czar, prince atroce,
Cruel législateur d'un peuple encor féroce;
Tous formaient des projets vastes et superflus.

Page 214, ligne 13 du bas :

Les Persans et les Grecs, et Rome après Carthage. ...

Page 214, ligne 7 du bas :

Tremblants pour l'avenir et frémissant du mal, ...

Page 215, ligne 5 :

Respecte ni vertu, ni pouvoir, ni naissance, ...

Page 215, ligne 11 :

Si ce n'est pour braver notre infélicité?

Page 217, ligne 2 du bas :

N'attirons point sur nous les flèches du tonnerre.

<225>III. Variantes du manuscrit de l'Epître au comte Hoditz, sur Rosswalde. (Ci-dessus, p. 80-85.)

Page 81, ligne 2 du bas :

Tandis qu'en promenant on examine, on cause, ...

Page 82, ligne 7 :

Ces dieux, n'existant plus qu'au code poétique, ...

Page 83, ligne 1 du bas :

Et remplissent les cieux des feux qu'elles dispensent, ...

Page 84, ligne 14 du bas :

S'attendent au mouchoir; chacune a raison.

IV. Variantes du manuscrit de l'Épître au baron de Pöllnitz. (Ci-dessus, p. 126-129.)

Page 126, ligne 2 :

Au point d'entrer dans la fatale barque, ...

Page 126, ligne 14 :

Qu'il méprisa l'or et les vils métaux, ...

Page 128, ligne 4 du bas :

Des biens que vous a laissés la fortune.

<226>

V. Variantes du manuscrit de l'Épître à mademoiselle de Knesebeek. (Ci-dessus, p. 130-136.)

Page 130, dans le titre :

Sur le saut qu'elle a fait du carrosse ...

Page 130, ligne 2 du bas :

A bien chanter ces exploits étonnants.

Page 131, ligne 4 :

Et d'Apollon veuille empoigner la lyre.

Page 134, lignes 11 et 12 du bas :

Sa valeur a surmonté les dangers,
Sans emprunter des secours étrangers.

Page 135, ligne 12 :

Leur trompette en mes mains est un sifflet.

Page 136, ligne 1 :

Tant de mérite et plus qu'en a vanté ...


151-a Voyez t. XII, p. 1-8, et le fac-simile à la fin de ce volume.

155-+ Texte primitif :
     

De nos fameux revers l'âme mortifiée.

Vers amélioré, à la marge :
     

De nos calamités l'âme encore effrayée.

155-++ Texte primitif :
     

Subjugue le destin.

A la marge : « Asservit. »

158-a Voyez t. XII, p. 1-8.

166-a Yoyez t. XII, p. 14 et 15.

168-a Voyez t. XII, p. 33-39.

173-5 Thésée descendit aux enfers avec Pirithoüs, et ne put point l'en ramener.

174-a Voyez t. XII, p. 56-63. Voltaire, parlant à Frédéric de cette poésie dans une de ses lettres, la désigne par les mots Votre épître d'Erfurt; et dans les Œuvres complètes de Voltaire, édition de Kehl, t. LXV, p. 249, les éditeurs ont ajouté en note sous le texte de cette lettre : Le testament du Roi, avant la bataille de Rossbach.

176-+ Var. Ma muse ne sait point flatter.

177-+ Le vers
     

Je vois briller l'éclair au sein de la tempête

appartient au texte primitif. - Le Roi l'a corrigé à la marge, comme suit :
     

La mer mugit, l'éclair brille dans la tempête.

177-++ Le texte primitif porte :
     

De tant de malheurs attendrie,

et à la marge se trouve le vers amélioré :
     

De ses douleurs trop attendrie.

178-a Voyez t. XII, p. 245.

178-+ Var.
     

Rome, tes citoyens, en tes siècles sublimes.
Étaient-ils donc plus magnanimes
Qu'aujourd'hui les plus grands rois?
Non, il s'en trouve encor qui, jaloux de ses droits,
Qui, voulant vivre et mourir libre,
De lâches préjugés osant braver les lois,
Imite les vertus du Tibre.

180-+ Entre ce vers et le suivant il s'en trouve deux dans le manuscrit :
     

D'Argens, dans tes sages penchants
Mon amitié te justifie.

Mais ces deux vers sont entre parenthèses, et on lit à côté le mot « rayé, » de la main du Roi.

182-a Voyez t. XII, p. 56-63.

182-b Ce fragment est extrait de la Fie privée du roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même. A Amsterdam, chez les héritiers de M.-M. Rey, MDCCLXXXIV, in-12, p. 102-106.

186-a Le Roi veut dire Gottsched. Voyez t. XII, p. 93, et ci-dessus, l'Avertissement de l'Éditeur.

188-a Voyez t. XII, p. 101-107.

193-a Voyez ci-dessus, p. 34.

193-b Voyez l'Épître au maréchal Keith (t. X, p. 235), et le premier paragraphe du Testament (t. VI, p. 243), où Frédéric dit : « Je rends de bon gré mon corps aux éléments; » Voltaire dit de même, dans le second chapitre de son Micromégas, 1752 : « Quand il faut rendre son corps aux éléments, » etc.

195-a Voyez t. XII, p. 127-131.

198-a Exode 23, 20-33. Voyez t. XII, p. 129.

200-a Nom d'une terre que Voltaire possédait près du lac de Genève, et où il alla demeurer au mois de mars 1755.

201-a Voyez t. XII, p. 147-150.

205-a Voyez t. XII, p. 170-173.

209-a Voyez t. XII, p. 185-191.

209-b Voyez t. V, p. 139.

216-a Voyez t. XII, p. 198-207.

221-a Voyez ci-dessus, p. 47.