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I. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE COMTE ALGAROTTI. (OCTOBRE 1739 - 1er JUIN 1764.)[Titelblatt]

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1. AU COMTE ALGAROTTI.

Remusberg, 1er septembre3-a 1739.

Élève d'Horace et d'Euclide,
Citoyen aimable et charmant
Du pays du raisonnement,
Où règne l'arbitre du vide,
Les calculs et les arguments;
Naturalisé par Ovide
Dans l'empire des agréments,
Où la vivacité charmante,
L'imagination brillante,
Préfèrent à la vérité
La fiction et la gaîté;
Nouvel auteur de la lumière,
Phébus de ton pays natal,
C'est ta brillante carrière,
C'est ta science qui l'éclaire,
Qui déjà lui sert de fanal.
La souplesse de ton génie
Te fit naître pour les talents;
C'est Newton en philosophie,
Le Bernin pour les bâtiments,
Homère pour la poésie,
Homère, qui faisait des dieux
Comme les saints se font à Rome,
Où l'on place souvent un homme
Très-indignement dans les cieux.
<4>Oui, déjà Virgile et le Tasse,
Surpris de tes puissants progrès,
Poliment te cèdent la place
Qu'ils pensaient tenir pour jamais.

J'ai tout reçu, mon cher Algarotti, depuis la poésie divine du cygne de Padoue jusqu'aux ouvrages estimables du sublime Candide.4-a Heureux sont les hommes qui peuvent jouir de la compagnie des gens d'esprit! Plus heureux sont les princes qui peuvent les posséder! Un prince qui ne voudrait avoir que de semblables sujets serait réduit à n'avoir pas un empire fort peuplé; je préférerais cependant son indigence à la richesse des autres, et je me trouverais principalement agréablement flatté, si je pouvais compter que

Tu décoreras ces climats
De ta lyre et de ton compas.4-b
Plus que Maron, par ton génie,
Tu pourrais voir couler ta vie
Chez ceux qui marchent sur les pas Et d'Auguste, et de Mécénas.

Passez-moi cette comparaison, et souvenez-vous qu'il faut donner quelque chose à la tyrannie de la rime.

J'espère que ma première lettre vous sera parvenue. J'aurai bientôt achevé la Réfutation de Machiavel; je ne fais à présent que revoir l'ouvrage et corriger quelques négligences de style et quelques fautes contre la pureté de la langue qui peuvent m'être échappées dans le feu de la composition. Je vous adresserai l'ouvrage dès qu'il sera <5>achevé, pour vous prier d'avoir soin de l'impression; je fais ce que je puis pour l'en rendre digne.

Je n'oublierai jamais les huit jours que vous avez passés chez moi. Beaucoup d'étrangers vous ont suivi; mais aucun ne vous a valu, et aucun ne vous vaudra sitôt. Je ne quitterai pas sitôt encore ma retraite, où je vis dans le repos, et partagé entre l'étude et les beaux-arts. Je vous prie que rien n'efface de votre mémoire les citoyens de Remusberg; prenez-les d'ailleurs pour ce qu'il vous plaira, mais ne leur faites jamais injustice sur l'amitié et l'estime qu'ils ont pour vous. Je suis, mon cher Algarotti,

Votre très-fidèlement affectionné
Federic.

2. AU MÊME.

Remusberg, 29 octobre 1739.

Mon cher Algarotti, il n'y a rien de plus obligeant que l'exactitude avec laquelle vous vous acquittez des commissions que je vous ai données pour Pine.5-a Je ferai copier la Henriade, en attendant qu'il fasse ressouvenir les Anglais, par les estampes de leurs victoires navales, de leur gloire passée. Il est juste que l'ouvrage de notre Virgile moderne attende la fin de l'impression du Virgile des Romains, et l'équité veut que le cygne de Mantoue chante le premier; il perdrait trop, s'il suivait le cygne de Cirey. Dès que j'aurai reçu les premières feuilles de Virgile, je choisirai la grandeur du papier, et je ferai faire les dessins et les vignettes qui doivent embellir cet ouvrage.

<6>La marquise vient de m'envoyer une traduction italienne de la Henriade par un certain Cabiriano.6-a Elle paraît très-fidèle; ainsi ce poëme, excellent par lui-même, va bientôt passer en toutes les langues, et servir de modèle au poëme épique de toutes les nations. Il le mériterait assurément, car c'est le plus sage et le mieux construit que nous ayons. Je compte d'achever dans trois semaines mon Prince de Machiavel. Si vous vous trouvez encore vers ce temps à Londres, je vous prierai de prendre sur vous le soin de cette impression. J'ai fait ce que j'ai pu pour inspirer de l'horreur au genre humain pour la fausse sagesse de ce politique; j'ai mis au jour les contradictions grossières dans lesquelles il est avec lui-même, et j'ai tâché d'égayer la matière aux endroits que cela m'a paru convenable. On instruit toujours mal lorsqu'on ennuie, et le grand art est de ne point faire bâiller le lecteur. Il ne fallait pas la force d'Hercule pour dompter le monstre de Machiavel, ni l'éloquence de Bossuet pour prouver à des êtres pensants que l'ambition démesurée, la trahison, la perfidie et le meurtre étaient des vices contraires au bien des hommes, et que la véritable politique des rois et de tout honnête homme est d'être bon et juste. Si j'avais cru que ce dessein surpassât mes forces, je ne l'aurais point entrepris.

Je n'aurais point d'un vain honneur
Cherché le frivole avantage,
Car je mesure à ma vigueur
Tous mes efforts et mon courage.
Le Turc, dit-on, en son sérail
A cent beautés pour son usage;
Mais chaque jour un pucelage
Mérite un vigoureux travail.
Qu'il fasse donc, s'il veut, sa ronde,
Qu'Atlas lui seul porte le monde,
<7>Qu'Hercule dompte des géants,
Que les dieux vainquent les Titans,
Une moins illustre victoire,
Honorant assez mes talents,
Suffira toujours à ma gloire.

Je suis ravi de ce que vous conservez encore le souvenir d'un endroit où l'on éternise votre mémoire. Vous êtes immortel chez nous, et le nom d'Algarotti périra aussi peu à Remusberg que celui du dieu Terme chez les Romains. Vos collections de jardinage, mon cher Algarotti, me seront d'autant plus agréables, qu'elles me procureront de vos nouvelles. Je regarde les hommes d'esprit comme des séraphins en comparaison du troupeau vil et méprisable des humains qui ne pensent pas. J'aime à entretenir correspondance avec ces intelligences supérieures, avec ces êtres qui seraient tout à fait spirituels, s'ils n'avaient pas des corps; ce sont l'élite de l'humanité. Je vous prie de faire mes amitiés à mylord Baltimore, dont j'estime véritablement le caractère et la façon de penser; j'espère qu'il aura reçu à présent mon Épître sur la liberté de penser des Anglais. Souvenez-vous toujours des amis que vous vous êtes faits ici en vous montrant simplement, et jugez de ce que ce serait, si nous avions le plaisir de vous posséder toujours.

Je suis avec une véritable estime, mon cher Algarotti,

Votre très-affectionné
Federic.

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3. AU MÊME.

Berlin, 4 décembre 1739.

Mon cher Algarotti, vous devez avoir reçu à présent ma réponse aux beaux vers que vous m'avez envoyés, dont l'esprit sert comme de véhicule à la louange. J'espère de pouvoir bientôt vous envoyer mon Antimachiavel. J'y travaille beaucoup; mais, comme je destine cet ouvrage pour le public, je voudrais bien qu'il fût poli et limé de manière que les dents de la critique n'y trouvassent que peu ou point à mordre. C'est pourquoi je corrige et j'efface à présent les endroits qui pourraient déplaire au lecteur sensé et aux personnes de goût. Je ne me précipite point, et j'aperçois tous les jours de nouvelles fautes. C'est une hydre dont les têtes renaissent à mesure que je les abats. Nous avons reçu ici un très-habile physicien, nommé Célius;8-a c'est un homme qui a pour plus de vingt mille écus d'instruments de physique, et qui est très-versé dans les mathématiques. Il y a actuellement à Londres un grand mécanicien et opticien que le Roi fait voyager. Cet homme promet beaucoup; je crois que vous ne vous repentirez point de le connaître; il s'appelle Lieberkühn.

J'attends la feuille de Virgile avec impatience, pour accélérer l'impression de la belle édition de la Henriade; on commencera cette semaine à la faire copier. Voltaire est à présent à Cirey avec Émilie. Ils iront, à ce qu'ils disent, dans peu à Bruxelles. Je crois que l'air du barreau ne leur conviendra ni à l'un ni à l'autre, et que Paris peut être regardé comme le centre d'attraction vers lequel tout Français gravite naturellement.

Si vous trouvez à Londres quelque ouvrage digne de la curiosité d'un étranger, faites-le-moi savoir, je vous prie. J'ai vu une pièce de<9> mylord Chesterfield, pleine d'esprit, de bonne plaisanterie et d'agréments; elle est sur l'ajustement des dames. N'oubliez pas au moins les singulières productions du docteur Swift. Ses idées nouvelles, hardies et quelquefois extravagantes, m'amusent. J'aime assez ce Rabelais d'Angleterre, principalement lorsqu'il est bien inspiré par la satire, et qu'il s'abandonne à son imagination.

Adieu, cher Algarotti; n'oubliez point ceux que vous avez charmés à Remusberg par votre présence, et soyez persuadé de l'estime parfaite avec laquelle je suis

Votre très-affectionné ami,
Federic.

Mes compliments à mylord Baltimore.

4. AU MÊME.

Berlin, 26 février 1740.

Mon cher Algarotti, je ne sais quelle peut être la raison que vous n'avez point reçu ma lettre. Il y a près d'un mois que je vous ai écrit. J'ai été, depuis ce temps, attaqué d'une fièvre assez forte et d'une colique très-douloureuse, ce qui m'a empêché de répondre à mylord Baltimore. J'ai cependant travaillé autant qu'il m'a été possible, de façon que mon Antimachiavel est achevé, et que je compte de vous l'envoyer dans peu, après y avoir fait quelques corrections.

Ma plume tremblante et timide,
Présentant ses premiers essais
Au public, né censeur rigide,
Pour s'assurer contre ses traits,
<10>Attend que Minerve la guide.
Les partisans de Machiavel,
Peu contents de la façon libre
Dont je leur prodigue mon sel,
Pour venger la gloire du Tibre
Et ce monstre, fils naturel
D'un père encor plus criminel,
Contre moi sonneront l'alarme.
Fleury, quittant d'abord l'autel,
Son chapeau rouge et son missel,
Revêtira sa cotte d'armes;
Et, jusqu'à Rome, Alberoni
Au Vatican fera vacarme
Contre un auteur qui l'a honni.
L'élève de sa politique,
Qui d'Espagne l'avait banni,
Sous sa fontange despotique
Conclura d'un ton ironique
Que le pauvre auteur converti
Sera pour lèse-politique
Très-bien et galamment rôti.
Même à l'autre bout de l'Europe,
Dans ce climat si misanthrope,
Peuplé moitié d'ours et d'humains.
Dont on dit que défunt Ésope
Fut des premiers historiens,
Tu verras la fraude et la ruse,
L'intérêt vil qui les abuse,
Fronder avec des airs hautains
Un ouvrage qui les accuse,
Et qui leur vaudra dans mes mains
Une autre tête de Méduse,
Propre à détruire leurs desseins.

J'ai reçu le paquet d'Italie, les sermons et la musique, dont je vous fais mes remercîments. Je n'ai encore rien reçu d'Angleterre, et je présume que votre ballot ne me parviendra qu'à l'arrivée de l'écuyer du Roi.

<11>Vous êtes un excellent commissionnaire, mon cher Algarotti; j'admire votre exactitude et vos soins infatigables. Je n'ai pas reçu la moindre chose de Pine. La Henriade est copiée et prête à être envoyée. Il ne dépend plus que de l'imprimeur de mettre la main à l'œuvre.

Mandez-moi, je vous prie, si c'est en français ou en italien que vous composez votre Essai sur la guerre civile. Le sujet que vous avez choisi est, sans contredit, le plus intéressant de toutes les histoires de l'univers. L'esprit se plaît en les lisant; les faits remplissent bien l'imagination. Cette histoire est, en comparaison de celle de nos temps, ce qu'est l'épopée à l'égard de l'idylle. Tout y tend au grand et au sublime.

Envoyez-moi, je vous prie, votre traduction de Pétrone; je suis persuadé qu'elle surpasse autant Pétrone que l'Art d'aimer de Bernard est préférable à celui d'Ovide.

Nous regardons ici d'un œil stoïque les débats du parlement d'Angleterre, les troubles de Pologne, la conquête des Russiens, les pertes de l'Empereur, les guerres des Français, et les projets ambitieux des Espagnols. Il me semble que nous jouons le rôle des astronomes, qui président les révolutions des planètes, mais qui ne les règlent pas. Notre emploi sera peut-être de faire des calendriers politiques à l'usage des cafés de l'Europe.

Mandez-moi, je vous prie, si vous n'avez pas reçu ma lettre, sans date, du 15 ou du 17 de janvier. Si vous ne l'avez pas reçue, il faut qu'elle soit égarée. Elle est en réponse sur votre maladie.

Mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous savez, avec cette liberté qui vous sied si bien, et qui convient à tout être pensant; et principalement informez-moi de ce qui vous regarde, car vous pouvez être persuadé que je vous aime et vous estimerai toujours.

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5. AU MÊME.

Berlin, 15 avril 1740.

Poursuivez vos travaux, aimable Algarotti.
Votre feu généreux ne s'est point ralenti,
Et, quittant le compas,12-a déjà sous votre plume,
Pour l'honneur des Romains, s'épaissit un volume.
L'univers est pour vous un jardin bigarré,
Peint par l'émail des fleurs, ou de fruits décoré,
Où, toujours voltigeant en abeille légère,
Vous butinez le miel de parterre en parterre,
Et préparez pour nous des sucs si bienfaisants.
Que ne promettent point tous vos heureux talents!
Par vous le grand Newton ressuscite à Venise,
Et Jules César renaît aux bords de la Tamise.

Je souhaite que ce Jules César, conduit par son auteur, puisse arriver bientôt à Berlin, et que j'aie le plaisir de l'applaudir en votre présence. Vous n'avez rien perdu en ma lettre; ce ne sont que quelques mauvais vers de moins dans le monde, et quelque verbiage inutile de dérobé à votre connaissance. Comme vous êtes poëte, mon cher Algarotti, je ne m'étonne point que vous compariez un morceau de papier barbouillé par moi chétif à des flottes somptueuses qui apportent des trésors du nouveau monde.

L'heureuse imagination,
Le ton d'une muse polie,
L'agrément de la fiction,
La vivacité du génie
De vos poëtes d'Italie,
Et l'hyperbole en action,
Par leur science si féconde Ont
souvent étonné le monde.
<13>Relevant de petits objets,
Et rabaissant de grands sujets,
Tout leur est soumis à la ronde.
Sublime éloquence, art divin,
Vous savez nous plaire et séduire,
Et, maîtresse du genre humain,
Tout l'univers est votre empire.

Mais il faut à cette éloquence des Cicérons, des Voltaires ou des Algarotti; sans quoi elle ressemblerait à un squelette privé de chairs et de ces parties du corps humain qui l'embellissent et lui donnent la vie.

J'attends tous vos ouvrages avec beaucoup de curiosité et d'impatience. Encore un coup de plume, et je vous enverrai le Machiavel, qui est d'ailleurs tout achevé. Pour vous amuser en attendant, j'ajoute à cette lettre deux Épîtres sur l'usage de la fortune13-a et sur la constance dans les difficultés de la vie et dans l'adversité,13-b avec un conte auquel un médecin a donné lieu.13-c Vous trouverez ces amusements assez frivoles, vous qui êtes dans un pays où l'on ne gagne que des batailles, et où l'on ne frappe que de ces grands coups qui décident de la fortune des empires et du sort des nations. Je voudrais, pour ma satisfaction, que vos libraires fussent aussi diligents que vos généraux. Pine me fait extrêmement languir. J'ai la Henriade prête, et je n'attends que cette feuille éternelle de Virgile, qui paraît être collée pour jamais dans son imprimerie. Il me semble au moins qu'on devrait quelque préférence à Voltaire, car

Virgile, lui cédant la place
Qu'il obtint jadis au Parnasse,
Lui devait bien le même honneur
Chez maître Pine l'imprimeur.

<14>J'attends de vos nouvelles, et je me flatte que vous voudrez bien avoir soin de tout ce qui regarde ces impressions, auxquelles je m'intéresse beaucoup. Adieu, mon cher Algarotti; vous pouvez être persuadé de toute mon estime.

Federic.

6. AU MÊME.

Remusberg, 19 mai 1740.

A ma muse vive et légère
Ne fais pas trop d'attention;
Mes vers ne sont faits que pour plaire,
Et non pour la dissection.

Vous entrez dans un détail des Épîtres que je vous ai envoyées, mon cher Algarotti, qui me fait trembler. Vous examinez avec un microscope des traits grossiers qu'il ne faut voir que de loin et d'une manière superficielle. Je me rends trop justice pour ne pas savoir jusqu'où s'étendent mes forces. Indépendamment de ce que je viens de vous dire, vous trouverez dans cette lettre deux nouvelles Épîtres, l'une sur la nécessité de l'étude,14-a et l'autre sur l'infamie de la fausseté.14-b J'y ai ajouté un conte sur un mort qu'on n'a point enterré, puisqu'un prêtre avait promis sa résurrection.14-c Le fond de l'histoire est vrai au pied de la lettre, et semblable en tout à la manière dont je l'ai rapporté; l'imagination a achevé le reste.

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Vous, qui naquîtes dans ces lieux
Où Virgile parla le langage des dieux,
Qui l'apprîtes dès la nourrice,
Jugez avec plus de justice
De mes vers négligés et souvent ennuyeux.
Entouré de frimas, environné de glace,
La lyre tombe de mes mains.
Non, pour cultiver l'art d'Horace,
Il faut un plus beau ciel et de plus doux destins.

Je suis persuadé que la Vie de César que vous composez fera honneur à ce vainqueur des Gaules.

Ce généreux usurpateur
Me plaira mieux dans vos ouvrages
Qu'à Rome, au milieu des hommages
D'un peuple dont il fut vainqueur.

Comme je m'aperçois des délais de Pine, j'ai pris la résolution de faire imprimer l'Antimachiavel en Hollande, et je vous prie, en même temps, de vous informer combien coûteraient tous les caractères d'argent les plus beaux que l'on a, et qui font la collection d'une imprimerie complète. J'ai envie de les acheter, afin de faire imprimer la Henriade sous mes yeux.

De la bavarde Renommée
Prenant les ailes et la voix,
Du cygne de Cirey je louerai les exploits.
La Henriade relimée,
De nouvelles beautés sans cesse ranimée,
Jusqu'aux brahmanes des Chinois
Et des rives de l'Idumée
Volera, comme je prévois.

Je ne sais que répondre à votre charmante gazette, sinon que la nôtre, jusqu'à présent, ne fournit que des sujets tristes, et qu'elle pourrait, comme je le prévois et le crains, fournir dans peu des ma<16>tières encore plus tragiques. Ce qu'il y a de sûr, c'est que nous n'avons point de bals ni de mascarades, que nous ne conquérons point de royaumes; mais aussi n'avons-nous point de guerre. C'est à présent le temps de notre sommeil et de l'inaction. Il faut croire que, lorsqu'il aura duré son période, un autre lui succédera. Je sais bien que, pour ce qui me regarde, je souhaite avec beaucoup d'empressement que mon temps vienne de vous revoir. Vous êtes trop aimable pour qu'on puisse vous connaître sans vous désirer. Faites donc, je vous prie, que je puisse bientôt me satisfaire, et soyez persuadé que je suis plein d'estime et d'amitié pour vous. Adieu.

7. AU MÊME.

Charlottenbourg, 3 juin 1740.

Mon cher Algarotti, mon sort a changé. Je vous attends avec impatience; ne me faites point languir.

Federic.

Ce 3 juin an de salut 1740, quatrième jour du règne de mon adorable maître.

Venez, Algarotti, des bords de la Tamise,
Partager avec nous notre destin heureux.
Hâtez-vous d'arriver en ces aimables lieux;
Vous y retrouverez Liberté pour devise.

Ceci doit vous faire entendre que depuis quatre jours Frédéric II a succédé à Frédéric-Guillaume.

<17>

Tout son peuple avec nous ne se sent pas de joie.
Lui seul, en tendre fils, à la douleur en proie,
Peu sensible aux attraits d'un destin si flatteur,
Mérite d'être aimé, de régner sur ton cœur.

Ne gaudia igitur nostra moreris. Algarotti venturo, Phosphore, redde diem.17-a

Mille et mille compliments au digne mylord Baltimore. Je le salue par tous les cinq points de géométrie.

Le Roi s'est déclaré maçon, et moi de même, à la suite de mon héros. Considérez-moi comme un maître maçon.

Le Roi a commencé par répandre ses bienfaits sur son peuple; il le nourrit, et ne fait, de jour à autre, que de donner à pleines mains. Après cela, parlez-moi de Titus. Venez bientôt.

Votre tendre ami et serviteur,
Baron Keyserlingk.

8. AU MÊME.

Charlottenbourg, 21 juin 1740.

Mon cher cygne de Padoue, j'ai reçu vos lettres avec bien du plaisir; mais j'avoue que j'ai encore dix fois plus d'empressement à vous voir vous-même qu'à lire vos lettres. Je vous prie de me satisfaire au plus tôt, et d'être persuadé que, malgré l'accablement d'affaires dans lequel je me trouve, je sens cependant beaucoup que vous me manquez. Satisfaites-moi donc le plus promptement qu'il vous sera<18> possible. Ayez soin de l'imprimerie la meilleure et la plus complète que vous pourrez trouver, et soyez bien persuadé de l'estime que j'ai pour vous.

9. AU MÊME.

Remusberg, 11 octobre 1740.

Mon cher Algarotti, j'ai vu par votre lettre que vous étiez content du décorateur de Pesne. Il faut qu'il attende mon arrivée, pour que je voie son ouvrage. Votre lettre au comédien est belle et flatteuse pour lui et pour moi; mais il me semble que vous n'auriez pas dû tant appuyer sur la magnificence, car à présent il va demander le double de ce qu'il aurait demandé sans cela.

J'ai toujours la fièvre à peu près de même; j'ai cependant fait l'exorde du poëme que vous savez. Il faudra encore bien amasser des matériaux et arranger des faits avant que d'avoir arrangé et plié le sujet aux règles de l'épopée; mais nous y aviserons.

Je me retrouve ici chez moi, et plus rendu à moi-même qu'à nul autre endroit. Dès que j'aurai encore fait un voyage à Berlin, je reviens ici pour ne plus quitter Remusberg.

Faites mes compliments à Maupertuis, et dites-lui que j'avais arrangé dans ma tête de quoi lui donner de l'occupation suffisante. Je vais prendre ma fièvre. Adieu; je vous reverrai, je crois, dimanche ou mardi.

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10. AU MÊME.

Remusberg, 24 octobre 1740.

Ami, le sexe de Berlin
Est ou bien prude, ou bien catin,
Et le sort de toutes nos belles
Est de passer par mainte main.
Plaire, aimer, paraître fidèles,
Est l'effet de l'amour du gain;
Mais, faites à donner, à prendre,
Leur générosité sait rendre,
Le soir, tout l'acquis du matin.
De Naple un certain dieu mutin,
Dieu de douleur, de repentance,
Dit-on, s'assujettit la France,
Et ravagea comme un lutin
Tout c .. friand, tout v .. enclin
Au plaisir de l'intempérance.
Bientôt du dieu la véhémence
Le transporta chez le Germain.
Ce n'est que par reconnaissance
Que quelque équitable p.....
Vient de restituer son bien
Au gentil cygne de Florence.

J'en suis bien fâché, car je paye ma quote-part du malheur qui vient de vous arriver. Vous êtes à Berlin, et je suis à Remusberg. Votre secret sera inviolablement gardé; l'honneur de ma nation me tient trop à cœur pour que je m'avise de divulguer qu'on a maltraité à Berlin un homme que j'estime et que je chéris.

Prenez toutes les précautions que votre santé exige, et ne venez ici que lorsque vous le pourrez sans risque. Je travaille, en attendant, tantôt à une ode, tantôt à quelque autre pièce; le tout cependant légèrement, car mon corps cacochyme ne permet guère à mon <20>âme de s'élever aussi haut que celle des Algarotti et des Voltaire. La maladie enchaîne mon esprit, et tient mon imagination en cage.

Je crois que M. de Coincy est très-bien à Strasbourg, et qu'il serait de trop ici. Ne prenons que la fleur du genre humain, et émondons les feuilles inutiles et les racines pourries; un bouquet doit être choisi. J'ai reçu deux éditions complètes du Machiavel. Gresset m'adresse une ode où il me démasque tout net. Je ne saurais qu'y faire, je suis né pour être découvert. Je l'ai été comme comte Dufour,20-a je le suis comme auteur. Il n'y a de ressource pour moi que dans un fonds inépuisable d'effronterie.

Du centre de la Faculté,
Ma fidèle fièvre salue
Votre nouvelle infirmité.
Mais craignez qu'à pas de tortue
Sa douleur cuisante et aiguë
Pour quitter votre humanité
Ne soit et rétive, et têtue.
Comment vous quitter autrement?
Lorsqu'on fait tant que vous connaître,
Aimable cygne, on ne peut être
Qu'enchanté de vos agréments.

Vous connaissez mes sentiments; il serait superflu de vous répéter combien je vous estime.

11. AU MÊME.

Mon cher Algarotti, j'ai vu par votre lettre la façon favorable dont vous jugez de mon ébauche de Machiavel; mais je me rends assez justice en même temps pour me dire que vous avez désarmé votre<21> critique à cette lecture, et que vous avez cru que c'est toujours beaucoup lorsque l'ouvrage d'un roi peut atteindre au médiocre.

Je passe au sujet le plus solide de votre lettre, où il s'agit de votre personne et de mes intérêts. Je vous avoue que je connais peu ou, pour mieux dire, personne qui ait, autant que vous, des talents pour toutes les choses généralement. Je suis sûr que vous êtes capable, plus que qui que ce soit, pour être employé dans des affaires solides; mais par cela même, mon cher Algarotti, souvenez-vous du caccia riserbata. Il faut vous réserver pour de bonnes occasions. Ma négociation avec l'Angleterre se terminera vers le retour du Captain21-a en Angleterre, et vraisemblablement alors tout doit être fini et réglé. Mais il se pourra trouver des endroits où vous me serez infiniment plus nécessaire, et où il s'agira de connaître premièrement le terrain. Je vous réserverai pour les bonnes occasions. Mais cependant, si entre ci et ce temps-là vous avez envie de faire quelque voyage, je m'offre volontiers à vous en fournir les frais d'une façon convenable, et de vous donner un titre qui pourra vous acheminer à quelque chose de plus haut. Parlez-moi naturellement, et soyez persuadé que je me ferai un plaisir de vous obliger et de faire votre fortune. Mais soyez toujours rond et sincère. Parlez-moi sans détour, et ne me cachez jamais vos vues et vos idées; tant qu'elles seront faisables, je n'y serai jamais contraire. Mais il est bien naturel que je commence par penser à moi-même, et que je ne me prive point du plaisir de vous voir, sans que j'en aie une raison d'intérêt suffisante, ou que vous ayez envie de faire un voyage pour quelque temps.

Vous connaissez l'amitié et l'estime que j'ai pour vous.

<22>

12. AU MÊME.

Remusberg, 28 octobre 1740.

Mon cher Algarotti, je conviens de très-bon cœur que mon Machiavel contient les fautes que vous m'indiquez; je suis même très-persuadé qu'on pourrait y ajouter et y diminuer une infinité de choses qui rendraient le livre beaucoup meilleur qu'il n'est. Mais la mort de l'Empereur fait de moi un très-mauvais correcteur. C'est une époque fatale pour mon livre, et peut-être glorieuse pour ma personne. Je suis bien aise que le gros du livre vous ait plu; je fais plus de cas du suffrage d'un homme sensé et pénétrant que de l'éloge ou du blâme du vulgaire des auteurs,

De tous ces vils auteurs dont la vaine cohue
Croasse dans la fange aux pieds de l'Hélicon,
Se poursuit par envie, et se traîne en tortue
Sur les pas d'Apollon.

Vous pouvez garder le livre en toute sûreté, car j'en ai reçu aujourd'hui une vingtaine d'exemplaires.

Nous faisons ici tout doucement les Césars et les Antoines,22-a en attendant que nous puissions les imiter plus réellement. C'est ce que l'on appelle peloter en attendant partie.

Je suis bien aise que les images de ces grands hommes vous aient fait plaisir au cabinet des médailles. J'aurais souhaité seulement que leur vue eût eu le mérite de vous guérir, comme on le prétend de l'image miraculeuse de la sainte dame de Lorette.

Je n'irai point à Berlin. Une bagatelle comme est la mort de l'Empereur ne demande pas de grands mouvements. Tout était prévu, tout était arrangé. Ainsi il ne s'agit que d'exécuter des desseins que j'ai roulés depuis longtemps dans ma tête.

<23>Les médecins m'ont promis que dans quinze jours la fièvre ferait divorce avec moi, et je leur ai promis de les payer comme un roi catholique payerait en pareille occasion un pape qui lui donnerait dispense.

M. de Beauvau a du feu au c.., qui le presse de venir ici. Il croit quitter Berlin au plus tôt; mais je suis sûr qu'il n'en bougera pas les premiers six mois. Voltaire arrivera ici dans quinze jours. Émilie est à Fontainebleau, et lui, il part de la Haye. Ne pouvant aller en France, la Prusse sera le pis aller.

J'attends toujours que vous vouliez vous déclarer sur votre sort. Dites-moi, je vous prie, ce qu'il vous faut, et ce que vous voulez pour que composition se fasse, et que je puisse voir jour à votre établissement. J'attends le tout avec impatience, vous assurant que je suis tout à vous.

13. AU MÊME.

Remusberg, 2 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, dans ce temps de crise je n'ai guère eu le temps de vous écrire. Les grandes nouvelles qui, depuis huit jours, se succèdent si promptement donnent de l'occupation à la politique, et les affaires commencent à prendre un train si sérieux, qu'il ne suffit pas d'une prudence ordinaire pour se conduire, et que, pour bien faire, il faudrait percer dans l'avenir, et lire dans le livre des destins les conjonctures et les combinaisons des temps futurs.

La première de vos lettres n'est pas l'hymne d'un cygne mourant, mais c'est le chant d'une sirène, qui, étant trop flatteur, séduirait<24> très-facilement quiconque voudrait se croire tout ce qu'une imagination italienne est capable de créer. La seconde est à peu près telle qu'Antoine l'eût écrite à César, dans les temps que ce dernier faisait la conquête de l'Angleterre.

Je suis persuadé que c'est pour vous le plus grand plaisir du monde d'être à la veille des plus grands événements de l'Europe, et de voir débrouiller une fusée qui assurément ne sera ni facile ni prompte à mettre en ordre. Les tableaux de nos temps vous fourniront des crayons de ce qu'étaient ces grandes révolutions du temps de la république romaine, et vous donneront peut-être encore plus de force pour les décrire, comme de certains peintres, qui se proposent le sujet de Troie en flammes, sont bien aises de voir des embrasements pour en avoir l'imagination plus frappée.

Expliquez-vous un peu plus clairement sur votre sujet, je vous prie, afin que je puisse vous satisfaire selon votre façon de penser. Quant au titre, ce sera pour cet hiver, à Berlin; quant au reste, je voudrais un langage un peu moins énigmatique.

Adieu, cher cygne; je vous souhaite le retour de votre santé et de vos forces, en vous assurant de mon amitié et de mon estime.

Federic.

14. AU MÊME.

Remusberg, 8 novembre 1740.

Ton Apollon te fait voler au ciel,
Tandis, ami, que, rampant sur la terre,
Je suis en butte aux carreaux du tonnerre,
A la malice, aux dévots dont le fiel
<25>Avec fureur cent fois a fait la guerre
A maint humain bien moins qu'eux criminel.
Mais laissons là leur imbécile engeance
Hurler l'erreur et prêcher l'abstinence
Du sein du luxe et de leurs passions.
Tu veux percer la carrière immense
De l'avenir, et voir les actions
Que le Destin avec tant de constance
Aux curieux bouillants d'impatience
Cacha toujours très-scrupuleusement.
Pour te parler tant soit peu sensément,
A ce palais25-a qu'on trouve dans Voltaire,
Temple où Henri fut conduit par son père,
Où tout paraît nu devant le Destin,
Si son auteur t'en montre le chemin,
Entièrement tu peux te satisfaire.
Mais, si tu veux, d'un fantasque tableau,
En ta faveur, de ce nouveau chaos
Je vais ici te barbouiller l'histoire,
De Jean Callot25-b empruntant le pinceau.
Premièrement, vois bouillonner la gloire
Au feu d'enfer attisé d'un démon;
Vois tous les fous d'un nom dans la mémoire
Boire à l'excès de ce fatal poison;
Vois, dans ses mains secouant un brandon,
Spectre hideux, femelle affreuse et noire,
Parlant toujours langage de grimoire,
Et s'appuyant sur le sombre Soupçon,
Sur le Secret, et marchant à tâtons,
La Politique, implacable harpie,
Et l'Intérêt, qui lui donna le jour,
Insinuer toute leur troupe impie
Auprès des rois, en inonder leur cour,
Et de leurs traits blesser les cœurs d'envie,
Souffler la haine, et brouiller sans retour
<26>Mille voisins de qui la race amie
Par maint hymen signalait leur amour.
Déjà j'entends l'orage du tambour,
De cent héros je vois briller la rage
Sous les beaux noms d'audace et de courage;
Déjà je vois envahir cent États,
Et tant d'humains, moissonnés avant l'âge,
Précipités dans la nuit du trépas;
De tous côtés je vois croître l'orage,
Je vois plus d'un illustre et grand naufrage,
Et l'univers tout couvert de soldats;
Je vois .... Petit-Jean vit bien davantage,26-a
A vous, à votre imagination
C'est à finir, car ma muse essoufflée,
De la fureur et de l'ambition
Te crayonnant la désolation,
Fuyant le meurtre, et craignant la mêlée,
S'est promptement de ces lieux envolée.

Voilà une belle histoire des choses que vous prévoyez. Si don Louis d'Acunha, le cardinal Alberoni ou l'Hercule mitré avaient des commis qui leur fissent de pareils plans, je crois qu'ils sortiraient avec deux oreilles de moins de leurs cabinets. Vous vous en contenterez cependant pour le présent. C'est à vous d'imaginer de plus tout ce qu'il vous plaira. Quant aux affaires de votre petite politique particulière, nous en aviserons à Berlin, et je crois que j'aurai dans peu des moyens entre mes mains pour vous rendre satisfait et content.

Adieu, cher cygne; faites-moi entendre quelquefois de votre chant, mais que ce ne soit point selon la fiction des poëtes, en rendant l'âme aux bords du Simoïs. Je veux de vos lettres, vous bien portant et même mieux qu'à présent. Vous connaissez et êtes persuadé de l'estime que j'ai pour vous.

<27>

15. AU MÊME.

Remusberg, 13 novembre 1740.

Mon cher cygne, vous êtes né, je crois, pour voir arriver de vos jours de grands événements. Voilà donc l'impératrice de toutes les Russies morte, ce qui va faire un terrible changement dans les affaires de cet immense empire. En Saxe, on joue aux osselets, et l'on est plein de l'orgueil le plus parfait qu'il y ait dans le monde; en France, on joue au plus fin, et l'on guette sa proie; en Hollande, on tremble, et l'on fait pis encore; à Vienne, on se tourne de tous côtés pour prendre une bonne résolution, on a la gangrène dans le corps, et l'on craint une opération douloureuse, seul remède qui pourrait la guérir; à Remusberg, on danse, on fait des vers, et l'on n'a plus la fièvre; à Berlin, les cygnes qui se sont brûlé les ailes se les font guérir; et en Danemark, le Roi et ses sujets mangent du gruau et du sarrasin à en crever. Voilà la gazette d'aujourd'hui. Adieu, cher cygne. A Berlin, un quart d'heure d'entretien sur vos affaires les mettra, j'espère, dans une situation que vous pourrez être content.

16. AU MÊME.

Remusberg, 16 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je suis fait pour les tristes événements. Je viens d'apprendre la mort de Suhm,27-a mon ami intime, qui m'aimait aussi sincèrement que je l'aimais, et qui m'a témoigné jusqu'à sa mort la<28> confiance qu'il avait en mon amitié et dans ma tendresse, dont il était persuadé. Je voudrais plutôt avoir perdu des millions. On ne retrouve guère des gens qui ont tant d'esprit joint avec tant de candeur et de sentiment. Mon cœur en portera le deuil, et cela, d'une façon plus profonde qu'on ne le porte pour la plupart des parents. Sa mémoire durera autant qu'une goutte de sang circulera dans mes veines, et sa famille sera la mienne. Adieu; je ne puis parler d'autre chose; le cœur me saigne, et la douleur en est trop vive pour penser à autre chose qu'à cette plaie.

Federic.

17. AU MÊME.

Remusberg, 21 novembre 1740.

Mon cher cygne de Padoue, Voltaire est arrivé tout étincelant de nouvelles beautés, et bien autrement sociable qu'à Clèves. Il est de très-bonne humeur, et se plaint moins de ses indispositions que d'ordinaire. Il n'y a rien de plus frivole que nos occupations. Nous quintessencions des odes, nous déchiquetons des vers, nous faisons l'anatomie de pensées, et tout cela, en observant ponctuellement l'amour du prochain. Que faisons-nous encore? Nous dansons à nous essouffler, nous mangeons à nous crever, nous perdons notre argent au jeu, nous chatouillons nos oreilles par une harmonie pleine de mollesse, et qui, incitant à l'amour, fait naître d'autres chatouillements. Chienne de vie! direz-vous, non pas de celle de Remusberg, mais de celle que vous passez dans des regrets et des souffrances.

Enfin voilà comme le monde est fait, et voilà comme l'on vit dans la petite contrée de Remusberg. J'avais oublié de vous dire que<29> Maupertuis est si amoureux des nombres et des chiffres, qu'il préfère a plus b minus x à toute la société d'ici. Je ne sais si c'est qu'il aime tant l'algèbre, ou si notre monde l'ennuie. Du moins sais-je bien que le cygne de Padoue manque beaucoup à notre société, malgré le cygne de Cirey et celui de Mitau. Adieu, illustre invalide de l'empire de l'Amour. Guérissez-vous des blessures de Cythère, et faites du moins que nous profitions à Berlin de votre esprit, tandis que les p...... ne pourront profiter de votre corps.

18. AU MÊME.

Ruppin, 29 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je ressens autant de plaisir de vous revoir après une longue absence qu'en pouvait trouver Médor de se rapprocher de sa chère Angélique, avec la différence que mon esprit tout seul participe à cette volupté, et qu'il n'aime à courtiser le vôtre que pour se réchauffer au feu de votre brillant génie.

Mon arrivée à Berlin produirait, je pense, un aussi mauvais sujet de médaille que le nom d'Hercule pouvait établir une conformité entre le cardinal roi et le héros païen. Cependant il se trouverait des médailleurs capables de graver l'une, comme il s'est trouvé un Le Moine assez flasque pour peindre l'autre.

Les Anglais, enfin, vont faire les héros, et les ordres du cabinet royal ont rendu les vents favorables à l'amiral Norris. Remarquez seulement que, lorsqu'il s'agissait de roter à Torbay, le duc de Cumberland y était, et qu'il est absent lorsqu'on met actuellement à la voile. Il danse à Saint-James, au lieu de combattre à la Jamaïque. Je<30> ne sais pas trop encore ce que feront les troupes de terre; mais je présume qu'elles n'auront pas les vents contraires, et j'ai assez de foi pour croire que les circonstances nouvelles et les combinaisons futures rempliront bien les quatre pages des gazettes. Heureux Algarotti, que vous allez avoir de plaisir, sans avoir de peine, ni le rude soin de votre gloire à conserver! Vous verrez la tragédie, et vous sifflerez les acteurs qui ne représenteront pas bien, tandis que la Gaussin, Du Frêne, Crébillon ou Voltaire tremblent pour le succès de la pièce, et emploient toute leur capacité et leurs talents pour la faire réussir.

C'est ainsi que, dans le monde, le ciel partage les destins; les uns sont nés pour travailler, les autres pour jouir. Je vous souhaite et ne vous envie point tout ce que la Providence a daigné faire pour vous, à condition que vous m'aimiez, et que vous soyez persuadé de l'estime que j'ai et que j'aurai toute ma vie pour le cygne de Padoue. Adieu.

Federic.

Keyserlingk doit être à présent à Berlin, sain et guéri de toute infirmité.

19. AU MÊME.

Milkau, 20 décembre 1740.

Vous allez donc partir, et vous négocierez, tandis que nous combattrons. Je suis sur le point d'investir Glogau, et, dès que je commencerai le siége, cela ira bien vite. Ils ne peuvent tenir que trois jours,<31> et de là nous volerons à Breslau, où j'espère de trouver des intelligences et de pousser, cet hiver, jusqu'à la Neisse.

Adieu; voyagez en paix et négociez avec succès, et soyez aussi heureux que vous êtes aimable. Quelques services que vous me rendiez, ils n'approcheront jamais du plaisir que me fait votre présence.

20. AU MÊME.

Ottmachau, 17 janvier 1741.

J'ai commencé à régler la figure de la Prusse. Le contour n'en sera pas tout à fait régulier, car la Silésie entière est conquise, hors une misérable bicoque que je tiendrai peut-être bloquée jusqu'au printemps qui vient.

Toute cette conquête n'a coûté jusqu'à présent que la perte de vingt hommes et de deux officiers, dont l'un est le pauvre de Rége,31-a que vous avez vu à Berlin.

Vous me manquez beaucoup. Dès que vous aurez parlé d'affaires, vous voudrez bien me l'écrire. Dans tous ces soixante milles que j'ai faits, je n'ai trouvé aucun humain comparable au cygne de Padoue. Je donnerais volontiers dix lieues cubiques de terre pour un génie semblable au vôtre. Mais je m'aperçois que je vais vous prier de revenir me rejoindre, lorsque vous n'êtes pas encore arrivé. Hâtez-vous donc d'arriver, d'exécuter votre commission, et de revoler à moi. Je voudrais que vous eussiez le chapeau de Fortunatus; c'est la seule chose qu'on puisse vous souhaiter.

Adieu, cher cygne de Padoue; pensez, je vous prie, quelquefois<32> à ceux qui se font échiner ici pour la gloire, et surtout n'oubliez pas vos amis, qui pensent mille fois à vous.

Federic.

21. AU MÊME.

Camp de Hermsdorf, 15 juin 1741.

Mon cher Algarotti, je vous attends avec bien de l'impatience, plus aise de vous posséder comme ami que de recevoir de vos lettres comme ministre. Vous êtes à présent à Lyon, où je vois votre esprit enrichi de tout ce que l'industrie des manufacturiers a produit de rare et d'utile dans cette ville. Je ne sais pas trop ce que l'on dit de moi en France, mais tant sais-je bien que ma réputation ne fleure pas baume à Vienne. On fait des prières publiques contre moi, et peu s'en faut que ceux qui consultent fort l'Apocalypse ne me débitent pour l'Antechrist.

Vous pouvez venir en toute sûreté de Berlin à Breslau, et de là vous ne viendrez au camp qu'à bonnes enseignes. Ne craignez point le sort de Maupertuis. Il se l'est attiré en quelque façon, et je vous réponds corps pour corps de votre sûreté.

Adieu, cher cygne de Padoue. Dès que je vous saurai arrivé, vous aurez de mes nouvelles, et cela, amplement. Ne doutez point de l'estime que j'ai pour vous.

<33>

22. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 29 janvier 1742.



Sire,

Votre Majesté, fût-elle aux trousses des Autrichiens, voudra bien me permettre de la féliciter sur l'empereur qu'elle a fait élire, et dont elle va conserver les États. Les Césars donnaient tantôt un roi aux Daces, et tantôt aux Parthes; V. M. donne un empereur à la plus puissante partie de l'Europe. Voilà encore une bataille que V. M. a fait perdre à la reine de Hongrie à Francfort, bataille après laquelle il faut bien qu'elle songe sérieusement à la paix. Ce ne sera pas cette Paix que nous peignent les poëtes, déesse aimable, mère des arts et de l'abondance, et suivie des plaisirs; mais un squelette de divinité mutilé en grande partie et tout estropié, enfant de la dure Nécessité. Ils voient maintenant à Vienne, Sire, la prophétie de V. M. accomplie dans toute sa plénitude; et il n'a fallu pour cela ni des siècles, ni les semaines de Daniel. Cet homme,33-a Sire, dont V. M. a battu le prince par des manœuvres d'esprit si élégantes et si fines, a dit une chose, d'ailleurs, que V. M. vient de fortement prouver : qu'il fait beau de prophétiser quand on est inspiré par soixante mille hommes. Voilà donc V. M. roi prophète autant par sa science dans la musique et par la beauté de ses vers que par l'accomplissement de ses prédictions, et plus prophète encore par rapport à la force de l'inspiration. Je ne sais pas, au reste, si ce roi tant vanté gagnait, en passant, les cœurs d'une ville entière, comme V. M. vient de faire à Dresde. Elle s'est élevé un temple dont tous les honnêtes gens aimables sont les sacrificateurs, et qui retentit continuellement du concert harmonieux de ses louanges. On se flatte, Sire, que V. M. va repasser par ici après sa belle expédition, dans laquelle elle va imiter César par la profon<34>deur du dessein autant que par la célérité de l'exécution. Puissé-je, Sire, la voir bientôt, couronnée de nouveaux lauriers, faire succéder les plaisirs aux travaux, repasser de Thrace à Cythère!

23. AU COMTE ALGAROTTI.



Cygne le plus inconstant et le plus léger du monde,

Le lutin qui promène ma vagabonde destinée m'a conduit à Olmütz, de là à la tête des armées, et me conduira de là Dieu sait où. Les Français ont donné un empereur aux Allemands; les Autrichiens ont escroqué son héritage à cet empereur; les Saxons veulent les en chasser de leur canapé; les Prussiens veulent courir au secours de leurs alliés au travers des boues, des frimas, des travaux et des dangers. La paix s'ensuivra, si elle peut; mais tant sais-je bien qu'elle sera toujours très-agréable à tout le monde; que la reine du bal payera, à la vérité, les violons, mais qu'elle sera trop heureuse de se délasser de la fatigue de la danse.

J'ai vu Dresde en lanterne magique; je ne sais quand j'y repasserai. Comme je n'aime point à faire les choses à demi, je ne partirai d'ici qu'après avoir bien consolidé mon ouvrage. Cela fini, et la paix venue, je me rendrai aux arts, et Berlin aux plaisirs. Pour vous, papillon inconstant et volage, je ne sais ce que vous deviendrez. Emporté par le feu de votre imagination, peut-être irez-vous griller sous le brasier de l'équateur; peut-être irez-vous avec Maupertuis grelotter en Islande. Que m'importe quel climat vous habiterez, dès que ce n'est pas le mien?

<35>Adieu; ne demandez rien d'une tête dont les traits d'imagination ne consistent qu'en paille hachée, en foin et en farine. Je donne ce métier à tous les diables, et je le fais cependant volontiers. Voilà à quoi l'on peut connaître les contradictions de l'esprit humain. Adieu encore une lois, aimable, mais trop léger Algarotti; ne m'oubliez pas dans les glaçons de la Moravie; et, de l'Opéra de Dresde, envoyez-moi, s'il se peut, par le souffle de Zéphire, quelques bouffées des roulements de la Faustine.35-a

Federic.

Mes compliments à ce jésuite qui ferait un homme aimable, s'il n'était point ecclésiastique, et qui a assez de mérite pour être païen comme nous.

24. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 9 février 1742.



Sire,

Si je ne savais pas combien d'âmes il y a dans le corps de Votre Majesté, je serais étonné de tout ce qu'elle peut faire à la fois. Quoi donc! dans le temps que V. M. va faire la plus importante marche qu'on ait peut-être faite depuis Pharsale et Philippes; dans le temps qu'elle court sauver l'Empire, l'Empereur, la France et les alliés, elle trouve sous sa main les comparaisons et les traits que Chapelle35-b et<36> Chaulieu ne trouvaient que dans le sein du Temple36-a et dans le repos de Paris! La paille hachée et le foin deviennent entre les mains de V. M. du myrte et des roses, en attendant qu'ils se changent en lauriers. Les Grâces, mêlées avec les grenadiers, suivent Anacréon, qui marche sur les traces de César. V. M. a donné peut-être bataille à l'heure qu'il est, et a remporté une seconde victoire dans sa première année militaire. C'est bien, Sire, le plus brillant rôle que prince ait jamais joué, que celui que V. M. joue à présent. Maîtresse des destins, dont elle tient le livre entre ses mains, elle va en faire chanter une page aux Autrichiens sur la basse continue du canon. Rien de plus glorieux pour V. M. que de finir à la tête de ses alliés une guerre qu'elle a commencée sans en vouloir aucun, et de redonner la paix à cette Europe qu'elle a mise en feu. Puisse cette paix aimable venir bientôt mêler son olivier aux lauriers dont V. M. est couronnée! et puisse Berlin, après avoir été aussi longtemps la Sparte de l'Europe, en devenir l'Athènes! Que les beaux-arts, maintenant arrêtés peut-être en quelque méchant cabaret sur la route, arrivent enfin à sa résidence, et que mes inscriptions pour les trois bâtiments qui ne sont encore que sur les tablettes de leur Apollodore soient bientôt gravées dans le bronze! Mais surtout qu'Apollon lui-même, après avoir quitté ses flèches, ministres de la mort, reprenne sa lyre, organe du plaisir, et nous redonne de ces chansons qui seront aussi immortelles que ses campagnes; il m'était tombé dans l'esprit de dire : de ces chansons qui seront aussi immortelles que ses blessures sont mortelles. Mais n'est-ce pas, Sire, que le jeu de mots aurait été fade? n'est-ce pas, prince aimable à qui l'on peut proposer un problème d'esprit à la tranchée, et qui peut faire une épigramme sur les hussards auxquels il donne la chasse? Ces chansons immortelles m'attireront toujours à Berlin, soit du brasier de l'équateur, soit de la glacière de<37> l'Islande, et Frédéric sera toujours pour moi ce que Lalagé était pour Horace. Il est, Sire, je crois, ridicule de découvrir de la sorte ses sentiments et ses faiblesses aux princes autant qu'aux femmes. C'est le plus sûr moyen de ne jamais coucher avec les unes, et de geler toujours dans l'antichambre des autres. Mais le moyen de conserver son sang-froid avec un prince qui, après avoir été les délices de tous les particuliers, a été la maîtresse de toutes les puissances de l'Europe; d'un prince qui a dans l'esprit toutes les grâces de la coquetterie, cette mère charmante de la volupté; d'un prince, enfin, qui sait faire tourner la tête aux jésuites mêmes, quand il le veut! Tout ce que je prends la liberté de dire là à V. M., qui ferait une déclaration dans toutes les formes en cas de besoin, prouvera au moins à V. M. la constance du goût de ce cygne qu'il lui plaît d'appeler le plus inconstant et le plus léger du monde. Quand il serait possible que les princes pussent avoir des torts avec les particuliers, et quand il serait possible, ce qui est plus impossible encore, que V. M. les eût tous avec moi, je l'aimerais toujours, parce qu'elle est l'homme le plus aimable qu'il y ait au monde. Voilà, Sire, toute royauté à part, ma confession de foi, dont je serais, s'il le fallait, l'apôtre et le martyr. Si la Divinité doit quelque reconnaissance aux mortels, que V. M. aime un peu son fidèle croyant, et qu'elle se souvienne de temps à autre, au milieu de ses trophées et de ses victoires, de celui qui aura toujours l'honneur d'être, etc.

P. S. Le père Guarini, pénétré des bontés de V. M., se met à ses pieds; il ne lui manque qu'un plumet blanc et un panier, et des cheveux frisés; il ne lui manque enfin que l'uniforme des gens aimables. Que dirai-je à V. M. de la Faustine? Les extases des nations, qu'elle a causées, ne lui paraissent rien en comparaison des applaudissements de ce prince dont on ne saurait entendre parler sans l'admirer, et qu'on ne saurait voir sans l'aimer. Voici un air, Sire, avec ses pas<38>sages favoris, qu'elle prend la liberté de lui envoyer. J'ai eu beau appeler Zéphire, afin qu'il en fût le porteur; il n'y a eu que Borée qui m'ait répondu. On se prépare ici à donner un nouvel opéra à V. M., même au milieu du carême, où la musique, chez nous, n'est que pour les anges et les âmes dévotes. Que le libérateur de l'Allemagne, que le sauveur de la ligue veuille bientôt changer les tambours et les trompettes contre la flûte et les violons, et Lobkowitz contre la Faustine.

25. AU COMTE ALGAROTTI.

Znaym, 27 février

Mon cher cygne, l'homme propose, et l'événement dispose. Je vous avais écrit une grande lettre, moitié vers, moitié prose, assurément point pour être lue de MM. les hussards; cependant ces malheureux me l'ont escamotée, de façon qu'il ne dépend que de vous de la leur redemander. J'ai ici un travail prodigieux et d'un détail énorme, de façon que les Muses se reposent, attendant partie. Je ne sais si je pourrai sitôt quitter résidence, à cause qu'il arrive tout plein d'événements qui demandent prompte résolution, et que, si je partais, et que, par la négligence de l'un ou de l'autre, les choses tournassent à mal, tout le monde m'en chargerait. L'on paye bien cher ce désir de réputation, et il en coûte bien des peines et des soins pour l'acquérir et pour se la conserver. Adieu; ma page ne me permet pas que je vous en dise davantage.

Federic.

Mes compliments au jésuite par excellence.

<39>

26. AU MÊME.

Selowitz, 20 mars 1742.

Mon cher Algarotti, je suis ici dans un endroit qui appartenait au chancelier de cour Sinzendorff. C'est une maison de plaisance extrêmement belle, attachée à un jardin qui aurait été beau, si le maître l'avait achevé, le tout situé aux bords d'une rivière qu'on appelle la Schwarza, et aux pieds d'une montagne que sa fécondité a rendue fameuse parmi les meilleures vignes de ce pays.

Cette rive, toujours au doux repos fidèle,
Semble au bruit du canon étrangère et nouvelle.
Au lieu des voluptés, de la profusion,
Tout s'apprête au carnage, à la destruction.
Ces arbres, qu'une main bienfaisante et soigneuse
Cultivait pour orner cette campagne heureuse,
Sont d'abord destinés pour combler ces fossés
Qu'à Brünn les ennemis autour d'eux ont creusés;
Et ces troupeaux nombreux qui couvraient la prairie
De nos soldats vainqueurs calment la faim hardie;
La vigne se transforme en fagot de sarment,
Et partout en soldat se change le paysan.
Ainsi, lorsque les vents précurseurs des orages
Du nord et du couchant rassemblent les nuages,
Que la tempête gronde et le ciel s'obscurcit,
Le choc des éléments se prépare à grand bruit.

Nous nous attendons dans peu à une bataille qui aura pour objet les intérêts de l'Europe entière divisée. La victoire décidera du sort de l'Empereur, de la fortune de la maison d'Autriche, du partage des alliés, et de la préséance de la France ou des puissances maritimes. Ses influences s'étendront des glaçons de Finlande jusqu'aux vents étésiens de Naples.

<40>

On verra, dans ce jour immortel pour l'histoire,
Ce que peut le courage et l'amour de la gloire
Contre le frêle orgueil, l'intérêt, le devoir,
La rage, la fureur avec le désespoir.
O champs de la Morave, émules de l'Epire!
De l'univers entier vous fixerez l'empire,
Et vos flots, teints du sang des belliqueux Germains,
Iront vers les deux mers annoncer les destins.
De Cadix à Vibourg, d'Albion à Messine,
Tout attend de nos bras sa gloire ou sa ruine.

Dans une crise de cette importance, vous me passerez, j'espère, quelque négligence dans mes vers. Il est bien difficile de toiser des syllabes et de faire mouvoir une machine plus compliquée que celle de Marly en même temps.

Maintenant je dois vous dire que, dans cette lettre que je vous avais adressée, mais que les hussards ont sans doute lue, je vous priais de m'envoyer un air de l'opéra de Lucio Papirio,40-a dont les paroles sont : All'onor mio rifletti, etc. Souffrez que je vous réitère la prière que je vous faisais de me l'envoyer.

Je vous crois encore à Dresde, occupé à entendre la Faustine, à converser ce jésuite par excellence, à manger maigre, et à faire tant bien que mal le catholique et l'amoureux zélé. Il ne faut point de vigueur pour l'un de ces métiers, et beaucoup de tempérament pour l'autre. Je souhaite que vous réussissiez en tous les deux, pourvu que vous n'oubliiez pas des amis absents qui rament à présent comme des misérables sur la grande galère des événements de l'Europe.

Je suis avec bien de l'estime votre admirateur et votre ami. Adieu.

F.

<41>

27. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 3 avril 1742.



Sire,

Voici l'air que Votre Majesté demande, et qui était assurément le plus beau de l'opéra. Il est grand et noble, et tel qu'il convient à la dignité d'un dictateur qui prêche la sévérité; et il tâche, par ses sons mâles et vigoureux, d'atteindre le vol majestueux de l'aigle romaine. Mais cela s'appelle porter des vases à Samos que parler musique à V. M., c'est-à-dire à un prince qui sait faire là-dessus le procès à l'Italie, et qui peut donner du vigoureux et du mâle aux sons de la flûte molle et efféminée. V. M. me pardonnera donc cet écart. Mais il me semble d'être avec elle quand j'ai l'honneur de lui écrire, et je me rappelle toujours ces conversations charmantes que nous avons eues ensemble depuis la Vistule jusqu'au Rhin, pleines de feu, d'imagination et d'une variété infinie, conversations que toutes les lettres de V. M. réveillent toujours dans mon esprit. Eh bien, Sire, voilà donc V. M., à la veille d'une bataille, aussi gaie et gaillarde que si le bal ou l'opéra l'attendaient. On a beaucoup admiré des héros qui dormaient profondément la nuit avant une bataille; que sera-ce de V. M., qui, se préparant au combat, fait des vers, de la musique, des entrechats peut-être? Pour moi chétif, j'ai vécu pendant quelque temps dans la douce espérance de la revoir ici. On avait préparé un opéra pour V. M., et on lui aurait donné Titus, tandis qu'elle leur aurait fait voir César. Pour Dieu, Sire, V. M. veut-elle donc faire la guerre toute sa vie, camper toujours, être au milieu de la désolation, pester contre les hussards, et faire pester ceux à qui ces malheureux enlèvent ses ordres et ses lettres? Il y a des moments, épargnez-moi, Sire, l'excommunication militaire, où je trouve presque qu'on a eu raison de dire :

<42>

Altro non è la guerra,
Che l'orror della terra.
Altro non è l'onore,
Che noja ed errore;
E s'imita il Tonante
Sol con l'essere amante.

Voilà, Sire, en tout cas, des paroles que V. M. pourra mettre en musique pour s'amuser, car, de la façon dont elle y va, elle ne m'a pas l'air d'en approuver le sens. Je les ai écrites moi-même en tremblant, craignant que le dieu Mars ne vînt me tirer par l'oreille, comme Apollon fit à Horace qui se mêlait de batailles et de guerre. J'attendrai, Sire, ses nouveaux triomphes pour en parler, quoiqu'il n'y ait personne qui pût mieux chanter ses conquêtes que V. M. même, comme ces Français de la Henriade :42-a

Français, vous savez vaincre et chanter vos conquêtes;
Il n'est point de lauriers qui ne couvrent vos têtes.

28. AU COMTE ALGAROTTI.

Chrudim, en Bohême, 18 avril 1742.

Mon cher cygne de Padoue, vos conjectures ne sont pas sans fondement. Bellone ne goûte point vos raisonnements sur la guerre. Elle dit. :

De Rome et de l'antique Grèce,
D'où sortaient autrefois des peuples de héros,
O Mars! qu'est devenue l'espèce?
<43>A ces héros fameux comparons les nouveaux.
Nos modernes Romains sont bardaches et sots,
Des baladins pleins de bassesse,
C....., b...... ou bigots.

Si j'ai conduit la plume de Bellone, ce n'a été qu'en tremblant, dans l'appréhension de mériter les foudres d'Épicure et de Cythère.

O vous, leur ministre charmant,
Dont l'esprit et le sentiment,
Dans la débauche et la faiblesse,
Sait ménager l'assortiment
Du goût, de la délicatesse,
Et qui pour vos opinions
Trouvez toujours avec adresse
De si convaincantes raisons,
Qu'elles nous entraînent sans cesse,
Faites ma paix avec vos dieux,
Et que leurs foudres radieux,
Dont vous avez senti la rage,
N'abîment point en leur ravage
Un mortel qui fut né pour eux.

Nous ferons la guerre, selon toutes les apparences, jusqu'à ce que l'ennemi voudra faire la paix. M. de Broglie m'a envoyé des rapports moyennant lesquels il prétendait que les ennemis allaient l'attaquer, et que, vu sa grande faiblesse, il serait obligé de se retirer et de montrer à l'ennemi une partie qu'il n'est pas honnête de nommer. Je suis venu à son secours à portée de Prague, à quoi les Saxons, qui ne trouvent aucun goût à la Moravie, et moins encore à la guerre, m'ont engagé. Je suis sur la défensive en Moravie, et je prépare ici une offensive vigoureuse pour la campagne que nous ouvrirons dans six semaines.

Voilà une gazette militaire que je vous fais pour vous mettre au fait de nos opérations, et afin que, indépendamment des gazetins de<44> Vienne, vous sachiez à quoi vous en tenir. Les Autrichiens ne désirent point de publier la vérité; dans les circonstances fâcheuses où ils sont, ils voudraient se faire illusion à eux-mêmes.

A la sévère vérité,
Qui dans un noir chagrin les plonge,
Ils préfèrent la fausseté
Et les ombres flatteurs d'un agréable songe.

Il y a quelquefois des erreurs plus douces qu'un grand nombre de vérités. Telles sont, par exemple, l'opinion d'être aimé de certaines personnes; les distractions qui vous transportent auprès d'elles, et vous font croire que vous les voyez, parlez, et que vous vivez avec elles; la force de l'imagination qui vous représente d'agréables objets, souvent lorsque, pour le local, vous vous trouvez dans les déserts de la Thébaïde; d'agréables sons, de beaux airs dont on se souvient. A propos de beaux airs, j'ai reçu celui que vous m'avez envoyé, dont je fais un grand cas. Je vous prie de féliciter il Sassone de ce qu'il en est auteur.

Vous pourriez me faire un grandissime plaisir, si vous vouliez vous charger d'une commission, la conduire avec beaucoup de secret et votre dextérité ordinaire, et choisir bien vos biais pour la faire réussir : c'est de me faire avoir Pinti, dont la voix me charme. Cela sera difficile, vous rencontrerez des difficultés; mais c'est par cela même que je vous prie de vous en charger, puisque je ne connais que vous capable de vaincre ces obstacles. Vous pouvez offrir jusqu'à quatre mille écus44-a à ce Pinti, et faire l'accord comme vous le trouverez le plus convenable.

Troupe des doux Plaisirs, enfants chéris des dieux,
Accourez pour remplir mes sens voluptueux;
Ouvrez-vous, portes de la vie,
Assouvissez l'ardeur que promettent mes feux;
<45>Et vous, parfums de l'Arabie,
Et vous, nectar de la Hongrie,
Prodiguez-moi tous deux vos goûts délicieux;
Vous, ravissante mélodie,
Dont les effets miraculeux
Des organes au cœur font sentir leur magie,
La flatteuse douceur d'une mélancolie,
Ou les accès plus vifs de sentiments joyeux
Où l'âme, en soi-même tranquille,
Se dégageant du soin futile,
Sait goûter cette extase et ces moments heureux
Dont jouit le peuple des cieux;
Venez, troupe des arts, troupe à jamais utile,
Établissez chez moi votre immortel asile.

29. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 2 mai 1742.



Sire,

Toutes les lettres dont Votre Majesté m'honore sont assurément dignes du cèdre; mais je voudrais, Sire, que la dernière fût écrite sur du linge incombustible, afin que, dans la suite des siècles, victorieuse même du feu, elle pût être à jamais un monument des bontés dont V. M. daigne m'honorer. La postérité y verrait les trésors de son esprit ouverts plus que jamais dans les beaux vers dont elle est enrichie; elle y admirerait les grands projets dont son âme est remplie; et elle m'envierait des badinages et des expressions de la part d'un roi qui fera ses délices et son admiration, des expressions, dis-je, qu'on n'est accoutumé d'entendre que dans la bouche de celles dont<46> on est le plus aimé. Quels commentaires et quelles recherches ne ferait-on pas sur moi? Je serais perpétuellement dans les bouches des hommes; mon nom vivrait à côté de celui de V. M., et, en parlant d'Achille, on se souviendrait quelquefois de Patrocle. Par quel endroit, Sire, ai-je mérité ces nouvelles faveurs de la part de V. M.? Est-ce parce que j'aime et admire V. M.? Mais, Sire, si la crainte doit augmenter à proportion de la quantité de rivaux que l'on a, dans quelles inquiétudes ne dois-je point vivre? J'en ai pour le moins tout autant que le nombre de ceux qui ont eu l'honneur de la voir, ou qui lisent la gazette, ne fût-ce que celle de Vienne. Mais, Sire, V. M., non contente de tant de marques de bonté, non contente de me faire vivre dans des tableaux poétiques que le Corrége français avouerait lui-même, elle m'honore encore de ses ordres. Ce serait, Sire, mettre le comble à mon bonheur, si je ne trouvais pas dans moi-même des obstacles insurmontables pour les exécuter; et il faut bien, Sire, que je me plaigne du sort, en ce que, de tant de commissions dont V. M. pourrait m'honorer, il m'en fait justement tomber une en partage, dont je ne saurais faire gloire, et pour laquelle je me sens tout à fait inepte. Tout ce qui peut me consoler, Sire, c'est que, si je n'obtiens pas par le succès le plaisir de lui obéir, je ne saurais pas assurément perdre, par l'aveu de mon incapacité, le trésor inestimable de son estime, que je regarderai toujours comme ce que je puis posséder de plus précieux dans le monde. D'ailleurs, Sire, si V. M. me permet d'ajouter encore deux mots là-dessus, je crois que le plus sûr moyen d'avoir ce qu'elle souhaite, c'est de le demander, ou de faire insinuer ses intentions à la cour. Ils ne pourront que savoir gré à V. M. de ce qu'elle leur procurera un moyen de serrer plus que jamais avec V. M. les nœuds d'une amitié qui leur doit être et si agréable, et si utile. Pour moi, Sire, je prépare mon admiration pour tout ce qu'elle va nous faire voir dans un mois. Je suis sûr qu'elle taillera de la bonne besogne aux Autrichiens et à la re<47>nommée. Tout le monde est convaincu, Sire, que la destinée de l'Empire et de l'Europe est entre vos mains. Lancez la foudre, Sire, comme Jupiter, mais rendez aussi comme lui la paix à la terre et la sérénité au ciel dès que sa justice est satisfaite.

30. AU COMTE ALGAROTTI.

Chrudim, 10 mai 1742.

Doux cygne, vous me dites très-éloquemment que vous voudriez que ma lettre fût écrite sur une matière incombustible pour immortaliser votre nom. Je m'étonne de cet excès de modestie chez un Italien qui s'est fait imprimer, et qui est affiché, comme bel esprit en vers et en prose, par toute l'Europe. Je pensais que vous me demanderiez d'être gravé en bronze pour vous être bien acquitté de la commission que je vous avais donnée. La chronique scandaleuse publie que vous devenez résident du roi de Pologne à Venise, et que vous avez obtenu cette faveur par la protection du père Guarini. Je vous félicite de ce nouvel emploi; apparemment c'est pour cette raison que vous n'avez pas osé parler à Pinti. M. l'Italien polonais, vous allez donc professer la politique dans votre terre natale, et faire deux fois par mois une utile gazette à votre roi du Nord des événements de l'Orient. Je me verrai encore dans le cas de vous dire avec cet illustre Romain : Cicéron philosophe salue Atticus homme d'État.

Je ne pense pas que l'on ose vous charger de quelque autre commission à Venise, sinon de complimenter l'Aurore, que vous voyez, pour ainsi dire, à la toilette, étant aux portes de l'Orient. Dites-lui,<48> je vous prie, d'être un peu plus matinale et de nous bien chauffer, car nous en aurons grand besoin.

Je m'attends à vous voir bientôt briller dans les gazettes, et que votre nom fera oublier dans peu ceux des Tarouca, des chevalier Temple et des Ormea. Des soins qui n'ont pas le bonheur de vous plaire, j'entends des occupations militaires, m'empêchent de vous en dire davantage pour cette fois. Vous ne pouvez attendre de moi que de la guerre. C'est à vous autres ministres à négocier la paix; si vous la souhaitez tant, vous n'avez qu'à vous y employer. Je vous admirerai, si vous y réussissez, et je n'en serai pas moins avec estime et amitié, etc.

31. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 20 mai 1742.



Sire,

Voilà l'objet que je m'étais proposé dans mon séjour de Dresde bien rempli. Je voulais être à portée des nouvelles, et V. M. nous en donne de bien grandes et de bien importantes. V. M. a commencé la guerre, et, selon toutes les apparences, elle va la finir par la glorieuse victoire qu'elle vient de remporter dans les plaines de Chotusitz. Ne dirait-on pas, Sire, que V. M. a choisi ce champ de bataille exprès pour la commodité des poëtes, qui trouveront dans Mollwitz et dans Chotusitz des rimes toutes faites? Je l'en félicite, Sire, et fais mon compliment à M. de Broglie, qu'elle a tiré d'imbroglio, à Prague, qu'elle a sauvé, et à la Saxe, qu'elle vient de garantir. On prépare ici des canonnades et des Te Deum; et assurément ils ne sauraient em<49>ployer pour une plus belle occasion leur orchestre et leur poudre. Je ne crois pas, Sire, qu'on ait jamais donné de bataille qui ait décidé de tant de choses à la fois, et il était réservé à V. M. de la gagner, comme à la tête et au bras tout ensemble de la ligue. Je féliciterais V. M. encore davantage sur ce nouvel accroissement de gloire, si je connaissais moins les qualités de son cœur. La perte de tant de braves gens, et le triste état surtout de celui qui s'est toujours rendu si digne de son estime et de sa faveur,49-a doit avoir diminué, le jour même de son triomphe, la vivacité du plus grand plaisir dont le cœur humain soit susceptible, et que V. M. aurait mérité de ressentir dans toute sa pureté et son étendue.

V. M. sent bien que, après avoir parlé de ses actions, tout ce que j'ajouterai ne peut être que fort court, quoiqu'il me regarde personnellement. La chronique qui me met si avant dans les bonnes grâces du père Guarini, et qui me donne des lettres de créance pour le sénat de Venise, m'honore trop, et n'est pas assez bien informée. Les égards que le père Guarini peut m'avoir témoignés, je les dois reconnaître de V. M., qui a daigné lui parler de moi avec quelque bonté;49-b et quant à ce ministère, enfant supposé de cette nouvelle faveur, ni à aucune autre chose qui puisse lui ressembler ni de près ni de loin, il n'en a pas été jamais question; je n'y ai pas plus songé qu'à me faire chartreux ou à louer une maison de plaisance à Trachineen.49-c Si V. M. avait daigné examiner la vérité de ce fait, elle n'aurait pas assurément cru que ma prétendue ambassade fût la cause de ce que je me suis excusé de la commission de parler à Pinti; elle m'aurait rendu<50> la justice, au lieu de chercher la raison de mes excuses dans une fausse histoire, de la trouver dans mon véritable caractère.

Avant de faire mes adieux à l'Allemagne, à qui il doit suffire pour toute gloire d'avoir donné la naissance à V. M., avant, dis-je, de lui faire mes adieux, ce qui sera bientôt, j'aurai l'honneur d'informer V. M. au vrai de mes marches, afin qu'elle puisse rectifier, au cas qu'il en valût la peine, les articles de la chronique qui pourraient me regarder. L'étude et les muses vont m'occuper tout entier; et je doute que V. M. puisse voir mon nom ailleurs que dans quelque journal littéraire ou au bas de mes lettres.

32. AU COMTE ALGAROTTI.

Camp de Brzezy, 29 mai 1742.

Cygne harmonieux, vous savez donner tant de relief aux matières qui passent par vos mains, que je ne m'étonne point que la bataille de Chotusitz en ait participé. La relation que vous en lirez est de ma plume, et exacte, et conforme à la plus sévère vérité.50-a

Quelles réflexions ne fournit point la maison d'Autriche sur la destinée des grandes monarchies! Que si les malheurs des particuliers nous font rentrer en nous-mêmes, combien plus l'infortune d'une famille et d'un État qui, depuis quelques siècles, était en possession de donner des lois à la plus grande partie de l'Europe chrétienne! Ce sont de ces événements qui font connaître la fragilité des fortunes terrestres, et la perpétuelle vicissitude par laquelle les destins produisent de nouvelles décorations sur ce théâtre dont nous tous sommes les acteurs.

<51>Vous trouverez peut-être ces réflexions trop morales; c'est cependant la guerre qui apprend à en faire de sérieuses. Les jours de la plupart des hommes coulent d'une allure assez égale, et se ressemblent presque tous. Ici, ce sont des hasards perpétuels, plus ou moins grands, selon qu'on les sait diminuer par la prudence et une vigilance infatigable. Ce sont des moments critiques où la sagesse humaine se trouve impuissante, et d'autant plus embarrassée dans le choix du parti qu'elle doit prendre, qu'il est difficile de démêler, entre vingt projets qu'on imagine, quel est le véritable de l'ennemi. C'est un abîme de détails où souvent les fautes des plus petits membres rejaillissent sur la totalité du corps. En un mot, il est bon que la guerre ait des périodes dans le monde, comme les contagions en ont parmi les humains; sans quoi une vie aussi pleine de travaux, d'inquiétudes et de soins, absorberait bientôt et les forces, et la capacité de ceux qui s'y sont voués.

Les chirurgiens assurent que Rottembourg est hors de danger; je le trouve très-bien pour son état. Je ne sais si c'est que l'on se flatte de ce que l'on désire; toutefois j'espère bien de lui.

Les Français ont eu un petit avantage sur le prince Lobkowitz; ils ont envoyé, à ce sujet, plus de courriers aux cours étrangères qu'ils n'ont tué de soldats à l'ennemi. Ce sont les premiers lauriers qu'ils cueillent cette campagne, d'autant plus précieux, qu'ils osaient à peine y aspirer.

Vous voilà dans les sentiments que je vous ai toujours désirés, j'entends, dévoué aux lettres. Soyez sûr que vous avez choisi non seulement le bon parti, mais l'unique à prendre. C'est, je crois, de tous les genres de vie le plus heureux que celui de l'étude, puisque l'on apprend à se suffire à soi-même, et que des livres, de l'encre et des réflexions ne font jamais faux bond, dans quelque état que l'on se trouve. Dès que la guerre sera terminée, vous me verrez philosophe et plus attaché à l'étude que jamais.

<52>J'ai bien parcouru la carte de l'Allemagne, et je l'ai examinée toute la matinée. Ce qui m'a fait grand plaisir dans cette étude, c'est que je crois avoir trouvé que le plus court chemin de Dresde en Italie passe par Czaslau. Je vous invite donc de passer par mon camp et de vous y reposer quelques jours, afin que je puisse jouir pendant ce temps-là des grâces de votre esprit et des traits diserts qu'aiguise votre pénétration et votre langue.

Vous connaissez toute l'étendue de l'amitié que j'ai pour vous; c'est pourquoi je n'en répète rien. Vale.

33. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 23 juin 1742.



Sire,

Je félicite les beaux-arts, la musique et la philosophie de ce qu'elles vont à la fin posséder V. M. Elles regagneront aisément le temps perdu, si V. M. se prend pendant la paix comme elle a fait à la guerre. Apollon, Minerve et V. M. vont être logés dans toute la magnificence de l'ancienne Rome. La curiosité de V. M. va exciter l'Académie à de nouvelles découvertes, et ses exploits vont fournir au Parnasse matière à des chants nouveaux. Mais quels beaux vers n'entendrait-on pas, s'il était permis aux héros de se chanter eux-mêmes!

<53>

34. DU MÊME.

Dresde, 11 juillet 1742.



Sire,

Je me trouve précisément, par rapport à Votre Majesté, dans un cas tout semblable à celui où se trouva jadis Horace par rapport à Tibère. « Puisque Septimius, lui écrivait-il,53-a me force, seigneur, à vous le recommander, et croit que ma recommandation sera puissante pour lui faire obtenir une place auprès de vous, il sait apparemment beaucoup mieux que moi-même le crédit que je puis avoir auprès de votre personne. J'ai eu beau faire pour éviter une pareille commission, il m'a fallu enfin céder, et risquer, seigneur, de vous être peut-être importun, pour ne point paraître peu serviable à mes amis. » Si V. M. veut maintenant substituer à Septimius M. le marquis Galeazzo Arconati, Milanais, qui est auprès du nonce à Cologne, et à la place auprès de Tibère la prépositure de Soest, en Westphalie, qui doit vaquer par la mort du baron de Fürstenberg, elle saura de quoi il s'agit. Je prends la liberté d'en écrire à V. M., forcé par les instances d'une personne à qui je ne saurais le refuser, et qui exige de mon amitié d'en écrire seulement à V. M., persuadé d'ailleurs que la grâce sera accordée. V. M. verra par là si l'Italie est le pays de la foi. Pour moi, Sire, qui respire depuis longtemps l'air ultramontain, je lui ai écrit que le nombre des aspirants à ces places était, dans ses États, fort nombreux, comme il le serait partout ailleurs; que je ne croyais pas que V. M. voulait préférer un étranger et un inconnu à des gentilshommes ses sujets, et qui avaient peut-être versé leur sang à son service; que d'ailleurs je ne voyais nullement les raisons qui le feraient juger que ma recommandation auprès de V. M. valût mieux que celle de tout autre; bref, qu'il pouvait croire tout ce qu'il voulait, mais qu'il n'aurait rien, et qu'il pouvait regarder la prépositure<54> comme un véritable objet de la foi. J'espère que V. M. voudra bien, en grâce au moins du véritable jugement que j'ai porté sur tout ceci, me pardonner depositum, comme dit Horace, ob amici jussa pudorem,54-a et qu'elle me permettra de la féliciter encore une fois sur la prépositure que V. M. a sur les affaires d'Europe, qui est un objet réel et véritable. Si ses augustes ancêtres, pour me servir d'un morceau de harangue de V. M., levaient leurs têtes sacrées et poudreuses du fond de leurs respectables tombeaux, que de belles choses ne diraient-ils pas à V. M. pour avoir porté la grandeur de sa maison et la gloire de ses armes à ce point d'élévation que V. M. seule pouvait atteindre et saura conserver! Ils diraient de V. M., en style à la vérité un peu gothique, la valeur à peu près de ce que Virgile disait d'Auguste :

Imperium terris, animos aequabit Olympo.54-b

Je commence à parler à V. M. le langage de ces Muses qu'elle va cultiver et caresser, pour qui la Sprée va devenir l'Hippocrène, et Rheinsberg le Parnasse. A propos de ces Muses, que V. M. va loger aussi superbement à Berlin, je la prie de me permettre de lui envoyer moi-même les trois inscriptions que j'avais imaginées pour les trois bâtiments que l'on va construire, à la requête de son architecte Apollodore;54-c elles sont un peu changées depuis le temps qu'elles ont été faites.

Pour le théâtre :54-d

Federicus Borussorum Rex compositis armis Apollini et Musis donum dedit;

<55>pour l'Académie des sciences :

Federicus Borussorum Rex Germania pacata Minervae reduci aedes
sacravit
;

pour le palais :

Federicus Borussorum Rex amplificato imperio sibi et Urbi.

La première, Sire, qui exprime le présent que V. M. fait du théâtre à Apollon et aux Muses, après avoir posé la foudre, est imitée d'une inscription qui est sur un obélisque qu'Auguste transporta d'Égypte à Rome, et dont il fit présent au Soleil dans le champ de Mars, après avoir réduit ce royaume en province romaine. Il ne fallait pas, je crois, Sire, pour ce qu'on doit faire à Berlin, chercher des modèles autre part que dans Rome triomphante.

La seconde exprime, comme V. M. voit, d'une manière simple et antique, la dédicace que V. M., comme grand pontife, fait d'un temple à Minerve, qui est de retour après la pacification de l'Allemagne, ouvrage de ses mains.

La troisième, aussi courte que son palais sera vaste, dit que V. M., après avoir reculé les bornes de son empire, a bâti pour son usage particulier autant que pour l'ornement de la ville en général. Ici encore, Sire, je puise dans Rome, et appelle Berlin la Ville, tout court, ou la Ville par excellence, ainsi qu'en usaient les anciens par rapport à Rome. J'appelle aussi les États de V. M. imperium, suivant la latinité de Cicéron, plutôt que celle de la bulle d'or.

Si V. M. permettait qu'après son nom on ajoutât le titre de Silesiacus, les inscriptions n'en seraient que mieux : on rendrait à V. M. tout ce qu'on lui doit. V. M. a assurément mérité ce titre mieux que beaucoup d'empereurs n'ont mérité celui de Dacicus ou Parthicus, et autant que Drusus a mérité celui de Germanicus.

Il est peut-être un peu ridicule qu'un auteur se commente lui-même, surtout devant un lecteur aussi éclairé que V. M.; mais, Sire,<56> j'ai dans mes commentaires en vue, plutôt que de la convaincre de la bonté de mes inscriptions, de lui faire sentir l'admiration et le profond respect avec lequel je suis, etc.

35. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 18 juillet 1742.

Cygne harmonieux, tant ultramontain qu'à Padoue, vous avez malheureusement deviné trop juste : la prévôté de Soest était donnée, il y a trois semaines, au jeune comte de Finck; ainsi elle n'est plus à donner actuellement. Vous manderez donc à votre Italien qu'il daignera attendre à une autre fois. Je crois qu'un certain autre Italien de Dresde ne sera pas non plus trop content de moi. Mais il y a des cas, dans le monde, où il est bien difficile de satisfaire un chacun; et souvent ceux qui se plaignent, à le bien examiner, ont à se reprocher eux-mêmes la raison de leur mécontentement.

Vous faites les plus belles inscriptions du monde; mais il leur faudrait et d'autres sujets, et d'autres palais pour les faire briller. Une paix salutaire à l'Europe, et dont l'époque prévenait de trois semaines en vitesse celle que mes alliés auraient faite, ne peut manquer de faire fleurir les arts et les sciences. Je crois que je ne puis mieux employer mon temps qu'en leur consacrant mes veilles. Il faut que mes occupations de la paix soient aussi utiles à l'État que l'ont pu être mes soins à la guerre. En un mot, c'est une saison différente de la vie politique. La paix, qui produit tout, est semblable au printemps, et la guerre, qui détruit, est semblable à l'automne, où les moissons et les vendanges se font.

<57>J'aurais répondu à votre lettre précédente, si j'en avais eu le temps. Mes occupations, après une assez longue absence, se sont beaucoup accrues, et, pour n'avoir pas fait d'affaires de longtemps, il en a fallu faire beaucoup à la fois. J'attends tout ce qu'il y a de bon en fait de chanteurs d'Italie; enfin j'aurai les meilleurs chapons harmonieux de l'Allemagne. Nos danseurs sont presque tous arrivés. Le théâtre sera achevé au mois de novembre, et, l'année qui vient, les comédiens arriveront. Les académiciens les suivront, comme de raison. La folie marche avant la sagesse; et des nez armés de lunettes et des mains chargées de compas, ne marchant qu'à pas graves, doivent arriver plus tard que des cabrioleurs français qui sautent avec des tambourins. Je vous souhaite santé, vie et contentement, et que, dans quelque sphère que vous gravitiez, vous n'oubliiez point ceux qui vous ont admiré lorsqu'ils ont vécu avec vous, et qui, dans vos lettres, célèbrent la commémoration de votre aimable compagnie. Adieu.

Federic.

P. S. Il y a une danseuse57-a ici dont la touchante beauté doit surpasser de cent piques les charmes de la Campioli; c'est la Vénus de Médicis en comparaison de la Diane d'Éphèse.

<58>

36. AU MÊME.

AU BEAU CYGNE DE PADOUE.

La sagesse, il est vrai, nous dénote le sage;
Mais, ami, dans notre jeune âge,
L'orgueil prématuré de se faire admirer
Ne vaut pas la joyeuse vie,
Ni les écarts brillants de l'aimable folie
Que les Catons peuvent blâmer,
Mais que le vrai bon sens très-prudemment allie
Avec la vraie philosophie
Et l'art heureux de plaire et de se faire aimer.
Ainsi, mêlant au badinage
De tes charmants propos la force de l'image
Et le nerf des bonnes leçons
Qu'en tes moëlleux discours, à table ou en voyage,
Avidement nous écoutons,
Ton esprit me transporte en une galerie
Où des plus précieux tableaux
Le spectacle enchanteur sans cesse se varie,
Où les derniers sont les plus beaux,
Où Corrége et Poussin étalent leur génie
Avec les Lancrets, les Watteaux.58-a
Tantôt tu me transporte en ces champs pleins d'alarmes
Où le comédien et l'auteur
Au sein de Melpomène ont fait verser nos larmes,
Tantôt dans ces lieux pleins de charmes
Où le correct et doux censeur
Fait, même en le jouant, rire le spectateur.
O mortel trop charmant! ô mortel trop aimable!
<59>Sacrifiez pour moi les schah, les Chouli-Kans,
Laissez l'Islande et les volcans;
Et que j'aie à jamais le plaisir ineffable,
Durant la trame de mes ans,
D'entendre vos discours, de lire votre prose,
Et de chanter vos divins vers.
Ami, que ce parti, que mon cœur vous propose,
Vous tienne lieu de l'univers.

Federic.

37. AU MÊME.

Potsdam, 10 août 1742.

Mon cher Algarotti, j'ai été fort aise de l'espèce de prophétie que vous me faites dans votre lettre, comme si l'Allemagne et la Prusse pouvaient se flatter de vous revoir un jour dans leur froid climat. Quelque mauvaise opinion que vous ayez du goût de ces nations, je puis cependant vous assurer qu'elles vous considéreront comme une aurore boréale qui vient éclairer leurs ténèbres. Ce phénomène nous serait plus agréable encore, si le public osait se flatter que nous devrions votre présence à nous-mêmes, et point aux influences attrayantes de Plutus, qui réside dans ces contrées. Apparemment que vous avez oublié toutes les offres que je vous ai faites, à tant de différentes reprises, de vous faire un établissement solide dans lequel vous auriez même eu lieu d'être content de ma générosité. Mais le mépris que vous faisiez d'une nation trop sotte pour avoir le bonheur de vous posséder vous a fait constamment refuser tous les avantages que j'avais intention de vous faire; de façon que c'est à vos propres refus que vous avez lieu de vous en prendre, si votre intérêt n'a pas trouvé<60> son compte à Berlin. Votre mérite, il est sûr, est impayable; mais c'est par cette même raison que, tout roi que je suis, je me trouve dans l'insuffisance de le récompenser, et réduit à la simple admiration. Il ne me reste qu'à chérir votre esprit malgré l'absence, et d'estimer votre personne, que vous m'avez jugé indigne de posséder. Ce sont les sentiments que je vous conserverai toujours, incapable de présumer trop bien de moi-même pour le langage flatteur que vous tenez, mais aussi incapable de vous faire injustice sur votre esprit et vos talents, dont je serai toujours l'admirateur. Adieu.

38. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 24 août 1742.



Sire,

Je ne fatiguerais pas Votre Majesté par mes lettres, s'il ne me semblait que V. M. me fasse un reproche que je ne crois pas mériter. Elle paraît croire que le dieu Plutus puisse me ramener dans ses États. Je crois, Sire, d'être assez esprit fort envers cette divinité, l'objet des vœux de l'univers, tandis que V. M. paraît me supposer bigot à brûler, bien attaché à sa religion. Mais comme la plupart des esprits forts ne laissent pas pourtant de rendre un certain culte à l'Être suprême, celui que je rends à ce dieu est de tâcher de ne point dissiper le peu de bien qu'il m'a donné. Voilà, Sire, l'objet de ma lettre, dans laquelle j'ai pris la liberté de lui représenter l'argent que j'ai dépensé dans mon séjour à Berlin et en Silésie, où il plut à V. M. de m'appeler. D'ailleurs, Sire, si V. M. croit que je mérite avoir dépensé seize à dix-sept cents ducats pour avoir osé refuser douze cents écus par an, et conservé ma liberté, je m'en rapporte aux volontés de V. M.,<61> d'autant plus que tous ces détails sont tout aussi ennuyeux pour elle qu'ils sont inutiles pour celui qui est avec le plus profond respect, etc.

39. AU COMTE ALGAROTTI.

Salzthal, 10 septembre 1742.

Si je ne consultais que les bienséances, je ne devrais pas répondre à la dernière lettre que vous venez de m'écrire. Le style et les expressions en sont si peu mesurés, qu'assurément je ne pouvais mieux faire que de garder le silence. Mais un reste de bonté que j'ai pour vous, et le plaisir de confondre votre suffisance, me portent à vous demander, assurément pour la dernière fois de ma vie, si vous voulez vous engager chez moi, et à quelles conditions. Ne pensez point aux affaires et aux emplois qui ne vous conviennent point, mais à une bonne pension et beaucoup de liberté.

Si vous refusez ce parti, je vous prie de ne plus penser à moi ni pour votre établissement, ni pour vos affaires, ni pour votre intérêt.

Federic.

40. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 17 septembre 1742.



Sire,

Je serais inconsolable toute ma vie, si je croyais mériter en la moindre chose, je ne dirai pas la colère de V. M., mais un refroidissement des<62> bontés dont il lui a plu jusqu'à présent de m'honorer. J'ai été, Sire, interdit en lisant sa lettre, et j'ai d'abord eu recours à la minute de celle que j'ai eu l'honneur de lui écrire en dernier lieu, pour me condamner tout le premier, au cas que j'eusse manqué au profond respect qui est dû et que je rends à V. M. avec ce plaisir que l'on sent en faisant les choses auxquelles on est plus porté par inclination qu'obligé par devoir. Après avoir relu cette lettre quatre ou cinq fois avec toute l'attention et la critique imaginable, j'ai cru m'apercevoir, Sire, que l'expression « tandis que V. M. paraît me supposer bien attaché à sa religion, » si V. M. l'a prise dans le sens que cette religion se rapporte à elle-même, et non au dieu Plutus, dont il est parlé la ligne d'auparavant, c'est ce qui a dû choquer V. M. Mais je lui proteste sur mon honneur que moi, je l'ai rapportée au dieu Plutus, par une espèce d'italianisme, peut-être, qui m'a fait dire en français la religion de Plutus, comme on dit en italien la religione degli dei, et en latin religio deorum. J'avoue, Sire, que la rigoureuse grammaire, selon laquelle V. M. a pris mon expression, me condamne; mais l'équité, selon laquelle je la prie de juger de moi-même, doit m'absoudre; car il faudrait que je fusse le plus fou et le plus étourdi de tous les hommes pour aller, de propos délibéré, écrire des choses peu mesurées à V. M., et il faudrait que j'eusse bien d'autres folies remarquables dans le monde pour en venir à une aussi considérable et aussi dangereuse que celle-là. C'est bien à moi, Sire, dans ce cas-ci, à dire avec Lucrèce :

Tantum religio potuit suadere malorum.62-a

D'ailleurs, Sire, tout homme qui est étranger à la France ne parle pas et n'écrit pas le français comme fait V. M. Par rapport à moi, j'ai écrit mes Dialogues sur la lumière, mon César, et beaucoup d'autres bagatelles, en italien, sachant ne pas connaître assez la correction et<63> l'élégance du français pour le faire dans une langue qui est plus répandue en Europe, et qui par conséquent aurait flatté davantage la petite ambition d'un auteur qui écrit, au bout du compte, pour être lu le plus qu'il lui est possible. Je me suis vu même estropier dans une traduction française, et je n'ai pas osé, malgré l'amour-propre, en entreprendre une moi-même, craignant peut-être de m'estropier davantage. Cet aveu de mon ignorance, que je fais à V. M., et que je suis prêt à faire au public, V. M. aura senti mille et mille fois combien il est sincère, par beaucoup de fautes qu'elle aura remarquées dans mes lettres. J'ai beaucoup compté et je compte encore sur son indulgence, en écrivant à V. M. dans cette langue; et si je l'ai autrefois chérie comme une langue que V. M. a comme adoptée, et dans laquelle elle a écrit tant de belles choses, je ne saurais plus la chérir lorsqu'elle a pu faire croire à V. M. que j'ai voulu l'offenser.

Après tout cet égoïsme, que je prie V. M. de vouloir bien pardonner à la vérité, je passe aux offres qu'elle veut bien encore me faire, et qui me font sentir que la main du Seigneur ne s'est pas tout à fait retirée de dessus ma tête. V. M. m'offre une bonne pension et beaucoup de liberté, choses naturellement contraires, que la bonté de V. M. pour moi veut bien concilier ensemble. Je suis bien éloigné, Sire, de refuser un parti qui m'approche de la personne de V. M. Elle sait que, quant à présent, je m'en vais chez moi, où mes affaires m'appellent et m'obligent d'être pour quelque temps. Je serais charmé, Sire, d'aller passer de temps en temps une année à Berlin; ce serait pour moi une année de réjouissance, comme le retour des olympiades l'était pour les Grecs, et des jeux séculaires pour les Romains. Je regarderai tout ce que V. M. voudra bien m'accorder, cette année-là, pour les frais des voyages et de mon séjour à Berlin, comme une grâce d'autant plus grande de V. M., qu'elle viendra par là à me payer de mon propre plaisir. Mais la chose, Sire, dont je la supplie le plus ardemment, c'est de ne point imputer à mon cœur les fautes de mon<64> esprit, c'est le retour de cette grâce sans laquelle tous mes projets seraient vains, et toute la douceur que je pourrais espérer dans la vie ne deviendrait que chagrin et amertume. Hélas! Sire, que je puisse encore me flatter que V. M. redeviendra pour moi ce prince aimable dans le visage de qui je lisais mon bonheur, qui me permettait de l'approcher à toute heure, et qui faisait les délices aussi bien que l'honneur de ma vie. Comment, Sire, aurais-je pu penser à l'offenser? Assurément, Sire, si V. M. pouvait me pardonner une pensée aussi peu pardonnable que celle-ci, je ne me la pardonnerais jamais à moi-même. Si j'ai erré en quelque chose, je suis plus à plaindre qu'à condamner, et j'espère que V. M. daignera se rappeler que

Errer est d'un mortel, pardonner est divin.64-a

Je suis avec le plus profond respect, etc.

41. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 18 mars 1747.

J'ai été bien aise d'apprendre que vous êtes arrivé à Berlin, et je serai plus réjoui encore lorsque je vous verrai ici. Votre brillante imagination, votre génie et vos talents sont des passe-ports qui vous feront bien recevoir dans tous les pays qui ne seront pas barbares. Depuis six ans que vous avez fait le plongeon pour moi, je n'ai appris de vos nouvelles que par la cinquième ou sixième main; mais je n'en suis pas moins charmé de vous voir revenu sur l'eau. Ferez-<65>vous encore souvent le plongeon? irez-vous à Dresde, à Venise, à Vienne, ou à Rome? êtes-vous conseiller de guerre du roi de Pologne, ou son ambassadeur nommé auprès de votre patrie? En un mot, jusqu'où peuvent aller les prétentions que nous avons à faire sur votre personne? Adieu; j'attends toutes ces réponses de votre propre bouche, et j'aurai alors la satisfaction de vous assurer de mon estime.65-a

42. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 11 mars 1748.



Sire,

Je renvoie à Votre Majesté un écrit65-b dont j'aurais bien voulu garder copie. J'y ai vu les différents états du Brandebourg par rapport à l'industrie, au progrès des arts et des sciences; mais j'y ai vu encore mieux ce génie qui, ayant égalé les plus grands hommes de Sparte par ses exploits, égale maintenant les plus grands d'Athènes par ses écrits. Rien de mieux raisonné, de plus varié, de plus rapide que le corps de l'ouvrage; rien de plus beau que l'introduction et la conclusion. C'est un édifice admirable, orné d'une superbe façade, et dont le fond de la cour est décoré par de somptueux portiques. Réflexions, comparaisons, tout est de la dernière justesse, de la première beauté. L'érudition fortifie le raisonnement, et on y goûte les fruits sous l'agrément des fleurs. Le conquérant de la Silésie, le législateur de la Prusse, l'architecte de Sans-Souci, le compositeur des<66> plus beaux airs de musique, le philosophe le plus élégant, le poëte le plus raisonnable, enfin le prince le plus humain et le plus aimable du siècle, tout cela est peint dans cet ouvrage. Ce que V. M. dit du progrès des beaux-arts dans le Nord, elle le vérifie. Un dieu qui prophétise accomplit en même temps ses oracles.

43. DU MÊME.

Potsdam, 9 août 1749.



Sire,

Voici quelques esquisses de maisons que j'ai tracées, Sire, crasso penicillo, afin que V. M. pût avoir des mouches pour celles qu'elle a déjà fait bâtir. Elles ont chacune autant de front, à peu près, qu'en a chaque terrain qui reste depuis la dernière nouvelle maison à main droite jusqu'à la maison de M. de Kleist.66-a Celle qui est au milieu des trois est la maison que Palladio s'est bâtie pour lui-même, et que l'on voit à Vicence. Je me la suis rappelée, et je crois, Sire, qu'elle ferait un joli effet pour un petit terrain, et qu'elle répandrait de la variété dans le tout, sans trop sortir du goût des autres bâtiments. V. M., qui sait mieux que personne au monde ce que c'est qu'harmonie et unité, cette âme des beaux-arts, en jugera beaucoup mieux que tout autre. Pour moi, Sire, je sais bien que, fût-on Apollodore même, on ne devrait présenter qu'en tremblant des dessins d'architecture à un Trajan qui sait être lui-même son Apollodore.

<67>

44. DU MÊME.

Berlin, 27 août 1749.



Sire,

Mon livre67-a étant tout prêt pour l'impression, j'espère que Votre Majesté voudra bien me permettre de rester à Berlin le temps qui sera nécessaire pour le faire imprimer. En même temps, Sire, je profiterai de cet intervalle pour me mettre à un régime de vie tel que les médecins jugent le plus convenable à ma santé. Notre santé fait notre philosophie, dit l'Anacréon du Temple.67-b J'espère que l'usage des diaphorétiques, des martiaux, beaucoup d'exercice et une diète fort sévère, en redonnant à la circulation du sang toute sa vivacité, m'affermiront plus que jamais dans la philosophie aimable de Sans-Souci, que V. M. sait prêcher en nouvel Horace, avec toutes les grâces de l'imagination aussi bien qu'avec toute la force du raisonnement.

45. DU MÊME.

Berlin, 31 août 1749.



Sire,

Ayant eu, ces jours passés, deux faiblesses, M. de La Mettrie, Sire, a bien voulu rester ici pour avoir soin de moi. Mais, ne voulant pas<68> abuser de son temps, je l'ai prié moi-même de se rendre à Potsdam, après avoir concerté avec lui les remèdes les plus convenables à ce qui demande chez moi un plus prompt secours. Ce sont les bouillons de vipère, que je commencerai demain; je ne discontinuerai pas les eaux, mais ce seront celles de Selters, que je mêle avec un peu de vin à mon dîner. M. de Lieberkühn68-a avait opiné pour celles d'Éger; mais il me faudra, avant tout, tâcher de remettre de la vigueur dans la machine, qui est totalement abattue. Les pouls sont bas, le sang comme engourdi, la respiration la plupart du temps embarrassée. Je demande pardon à V. M. de lui présenter des idées aussi tristes; mais j'ai cru, Sire, que l'intérêt que V. M. daigne prendre à mon état m'imposait le devoir d'entrer dans ce détail. Au cas, Sire, que mon heure soit venue, je serai trop heureux, si j'emporte quelque regret de V. M.

46. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 1er septembre 1749.

Je connais si bien les maux dont vous vous plaignez, j'en ai été incommodé si longtemps, que c'est moins moi que l'expérience qui vous parle par ma bouche. Ce n'est point une maladie dangereuse. Le principe en est un sang âcre et épaissi qui, circulant mal, s'arrête dans les petites veines du bas-ventre, où, comme vous le savez, la circulation est naturellement plus lente que dans les autres parties du<69> corps. Cette arrêtation cause des constrictions dans les boyaux, qui, au lieu de faire leur mouvement vermiculaire, se resserrent en différentes parties, arrêtent les vents, pressent et soulèvent le diaphragme, et causent les anxiétés dont vous vous plaignez. Les eaux de Selters ne sont pas suffisantes pour y apporter un remède suffisant. Il faudra que vous en veniez aux eaux d'Éger, auxquelles je crois devoir la principale obligation de mon rétablissement. Vos médecins vous auront conseillé sans doute de vous garder de tous les mets qui gonflent, comme des légumes, des fruits, etc. Il faut peu manger le soir, tenir bonne diète, boire un peu d'eau, la nuit, quand les anxiétés vous prennent, avoir beaucoup de patience, vous dissiper l'esprit, et vous garder de toutes les choses qui échauffent. Votre principale attention doit être de vous conserver le ventre libre, et de vous égayer par tout ce qui peut vous distraire de votre mal. Je ne vous dis pas un mot que je n'aie pratiqué, et dont je ne me sois bien trouvé moi-même. Vous avez cru que c'était encore beaucoup de vous servir d'un médecin, et sûrement vous n'imaginiez pas que je me mettrais de la partie. Mon cher Algarotti, je vous plains véritablement : n'est-ce pas assez d'être malade, et faut-il encore essuyer, pour surcroît, les mauvais raisonnements de vos médecins à gages, et de ceux qui s'en mêlent encore d'ailleurs? Mais un mal ne vient jamais sans l'autre, et l'on ne pouvait mieux accompagner la souffrance qu'en y associant la Faculté.

Je souhaite d'apprendre de bonnes nouvelles de votre santé. Gardez La Mettrie ou renvoyez-le, selon qu'il pourra vous amuser, et si les véritables médecins l'approuvent, prenez, vers la fin de ce mois, les eaux d'Éger avec moi.

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47. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 2 septembre 1749.



Sire,

Bien loin qu'un mal ne vienne jamais sans l'autre, Votre Majesté m'a bien prouvé le contraire par la lettre dont elle daigne m'honorer. Je vois, Sire, que Jupiter n'a pas tant versé sur moi de ce tonneau qu'il a apparemment à sa gauche, qu'il n'ait encore voulu ouvrir celui qui est à sa droite. La consultation que V. M. veut bien m'envoyer, car Apollon est aussi médecin, est une émanation divine de ce tonneau bienfaisant, et sera probablement un baume à mes maux. Malgré l'abattement où je suis, la confiance qu'un malade doit avoir en son médecin ne me manque assurément pas, car je me fie presque autant à Federic signé au bas d'une consultation que je me fierais à Federic même à la tête de soixante mille hommes. J'ai déjà commencé, Sire, à suivre les prescriptions de V. M. Ma diète est très-sévère, et je me suis retranché absolument le souper. L'impression de mon livre m'est une dissipation agréable, à moins que la lenteur des imprimeurs ne dérange la sécrétion de ce suc si nécessaire à l'équilibre de l'économie animale. Je rends à V. M. les plus humbles grâces de la permission qu'elle m'accorde touchant M. de La Mettrie, et bien plus encore de ce que V. M. veut que j'achève ma guérison sous ses yeux mêmes. C'est une bien forte raison pour hâter mon imprimeur, afin de pouvoir me rendre auprès de l'auguste médecin dont j'ai l'honneur d'être le malade.

<71>

48. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 6 septembre 1749.

Voici un canevas très en abrégé de l'opéra de Coriolan. Je me suis assujetti à la voix de nos chanteurs, au caprice des décorateurs, et aux règles de la musique. La scène la plus pathétique est celle de Paolino avec son père; mais comme le récitatif n'est pas son fort, il faut mettre ce qu'il y a de plus touchant dans la bouche de l'Astrua, ce qui pourra fournir un récitatif avec accompagnement. Vous verrez que je n'ai pas voulu faire un long opéra; s'il dure trois heures et un quart avec les ballets, cela suffit. Je vous prie de le faire étendre par Villati,71-a mais d'avoir l'œil qu'il n'ait de longs récitatifs que dans la scène cinquième du troisième acte. Le récitatif de l'Astrua, du premier acte, n'a pas besoin d'être trop long. Le récit du sénateur Benedetta,71-b à la fin de l'opéra, doit être touchant, sans accompagnement, parce que ce sénateur le fait sans passion; mais cependant il faut que le poëte touche tous les points que j'indique.

Quant aux pensées, je vous prie de les lui fournir, et de faire que cette pièce tienne un peu de la tragédie française. Au poëte permis de piller tous les beaux endroits applicables au sujet; et lorsque le poëte n'aura plus besoin de mon brouillon, il faut le remettre à Graun, parce qu'il y a toutes sortes de choses pour les airs, dont le détail le regarde nécessairement. Soyez le Prométhée de notre poëte, soufflez-lui ce feu divin que vous avez pris dans les cieux, et que votre inspection suffise à produire d'aussi belles choses que les grands talents en ont pu mettre au jour. Le public et moi vous aurons l'obli<72>gation d'avoir illustré notre spectacle et de nous avoir fourni des plaisirs raisonnables.

49. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 11 septembre 1749.



Sire,

Je supplie Votre Majesté de me permettre de la féliciter sur son opéra de Coriolan, dont elle va voir l'effet beaucoup mieux encore que V. M. n'a pu faire à la lecture. Je l'ai entendu répéter deux fois; tout l'intérêt s'y trouve, malgré la brièveté des récitatifs, et V. M. a donné ses ordres pour la musique de façon que, au milieu de la variété la plus agréable, ce même intérêt y est augmenté au point que Coriolan va tirer presque autant de larmes des beaux yeux de Berlin qu'en a tiré Iphigénie le carnaval passé. V. M. a trouvé la plus sûre méthode d'avoir les plus beaux opéras du monde : c'est de les faire elle-même;

.....totamque infusa per artus
Mens agitat molem
.72-a

Si après Coriolan, Sire, il est permis de parler de moi, je dirai à V. M. que M. Lieberkühn a voulu absolument que je commençasse à prendre les eaux d'Éger depuis quelques jours. Il regarde ce remède, tout comme V. M., comme la base fondamentale de ma guérison; il me semble même que je commence à en ressentir les bons effets. V. M. aura vu sans doute le specificum universale, pour ainsi dire, dans une lettre de M. Cataneo72-b dont M. le comte de Podewils<73> m'a parlé. Quoique je sois aussi incrédule sur ces sortes de remèdes que je le suis sur le mouvement perpétuel et sur les quadratures du cercle qu'on nous donne tous les jours, je m'en vais pourtant écrire à Venise pour tâcher de savoir au juste quelques particularités là-dessus. Mais en même temps, Sire, je regarde cette espèce de foi que je trouve maintenant en moi-même comme un symptôme de ma maladie.

Mon impression ne va pas aussi vite que je le voudrais, mais autant qu'il m'est possible de la faire aller. Il paraît que mon imprimeur ait pris la devise : Festina lente.

Oserais-je demander à V. M., dont les instants valent les années des autres,73-a quelle Épître, quelle ode, quel poëme elle a maintenant entre les mains? Nous consumons notre vie à tourner quelques phrases, à arranger des mots; V. M., dans ses heures perdues, peut créer les plus belles choses, qui feront à jamais les délices de ceux qui sauront ce que c'est que de marier la philosophie la plus utile à la plus agréable poésie.

50. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 12 septembre 1749.

Je suis bien aise de vous savoir aux eaux d'Éger. Je suis sûr qu'après la cure vous vous sentirez soulagé de beaucoup. Vous faites bien plus sagement que moi avec vos ouvrages : vous les limez, et, après, vous<74> les faites imprimer; pour moi, j'imprime, je me repens, et puis je corrige. Vous me demandez ce que je fais. J'efface beaucoup. J'en suis à ma huitième Épître, et, pour n'y pas revenir si souvent, je les laisserai encore reposer toutes; je les reverrai dans quelque temps, ensuite de quoi on procédera à l'impression. Nous aurons cette après-dînée l'épreuve de Coriolan. Je pourrai vous en dire des nouvelles lorsque je l'aurai entendu.

Voltaire vient de faire un tour qui est indigne. Il mériterait d'être fleurdelisé au Parnasse. C'est bien dommage qu'une âme aussi lâche soit unie à un aussi beau génie. Il a les gentillesses et les malices d'un singe. Je vous conterai ce que c'est, lorsque je vous reverrai; cependant je ne ferai semblant de rien, car j'en ai besoin pour l'étude de l'élocution française. On peut apprendre de bonnes choses d'un scélérat. Je veux savoir son français; que m'importe sa morale? Cet homme a trouvé le moyen de réunir les contraires. On admire son esprit, en même temps qu'on méprise son caractère. La du Châtelet74-a est accouchée d'un livre, et l'on attend encore l'enfant; peut-être que, par distraction, elle oubliera d'accoucher, ou, si l'embryon paraît, ce sera des œuvres mêlées.

Je vous prie, ne vous servez point du panacée que Cataneo annonce. Je ne crois aucune des nouvelles qu'il mande, quand même elles sont vraies; je ne voudrais me servir d'aucune médecine qu'il loue, quand même il en aurait fait l'épreuve, et surtout d'un panacée. Ce sont des chimistes qui les inventent. On y a grande foi quand ils paraissent, mais on ne tarde pas à s'en désabuser. Je vous recommande la belle humeur, le régime, la dissipation, et d'avoir soin de cette machine qui vous fait si bien penser. Adieu.

<75>

51. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 15 septembre 1749.



Sire,

La dernière lettre dont Votre Majesté m'a honoré est si remplie de bonté, qu'il m'est impossible d'en remercier V. M. autant que je suis capable de sentir combien je lui dois. Ma santé, Sire, à laquelle V. M. daigne prendre autant de part, irait mieux, si le mauvais temps qui est survenu n'avait troublé l'effet des eaux. J'en suis à la fin, et je m'en vais me mettre au vin de vipère, en gardant toujours un régime fort exact, et surtout le soir, où je ne soupe point du tout. Ce que V. M. m'a fait l'honneur de me mander touchant ce beau génie qui fait tant d'honneur au siècle me fait gémir sur l'humanité. L'embryon dont madame du Châtelet doit accoucher est charmant. V. M. donnerait bien de la besogne à plus d'un Plutarque, s'il fallait écrire toutes ses belles actions et recueillir tous ses bons mots.

Tartini me mande, Sire, que son meilleur écolier, Pasquale Bini, a été obligé de quitter le service qu'il avait à Rome, et qu'il en cherche ailleurs. Il a la confiance de s'adresser à moi pour que je tâche de placer un homme auquel il s'intéresse comme à un de ses meilleurs ouvrages. L'orchestre de V. M. est trop bien pourvu pour qu'il puisse aspirer à son service. J'ai cru pourtant, Sire, qu'il était du devoir d'un serviteur de V. M. de ne pas recommander ailleurs un tel homme, si recommandable par la supériorité de son talent, avant que V. M. sût qu'elle était la maîtresse d'en disposer.

<76>

52. DU MÊME.

Berlin, 17 septembre 1749.



Sire,

Le prince de Lobkowitz m'a invité, Sire, d'aller passer sept ou huit jours à Sagan; il soutient, Sire, que le mouvement du voyage et de la vie active que l'on mène chez lui fera beaucoup de bien à ma santé, et les médecins en conviennent. Ainsi, Sire, si V. M. a la bonté de l'agréer, j'irai prendre ce remède, qui ne sera point du tout amer comme le sont ceux de M. Lieberkühn. Je redoublerai, Sire, mes soins à mon retour, afin que mon impression aille plus vite encore, s'il est possible, et tâcherai de regagner le temps employé à cette cure, qui sera toute prise de la médecine gymnastique. Le temps s'étant mis au beau, j'espère que les eaux feront beaucoup de bien à V. M., quoique, Sire, la santé de V. M. pourrait s'en passer, grâce à Dieu; et elle est à présent aussi bien remise qu'elle a été toujours précieuse.

Tene magis salvum populus velit, an populum tu,
Servet in ambiguo, qui consulit et tibi et Urbi
Juppiter.76-a

Si nous étions dans les beaux temps de l'antiquité, l'on ne verrait que sacrifices à la déesse Hygiée, que feraient les sujets de V. M. pour remercier cette divinité bienfaisante d'avoir répandu ses dons sur leur Titus. Mais quels seront les sacrifices ou plutôt les évocations que fera le pauvre Voltaire? Je le plains réellement d'avoir perdu ce qu'il ne retrouvera peut-être jamais; la perte d'une femme qu'on aime, et avec qui on passait sa vie, est irréparable pour ceux qui ne commandent pas des armées et ne gouvernent pas des États. J'en suis d'autant plus fâché, Sire, que ce malheur dérangera peut-être<77> son voyage, et retardera le plaisir que V. M. se proposait avec ce grand maître dans un art dans lequel V. M. l'est d'autant plus, qu'elle en veut convenir le moins.

Je reçois dans le moment, Sire, les Amazones de madame Du Boccage, qu'elle me charge de présenter à V. M. comme un hommage (ce sont ses propres paroles) que tout auteur doit à celui qui les surpasse et les protége.

53. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 septembre 1749.

Je vous suis fort obligé de la tragédie que vous m'avez envoyée. Je ne l'ai pas lue encore. Il dépendra de vous d'aller à Sagan, à condition que vous me donnerez aussi huit jours ici. J'aime mieux vous entendre que de vous lire dans une langue que je ne suis qu'en hésitant. Voltaire déclame trop dans son affliction, ce qui me fait juger qu'il se consolera vite. Je vous souhaite un heureux voyage et de la santé. Vous faites ce que les honnêtes gens doivent faire, qui est de vous divertir avec vos rivaux, et de remettre la décision des préférences au sentiment de votre maîtresse.

<78>

54. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 23 septembre 1749.



Sire,

Le mauvais temps qu'on a eu, Sire, les derniers jours, et la crainte où était le prince de Lobkowitz d'exposer Salimbeni aux injures de l'air, ont été cause que notre retour a été retardé. Les plaisirs de la campagne ont été chez moi troublés par quelques attaques de ma maladie, et surtout par deux consultations de médecine que j'ai reçues d'Italie. Tout effrayantes qu'elles sont, je pourrais bien, Sire, m'en moquer, si, malgré les remèdes, je ne ressentais pas toujours du poids dans le corps, de petites sueurs, des espèces de faiblesses et des suffocations, surtout quand je suis en compagnie à table, et que je mange, ce qui fait des sensations bien désagréables dans un temps où l'on en devrait éprouver de tout autres. La chaleur de la chambre, dans une saison où elle devient si nécessaire, augmente encore toutes ces incommodités. Je suis condamné unanimement à la diète la plus médicinale, et je me vois interdit, Dieu sait même pour combien de temps, le souper, ce temps de plaisir avec quoi ceux quos aequus amavit Juppiter78-a couronnent la journée. Voilà un serviteur bien accommodé que V. M. a dans ma personne! J'irai bientôt faire ma cour à V. M., espérant qu'elle daignera bien me plaindre, si je suis obligé de me retrancher la meilleure partie des plaisirs de la vie pour me soumettre aux peines d'une cure devenue trop nécessaire. Mais je voudrais bien, Sire, que V. M. dût croire que je lui ferai dignement ma cour devant le public en continuant l'impression d'un ouvrage pour lequel je n'ai repris tant de fois le rabot et la lime que pour le rendre moins indigne de tout ce que renferme en soi le nom de Frédéric.

<79>

55. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 25 septembre 1749.

Assidu courtisan du beau dieu de Cythère,
Du goût, des Grâces et des Ris,
Algarotti, qui savez plaire
Aux belles, aux savants, à tous genres d'esprits,
D'où vous vient cette hypocondrie
Que le médecin, par flatterie,
Appelle je ne sais comment?
Moi qui ne suis pas si savant,
Je pense que la maladie
Qui vous rend inquiet et rêveur,
Au lieu d'attaquer votre vie,
Ne s'attache qu'à votre cœur.
Oui, cette fièvre qui le brûle
Pendant la nuit, pendant le jour,
Paraît à mon œil incrédule
Certain mal qu'on nomme l'amour.
Que je suis irrité que ce mal vous excède!
Lorsqu'on possède vos talents,
Tant d'esprit et tant d'agréments,
Il ne tiendrait qu'à vous d'y trouver du remède.

Si vous ne vous trouvez pas mieux de votre voyage de Sagan, c'est que ce n'était ni à la chasse ni à Diane de vous guérir, mais à certaine déesse qui se manifeste dans les beaux yeux de la Denis,79-a qui avait jadis un temple à Gnide, et qui reçoit à présent un culte égal par l'hommage que tout homme sensible rend à la beauté. Je souhaite que vous ayez moins besoin de médecins que de maquereaux, de diète que de plaisir, et du galbanum des chimistes que du vin d'Aï, qui fait circuler le sang plus rapidement, et porte la joie au cerveau.

<80>Je serai bien aise de vous voir ici. J'aime mieux l'auteur que l'ouvrage. Vos couches seront différées de quelques jours; mais le livre parviendra toujours à terme, et le plaisir de vous entendre est plus vif que celui de vous lire. Adieu; j'espère que vous porterez votre réponse verbaliter.

56. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 24 novembre 1749.



Sire,

Je prends la liberté d'envoyer à Sans-Souci des graines de brocoli qui me sont arrivées d'Italie. Je souhaite, Sire, que, pour l'honneur de mon pays et pour le plaisir de V. M., elles viennent à bien. Mon livre est venu, de son côté, tant bien que mal; j'en suis presque à la fin, à force de corriger tous les jours des épreuves et d'aller à la chasse des points et des virgules, chasse bien ennuyeuse après avoir tué des cerfs et des sangliers. Je suis bien aise, Sire, d'être dehors de cette galère de la littérature, à présent que le temps des plaisirs va commencer. Tout répète, tout se prépare à célébrer les fêtes de Bacchus. La paix se montre aux sujets de V. M. tout aussi gaie et magnifique que la guerre a été redoutable à ses ennemis. Mais V. M., qui, tandis même qu'elle avait les armes à la main, maniait la plume pour faire des dessins dans le goût des plus grands maîtres, et des vers dignes de Voltaire, que fait-elle maintenant, si j'ose le lui demander? Quelque nouvelle Épître, telle qu'Horace l'aurait faite, s'il avait écrit en français, quelque nouvelle comédie, peut-être, que Molière aurait voulu avoir imaginée, s'il avait été à Berlin, seront le fruit de ses heures de loisir. Il y a bien longtemps, Sire, que je n'ai assisté à ces lectures<81> où le roi, le législateur, le conquérant, disparaissent pour faire place au poëte et au bel esprit, qui seuls, dans ces moments-là, absorbaient notre admiration. Elle augmente à l'infini quand les idées de tout ce qu'est V. M. se présentent en foule à notre imagination animée. C'est bien de votre âme, Sire, que l'on doit dire : divinae particulam aurae.81-a

57. AU COMTE ALGAROTTI.

(Potsdam) 25 novembre 1749.

Il y a entre nous ce commerce qu'Hésiode dit qu'il y a entre la terre et le ciel. Je vous donne quelques vapeurs, et vous me rendez une rosée abondante. Je ne travaille qu'à des misères, et vous avez la complaisance pour mes ouvrages qu'ont les cardinaux courtisans pour les mandements de notre bon pape. Je vous remercie des graines de brocoli; c'était le seul moyen d'en manger de bons. Vous en aurez les prémices. Mais je serai plus aise encore de voir la nouvelle édition de votre Newtonianisme, surtout si vous vous donnez la peine de vous traduire. J'ai une ébullition de sang, mêlée avec de petits accès de fièvre qui dérangent mon genre de vie. On ne travaille pas facilement lorsqu'on se sent presque continuellement échauffé.

Je serai lundi à Berlin, où j'admirerai les scappate de l'Astrua et les cabrioles de la Denis. Je vous ai envoyé une nouvelle besogne pour Villati. Cela n'occupera que la centième de vos âmes, et fournira un beau spectacle au public. Adieu; en vous remerciant de vos graines et de vos soins, j'espère de vous revoir lundi.

Federic.

<82>

58. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 28 novembre 1749.



Sire,

En exécution des ordres de Votre Majesté, j'ai travaillé avec M. Villati pour l'opéra de mars.82-a En voici, Sire, le plan rédigé selon les instructions et le canevas que M. Darget m'a envoyés par ordre de V. M. Le trop peu de temps que l'on a eu, vu la répétition qui s'est faite même hier au soir, n'a pas permis de copier le cahier que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M., et où il a été nécessaire de faire des corrections ce matin. V. M. aura la bonté de le faire renvoyer avec ses ordres ultérieurs et les corrections qu'elle jugera nécessaires, afin que le poëte puisse procéder à la versification; il a déjà commencé à y mettre la main. Je lui ai fait sentir, au milieu de ses catarrhes et de ses fluxions, que l'âme et la célérité de César doivent passer, autant qu'il est possible, dans ses serviteurs. Je suis au désespoir, Sire, que la santé de V. M. ne réponde pas tout à fait à nos vœux, quoique j'espère, Sire, qu'à présent elle sera rétablie. V. M. ne sait peut-être pas, qu'elle me permette de le lui dire, combien cette santé est nécessaire au progrès des arts et des sciences, à la gloire de sa nation, au bonheur de l'Europe. Au nom de tout cela, Sire, je supplie V. M. d'en avoir ce soin qui soit proportionné à la conservation d'une santé aussi précieuse. M. Schmidt, que je viens de voir, est après les planches qui doivent orner ce livre, qui sera dans la bibliothèque d'Apollon, relié dans le cèdre. Il voit déjà japper dans sa chambre la levrette que V. M. veut bien lui donner, et se prépare à la dessiner et à la graver même.

<83>

59. DU MÊME.

Berlin, 22 janvier 1750.



Sire,

Un gros rhume de poitrine m'a empêché, Sire, ce matin, de faire ma cour à V. M., et m'empêche aujourd'hui d'assister à une lecture qui charmera autant qu'elle instruira l'Académie et le public. V. M. pourrait bien m'en dédommager, car il faudra attendre bien longtemps avant de voir cette excellente pièce imprimée. Je n'ose pas demander cette grâce à V. M.; mais si l'envie que j'ai de relire le mémoire de V. M. pouvait m'en obtenir la lecture, je n'envierais assurément pas le bonheur du public. J'ai l'honneur d'envoyer ci-joint à V. M. une lettre que je viens de recevoir de madame Du Boccage; V. M. verra comment une Muse française chante les louanges de V. M. en italien.

60. AU COMTE ALGAROTTI.

Je dirai demain à Darget de vous envoyer mon Essai sur les lois;83-a vous l'avez entendu une fois. Comme il y a encore à attendre avant qu'on l'imprime, vous me ferez plaisir de me dire votre sentiment sur ce que vous jugerez qui exige des corrections. Je vous dois des remarques excellentes que vous m'avez fait faire sur une infinité de mes pièces, et vous augmenterez l'obligation que je vous ai, en me parlant sincèrement sur ce nouveau mémoire.

L'italien de madame Du Boccage est si français, que je n'en ai pas<84> perdu un mot. Elle me fait bien de l'honneur d'augmenter mes titres. On est généralement de l'opinion que les princes allemands n'en sauraient jamais assez avoir. Je me contente de celui de Philosophe de Sans-Souci,84-a et de votre ami. Je me flatte que votre rhume, n'étant pas de Cythère, passera bientôt, et que le cygne de Padoue chantera encore de longues années avant que de mourir.

Federic.

61. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 23 janvier 1750.



Sire,

Je viens de relire le Mémoire sur les lois. Il m'a semblé tel qu'à la première lecture, c'est-à-dire, plein d'érudition et d'esprit, et qui plus est, de raison et d'humanité. L'exemple des grands hommes qui ont échoué en traitant des lois dans de gros volumes, et celui d'un législateur qui va au but en fort peu de pages, prouvent bien la vérité de ce qu'on a dit : Heureux les arts, s'il n'y avait que les artistes qui en jugeassent! Je félicite, Sire, l'Académie, dont les mémoires seront enrichis par un morceau aussi précieux. Voilà, Sire, les remarques que fait faire une pareille lecture, qui m'a comblé de reconnaissance autant que d'admiration.

<85>

62. DU MÊME.

Berlin, 2 mai 1750.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté douze boutargues que j'ai reçues de Venise, et je prends la liberté d'envoyer en même temps à V. M. un écrit que je ne voudrais pas qu'elle jugeât digne d'envelopper ces mêmes boutargues. C'est la lettre qui est devant le César de M. de Voltaire, refondue et telle que je voudrais qu'on la réimprimât à la première édition de ses œuvres. Il y est parlé du théâtre français, et si V. M., qui mérite une des premières places sur le Parnasse de cette nation, trouvait que ce que je dis de leur théâtre est juste, couvert de son égide, je ne craindrais aucune critique, l'abbé Desfontaines revînt-il en vie.

C'est peut-être téméraire à moi, Sire, d'oser interrompre le temps précieux de V. M. par de semblables bagatelles; mais elle a souvent la bonté de descendre jusqu'à nous, et je puis par là rendre compte d'une certaine façon à V. M. de la manière dont j'emploie mon temps à Berlin. Je fais des alternatives des exercices du corps et de ceux de l'esprit, et principalement du manége à l'étude. V. M. va rire; mais Boerhaave, ce grand docteur, alla au manége à soixante ans, et après une telle autorité, y allant par les mêmes raisons, je ne fais point difficulté d'y aller à l'âge de trente-sept ans. Et en effet, Sire, il serait trop ridicule si, montant à cheval pour donner du jeu au sang dans les anastomoses des vaisseaux capillaires, on allait se casser les vertèbres du cou. Le matin, depuis dix heures jusqu'à midi, et le soir, depuis neuf jusqu'à minuit, je travaille à des lettres qui roulent ou sur quelques matières philosophiques, ou sur la poésie, ou sur la peinture et les beaux-arts; et j'en ai bien une vingtaine de prêtes. Ce sont des lettres à la postérité, autant que des lettres à des amis; et si<86> jamais elles sont rendues à leur adresse, ce qui me fait le plus grand plaisir, Sire, c'est qu'on y lira le nom de V. M., qu'on ne saurait pas plus taire en parlant de sciences et de beaux-arts qu'en parlant de guerre et de politique. Elles prouveront, autant que mes Dialogues, que j'ai eu le bonheur de voir V. M., et que j'ai su la voir.

63. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 5 mai 1750.

J'ai bien reçu votre lettre du 2 de ce mois, et je vous remercie du présent que vous me faites de douze boutargues de Venise. Je suis également sensible à l'attention que vous me marquez en m'envoyant votre lettre sur le César de Voltaire. Ce morceau aura sans doute l'approbation de tout le monde, puisqu'il est de votre goût. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

64. AU MÊME.

Potsdam, 6 décembre 1750.

Pour vous répondre à la lettre que vous m'avez faite le 4 du courant, je vous dirai qu'il dépendra du bon plaisir du duc de Modène<87> s'il veut envoyer un ministre à ma cour, quoique d'ailleurs la chose me saurait être assez indifférente.

Federic.

65. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 février 1751.



Sire,

Voici une lettre du pape, que je viens de recevoir, et que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M. Je suis bien sûr, Sire, que V. M. entendra aussi bien la prose du saint-père qu'elle entend les vers de Metastasio. Les sentiments remplis d'admiration qu'il a pour V. M., il les a de commun avec tous les fidèles et les infidèles aussi, et l'on n'attaquera jamais son infaillibilité de ce côté-là. Les soins paternels qu'il a pour les catholiques sujets de V. M., et qu'il recommande à sa protection, doivent être bien remplis par les grâces dont V. M. comble ces mêmes catholiques. J'eus occasion, Sire, dans mon dernier voyage en Italie, d'en faire un détail exact au cardinal Doria, légat de Bologne, qui me fit plusieurs questions là-dessus, et me fit voir une longue lettre qu'il avait reçue ces jours-là du pape, dont une partie roulait sur l'église catholique de Berlin. Ce que dit le saint-père dans la lettre que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M. n'est sans doute que l'effet d'un zèle qui demande à V. M. la continuation de ses grâces et de ses bienfaits.

Je prends, Sire, cette occasion pour demander à V. M. la permission d'aller passer quelques jours à Berlin, et suis avec le plus profond respect, etc.

<88>

66. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 20 février 1751.

Je vous renvoie la lettre du pape, et je vous suis tout à fait obligé du soin que vous avez pris de m'en rendre compte. Je suis charmé de voir l'estime qu'il fait de votre personne et de vos ouvrages. Quoique je sente combien je suis éloigné de mériter les choses flatteuses que ce prince vous dit pour moi, je n'en suis pas moins vivement sensible au bonheur d'avoir quelque part dans son souvenir et dans son attention. Vous savez la manière dont je pense sur ce qui intéresse ce grand homme, et combien j'admire en lui ces qualités éminentes qui nous retracent tout ce qu'on a vénéré le plus dans les Athanase, les Cyrille, les Augustin et tous ces hommes célèbres qui réunissaient à la fois les talents les plus distingués de l'esprit et les vertus les plus dignes du pontificat. Vous pouvez, mieux qu'un autre, être le garant de mon admiration et de mes sentiments pour le saint-père, et de la façon dont les catholiques sont non seulement tolérés, mais même protégés dans mes États. Je permets bien volontiers que vous le fassiez connaître à Rome quand l'occasion s'en présentera. Je trouve bon aussi que vous alliez à Berlin pour quelques jours, suivant la permission que vous m'en demandez; et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<89>

67. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 19 avril 1751.



Sire,

Par la lettre que j'ai l'honneur d'envoyer, Sire, à Votre Majesté, elle verra l'usage que j'ai fait de la permission que V. M. me donna de faire savoir ses sentiments au pape, et la joie dont il en a été pénétré. V. M. lui a mis du baume dans le sang; et si les protestants, Sire, doivent à V. M. la conservation de leurs droits et de leurs libertés, les catholiques devront à V. M. la prolongation des jours du saint-père.

68. DU MÊME.

Potsdam, 11 juillet 1751.



Sire,

M. Darget m'a assuré que Votre Majesté accordait à ma prière l'Ovide que V. M. a fait imprimer.89-a Non mihi (pour parler avec le même Ovide89-b) sed totidem linguis sint satis ora decem pour en remercier V. M. Je suis avec le plus profond respect, etc.

<90>

69. DU MÊME.

Potsdam, 4 août 1751.



Sire,

Selon les ordres de Votre Majesté, j'ai écrit, Sire, pour le palais Pitti et pour le nouveau Palladio qu'on imprime à Venise; et j'espère que V. M. voudra faire aux architectes de Venise le même honneur qu'elle a fait à ceux de Rome et de Versailles, de naturaliser, pour ainsi dire, quelques-unes de leurs productions, et de les entremêler aux siennes. Potsdam va devenir une école d'architecture, autant qu'il est une école de guerre. C'est ainsi que le champ de Mars était orné d'édifices superbes, et que des guerriers poudreux se mettaient à l'ombre d'un portique qui était en même temps dessiné par un apprenti Apollodore. Je supplie V. M. de trouver bon que j'aille pour quelques jours à Berlin.

70. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 6 août 1751.

J'ai reçu votre lettre du 4 de ce mois. Je trouve fort bon que vous fassiez venir de Rome ces dessins du palais Pitti, et de Venise le nouveau Palladio; c'est un soin dont je vous suis obligé. Je placerai volontiers ces ouvrages dans ma bibliothèque. Tout ce qui est bon a chez moi droit de bourgeoisie, et vous savez que je n'ai là-dessus de préjugés ni pour les pays, ni pour les auteurs. Vous pouvez au reste demeurer quelques jours à Berlin, suivant la permission que vous<91> m'en demandez. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

71. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 13 décembre 1751.



Sire,

Par la lettre ci-jointe, que j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté, elle verra comme le cardinal Quirini va nous envoyer cinq cents ducats d'or pour notre église, et comme il espère que ce bel exemple sera suivi par les cardinaux ses confrères, et par le pape même. Il a pris l'affaire si fort à cœur, qu'il semble n'avoir que cette pensée en tête, ce qui me ferait presque bien augurer du succès. V. M. verra dans la même lettre l'envie qu'il a de présenter à V. M. deux de ses médailles, et de les accompagner d'une lettre. Il me demande mon avis là-dessus, et mon avis ne sera que conforme aux ordres de V. M. J'ai reçu en même temps, Sire, une lettre d'Angleterre par laquelle on me mande qu'on doit avoir envoyé à V. M. les Thermes de Palladio, le palais de Chiswick et la salle égyptienne bâtie en York, que j'avais demandés à mylord Burlington pour V. M. J'espère que V. M. les aura reçus, ainsi qu'un petit chien extrêmement joli que M. de Villiers91-a a envoyé à V. M. dès le printemps passé. M. de Villiers, Sire, se met aux pieds de V. M., et ajoute ces mots, qui ne sauraient être affaiblis par la traduction : To express what I feel would be almost as difficult as to return the obligation. Et voilà comme V. M. a fait des conquêtes en Angleterre, supérieures à celles de César.

<92>

72. AU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 15 décembre 1751.

J'ai bien reçu votre lettre du 13 de ce mois. Je vous sais gré de l'avis que vous m'avez donné de la générosité du cardinal Quirini, et les vœux que vous formez pour qu'elle soit imitée par ses collègues sont une preuve de l'intérêt que vous prenez à l'élévation de votre église. Quant à la lettre du cardinal Quirini que vous m'annoncez, et que je vous renvoie ci-close, je laisse le cardinal le maître de faire là-dessus tout ce qu'il croira lui convenir. Je suis tout à fait sensible aux témoignages de dévouement de M. de Villiers, et vous me ferez plaisir de le lui faire connaître. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

73. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 3 février 1752.



Sire,

Je prends la liberté d'envoyer à Votre Majesté une lettre du marquis Grimaldi, ministre d'Espagne à Stockholm. V. M. y verra la noble ambition d'un homme qui s'est acquis de la réputation parmi les savants, et qui voudrait l'augmenter. C'est M. Buonamici, qui a écrit la campagne de Velletri, De rebus ad Velitras gestis, et trois livres De bello Italico. Il voudrait à présent, Sire, remonter jusqu'à la mort de Charles VI et donner, sous les auspices de V. M., l'histoire générale de la dernière guerre. Les connaisseurs assurent que son histoire ressemble, quant au style, aux Commentaires de César; et V. M. ren<93>drait la ressemblance bien plus parfaite, s'il avait le bonheur d'exécuter son projet. J'attends, Sire, les ordres de V. M. pour faire réponse au marquis de Grimaldi.

74. AU COMTE ALGAROTTI.

(Février 1752.)

J'ai reçu deux de vos lettres, de la boutargue, des truffes, et des dédicaces de livres. Je vous remercie des boutargues, qui étaient admirables; les truffes ont paru aux connaisseurs semblables aux nôtres; et, quant aux dédicaces, il dépend d'un chacun de me dédier des livres ou de ne les point dédier. Je ne connais point l'auteur, et je crois que, s'il s'adressait au cardinal Quirini, son épître dédicatoire serait reçue avec plus d'empressement. Je vous avoue que je suis fort indifférent sur ce petit sujet de vanité, et que j'aime mieux vous voir ici que de lire la dédicace la plus louangère.

75. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 11 avril 1752.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté le plan de la maison de M. Wade, que M. Villiers vient de m'envoyer. Mylord Burlington me mande, Sire, qu'il a fait remettre à M. Michel, secrétaire de V. M.<94> à Londres, le livre des Thermes de Palladio, et d'autres différents plans d'architecture, et je ne doute pas, Sire, que V. M. ne les ait incessamment. M. de Maupertuis me mande que, malgré la belle saison, il n'y a aucun changement en bien touchant sa santé. Il souhaiterait que je fisse un tour à Berlin, et j'espère que V. M. voudra bien que j'y aille voir un homme dont la cendre serait honorée des larmes de V. M.

Si V. M. daignait réfléchir pendant trois ou quatre minutes sur le sujet de l'operetta, nous serions sûrs, Sire, d'avoir deux heures d'un spectacle charmant. Je prendrais avec moi le canevas, et je ferais de mon mieux, Sire, pour que le poëte remplisse les vues de V. M., et que sa viole se monte au ton de la lyre. Je suis avec le plus profond respect, etc.

76. DU MÊME.

(Berlin) 20 avril 1752.

Voici le chef-d'œuvre du poëte lauréat,94-a que j'ai l'honneur, Sire, d'envoyer à V. M. Rien n'est comparable à sa célérité, si ce n'est sa docilité.

Le cardinal Quirini, qui a refusé une somme à Rome, et l'a cédée à Benoît XIII, ne saurait, Sire, refuser l'honneur de l'inscription que V. M. veut bien lui accorder à Berlin. Il en rend à V. M. les plus humbles grâces, et m'a déjà remis une partie de l'argent nécessaire à l'achèvement de la façade de l'église.

<95>M. de Maupertuis se met aux pieds de V. M., et est toujours dans le même état.

Si V. M. daigne approuver l'opéra, et qu'elle n'ait pas d'ordres ultérieurs à me donner là-dessus, j'aurai l'honneur, Sire, de revenir lui faire ma cour à Potsdam.

77. AU COMTE ALGAROTTI.

(21 avril 1752.)

Si vous parlez à Maupertuis, je vous prie de lui dire qu'il ne boive point de café, point de liqueurs, et qu'il s'assujettisse aux lois d'Hippocrate; car, après tout, il faut guérir ou mourir dans les règles. Quant au canevas de l'operetta, je verrai demain après-midi comme nous pourrons l'arranger. Je vous remercie des dessins que vous me procurez d'Angleterre; on me mande que le tout est en chemin.

78. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 8 mai 1752.



Sire,

Voici une lettre du cardinal Quirini, et les médailles que vous avez bien voulu, Sire, lui permettre de présenter à V. M. Il est allumé de zèle pour notre église catholique, et un mot de V. M. serait une flamme céleste qui l'embraserait tout à fait. Je vois, Sire, le dehors<96> de notre église achevé de sa façon, pourvu qu'on grave dans la frise de l'entablement de la façade : A. M. C. Quirinus inchoatum perfecit,96-a ou quelque pareille quittance pour son argent.

Mon admiration et ma reconnaissance, Sire, augmentent à proportion que je relis l'ouvrage immortel96-b dont V. M. a daigné me faire part. C'est bien V. M. qui pouvait prendre pour devise :

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.96-c

C'est Minerve qui chante sur la lyre d'Apollon; ce sont les leçons de la plus profonde philosophie, emmiellées par les charmes des plus beaux vers. Quantité de ces beaux vers seront retenus sans doute par ceux qui ont le bonheur de les lire; mais ne leur sera-t-il pas permis de les redire aux autres? ne leur serait-il pas permis de citer ce qui mérite tant de l'être? Je demande cette grâce à V. M., quelques gouttes de ce baume précieux pour faire durer mes faibles écrits.

79. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 24 septembre 1752.

Je vous envoie ci-joint une réponse de ma part à la lettre du cardinal Quirini que vous m'avez fait tenir. Vous pourrez la lui envoyer, et le remercier encore en même temps de sa générosité et des senti<97>ments qu'il veut bien me témoigner. Si ce cardinal Quirini n'est pas le premier cardinal de l'univers, l'auteur le meilleur à lire, le savant le plus agréable à fréquenter, il est toutefois un bon diable à qui l'amour-propre et le désir de l'immortalité font faire des actions charitables et utiles au genre humain. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

80. AU MÊME.

Quoique je ne voie pas trop quelles affaires pressantes vous pouvez avoir chez vous, cependant je ne vous empêche point de faire le voyage d'Italie. Vous pourriez partir au mois de février et revenir à celui d'octobre 1753, y voir le cardinal Quirini, arranger vos affaires, passer à Herculanum ou bien où il vous plaira, revoir les lieux où Cicéron harangua, où écrivit Virgile, où soupira Tibulle, où rampa Ovide, et où des fainéants tonsurés donnent à présent des bénédictions auxquelles on ne croit guère.

81. DU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, 7 février 1753.



Sire,

Ce que Votre Majesté m'avait prédit touchant les mauvais chemins ne s'est vérifié que trop. M. Gröben, qui m'a joint à Dessau, aura <98>conté à V. M. une partie des accidents qui me sont arrivés en chemin. Verser, casser la voiture, être quatorze heures à faire trois milles, cherchant les chemins sous les neiges, ont été les suites du voyage. Étant arrivé hier au soir, après des peines infinies, avec un mal de gorge et un peu de fièvre, on m'a annoncé qu'il me serait impossible d'avancer du côté de Cobourg; les roues de devant de mon carrosse étant trop basses, je n'aurais jamais pu faire chemin à travers les neiges, qui étaient plus fortes que jamais; que, en traîneau, on ne pouvait pas aller; que la poste ordinaire avait retardé plus de douze heures, malgré la hauteur des roues de ses chariots, et que, si les neiges venaient à se fondre, j'aurais été obligé de rester dans quelque misérable village quatre ou cinq jours; finalement, que la seule route qui me restait à prendre pour aller en Italie, quoique très-longue, était celle de Dresde, de Prague et de Vienne, où les chemins étaient battus, et où je n'avais rien à craindre des eaux. Après bien des consultations, j'ai pris le seul parti qui me restait à prendre, et je suis arrivé, il y a un quart d'heure, à Leipzig. J'ai cru de mon devoir, Sire, d'avertir de tout cela V. M., et, quoique mon changement de route était une chose nécessaire, d'en attendre l'agrément de V. M.

82. AU COMTE ALGAROTTI.

(Février 1753.)

Si vous ne pouvez pas passer par Cobourg, il vous convient sans doute mieux de prendre le chemin de Vienne, et je m'y oppose d'autant moins, que je suis persuadé que je n'ai rien à appréhender de votre part, et que vous agirez envers moi en honnête homme. J'ai<99> oublié de vous dire que, si vous allez à Rome, il convient de faire au pape un compliment très-poli de ma part, et de lui recommander notre église de Berlin. Quand vous serez arrivé en Italie, écrivez-moi, s'il vous plaît, et mandez-moi de Venise ce qu'on y dit du Turc. Adieu; je vous souhaite un plus heureux voyage que vous ne l'avez eu jusqu'à présent.

83. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 7 mars 1753.



Sire,

Après un voyage des plus longs et des plus pénibles, je suis arrivé enfin à Venise. J'ai encore pu voir les derniers jours du plus maigre carnaval du monde.

Les nouvelles que l'on a ici de Constantinople ne parlent que de la tranquillité qui y règne moyennant les libéralités du Grand Seigneur et la conduite du grand vizir. On n'est pas pourtant sans crainte, dit-on, de quelque nouvelle révolution, et l'on croit la guerre indubitable, si jamais le Grand Seigneur vient à être déposé. J'espère que V. M. aura reçu, à l'heure qu'il est, la verdée. Je prends la liberté d'envoyer à V. M. quelques boutargues qui partiront à la première occasion.

<100>

84. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 25 mars 1753.

J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez écrite. Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles. Parlez-moi des spectacles et des nouveautés que vous remarquerez dans ce pays fertile en génies inventifs. Envoyez-moi la boutargue quand vous pourrez. Je serai toujours charmé de vous donner des marques de ma protection et de ma bienveillance, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Si vous allez à Herculanum, tâchez, s'il se peut, de m'en apporter quelque bloc de marbre, comme les juifs qui reviennent de la Palestine apportent de la terre où était leur temple à leurs confrères.

85. AU MÊME.

Je vous remercie de la belle musique que vous m'avez envoyée. A l'entendre, j'aurais cru que, depuis Vinci et Hasse, les Huns et les Gépides auraient ravagé la Lombardie, et, en la détruisant, y auraient porté leur goût bizarre et barbare. On pourrait appliquer à vos compositeurs le mot de Waldstörchel : « Tu fais des notes sans faire de la musique. »100-a Je crains plus que jamais pour votre santé de<101>puis que je vous sais dans une université de médecins. Il faut qu'ils entendent bien mal leur métier, s'il ne s'en trouve pas un d'assez adroit pour vous dépêcher là-bas. Je sens tous les jours, avec les progrès de l'âge, augmenter mon incrédulité pour les historiens, théologiens et médecins. Il n'y a que peu de vérités connues dans le monde; nous les cherchons, et, chemin faisant, nous nous contentons des fables qu'on nous forge, et de l'éloquence des charlatans. Vous n'allez donc point à Herculanum? J'en suis fâché; c'est le phénomène de notre siècle; et si de si fortes entraves ne me retenaient pas ici, je ferais cinq cents lieues pour voir une ville antique ressuscitée de dessous les cendres du Vésuve. Je vous remercie des épreuves de marbres, que j'ai bien reçues. Il m'en est venu une bonne provision d'Italie; si cependant vous vouliez me commander delle agate gialle di colori diversi, des morceaux assez grands pour faire deux grandes tables et deux grandes cheminées, vous me feriez plaisir. Adieu, cygne de Padoue, élève harmonieux du cygne de Mantoue; j'espère de vous revoir ici au mois d'octobre, en dépit de la Faculté et de vos assassins.

86. AU MÊME.

(Octobre 1753.)

Vous ne trouverez pas étrange, mon cher Algarotti, que je me sépare de la confrérie des poëtes, depuis qu'il se trouve de si grands faquins parmi eux. J'ai fait les poésies que je vous ai données, pour m'amuser. Cela n'était bon que pour cet objet; mais je ne veux ni être lu, ni être transcrit. Raphaël doit être copié, Phidias imité,<102> Virgile lu. Pour moi, je dois être ignoré. Il en est de mes ouvrages comme de la musique des dilettanti. On doit se rendre justice, et ne pas sortir de sa sphère. Je connais la mienne, qui est assez étroite, et je me ressouviens de la Sallé, qui, après avoir plu à Londres, fut sifflée depuis qu'elle s'avisa de danser habillée en homme. Je souhaite que l'Italie vous ennuie au point de vous la faire quitter bientôt. Vous voyez que les médecins de Padoue ont le sort de tous les autres de l'Europe. Si vos opéras sont mauvais, vous en trouverez ici un nouveau qui peut-être ne les surpassera pas. C'est Montézuma. J'ai choisi ce sujet, et je l'accommode à présent. Vous sentez bien que j'intéresserai pour Montézuma, que Cortès sera le tyran, et que par conséquent on pourra lâcher, en musique même, quelque lardon contre la barbarie de la R. Cr. Mais j'oublie que vous êtes dans un pays d'inquisition; je vous en fais mes excuses, et j'espère de vous revoir bientôt dans un pays hérétique où l'opéra même peut servir à réformer les mœurs et à détruire les superstitions.

87. DU COMTE ALGAROTTI.

Padoue, 12 novembre 1753.



Sire,

La lettre dont Votre Majesté m'a honoré dernièrement m'a encore trouvé à Padoue, sur le point de faire un petit voyage pour essayer mes forces. J'ai été à Vicence, où j'ai vu ce que j'espère bientôt revoir à Potsdam. Mais à peine ai-je donné un coup d'œil à Palladio, qu'il m'a fallu garder la chambre pendant deux jours. Le peu de nourriture qu'il me faut prendre me rend extrêmement sensible à toute sorte d'intempérie d'air. Je n'écoute pas les médecins, Sire, surtout<103> lorsqu'ils me répètent qu'il faudrait absolument passer l'hiver en Italie. Je me flatte d'être en état de partir pendant le froid, lorsque les fibres ont plus de ton, et seront en état de soutenir la fatigue d'un long voyage.

Je suis bien charmé, Sire, que V. M. ait choisi pour son opéra le sujet de Montézuma. La différence des habits entre les Espagnols et les Américains, la nouveauté des décorations, feront sans doute un spectacle charmant; et je suis bien sûr que, grâce à V. M., l'Amérique fournira de nouveaux plaisirs à notre âme, ainsi qu'elle fournit de la matière à notre luxe et des agréments à notre palais.

Je dois, Sire, obéir aveuglément à V. M. sur ce qu'elle m'ordonne touchant ses vers.103-a Mais quel beau champ n'aurait-on pas, Sire, s'il était permis de lui faire des représentations!

Parum sepultae distat inertiae
Celata virtus,103-b

pourrait-on lui dire. Pourquoi, Sire, envier le plaisir d'admirer le plus rare poëte, qui, au milieu des plus grandes affaires,

Monta sur l'Hélicon sur les pas du plaisir,103-c

et y fait monter sur les mêmes pas les élus qu'il a bien voulu choisir pour ses lecteurs? Je dois en remercier d'autant plus V. M., qu'elle a bien daigné me mettre de ce nombre. Mais j'avoue, Sire, que je ne suis pas si selfish, comme disent les Anglais, que je ne souhaitasse que tout le monde fût enchanté de ces vers que V. M. a écrits tandis qu'Apollon chantait.

<104>

88. DU MÊME.

Venise, 11 janvier 1754.



Sire,

Dans le temps que je me flattais d'être en chemin pour me mettre aux pieds de V. M., me voilà encore à Venise. La saison qu'il fait ici depuis trois mois est des plus affreuses, et à Venise on ne voit pas plus le soleil qu'à Londres. Ma santé est encore dans un état qu'il y a bien plus d'apparence que je serais tombé malade en chemin, qu'il n'y en avait du dernier voyage que je fis. Si jamais, Sire, j'ai connu ce que vaut la santé, c'est par ce que me coûte à présent le peu qui m'en reste. Il est bien sûr, Sire, que dans tel état que je sois, d'abord que le temps commencera à s'adoucir, je me mettrai en chemin, et j'irai faire ma cour à V. M.,

Cum Zephyris, si concedes, et hirundine prima.104-a

J'ai envoyé à V. M. quelques boutargues qu'on m'a données comme d'une pâte très-fine; je me flatte qu'elles agréeront à V. M., et elle en aura toujours de la même espèce.

Les plaisirs du carnaval sont des plus maigres. Les opéras ne sont ni à voir ni à entendre. On est bien éloigné ici d'étaler aux yeux le spectacle magnifique du nouveau monde ou de l'ancienne Rome, et de toucher le cœur par les actions d'un Sylla ou par les aventures d'un Montézuma; on est toujours réduit à la ressource déjà usée de changer le théâtre dans la boutique d'un miroitier.

J'ai été encore dernièrement passer quelques jours à mon infirmerie de Padoue, et n'ai assurément pas regretté la capitale. Je vois assez souvent M. l'ambassadeur de France,104-b qui est bien fait pour re<105>présenter la plus aimable nation du monde. Il se flatte, Sire, que la route où il est entré pourra le mener encore faire sa cour à V. M. Il a bien des titres pour vous admirer, Sire, comme ministre, comme un des Quarante, comme homme d'esprit. Je le verrais encore plus souvent, s'il n'avait pas un si bon cuisinier; il est triste que ma raison ait toujours à combattre des envies qui restent toujours à un estomac qui n'a plus la force de les satisfaire.

89. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 9 février 1754.

Je m'étonne que les médecins d'Italie et l'air natal ne vous aient pas encore guéri. Je comprends que les médecins sont les mêmes partout. Tant que leur art ne sera pas perfectionné, ils ne seront que les témoins des maladies.

J'ai vu à Berlin un comte, ou je ne sais quoi, qui se nomme Menefolio. A nous autres Allemands il a paru fou; je ne sais ce qu'il paraîtra aux Italiens. Il travaille depuis trente ans à une comédie dont il est lui-même le sujet principal. Il dort tout le jour, se lève à sept heures du soir, dîne à minuit, soupe à sept heures du matin, et travaille sa comédie. Il dit, sans cependant en être cru, que tout le monde vivait à présent ainsi en Italie. Comme il défait et refait sans cesse sa comédie, elle aura le sort de l'ouvrage de Pénélope, et je crois que ce beau phénix du théâtre ne sera pas représenté de sitôt.

Formey a lu à l'Académie les Éloges de MM. d'Arnim et de Münchow, et l'Académie s'est opposée à leur impression. J'ai été curieux de les lire. Jamais il n'y a eu bavardage plus inepte et plus plat.<106> Formey a voulu avoir de l'esprit; il a fait assaut contre la nature, et certainement cela n'a pas tourné à son avantage.

Le fou s'est dit mort à Colmar, pour entendre ce qu'on dirait de lui. Je vous envoie son épitaphe :

Ci-gît le seigneur Arouet,
Qui de friponner eut manie.
Ce bel esprit, toujours adrait,
N'oublia pas son intérêt,
En passant même à l'autre vie.
Lorsqu'il vit le sombre Achéron,
Il chicana le prix du passage de l'onde,
Si bien que le brutal Caron,
D'un coup de pied au ventre appliqué sans façon,
Nous l'a renvoyé dans ce monde.106-a

Je vois bien que je ne vous reverrai qu'avec les cigognes et les hirondelles, et je compte que vous aurez si bien arrangé vos affaires en Italie, que vous ne serez plus obligé d'y retourner de sitôt. Adieu.

90. AU MÊME.

Ce 15.

J'ai reçu des graines de melon, de la musique, et le portrait d'une danseuse. Je vous remercie des premières, j'entendrai ces jours-ci la musique, et quant au portrait de la danseuse, je le trouve très-joli; mais il faut savoir son prix avant que de procéder à l'engagement. Huit cents ducats est trop pour une troisième danseuse; mais si nous pouvons nous accorder, ce sera une affaire pour l'année qui vient. Je vous renvoie le portrait, qui pourra rappeler à la vie vos esprits<107> engourdis, et vous faire préluder sur l'illusion de la jouissance, attendant la réalité. Chiqua107-a fait des merveilles ici. Adieu; je vous souhaite santé, contentement et repos.

F.

91. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 8 mai 1754.



Sire,

Je ne saurais remercier assez Votre Majesté des vers dont elle a voulu me faire part. Ils sont extrêmement plaisants, et de main de maître. Oserais-je dire à V. M. qu'elle aurait dû aussi me faire envoyer l'Éloge que l'abbé de Prades a lu à l'Académie? Je m'imagine qu'il sera à mettre à côté des Éloges de MM. Stille et Jordan, et à côté de ceux de Fontenelle. Je suis bien fâché, Sire, que V. M. ait été à même de faire un pareil honneur au pauvre Knobelsdorff. Je ne verrai plus un homme avec lequel j'avais été lié de tous temps par l'amitié et par l'estime. Il avait bien du talent, et, si c'était un philosophe scythe, il n'honorait pas moins les vertus d'Alexandre. Je connais si bien M. le comte Menefolio par le portrait que V. M. en fait, que je le tiens vu; et pour sa comédie, je la tiens lue. V. M. a bien raison de ne pas croire l'Italie faite comme lui. Hélas! Sire, j'aurais bien voulu en apporter à V. M. une relation plus exacte; mais il faudrait que celui qui connaît si bien l'Europe qu'il importe de connaître, et dont il fait une si grande partie, se contentât de la relation de Padoue et<108> d'un petit quartier de Venise. J'avoue, Sire, qu'il a été bien douloureux pour moi d'avoir été si longtemps éloigné de V. M. pour être confiné à Padoue. Ce n'est pas un moindre sujet de chagrin pour moi, Sire, de voir que je ne saurais sortir du régime et de la vie médicale sans traîner une vie languissante qui éteint la parcelle du feu divin qui est en nous, et sans essuyer de ces incommodités qui sont pis que les maladies :

..... quid enim? concurritur : horae
Momento cita mors venit, aut victoria laeta.108-a

Quoique l'aisance entière dont je jouis ici, et l'air natal, commencent à me faire ressentir quelque bénéfice, mon cœur vole aux pieds de V. M. J'y serai bientôt moi-même, et seconderai ses mouvements. V. M. verra elle-même et jugera mon état. Je crains bien, Sire, que V. M. ne saura que faire d'un homme qui ne peut être, pour ainsi dire, au ton des autres. Ce qui doit me consoler en toute chose, c'est que je suis attaché non pas à un homme roi, mais à un roi homme, comme a dit M. Chesterfield de V. M.

J'attends toujours après les ordres dont V. M. voulait me charger touchant les agates, et serai charmé de savoir si les boutargues ont réussi, afin d'en commander et d'en avoir toujours de la même espèce.

<109>

92. AU COMTE ALGAROTTI.

Ce 26.

Je ne sais quand je vous reverrai ici. Le temps commence à s'adoucir, les alouettes à chanter, les grenouilles à croasser.109-a Il ne manque que les hirondelles et les cigognes; j'espère que vous arriverez en leur compagnie. Mon Opéra-comique, qui vient de débarquer, m'assure que votre santé se remet, et que vous n'attendiez que le beau temps. Je crois que vos médecins de Padoue sont comme le docteur Balouard de la comédie, qu'ils parlent beaucoup, et guérissent peu. C'est peut-être leur nombre qui nuit à votre santé. Maupertuis va revenir; il a triomphé de son mal en dépit des médecins, et a fait manquer une grande réputation à quelqu'un qu'il eût voulu charger de sa cure. On dit ici que vous aurez bientôt de nouveaux troubles en Italie; ce sont des discours de l'arbre de Cracovie.109-b Je ne m'étonnerais cependant pas qu'on se disputât la possession de ce beau pays. Si j'avais été de Charlemagne, au lieu de m'amuser à conquérir des païens d'en deçà l'Elbe, j'aurais établi mon empire à Rome. Peut-être serions-nous encore païens de cette affaire; mais le malheur ne serait pas grand, et on pourrait plaisanter sur Jupiter et Vénus plus joliment que sur M.... et J...... Votre confrère en Belzébuth s'est brouillé à Colmar avec les jésuites. Ce n'est pas l'action la plus prudente de sa vie. On dit qu'on pourra l'obliger à abandonner l'Alsace.<110> Il est étonnant que l'âge ne corrige point de la folie, et que cet homme, si estimable par les talents de l'esprit, soit aussi méprisable par sa conduite. Il y a ici un chevalier Masson, venu de France, qui paraît aussi sensé que nombre de ses compatriotes qui l'ont précédé m'ont paru fous. Il est lettré, et semble avoir du fonds; je ne le connais pas assez pour en juger avec certitude. Mon opéra attend votre retour; vous lui servirez de Lucine, pour que le sieur Tagliazucchi en accouche heureusement. J'y ai mis toute la chaleur dont je suis capable; mais la chaleur de nous autres auteurs septentrionaux ne passerait que pour glace en Italie. Adieu. Je compte que ce sera la dernière lettre que je vous écrirai, ou je prendrai vos mois pour des ois prophétiques du grand prophète Daniel.110-a

Fr.

93. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 17 mai 1754.



Sire,

J'ai fait après Pâques une petite tournée à Vérone pour me remettre en train de voyager. Je comptais, Sire, aller au lac de Garde, qui, dans la belle saison, est l'endroit le plus délicieux de l'État de Venise; mais, la saison étant encore trop rude, j'ai été à Mantoue revoir les bâtiments de Jules Romain, dont je pourrai apporter à V. M. quelque esquisse, et de là j'ai été à Parme, où j'ai vu le Corrége, et n'ai point vu l'Infant, qui était à la chasse. Au retour de mon petit voyage, j'ai trouvé à Padoue la lettre dont V. M. m'honore. Je suis charmé d'entendre que Maupertuis jouisse d'une santé parfaite. Il me mande que les turbots et les soles de Saint-Malo l'ont tout à fait remis. Il est<111> bien heureux, tandis que moi, j'ai toujours de la peine à digérer les poulets, et je me vois exclu de la bonne chère et presque de la bonne compagnie. Les nouvelles qui occupent le plus ici sont nos différends avec la république de Gênes, qui seront sans doute terminés à l'amiable, et la négociation de M. de Löwendal pour entrer au service des Vénitiens. L'opéra de V. M. attend mon retour, sans doute pour avoir un admirateur de plus.

Quant à moi, j'attends à tout moment des nouvelles précises touchant la qualité des chemins et la hauteur des eaux, qui sont maintenant débordées par la fonte subite des neiges qu'il a fait, pour me déterminer si je prendrai le chemin du Tyrol ou de Vienne. Celui que je croirai me mener le plus tôt aux pieds de V. M. est certainement celui que je croirai le meilleur, et que je choisirai.

94. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 30 juillet 1754.

J'ai reçu votre lettre par laquelle vous me marquez que votre mauvaise santé vous oblige de me demander votre congé. C'est pour la seconde fois que je vous l'accorde. J'aurais cru que votre air natal vous aurait mieux traité, et qu'il ne vous aurait pas fait perdre votre santé, qui me parut très-bonne lorsque vous partîtes d'ici. Je souhaite qu'il répare le mal qu'il vous a fait, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

<112>

95. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 27 juillet 1755.



Sire,

Je me crois en devoir, Sire, de me mettre aux pieds de Votre Majesté à l'occasion de l'arrivée et du départ de ce pays-ci de S. A. R. madame la margrave de Baireuth. Dans le séjour extrêmement court qu'elle a fait à Venise, le gouvernement s'est extrêmement empressé de lui rendre toute sorte d'honneurs. On allait des honneurs passer aux fêtes, si S. A. R. avait pu accorder encore quelques jours aux empressements du gouvernement. On aurait voulu, Sire, fêter de même que l'on a honoré dans la personne de S. A. R. la sœur du plus grand des rois.

96. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 août 1755.

Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez à l'occasion du passage de ma sœur, madame la margrave de Baireuth, par Venise. La politesse de vos compatriotes m'était connue, et vous seul auriez bien suffi pour m'en donner l'idée que je dois en avoir. Je conserve toujours pour vous les mêmes sentiments d'estime et de bienveillance que je vous témoignais lorsque vous étiez ici, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<113>

97. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 26 avril 1755.



Sire,

Le livre que j'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté ne contient qu'une esquisse des sentiments d'admiration envers V. M. qui seront toujours présents à mon esprit, comme ceux de la reconnaissance seront toujours gravés dans mon cœur; et si ce livre avait le bonheur d'être approuvé par V. M., j'oserais me flatter que non seulement il rendrait témoignage de mes sentiments au public, mais même à la postérité.

98. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 15 novembre 1755.

Je n'ai reçu votre lettre, quoique datée du mois d'avril, que depuis fort peu de jours. Je vous remercie avant d'avoir lu votre ouvrage; c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. J'ai été pourtant trop à portée de vous connaître, pour que je ne pusse pas déjà en porter un jugement qui ne s'éloignerait guère de la vérité. J'ai au reste toujours les mêmes sentiments à votre égard, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

<114>

99. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 26 octobre 1756.



Sire,M'a-t-on vu le dernier paraître aux champs de Mars?114-a

Votre Majesté peut avec raison répéter ce beau vers, et vos ennemis doivent bien se mordre les doigts de vous avoir forcé à paraître. L'entreprise de V. M.114-b était digne de César, votre confrère en gloire, qui maturandum semper existimavit; et l'exécution en a été de même. La nouvelle gloire dont V. M. vient de se couvrir fait honneur au siècle et à l'humanité. Il n'appartenait qu'à V. M. d'élever l'histoire moderne à la dignité de l'ancienne. Io triumphe! Je suis avec le plus profond respect, etc.

100. DU MÊME.

Bologne, 9 novembre 1756.



Sire,

Votre Majesté voudra bien me permettre d'écrire encore un mot après une armée entière prise à discrétion. On n'a jamais entendu parler de pareille entreprise depuis celle de César en Espagne contre Afranius et Petreius. Mais celle de V. M. est bien différente. Il n'avait contre lui que ces messieurs, et V. M. avait les Saxons et les Autrichiens tout ensemble. Vous nous faites perdre, Sire, le goût pour<115> l'histoire ancienne. Caesar in eam spem venerat, se sine pugna et sine vulnere suorum rem conficere posse, quod re frumentaria adversarios interclusisset..... Cur denique fortunam periclitaretur, praesertim cum non minus esset imperatoris, consilio superare quam gladio?115-a Tout cela était fort beau avant la bataille de Lowositz et la capitulation de Königstein. Continuez, Sire, à effacer César et à éclairer le siècle. Je vois déjà la Bohême inondée par vos troupes victorieuses, et vos ennemis forcés à vous demander humblement cette paix que vous leur accordiez si généreusement à la tête de votre armée.

101. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 27 novembre 1756.

Comme vous m'avez paru, par votre lettre, prendre part à ce qui se passe dans ce pays, je vous envoie la relation de la campagne. Vous ne la trouverez certainement pas conforme à tout ce que vous avez lu ou entendu raconter, mais, quoi qu'il en soit, elle n'en est pas moins exacte. Je vous remercie des témoignages d'attachement que vous continuez de me donner; soyez assuré que je vous en sais un véritable gré, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

<116>

102. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 21 décembre 1756.



Sire,

Les écrits de Votre Majesté ne sont pas moins admirables que ses actions. Il est bien indifférent à V. M. d'avoir des génials dans ce coin du monde, qui ne voit jamais de troupes que celles qui viennent le ravager. Mais V. M. en a tout plein, et les plus zélés partisans des ennemis de V. M. sont forcés de sentir la solidité des raisons sur lesquelles est appuyée la cause de V. M., et d'admirer la force des mesures que V. M. sait prendre pour la soutenir. Mais combien de grandes choses sont renfermées dans la courte relation dont il a plu à V. M. de m'honorer! Eodem animo dixit quo bellavit.116-a Je ne doute nullement, Sire, que, avec les légions que V. M. a sous ses ordres et le conseil qu'elle a dans sa tête, elle ne fasse encore, s'il est possible, de plus grandes choses que celles qu'elle vient de faire. Qu'il est glorieux, Sire, d'appartenir à un prince qui remplit de sa gloire l'univers entier!

103. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 27 décembre 1756.

Tout ce que nous avons fait cette année n'est qu'un faible prélude de ce que vous apprendrez l'année prochaine. Nous avons commencé un peu trop tard pour pouvoir entreprendre beaucoup. Mais, quoi<117> que nous fassions, nous ne nous flattons pas assez pour ne pas sentir que nous ne vivons pas dans le siècle des Césars. Tout ce qu'on peut faire à présent, c'est, je crois, d'atteindre au plus haut point de la médiocrité. Les bornes du siècle ne s'étendent pas plus loin. Je vous remercie de vos bons sentiments à notre égard et de votre bon souvenir; soyez assuré de ma bienveillance, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

P. S. Les bagatelles qui se sont passées cette année ici ne sont qu'un prélude de la prochaine, et nous n'avons encore rien fait, si nous n'imitons César dans la journée de Pharsale.

104. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 25 janvier 1757.



Sire,

La lettre que Votre Majesté a daigné m'écrire en dernier lieu est bien honorable pour moi, et j'ose dire qu'elle n'est pas moins glorieuse à V. M. Les bontés que V. M. me marque sont égales à la grandeur d'âme qu'elle y fait paraître,

Nil actum reputans si quid superesset agendum.117-a

Je vois bien que c'est le mot de V. M., mot dont elle remplira bien scrupuleusement toute l'étendue. A un prince qui a tous les talents et toutes les vertus, tel que V. M., il ne faut que l'occasion. Vos en<118>nemis, Sire, vous l'ont présentée, et vous, malgré eux, vous allez vous faire plus grand que jamais.

105. DU MÊME.

Bologne, 16 mai 1757.



Sire,

Je sais bien que Votre Majesté ne veut pas encore qu'on la félicite, nonobstant les grandes choses qu'elle vient de faire,

Nil actum reputans si quid superesset agendum.

Il nous semble pourtant, à nous autres, qu'entrer en Bohême en cinq colonnes, vis-à-vis d'un ennemi qui y a toutes ses forces rassemblées, pour faire une guerre offensive, le battre en deux endroits, le mettre en fuite dans les autres, lui prendre ses principaux magasins, le forcer de quitter son fameux camp de Budin, le recogner sous Prague, dont il sera probablement obligé de décamper, faute de vivres, et de vous abandonner toute la Bohême, il nous semble, dis-je, que cela aurait fait chanter pour le moins cinq Te Deum dans tout autre pays. Continuez, Sire, à effacer les plus grands hommes en tout genre, et permettez-nous de nous féliciter d'être nés dans le siècle qui vous a produit.

<119>

106. DU MÊME.

Bologne, 24 mai 1757.



Sire,

Votre Majesté nous avait promis une Pharsale, et vous nous avez bientôt, Sire, tenu parole. On a assuré que V. M., après avoir vaincu comme César, a pleuré comme lui sur le champ de bataille. Vos larmes, Sire, ne vous font pas moins d'honneur que votre victoire. Que vous dirons-nous, Sire? Tout ce qu'on pourrait dire est infiniment au-dessous de ce que V. M. fait. Terra siluit in conspectu ejus.119-a

107. L'ABBÉ DE PRADES AU COMTE ALGAROTTI.

Au camp devant Prague, 10 mai 1757.

Le Roi m'a ordonné, monsieur, ne pouvant le faire lui-même, de vous apprendre qu'il vient de gagner près de Prague la bataille de Pharsale. Je crois qu'un récit abrégé de ce qui a précédé cette grande action vous fera plaisir.

Sur la fin de l'hiver, le Roi fit construire des redoutes à toutes les portes de Dresde, et tracer des lignes. Il persuada par là aux ennemis qu'il voulait se tenir sur la défensive. Il entra dans les quartiers de cantonnement le 24 de mars, et ne cessa, dès le moment qu'il y fut, de faire reconnaître des camps dans tous les endroits par où l'on pouvait déboucher dans la Saxe. Enfin, il fit marcher différents<120> corps, et de différents côtés, pour voir si l'ennemi prenait l'alarme, et s'il était réellement convaincu que le Roi n'agirait point offensivement. Il parut, à leurs démarches, qu'ils s'étaient persuadé que le Roi ne voulait point entrer en Bohême, car ils ne faisaient que replier leurs postes avancés. Nos corps revenaient aussi sur leurs pas, ce qui acheva de leur donner le change. Après les avoir ainsi préparés, le Roi quitta, le 20 d'avril, son quartier de cantonnement, et donna le même ordre à toutes les troupes; le 21, son armée se trouva rassemblée à Ottendorf, sur les frontières de Bohême. Le maréchal de Schwerin était entré, de son côté, le 18 en Bohême, dirigeant sa marche sur Jung-Bunzlau, où les ennemis avaient un de leurs plus grands magasins. Le duc de Bevern pénétra en même temps par la Lusace, du côté de Friedland et de Zittau, le prince Maurice du côté d'Éger. Le duc de Bevern devait joindre le maréchal de Schwerin; mais, avant de le joindre, il gagna sur le comte de Königsegg une bataille auprès de Reichenberg. Le prince Maurice joignit le Roi, qui marcha à grandes journées, poussant toujours l'ennemi devant lui. Rien ne résista aux gorges. Nous avions cru être arrêtés au passage de l'Éger; mais le Roi fit une marche de nuit, et ses ponts furent jetés, et la moitié de son armée de l'autre côté, que l'ennemi n'en savait rien. Le maréchal Browne se retira assez vite. On s'était flatté qu'ils attendraient le Roi sur le Weissenberg, poste très-avantageux sous le canon de Prague; mais nous trouvâmes qu'ils avaient passé la Moldau. Il fallut encore passer cette rivière. Le Roi prit vingt bataillons et quelques escadrons avec lui, et fit jeter un pont. On passa sans résistance. Le Roi avait fait ordonner au maréchal de Schwerin de le joindre de l'autre côté de la Moldau. Le 6 de ce mois, il joignit le Roi de grand matin. On reconnut le camp des ennemis, et le Roi, voyant bien qu'il était inattaquable par son front, ordonna au maréchal de Schwerin de marcher par sa gauche, et de faire en sorte de tourner les ennemis et de leur gagner le flanc. Le maréchal marcha,<121> et la marche fut longue. Enfin, il revint, et dit au Roi : « Sire, pour leur flanc, nous l'avons. » Le Roi s'y porta d'abord, fit défiler le reste de l'armée à travers un village qui nous arrêta longtemps. On forma, d'abord après, la première ligne, et le maréchal, qui commandait l'aile gauche, la première ligne se trouvant formée, fit attaquer. Le Roi marcha du côté du centre pour continuer à mettre l'armée en ordre de bataille. Notre gauche souffrit d'abord beaucoup, et les ennemis la menèrent battant près d'une demi-heure. Ce fut là que le maréchal de Schwerin, voyant ce désordre, et que son régiment pliait aussi, prit un drapeau à la main, et, encourageant ses soldats, il reçut un coup de l'eu dans la tête et dans la poitrine, dont il expira sur-le-champ. Le drapeau qu'il tenait à la main couvrit tout son corps. Le Roi continua à donner ses ordres avec le même sang-froid que si tout était bien allé; il envoya des troupes à cette aile gauche, fit rallier les fuyards, et rétablit si bien le combat, que les ennemis, à leur tour, furent battus, et si bien poursuivis, qu'ils ne purent jamais se rallier. La déroute fut totale : ils n'avaient pas deux hommes ensemble; l'infanterie était pêle-mêle avec la cavalerie. Il fallait encore battre leur droite, qui se trouvait dans des postes presque inaccessibles. Nos troupes, malgré leur lassitude et malgré les difficultés presque insurmontables, ne se rebutèrent point. Elles escaladèrent les rochers, chassèrent les ennemis de partout. Leur armée se débanda absolument; une partie fuit du côté de la Sasawa, et l'autre partie entra dans Prague, où il y a environ cinquante mille hommes. Le prince Charles, le maréchal Browne, le prince de Saxe, le prince Louis de Würtemberg et la plus grande partie de leurs généraux y sont aussi. Le Roi est campé avec son armée autour de la ville, et a pris toutes les précautions pour les faire prisonniers, ou du moins pour qu'ils n'en échappent pas sans qu'il leur en coûte horriblement cher. Le duc de Bevern a marché au-devant du maréchal Daun, qui veut tenir encore contenance. Il a ordre de lui livrer bataille. Ainsi<122> le Roi se trouvera par là, en moins d'un mois, avoir conquis un royaume et dissipé presque toutes les forces de la maison d'Autriche. Le maréchal de Browne a été blessé à la jambe; nous avons fait beaucoup de prisonniers, et pris une grande quantité d'étendards, ainsi que des pièces de canon. Outre le maréchal de Schwerin, nous avons perdu le général d'Amstel, le duc de Holstein, le colonel Goltz, M. de Hautcharmoy; les généraux Fouqué, de Winterfeldt, d'Ingersleben, de Kurssel, et plusieurs autres officiers, ont été blessés. On a perdu sans doute beaucoup de braves gens; mais si vous voyiez le terrain, vous seriez surpris qu'on ait pu déloger une armée de pareils postes, ayant surtout une si nombreuse artillerie. Le Roi, malgré les périls auxquels il s'est exposé, est en très-bonne santé. Je suis charmé de vous renouveler dans une si belle occasion les sentiments de la plus parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

108. LE COMTE ALGAROTTI A L'ABBÉ DE PRADES.

Bologne, 4 juin 1757.

On ne saurait être plus sensible que je le suis de ce que le Roi ait daigné songer à moi dans ces grands moments qui vont décider du sort de l'Europe. Vous m'avez appris, monsieur, à admirer distinctement et en détail ce que je n'admirais que confusément et en gros. Votre relation est un portrait bien fidèle de ce grand trait d'histoire, et votre plume ne sait pas moins décrire les manœuvres les plus profondes de la guerre qu'elle sait traiter les sujets de la plus haute philosophie. A considérer le nombre, la qualité, la situation des ennemis à qui le Roi avait affaire, il faut avouer, monsieur, que nous<123> n'avons jamais rien lu de pareil. Rien ne manque à la gloire du Roi, et la mort même du maréchal de Schwerin y ajoute un nouvel éclat. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me mettre aux pieds du Roi, et de lui faire sentir que ma reconnaissance pour ses bontés est égale à l'admiration dont l'univers est saisi au bruit de ses exploits.

Je vous félicite, monsieur, d'avoir été témoin oculaire de tous ces grands événements, qui seront une leçon à la postérité la plus reculée, et serais trop heureux, si je pouvais, dans ce pays-ci, vous donner quelque marque de la parfaite estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

Oserais-je vous prier de présenter mes respects à M. le maréchal Keith?

109. LE MÊME A FRÉDÉRIC.

Bologne, 16 novembre 1757.



Sire,

Je jure à Votre Majesté par votre prévoyance, par votre vaillance, par votre célérité et par tous vos autres attributs, que je n'ai jamais désespéré de la chose publique. Puisqu'il a plu au Dieu des armées de conserver V. M. au milieu de tant de dangers, j'ai toujours cru que la gloire du nom prussien serait montée plus haut que jamais. Après les plus beaux mouvements en Bohême et en Lusace, qui auraient été l'admiration d'un Starhemberg, V. M. vient d'éclipser Gustave-Adolphe dans ces mêmes plaines où sa science avait tant brillé. Cette dernière victoire123-a est un de ces miracles militaires qu'il n'est pas per<124>mis d'opérer qu'aux favoris de Mars les plus intimes, aux fondateurs de la règle. Mais V. M. n'a pas fini d'agir, et nous ne cesserons d'admirer. Que ce siècle va être ennobli par les exploits de V. M.! Il effacera tous ceux qui ont été jusqu'à présent les plus lumineux.

110. DU MÊME.

Bologne, 15 décembre 1757.



Sire,

Je savais bien, Sire, lorsque je félicitais Votre Majesté sur la journée du 5 novembre, que j'aurais dû la féliciter bientôt sur un autre cinq.124-a V. M. voudra donc pardonner à mon empressement une lettre presque inutile. Cet autre cinq met le comble à la gloire de V. M. et la fin à une guerre dont toutes les annales du genre humain ne fournissent rien d'approchant. On dit, Sire, qu'il y a bien peu de charité à vous de faire mourir ainsi vos ennemis de faim et de froid. V. M. aurait dû, disent-ils, les laisser en repos pendant une saison aussi rude, et admirer, en attendant, leur générosité de vous attaquer cinq ou six à la fois. Il m'avait paru, Sire, jusqu'à présent, que V. M., par ces hauts faits, avait élevé l'histoire moderne à la dignité de l'ancienne. Mais je vois bien, Sire, que, par vos exploits merveilleux, V. M. donne à l'histoire l'air du roman. Je souhaite à V. M. longues années et aussi glorieuses que celle-ci.

<125>

111. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 10 janvier 1758.

J'ai bien reçu la lettre que vous m'avez écrite pour me féliciter sur la victoire que j'ai remportée le 5 du mois passé sur l'armée autrichienne. Je suis bien flatté de la part que vous prenez à cet événement, et reçois avec plaisir les vœux que vous formez à ce sujet. Je souhaite qu'ils s'accomplissent; en attendant, me voilà retombé sur mes jambes et prêt à repousser les coups qu'on voudra me porter. Je prie Dieu, au reste, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

112. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 janvier 1758.



Sire,

Res gerere et captos ostendere civibus hostes
Attingit solium Jovis et coelestia tentat,

dit votre Horace;125-a et quel triomphe pour vous, Sire, que trente-six mille prisonniers de guerre faits dans l'espace de quinze jours! Blenheim y est pour peu de chose; V. M. même n'a fait, pour ainsi dire, que préluder à Rossbach. Celle-ci est la véritable apothéose. Et avec quel sang-froid V. M. ne fait-elle pas tout cela! Elle écrit tranquillement de son camp qu'elle est occupée à reprendre Breslau, comme César écrivit à ses amis qu'il faisait devant le préside de Brindisi une<126> jetée dans la mer, ut aut Pompeium cum legionibus capiam, aut Italia prohibeam. Mais la différence est que César, à Brindisi, non cepit Pompeium cum legionibus, et V. M., à Breslau, cepit generales cum bataillonibus.126-a Parmi les grandissimes choses que V. M. a faites en si peu de temps, il y en a une, permettez-moi, Sire, de vous la rappeler, qui m'a infiniment touché. C'est ce lendemain de la journée du 5, lorsque V. M. a bien voulu remercier solennellement son armée. Je suis bien sûr, Sire, que les dixièmes dont elle est composée auront été encore plus touchées des remercîments de leur compagnon et de leur roi que des récompenses dont il les a comblées. Parmi vos triomphes de toute espèce, daignez, Sire, mêler les acclamations et la voix de votre serviteur, qui se félicite d'être né dans votre siècle, et plus encore d'appartenir à V. M.

113. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 16 janvier 1758.

Je suis bien flatté de l'intérêt que vous continuez de prendre au succès de mes armes, et de la nouvelle marque que vous venez de me donner de votre attachement par le compliment que vous me faites à l'occasion de la victoire que j'ai remportée le 5 de décembre sur l'armée autrichienne. Mais, quoique les suites de cet événement aient été aussi rapides qu'importantes, les augures que vous en tirez pour le rétablissement de la paix n'en paraissent pas être moins prématurés, et il y a toute apparence que je servirai encore cette année d'amusement aux gazetiers et à la curiosité de vos nouvellistes.

<127>En attendant, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

114. AU MÊME.

...... 127-aPenitusque in viscera lapsum
Serpentis furiale malum, totamque pererrat;
Tum vero infelix, ingentibus excita monstris,
Immensam sine more furit lymphata per urbem.127-b

La Discorde, s'étant approchée d'Amate, empoisonna son cœur, et elle devint furieuse contre Énée. Vous voyez bien qu'il ne suffit pas de se battre, et qu'il est plus difficile de réduire de méchantes femmes que des hommes vaillants. Je désire autant la paix que mes ennemis ont de l'éloignement pour elle, et, si nous faisons des efforts, il faut l'attribuer à la nécessité :

Saeva necessitas industriam parit.

Vous pourrez vous amuser encore cette année-ci par les gazettes, non de ce qui se passe sur la montagne de l'Apalache127-c et de la querelle des merluches,127-c mais de ce qui décidera de la liberté ou de l'es<128>clavage de l'Europe, qu'un nouveau triumvirat veut subjuguer. Si j'en avais le choix, j'aimerais mieux me trouver dans le parterre que de représenter sur le théâtre; mais, puisque le sort en est jeté, il en faut tenter l'aventure.

Sed nil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae.128-a

Federic.

115. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 10 février 1758.



Sire,

Je laisse juger à Votre Majesté combien je dois me sentir honoré des réponses qu'elle a bien voulu faire à mes lettres, dans un temps où elle roule dans son esprit la destinée de l'Europe. Ce serait grand dommage, Sire, que V. M. ne fût que le sage contemplatif de Lucrèce, et qu'elle fût assise au parterre. V. M. joue trop bien pour n'être pas acteur. J'ai vu dernièrement passer par ici les troupes de Toscane qui marchent en trois colonnes contre V. M. Mais je crois qu'un chapiteau d'ordre prussien renversera aisément toutes ces colonnes d'ordre toscan.

S'il est permis, Sire, après vos hauts faits, d'admirer vos bons mots, V. M. nous en donne ample matière. Quand elle répondit à quelqu'un qui lui parlait de ses deux cinq, « Je n'ai eu qu'un peu de sang-froid et beaucoup de bonheur, » il me semble d'entendre New<129>ton qui répond à quelqu'un qui admirait son puissant génie : « Je n'ai fait que ce qu'aurait fait tout autre by a patient way of thinking. »

Mais la toile va être levée, et nous allons de nouveau battre des mains au triomphateur.

Eheu, quantus equis, quantus adest viris
Sudor! quanta moves funera Austriacae
Genti! jam galeam Federicus et aegida
Currusque et rabiem parat.129-a

Je suis avec le plus profond respect, etc.

P. S. J'espère que V. M. aura reçu les boutargues qui sont élevées à assaisonner sa table militaire.

116. AU COMTE ALGAROTTI.

Grüssau, 18 avril 1758.

Je vous suis très-obligé de la boutargue que vous m'avez envoyée; et comme je ne puis vous envoyer ni production ni fruit de ce pays-ci, je vous envoie, au lieu de votre boutargue, deux petites nouvelles. L'une est que les Français ont été chassés au delà du Rhin avec une perte de trente-trois mille hommes; la seconde, que Schweidnitz est rendu, que l'on y a fait deux cent cinquante officiers prisonniers et quatre mille deux cents hommes. Si vous vous contentez de nouvelles, vous n'avez qu'à envoyer de la boutargue, et on vous donnera<130> du nouveau des environs d'ici. D'ailleurs, je prie le Seigneur Dieu qu'il vous conserve dans sa sainte garde.

117. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 septembre 1758.



Sire,

Votre Majesté confirme de plus en plus les droits incontestables qu'elle a au titre de great and infatigable, que lui a décerné la nation la plus éclairée de l'univers. Y a-t-il rien de plus éclatant que la victoire que V. M. vient de remporter sur les Russes? A quelle paix, Sire, ne devez-vous pas vous attendre? Mais sera-t-elle jamais si glorieuse, qu'elle puisse figurer, Sire, avec vos exploits? A ce compte-là, l'Europe entière serait encore un faible partage pour V. M. Je vous vois, Sire, revenir comme la foudre vers l'occident. Je vois M. Daun se replier sur la Bohême, et MM. les Suédois rester tout perclus sur les bords de la Peene. Le prince de Brunswic ne dément pas, Sire, votre école, et les Anglais, animés par vous, reprennent leur ancienne valeur. Le grand jour approche; que la paix mette le comble à l'apothéose de V. M.

<131>

118. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 6 novembre 1758.

La lettre que vous m'avez écrite m'est parvenue par de longs détours, et nos courses ont été si rapides et si continuelles, que je n'ai pu trouver qu'à présent un instant pour vous répondre. Je vous suis obligé de la part que vous prenez à la bataille de Zorndorf. Il y a eu, depuis, bien des événements. Cependant, malgré tant de destinées diverses, la fin de la campagne a tourné de la façon dont vous l'aviez prévu. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

119. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 5 décembre 1758.



Sire,

Annibal a vaincu Marcellus et Fabius. Jamais plus belle guerre n'a été jouée. Il me semble, Sire, s'il est permis aux mortels de raisonner sur les beaux faits des dieux, que l'affaire de Hochkirch est encore plus glorieuse pour V. M. et pour les troupes que V. M. a su former que la victoire même de Zorndorf. C'est grand dommage qu'une aussi glorieuse journée ait été marquée par la mort de tant de braves gens, et surtout du maréchal Keith. Je suis bien sûr que V. M. l'aura honoré de ses larmes. Mais quoi de plus beau, Sire, que la fin de la campagne? Dans le temps que ses ennemis nourrissaient the most sanguine hopes, comme l'expriment les bons amis de V. M., voilà que, par les marches les plus savantes et les mieux concertées, par le plus<132> beau contrapunto de la guerre, V. M. a fait tout d'un coup aller en fumée tous leurs beaux projets; et même elle leur fait sentir de nouveau la pesanteur du corps prussien. Permettez-moi, Sire, d'applaudir à ces nouveaux triomphes, comme j'ai pris la liberté d'applaudir à celui que V. M. a obtenu contre les Russes. Dans la grande journée de Zorndorf, qui sera chantée par la voix du temps, V. M. a entrelacé les lauriers de Henri IV à ceux de Louis XII; elle a joint au titre de Henri celui de Père de la patrie.

120. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 4 janvier 1759.

Je ne mérite pas toutes les louanges que vous me donnez; nous nous sommes tirés d'affaire par des à peu près. Mais, avec la multitude de monde auquel il faut nous opposer, il est presque impossible de faire davantage. Nous avons été vaincus, et nous pouvons dire comme François Ier : Tout a été perdu, hors l'honneur. Vous avez grande raison de regretter le maréchal Keith; c'est une perte pour l'armée et pour la société. Daun avait

............................ saisi l'avantage
D'une nuit qui laissait peu de place au courage.132-a

Mais, malgré tout cela, nous sommes encore debout, et nous nous préparons à de nouveaux événements. Peut-être que le Turc, plus chrétien que les puissances catholiques et apostoliques, ne voudra pas que des brigands politiques se donnent les airs de conspirer contre<133> un prince qu'ils ont offensé, et qui ne leur a rien fait. Vivez heureux à Padoue, et priez pour des malheureux apparemment damnés de Dieu, parce qu'ils sont obligés de guerroyer toujours. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

121. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 20 février 1759.



Sire,

Tandis que Votre Majesté ouvre le plus grand théâtre militaire, on ne songe, dans cette partie de l'Italie, qu'au théâtre de la comédie et de l'opéra. On a projeté, à Parme, de prendre ce qu'il y a de bon dans l'opéra français, de le mêler au chant italien, et de donner des spectacles dans le goût de ceux qui ont fait tant de plaisir dans le théâtre de Berlin. Comme j'ai publié, il y a quelques années, maintes réflexions là-dessus, l'on a souhaité que je visse le plan qu'ils se proposaient de suivre. L'infant Don Philippe m'a fait inviter, et j'ai passé quelques jours à la cour de Parme. J'ai été extrêmement flatté d'y paraître comme le serviteur le plus attaché au plus grand prince, qui voit l'Europe réunie pour le combattre et l'admirer. J'ai bien entendu, Sire, le nom prussien célébré par des bouches françaises. L'admiration que l'on a pour V. M. est égale à la façon dont vous avez su vaincre et traiter les vaincus; elle est égale à ces hauts faits en tout genre qui seront à jamais la leçon des siècles à venir. Je suis bien assuré, Sire, que V. M. va, de cette campagne, casser l'arrêt qui semblait l'avoir condamné, comme dit V. M., à guerroyer toujours. Ce que vous avez fait exécuter, Sire, pendant l'hiver, est un bon garant<134> de ce que V. M. fera pendant l'été. Elle va couronner de la façon la plus décisive et la plus glorieuse ses nobles et longs travaux. Je prends la liberté, Sire, d'envoyer à V. M. quelques boutargues pour ses entremets de campagne, et suis avec le plus profond respect, etc.

122. AU COMTE ALGAROTTI.

Rohnstock, 28 mars 1759.

Si l'arrêt doit être cassé, ce sera un bien pour tout le monde; il n'y a certainement point de plaisir à guerroyer toujours. Vos opéras valent mieux que les tragédies sanglantes qu'on joue ici; mais peut-être seront-ils changés en des scènes lugubres, et votre pays, qui a été si souvent l'objet de l'ambition de tant de princes, deviendra le théâtre de spectacles moins riants que ceux de vos comédies. Je vous remercie de vos boutargues, que je recevrai avec plaisir. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

123. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 février 1760.



Sire,

Si tu, Imperator maxime, exercitusque valetis, bene est. La fortune aura bien de quoi rougir de ne pas avoir secondé, pendant cette campagne, les plus beaux desseins que jamais on ait formés à la tête<135> des armées. Mais la longanimité de V. M., cette vertu première de ses bons amis les Romains, forcera tous les obstacles, et saura bien assujettir la fortune à la valeur. Je fais seulement les vœux les plus ardents pour que la santé du corps de V. M. égale l'activité de sa grande âme. V. M. nous fait voir ce qu'on ne croyait pas possible à la guerre, et le siècle aura l'obligation à V. M. de l'époque la plus brillante et la plus glorieuse qui soit enregistrée dans les annales du genre humain.

124. AU COMTE ALGAROTTI.

Freyberg, 10 mars 1760.

Il est certain que nous n'avons eu que des malheurs la campagne passée, et que nous nous sommes trouvés à peu près dans la situation des Romains après la bataille de Cannes. L'on aurait pu appliquer de même aux ennemis ce mot de Barca135-a à Annibal : « Tu sais vaincre, etc. » Par malheur pour moi, j'avais un fort accès de goutte à la fin de la campagne, qui m'avait entamé les deux jambes et la main gauche; tout ce que j'ai pu faire a été de me traîner pour être le spectateur de nos désastres. Il faut l'avouer, nous avons un monde prodigieux contre nous; il faut les derniers efforts pour y résister, et il ne faut pas s'étonner si souvent nous souffrons quelque échec. Le Juif errant, s'il a jamais existé, n'a pas mené une vie si errante que la mienne. On devient à la fin comme ces comédiens de campagne qui n'ont ni feu ni lieu; et nous courons le inonde, représenter nos<136> sanglantes tragédies où il plaît à nos ennemis d'en fournir le théâtre. Je vous suis très-obligé de la boutargue que vous m'avez envoyée; elle a été mangée par les troupes des cercles, peut-être par celles de Mayence, que l'Arioste avait prises en aversion. Cette campagne vient d'abîmer la Saxe. J'avais ménagé ce beau pays autant que la fortune me l'avait permis; mais à présent la désolation est partout, et, sans parler du mal moral que cette guerre pourra faire, le mal physique ne sera pas moindre, et nous l'échapperons belle, si la peste ne s'ensuit pas. Misérables fous que nous sommes, qui n'avons qu'un moment à vivre, nous nous rendons ce moment le plus dur que nous pouvons, nous nous plaisons à détruire des chefs-d'œuvre de l'industrie et du temps, et de laisser une mémoire odieuse de nos ravages et des calamités qu'ils ont causées! Vous vivez à présent tranquillement dans une terre qui a été longtemps le théâtre de pareils désastres, et qui le redeviendra avec le temps; jouissez de ce repos, et n'oubliez pas ceux contre qui votre pape a publié une espèce de croisade, et qui sont dans les convulsions de l'inquiétude et dans les illustres embarras des grandes affaires. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

125. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 9 septembre 1760.



Sire,

Tandis que chacun, Sire, s'arrache des mains vos poésies, et vous admire dans son cabinet, il admire encore davantage V. M. lorsque, en sortant de chez lui, il apprend vos marches admirables et la mé<137>morable journée que vous venez de gagner contre ce Loudon137-a qui était l'Achille d'entre vos ennemis. Si Caesar foro tantum vacasset,137-b il aurait été le plus éloquent des Romains. V. M. aurait été le premier poëte de l'Europe, si elle n'avait pas dû être le premier des hommes.

126. DU MÊME.

Bologne, 1er décembre 1760.



Sire,

Les brouillards autrichiens se sont bientôt dissipés. La vérité a percé, et nous avons su que V. M., après les marches les plus rapides et les plus savantes manœuvres, a remporté près de Torgau la plus glorieuse victoire et la plus féconde en conséquences. Vincere et victoria uti scis. Après avoir si bien battu Loudon, il ne restait à V. M. que de défaire le maréchal Daun, qui mandait avoir remporté une victoire complète, tandis que la bataille n'était pas encore finie. Vos ennemis sont défaits ou muets. Terra siluit in conspectu ejus.137-c

Je ne doute pas que V. M. ne reçoive celle-ci dans Dresde, et je doute fort que M. de Broglie veuille attendre une harangue de vos grenadiers dans l'université de Göttingen. Ainsi ce héros qui a réveillé les Anglais par la victoire de Rossbach les tranquillisera sur Hanovre par celle de Torgau.

J'ai appris avec douleur que vos ennemis, Sire, qui ne peuvent pas battre vos troupes, s'en vengent sur vos statues. Mais j'ai frémi<138> en lisant qu'un coup de feu avait .......138-a Puisse le Dieu des armées conserver toujours une vie si nécessaire à la gloire de l'humanité et au bien de l'univers!

127. AU COMTE ALGAROTTI.

Meissen, 30 décembre 1760.

Je vous remercie de votre lettre obligeante et de la part que vous avez prise à notre victoire de Torgau. Le succès de cette bataille aurait été plus brillant encore, si mon armée avait pu aller aussi rapidement que votre imagination; j'aurais eu Dresde. Trois ou quatre heures de différence m'ont fait manquer cette ville. Je ne puis rien vous dire sur ce qui arrivera chez le prince Ferdinand; la saison, les mauvais chemins empêchent d'agir, et il n'est pas possible de pouvoir traîner, dans ces terrains si rompus, des chariots et des canons. Vous êtes heureux de ne point connaître tous ces embarras. Profitez de votre bonheur, et jouissez à Bologne d'autant de tranquillité que nous avons ici de bruit et de tumulte. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<139>

128. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 10 février 1761.



Sire,

J'espère que Votre Majesté recevra dans peu des boutargues et une Vie d'Horace. Je me flatte, Sire, que les boutargues réussiront, et je voudrais bien qu'il en fût de même de mon Horace. S'il peut amuser V. M. pendant quelques quarts d'heure,

Cum tot sustineas et tanta negotia solus,139-a

je crois qu'il ressemble un peu à l'ancien, qui avait aussi le bonheur d'amuser les premiers personnages de son temps. Ces messieurs, pourtant, malgré le bruit qu'ils font encore, et malgré le précieux vernis que leur donnent tant de siècles, n'en déplaise, Sire, à votre modestie et à votre érudition, ne valurent pas assurément Federic. On doit être, Sire, à genoux devant V. M., autant par les bienfaits dont vous comblez vos peuples que par les exploits de votre bras victorieux, qui sait si bien les défendre de tant d'ennemis.

Qui sauve sa patrie est un dieu sur la terre.139-b

Je suis avec le plus profond respect, etc.

<140>

129. M. DE CATT AU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, quartier général, 3 février 1761.



Monsieur,

Le Roi m'a ordonné de vous remercier du livre et de la boutargue que vous lui avez envoyés. Je suis charmé d'avoir cette occasion de faire la connaissance d'une personne si distinguée par ses talents et par son mérite, et de vous assurer de l'estime parfaite avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

130. DU MÊME.

Leipzig, 10 mars 1761.



Monsieur,

Sa Majesté a reçu l'Horace que vous lui avez envoyé; elle vous en remercie. Elle m'ordonne de vous dire que vous avez bien prophétisé l'aventure des Français, qui est arrivée à peu près dans le temps marqué, mais qu'elle aurait mieux aimé qu'on n'eût pas pensé qu'elle pût avoir lieu, et que, quoique l'affaire ait bien réussi, cependant la tâche pour cette campagne sera encore bien pénible.

J'ai l'honneur d'être avec toute la considération possible, etc.

<141>

131. LE COMTE ALGAROTTI A M. DE CATT.

Bologne, 11 avril141-a 1761.



Monsieur,

Je réponds à deux lettres dont vous m'avez honoré, monsieur, de la part de S. M. presque en même temps. Je voudrais bien qu'Horace, militiae quanquam piger et malus,141-b fît un peu ma cour au plus grand d'entre les héros. La tâche de la campagne prochaine sera sans doute pénible; mais il faut de vrais miracles pour les véritables apothéoses, et le Roi continuera à en faire. Je prends la liberté de joindre une lettre au Roi du père Martini, auteur de l'Histoire de la musique, que S. M. devrait avoir reçue à l'heure qu'il est. Je le crois digne de présenter son travail au Roi, parce qu'il est estimé de M. Quantz,141-c et que, au milieu de la corruption moderne, il conserve dans ses compositions la dignité de l'ancienne musique.

Je suis charmé, monsieur, d'avoir une pareille occasion de vous dire combien je me félicite de pouvoir vous marquer l'estime parfaite avec laquelle j'ai l'honneur, etc.

<142>

132. M. DE CATT AU COMTE ALGAROTTI.

Strehlen, quartier général, 3 octobre 1761.



Monsieur,

La lettre dont vous m'avez honoré le 21 d'avril m'est parvenue sur la fin du mois de juin, et, depuis, il n'a pas été possible de faire passer la moindre chose. Je saisis cet instant pour vous dire que l'Horace a fait beaucoup de plaisir, et qu'on m'a chargé de vous en faire bien des remercîments. J'ai remis l'ouvrage de M. Martini; la réponse que j'ai faite a dû parvenir, si on ne l'a pas interceptée.

Vous avez bien jugé que cette campagne serait pénible. S. M., sans cesse occupée, a passé toutes les nuits sur une redoute, depuis le 26 août jusqu'au 10 septembre. Les Russes et les Autrichiens combinés avaient au moins cent trente-trois bataillons et au delà de deux cent quarante escadrons. S. M., par ses précautions et sa contenance, les a forcés de ne rien entreprendre. J'avoue que je serai ravi de voir la fin de tant de scènes douloureuses. Si elles durent encore, la famine et la peste détruiront les malheureux restes que la guerre aura épargnés. Jouissez, monsieur, de votre bonheur, et faites des vœux pour que tous ces fléaux finissent.

Je ne saurais vous exprimer combien je suis flatté d'avoir quelque part dans votre estime; rien ne pourrait égaler le plaisir que j'en ressens que celui de vous connaître personnellement et de vous assurer de l'estime distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

<143>

133. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 5 novembre 1762.



Sire,

Ce n'est pas, Sire, un des exploits les moins glorieux de Votre Majesté que la prise de Schweidnitz. N'avoir rien changé dans le plan de la campagne, nonobstant le départ des Russes; avoir mis le siége devant cette importante place; avoir voulu à discrétion le corps d'armée qui la défendait, et l'avoir eu, et cela, en présence d'un ennemi fort et nombreux qui en avait tenté le secours, c'est l'effet d'un calcul militaire le plus juste et le plus profond. J'en félicite V. M. du bord occidental de la Toscane; ad mare descendit vates tuus.143-a L'état faible de ma santé et une toux très-opiniâtre m'ont forcé d'abandonner le climat froid et inconstant d'au delà l'Apennin pour chercher l'air doux et tempéré de ce côté-ci. On ne connaît presque point ici le souffle du nord, les hivers sont des printemps, et on y voit croître en plein air l'arbore vittoriosa e trionfale dont V. M. s'est couronnée tant de fois.

134. AU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, 9 décembre 1762.

J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez écrite, et ce que vous m'y dites de votre santé affaiblie me fait de la peine. J'espère que l'air doux que vous respirez la rétablira entièrement. Le climat où nous<144> sommes ne ressemble point au vôtre. Mais nous ne sommes pas si délicats; les fatigues qui renaissent sans cesse endurcissent. Mais, si j'avais le choix, j'avoue que je préférerais d'être le spectateur de ces scènes dont je suis acteur bien malgré moi. Tranquille dans ce beau pays que vous habitez, et dans le sein de la paix qui a toujours été l'objet de mes vœux, jouissez de votre bonheur et du repos, et n'allez pas sous ces arbres triomphaux rassembler un concile pour nous excommunier. Priez-y plutôt pour que l'on se joigne à mes vœux, et que l'on fasse cesser les calamités qui affligent l'humanité depuis si longtemps. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

135. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 11 mars 1763.



Sire,

Les vœux de l'humanité et les vôtres sont exaucés. Je félicite Votre Majesté sur sa modération dans le sein de la victoire, et de ce qu'elle va cultiver des lauriers qui ne seront point arrosés par le sang. Oserais-je percer dans le repos glorieux de V. M.? Après avoir ranimé l'industrie et les arts, je vois cette main qui a donné tant de batailles les consacrer à l'immortalité. Ces divinités militaires, les Scipion, les César, les Alexandre, qui ont eu jusqu'à présent notre adoration, ne l'ont pas, ce me semble, trop chèrement achetée : ils n'avaient qu'un seul ennemi en tête, et encore quelquefois quel ennemi! V. M. a eu pendant six années en tête et à dos l'Europe presque entière, entourée par des armées toujours supérieures en nombre et presque égales en discipline. Il n'y avait que V. M. qui pût soutenir la guerre<145> qu'elle vient de terminer par cette glorieuse paix; il n'y a qu'elle qui puisse l'écrire. Eodem animo dixit quo bellavit. Serai-je assez heureux pour parvenir un jour à lire ce livre, la gloire du siècle, qui contiendra les plus beaux fastes de notre espèce? C'est alors que je dirai : Nunc dimittis servum, etc., quia viderunt oculi mei, etc.145-a

136. AU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 14 avril 1763.

Je vous remercie de la part que vous prenez à la paix que nous avons conclue. Faites aussi bien la vôtre avec vos poumons que nous avons fait la nôtre avec les Autrichiens; je l'apprendrai avec plaisir. J'aimerais mieux que vous fussiez à Pise pour autre chose que pour y soigner votre santé, comme dit la chanson du pape. Vous obligera-t-elle de renoncer à l'Allemagne et aux climats hyperboréens? Quoi qu'il en soit, je vous souhaite beaucoup de bonheur.

Les faits arrivés dans cette guerre ne méritent guère la peine de passer à la postérité. Je ne me crois ni assez bon général pour qu'on écrive mon histoire, ni assez bon historien pour publier des ouvrages. Je n'ai eu que trop de regret à voir paraître des pièces que je n'avais travaillées que pour moi, et que la méchanceté et la perfidie d'un malheureux a publiées, en les altérant;145-b mais vous en aurez été déjà assez informé. Je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<146>

137. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 9 mars 1764.



Sire,

La récolte, Sire, a été si mauvaise en tout genre, cette année, dans les pays méridionaux, qu'il semble que les boutargues s'en soient ressenties aussi. J'ai pris la liberté, Sire, d'en faire envoyer à V. M. une douzaine. Mais je dois lui demander le plus humblement pardon, si elles ne se présentent pas devant V. M. avec une taille aussi avantageuse qu'à l'ordinaire.

Pouvais-je au moins, Sire, me présenter, moi malingre! Mais, depuis quatre mois, je n'ai eu qu'un petit intervalle de santé dans le peu de temps que M. le comte de Woronzow a passé ici, à Pise. J'en ai profité, Sire, pour voir un homme qui est si fort attaché à V. M., qui a pour elle les sentiments de la plus haute admiration. Il est tout simple que ceux qui sont le plus au fait des affaires, et voient les choses de plus près, admirent le plus V. M., comme les anges et les archanges, qui approchent la Divinité, en connaissent les perfections infiniment mieux que nous autres chétifs mortels.

Je suis avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
le plus humble et le plus obéissant serviteur,
Algarotti.146-a

<147>

138. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 1er juin 1764.

J'ai jugé de l'état de votre santé par la lettre que vous m'avez écrite. Cette main tremblante m'a surpris, et m'a fait une peine infinie. Puissiez-vous vous remettre bientôt! Avec quel plaisir j'apprendrais cette bonne nouvelle! Quoique les médecins de ce pays n'en sachent pas plus long que les vôtres pour prolonger la vie des hommes, un de nos esculapes vient cependant de guérir un étique attaqué des poumons bien plus violemment que ne l'était Maupertuis lorsque vous l'avez vu ici. Vous me ferez plaisir de m'envoyer votre statum morbi pour voir si la consultation de ce médecin ne pourrait pas vous être de quelque secours. Je compterais pour un des moments les plus agréables de ma vie celui où je pourrais vous procurer le rétablissement de votre santé. Je désire de tout mon cœur qu'elle soit bientôt assez forte pour que vous puissiez revenir dans ce pays-ci. Je vous montrerai alors une collection que j'ai faite de tableaux de vos compatriotes. Je dis à leur égard et à celui des peintres français ce que Boileau disait des poëtes :

Jeune, j'aimais Ovide; vieux, j'estime Virgile.147-a

<148>Je vous suis bien obligé de la part que vous prenez à ce qui me regarde, et du tableau de Pesne que vous m'offrez.148-a J'attends à en savoir le prix pour vous marquer où vous pourrez le faire remettre. Au reste, soyez persuadé que la nouvelle la plus agréable pour moi sera d'apprendre par vous-même que vous êtes tout à fait rétabli. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

139. AU CHEVALIER LORENZO GUAZZESI, A PISE.

Potsdam, 12 juin 1764.

C'est avec bien des regrets que j'ai appris par votre lettre la mort du comte Algarotti. Quoique la main tremblante de sa dernière lettre m'eût inquiété, j'espérais cependant qu'il se remettrait, et que j'aurais encore le plaisir de le voir ici.

Désirant de laisser un souvenir de l'estime que j'avais pour votre ami, je vous prie de faire élever sur sa tombe une pierre de marbre avec cette inscription :

HIC JACET
OVIDII AEMULUS
ET
NEUTONI DISCIPULUS.

Vous m'enverrez le compte de ce que vous aurez déboursé à ce<149> sujet, en m'indiquant où je dois ordonner qu'on vous en fasse tenir le montant. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.


100-a Frédéric parle ici du Petit prophète de Böhmischbroda, ou Prophétie de Gabriel Joannes Nepomucenus Franciscus de Paula Waldstorch, dit Waldstörchel, natif de Böhmischbroda, etc. C'est une satire que le baron de Grimm publia en 1753 contre les prôneurs de la musique française. Il dit, chap. 19 : « Et ainsi que tes musiciens ont fait des notes jusqu'à ce jour, de même ils feront de la musique qui en soit une. »

103-a Voyez ci-dessus, p. 96, 101 et 102.

103-b Horace, Odes, liv. IV, ode 9, v. 29 et 30.

103-c Frédéric, Épître à mon esprit, 1749. Voyez t. X, p. 257.

104-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. VII, v. 13. Voyez t. XVII, p. 368.

104-b L'abbé de Bernis. Voyez t. IV, p. 38, et t. X, p. 123.

106-a Voyez t. XIV, p. 197.

107-a Ce nom, fidèlement copié sur le texte de M. de Raumer, que nous suivons, nous est inconnu. Peut-être Frédéric veut-il parler du signor Crichi, chanteur de l'Opéra-comique, qui vint à Berlin au mois de mars 1754.

108-a Horace, Satires, liv. I, sat. I, v. 7 et 8.

109-a Voyez t. X, p. 12, et ci-dessus, p. 22.

109-b Quitard dit, dans son Dictionnaire des Proverbes : « Les lettres de Cracovie, ainsi nommées par allusion au verbe craquer (mentir), sont des brevets qu'on expédie aux grands hâbleurs. Avoir ses lettres de Cracovie signifie donc être reconnu et proclamé menteur. .... Il y avait autrefois au jardin du Palais-Royal, d'autres disent au jardin du Luxembourg, un arbre qu'on appelait l'arbre de Cracovie, pour la raison que je viens d'indiquer, ou parce que les nouvellistes se réunissaient d'ordinaire sous son ombre pendant les troubles de Pologne. »

110-a Voyez ci-dessus, p. 33.

114-a Frédéric, dit dans l'

Épître XX, A mon esprit

(t. X, p. 252) :

M'a-t-on vu des derniers paraître au champ de Mars?

114-b La bataille de Lowositz, 1er octobre 1756.

115-a César, De bello civili, liv. I, c. 72.

116-a Quintilien, Institutio oratoria, liv. X, chap. 1.

117-a Lucain, Pharsale. chant II, v. 657. Voyez t. X, p. 288.

119-a I Machabées, chap. XI, v. 52, selon la Vulgate : Et sedit Demetrius rex in sede regni sui, et siluit terra in conspectu ejus.

12-a Voyez ci-dessus, p. 4.

123-a Celle de Rossbach.

124-a La victoire de Leuthen.

125-a Épîtres, liv. I, ép. 17, v. 33 et 34.

126-a Allusion au 34e chapitre de la Vie de Jules César, par Suétone.

127-a Le manuscrit de cette lettre est de la main d'un secrétaire, et n'est que signé par le Roi, qui semble vouloir persifler les fréquents passages latins qu'Algarotti, à l'exemple de Montaigne, avait coutume d'insérer dans ses lettres. Dans une lettre à d'Argens, sans date, Frédéric dit : « Quand je suis assez heureux que d'accrocher quelque passage latin, je compare aussitôt mes lettres à celles d'Algarotti, et je m'en impose à moi-même. » Le marquis d'Argens, de son côté, dit dans sa lettre à Frédéric, du 9 mars 1763 : « Non sunt miscenda sacra profanis. Votre Majesté voit que je sais, ainsi qu'Algarotti, citer du latin dans mes lettres. »

127-b Virgile, Énéide, liv. VII, v. 374-377.

127-c Les mots Apalache et merluches font allusion aux causes de la guerre que les Anglais et les Français se faisaient alors en Amérique. Voyez t. VI, p. 10.

128-a Lucrèce, De la nature des choses, liv. II, v. 7-10. Voyez t. XI, p. 53.

129-a Voyez Horace, Odes, liv. I, ode 15, v. 9-12.

13-a Voyez t. XIV, p. 88-93.

13-b L. c., p. 43-49.

13-c L. c., p. 178-180.

132-a Mithridate, par Racine, acte II, scène III. Voyez t. XV, p. 11.

135-a C'est Maharbal qui dit à Annibal ce mot conservé par Tite-Live, liv. XXII, chap, 51 : « Vincere scis, Hannibal; victoria uti nescis. »

137-a Bataille de Liegnitz, le 15 août.

137-b Quintilien, Institutio oratoria, liv. X, chap. 1.

137-c Voyez ci-dessus, p. 119.

138-a Frédéric dit dans sa lettre au marquis d'Argens, du 5 novembre 1760, en parlant de la bataille de Torgau : « J'ai eu un coup de feu qui m'a labouré le haut de la poitrine; mais ce n'est qu'une contusion, un peu de douleur sans danger. »

139-a Horace, Épîtres, liv. II, ép. 1, Ad Augustum, v. 1.

139-b Ce vers est de Frédéric, Épitre à Stille, t. X, p. 154.

14-a Voyez t. XIV, p. 94-101.

14-b Voyez t. XI, p. 91-97.

14-c L. c., p. 116-121.

141-a La réponse de M. de Catt, qu'on lit ci-dessous, commence par ces mots : « La lettre dont vous m'avez honoré le 21 d'avril, etc. »

141-b Horace, Épîtres, liv. II, ép. 1, v. 124.

141-c Fameux joueur de flûte, qui avait donné des leçons à Frédéric dans sa jeunesse. Voyez Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, von J. D. E. Preuss, t. III, p. 480-483, et l'ouvrage du même auteur intitulé : Friedrich der Grosse mit seinen Verwandten und Freunden, p. 340 et 341.

143-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. 7, v. 11.

145-a Saint Luc, chap. II, v. 29 et 30.

145-b Voyez t. X, p. 11.

146-a On lit au dos du manuscrit de cette lettre les mots suivants, de la main de Frédéric : « Catt y fera une réponse obligeante.Frd. »

147-a Ce vers défectueux ne se trouve pas plus dans Boileau que celui que Frédéric cite dans sa lettre à Voltaire, du 17 juin 1738 :
     Jeune, j'aimais Ovide; à présent, c'est Horace,et qu'il attribue au même poëte (Œuvres posthumes, t. VIII, p. 371). Dans sa lettre à Maurice de Saxe, du 3 novembre 1746, Frédéric dit : « A vingt ans, Boileau estimait Voiture; à trente ans, il lui préférait Horace. » Peut-être Frédéric a-t-il imité, dans toutes ces citations, quelque vers français, soit de Boileau lui-même, soit de La Fontaine, soit de quelque autre poëte que nous ne pouvons indiquer.

148-a Voyez t. VI, p. 245 et 250, et t. XIV, p. IV et V, et p. 34.

17-a Imité de Martial, liv. VIII, ép. 21, Ad Luciferum.

20-a Voyez t. XIV, p. 181.

21-a Le Roi veut parler du roi d'Angleterre, qui était alors à Hanovre. Il dit dans le Palladion (t. XI, p. 253) :
     

L'Anglais mordant, trop fier en son domaine,
Nomme son roi le seigneur capitaine.

22-a Frédéric avait alors l'intention de jouer avec ses amis la Mort de César, de Voltaire.

25-a Le palais des Destins, Henriade, chant VII, v. 278 et suiv.

25-b Jacques, et non Jean Callot, célèbre graveur, mourut à Nancy en 1635. Voyez t. XI, p. 159.

26-a Voyez les Plaideurs de Racine, acte III, sc. III.

27-a Voyez t. XVI, p. 445.

3-a Cette date est inexacte, car Frédéric ne fit la connaissance d'Algarotti que vers la fin de septembre. Voyez t. XIV, p. VI, et les lettres de Frédéric à son père, du 25 septembre, à Suhm, du 26 septembre, et à Voltaire, du 10 octobre 1739.

31-a Voyez, t. XI, p. 313.

33-a Machiavel.

35-a Cette célèbre cantatrice avait épousé à Venise le compositeur Hasse, en 1730.

35-b Voyez t. XIV, p. XIII, no XXXV.

36-a On surnommait Chaulieu (voyez t. XVII, p. 36, 42 et 201) l'Anacréon du Temple, parce qu'il possédait dans ce quartier une maison que le duc de Vendôme lui avait donnée.

4-a C'est lord Baltimore que Frédéric désigne ainsi. Voyez t. XIV, p. vI, et 81-87. Le lecteur remarquera que le Candide de Voltaire ne parut qu'en 1759.

4-b Voltaire dit dans son Épître à M. le comte Algarotti, 1735 :
     

Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas.
Porter, en grelottant, la lyre et le compas.

Il ajoute en note : « M. Algarotti faisait très-bien des vers en sa langue, et avait quelques connaissances en mathématiques. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 118.

40-a Opéra de Hasse, 1742.

42-a Chant VII, vers 381 et 382.

44-a Huit mille écus. (Variante de la copie de M. Frédéric de Raumer.)

49-a Le général-major comte de Rottembourg, ami du Roi, qui eut le bras cassé à la bataille de Chotusitz. Voyez t. II, p. 137 et 168, et t. XVII, p. 230 et 231.

49-b Voyez t. II, p. 122.

49-c Nous ne saurions dire ce que le comte Algarotti entend par le mot Trachineen, à moins qu'il n'ait voulu parler de Trakehnen, où il avait accompagné le Roi peu de temps après l'avénement de ce prince (le 14 et le 15 juillet 1740). Voyez ci-dessus, p. 41, et t. XVI, p. 432.

5-a Voyez t. VIII, p. III.

50-a Voyez t. II, p. 161-169.

53-a Épîtres, liv. I, ép. IX.

54-a Épîtres, l. c., v. 12.

54-b Énéide, liv. VI, v. 783.

54-c Le baron de Knobelsdorff. Voyez t. VII, p. 37-42.

54-d Dans sa lettre à Knobelsdorff, du 10 novembre 1742, Algarotti propose l'inscription telle qu'elle a été placée au frontispice de l'Opéra : Federicus (Fridericus) Rex Apollini et Musis. Voyez Opere del Conte Algarotti. Cremona, 1783, t. IX, p. 16.

57-a Mademoiselle Roland. Voyez t. XV, p. 219 et 220, et t. XVII, p. 260, 276 et 277.

58-a Frédéric aimait beaucoup les tableaux d'Antoine Watteau, mort en 1721, et de son imitateur Nicolas Lancret, mort en 1747 (t. XIV, p. 36). Voyez la Description de tout l'intérieur des deux palais de Sans-Souci, de ceux de Potsdam et de Charlottenbourg, contenant l'explication de tous les tableaux, etc., par Matthieu Oesterreich. A Potsdam, 1773, in-4. Voyez aussi t. XVII, p. 163, et la lettre du marquis d'Argens à Frédéric, du 19 octobre 1760.

6-a Le vrai nom de la personne désignée par ce pseudonyme était Ortolani. Voyez t. XVII, p. 34 et 35.

62-a De la nature des choses, liv. I, v. 102.

64-a Ce vers est le 215e du IIIe chant de l'Essai sur la critique, poëme de Pope, traduit de l'anglais par l'abbé Du Resnel. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. IV, p. 147.

65-a Voyez t. XIV, p. 109.

65-b Algarotti parle de la dissertation Des mœurs, des coutumes, de l'industrie, des progrès de l'esprit humain dans les arts et dans les sciences. Voyez t. I, p. XXXVII, et p. 243-273.

66-a Voyez Henri-Louis Manger, Baugeschichte von Potsdam, p. 21.

67-a Le Newtonianisme pour les dames, ou Dialogues sur la lumière, etc. La première édition avait paru en 1736.

67-b

Bonne ou mauvaise santé
Fait notre philosophie.

Ces vers sont les deux derniers de l'Ode de Chaulieu Sur la première attaque de goutte que l'auteur eut, en 1695. Voyez ci-dessus, p. 36.

68-a Jean-Nathanaël Lieberkühn naquit à Berlin en 1711. De retour de ses voyages vers la fin de 1740, il fut bientôt recherché et consulté comme le plus habile médecin de la capitale. Il est surtout célèbre par ses travaux sur l'anatomie. Il mourut en 1756. Voyez t. II, p. 39 et 40, t. XIII, p. 70, et ci-dessus, p. 8. Voyez aussi la lettre de Frédéric à Voltaire, du 4 décembre 1739.

71-a Poëte du Roi.

71-b Le Roi veut probablement parler ici de la cantatrice Benedetta Molteni, chargée du rôle du sénateur Olibrio, qui était écrit pour une voix de soprano.

72-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 726 et 727.

72-b Chargé d'affaires du Roi à Venise.

73-a « Les instants de Frédéric valent des années. » C'est par ces mots que se termine le discours prononcé par Maupertuis, en 1747, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi. Voyez l'Histoire de l'Académie des sciences et belles-lettres. Année 1746. A Berlin, 1748, p. 10-16.

74-a Voyez t. XIV, p. Iv, no VI, p. xv, no XL, et p. 29 et 195; et t. XVII, p. 1, et p. 1-52.

76-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. 16, v. 27, 28 et 29.

78-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 129 et 130.

79-a Danseuse de l'Opéra.

8-a Frédéric dit la même chose dans sa lettre à Voltaire, également du 4 décembre 1739; mais le nom de Célius nous est inconnu.

81-a Horace, Satires, liv. II, sat. II, v. 79.

82-a Phaéthon, paroles de Villati (d'après Quinault), musique de Graun. Cet opéra, qui devait être représenté le 27 mars, jour de naissance de la Reine mère, ne put être donné que le 29.

83-a Voyez t. IX, p. 11, no II, et p. 9-37.

84-a Voyez t. X, p. v et vI.

89-a Algarotti parle ici des Œuvres d'Ovide, édition royale, 1750; deux volumes in-8, avec le portrait d'Ovide couronné de roses, gravé par Pierre Tanjé. C'est une traduction en prose; elle ne contient que : t. I, les Amours, l'Art d'aimer et les Élégies écrites de Pont; t. II, le Remède d'amour, les Fastes et les Tristes; et ce n'est que la reproduction de celle de Martignac, publiée à Lyon, en 1697, chez Horace Molin, en six volumes in-12. Voyez la lettre de Darget à Frédéric, du 20 mai 1749.

89-b Ce n'est pas Ovide, mais Virgile qui dit, au VIe livre de l'Énéide, v. 625 :
     Non, mihi si linguae centum sint oraque centum, etc.

91-a Voyez t. III, p. 176, 177, et 203-240.

94-a Villati (voyez ci-dessus, p. 71, 81 et 82), mort le 9 juillet 1752. Le chef-d'œuvre mentionné ci -dessus est l'opérette Il Giudizio di Paride.

96-a Le fronton de l'église catholique de Berlin porte trois inscriptions : au milieu, Hedwigi; à droite de ce nom, Federici Regis Clementiae Monumentum; et à gauche, A. M. Quirinus S. R. E. Card. Suo Aere Perfecit.

96-b Algarotti veut parler de l'édition de luxe des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, 1752. Voyez t. X, p. 1 et 11.

96-c Horace, Art poétique, v. 343.