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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XVIII.

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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XVIII. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLI

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CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC II ROI DE PRUSSE TOME III. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLI

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CORRESPONDANCE TOME III.

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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Ce volume, le troisième de la Correspondance, la conduit jusqu'à l'an 1769. Les lettres dont il se compose sont au nombre de deux cent quarante-six, dont cent soixante-quinze du Roi; elles forment sept groupes.

I. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE COMTE ALGAROTTI. (Octobre 1739 - 1er juin 1764.)

François Algarotti était fils d'un riche négociant de Venise. Il naquit le 11 décembre 1712, et fit ses études à Bologne. Se trouvant à Cirey en Champagne, il reçut de Voltaire des éloges très-flatteurs. Pendant son séjour à Paris, en 1736, il dédia à Fontenelle son Newtonianisme pour les dames. Le 20 septembre 1739, il se rendit à Rheinsberg, avec lord Baltimore, pour voir le Prince royal,I-a qui dès lors lui accorda son amitié, et entra en correspondance avec lui. Immédiatement après son avénement, Frédéric l'appela à sa cour, le distingua de toute manière,I-b le nomma comte, le 20 décembre 1740, et, au mois d'avril 1747, chambellan et chevalier de l'ordre pour le mérite. Pendant ses voyages et son séjour à Dresde et en Italie, Algarotti entretint avec le Roi une correspondance <II>suivie, qui montre combien leur intimité était grande. Frédéric, de son côté, parle honorablement d'Algarotti dans ses poésies, ainsi que dans ses lettres,II-a et lui a dédié deux Épîtres.II-b Après la mort d'Algarotti, arrivée à Pise le 3 mai 1764, le Roi lui érigea un mausolée de marbre qui devait porter cette inscription : Hic jacet Ovidii aemulus et Neutoni discipulus.II-c Enfin, dans son testament, il donne à sa sœur de Suède un beau tableau de Pesne que lui avait légué Algarotti,II-d ce qui fait voir combien le souvenir de cet ami lui était resté cher.

La correspondance de Frédéric avec Algarotti est demeurée longtemps inédite. L'ouvrage de Domenico Michelessi, Memorie intorno alla vita ed agli scritti del conte Francesco Algarotti. Venise, 1770, in-8, ne donne, p. 192-201, que huit fragments de lettres et de poésies adressées à Algarotti par le Roi. L'édition de Berlin des Œuvres de Frédéric ne contient en tout que neuf lettres du Roi au même, savoir : Œuvres posthumes, t. XII, p. 68-71, la lettre du 19 mai 1740; Supplément, t. II, p. 482-484, la lettre, sans adresse, du 24 octobre 1740; Supplément, t. III, p. 26-30, quatre lettres tirées de l'ouvrage de Michelessi; Œuvres posthumes, t. X, p. 324 et 325, parmi les lettres au marquis d'Argens, la lettre, sans date, remplie de passages latins; Œuvres posthumes, t. IX, p. 127, et, Supplément, t. II, p. 392, parmi les lettres à Voltaire, les deux lettres du 8 novembre 1740 et du 2 (4) janvier 1759. Enfin, M. Francesco Aglietti, médecin à Venise, mort en 1829, et que nous avons nommé, par erreur, Oglievi dans notre Préface, après avoir donné, de 1791 à 1794, une excellente édition des Œuvres d'Algarotti, fit imprimer toute cette correspondance, mais seulement à cent exemplaires, destinés à ses amis, sous le titre de : Correspondance de Frédéric II, roi de Prusse, avec le comte Algarotti. Pour servir de suite aux éditions des Œuvres posthumes<III> de ce prince, 1799, deux cent cinquante-cinq pages in-8. Cette édition, renfermant cent trente-trois lettres, et très-rare en Allemagne, parut sans nom d'éditeur ni lieu d'impression. Le lieutenant-général de Minutoli, mort à Berlin en 1846, l'a fait réimprimer en 1837, avec le titre de l'édition originale; mais il en a retranché un certain nombre de passages. En tirant parti de l'édition originale du docteur Aglietti, nous sommes à même de l'augmenter et de la corriger considérablement; car Sa Majesté le Roi a fait acheter à Venise, en 1846, des filles de feu le comte Corniani Algarotti, soixante-dix-sept lettres qui se trouvent à présent aux archives royales du Cabinet, à Berlin. Cette importante acquisition se compose : 1o de vingt-quatre lettres autographes de Frédéric à Algarotti (Archives, F. 96, Ww); 2o de quatre lettres de Frédéric à Algarotti, signées du Roi (F. 96, Xx); 3o de deux copies de lettres du Roi à Algarotti, du 14 novembre 1744 (15 novembre 1755) et du 5 mai 1750 (F. 96, Yy), dont les héritiers du comte Algarotti ont désiré garder les originaux en souvenir; 4o de quarante-sept minutes autographes de lettres du comte Algarotti à Frédéric (F. 96, Zz). Ces manuscrits, quoique ne contenant que quatre lettres inédites, une de Frédéric (du 6 décembre 1750) et trois d'Algarotti (du 11 juillet 1751, du 20 avril 1752 et du 7 mars 1753), nous ont été d'une grande utilité, en nous fournissant des leçons authentiques pour compléter et corriger le texte imprimé, et pour mieux ordonner la correspondance. Une autre source, nouvelle aussi et non moins précieuse pour notre édition, ce sont les copies de treize lettres, que M. Frédéric de Raumer a faites sur les autographes du Roi conservés à la Bibliothèque royale de Turin, et qui nous ont également servi à vérifier et en partie à augmenter l'édition de M. Aglietti. Ce sont les lettres nos 3, 10, 13, 18, 21, 25, 26, 28, 35, 53, 80, 85 de l'édition de celui-ci;III-a la treizième lettre, no 90 de la nôtre, était inédite; deux de ces lettres copiées par M. de Raumer ont un post-scriptum, omis par M. Aglietti. Nous avons pu prendre copie de la lettre d'Algarotti au Roi, du 9 mars 1764, grâce à l'obligeance de M. le docteur Puhlmann, médecin militaire à Potsdam, qui en possède l'autographe; et nous avons trouvé aux archives royales du Cabinet, à Berlin (Caisse 397, D), la lettre de Frédéric à Algarotti, du 28 mars 1759, no 107 de l'édition de M. Aglietti. Il existe, enfin, quelques dédicaces qu'Algarotti a mises en tête d'ouvrages adressés au Roi; mais nous les avons laissées de côté, parce que ce sont plutôt des toires que de véritables lettres.

<IV>Voilà ce que nous avons à dire relativement aux matériaux de la présente édition critique de la correspondance de Frédéric avec le comte Algarotti, qui contient en tout cent trente-neuf lettres, savoir, soixante-douze lettres de Frédéric à Algarotti, et soixante de celui-ci à Frédéric; plus, une lettre de Frédéric au chevalier Lorenzo Guazzesi, une lettre de l'abbé de Prades et trois lettres de M. de Catt écrites au comte au nom du Roi, et enfin une réponse d'Algarotti à M. de Prades, et une à M. de Catt.

II. LETTRE DE FRÉDÉRIC A LA VEUVE DU GÉNÉRAL DE FORCADE. (10 avril 1765.)

Frédéric-Guillaume-Quirin de Forcade de Biaix, né à Berlin en 1699, devint lieutenant-général d'infanterie le 10 février 1757, et chevalier de l'Aigle noir deux jours après la bataille de Leuthen. Il mourut à Berlin le 23 mars 1765.IV-a Sa femme, qui était fille du général Louis de Montolieu, baron de Saint-Hippolyte, lui avait donné vingt-trois enfants, dont onze survécurent à leur père. Le comte Guibert, en imprimant la lettre de Frédéric à la veuve de ce brave général dans son Éloge du roi de Prusse, A Londres, 1787, p. 230, ajoute : « Malheur au pays où cette lettre ne serait pas trouvée touchante, et où l'analyse qu'elle contient paraîtrait petite et parcimonieuse! »

C'est le texte de Guibert que nous reproduisons. Pour la date, Potsdam, du 10 avril 1765, nous l'avons trouvée dans l'ouvrage intitulé : Sammlung ungedruckter Nachrichten, so die Geschichte der Feldzüge der Preussen von 1740 bis 1779 erläutern. Dresde, 1782, t. I, p. 524.

III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC MADAME DE CAMAS. (2 août 1744 - 17 ou 18 novembre 1765.)

Sophie-Caroline de Camas était fille du lieutenant-général de Brandt et de Louise née de Börstel. Veuve du colonel de Camas depuis 1741, elle reçut le titre <V>de comtesse le 11 août 1742, et fut nommée en même temps grande gouvernante de la Reine. Elle mourut à Schönhausen le 2 juillet 1766, âgée de quatre-vingts ans.V-a A cette occasion, Frédéric écrivit à la Reine sa femme : « Madame, c'est une perte réelle que madame de Camas, tant par son mérite, ses grandes qualités, que par l'air de dignité et de décence qu'elle entretenait à la cour. Si je pouvais la ressusciter, je le ferais sur-le-champ. »

Le lecteur se souviendra de l'Épître familière, A la comtesse de Camas, imprimée dans le second volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci (t. XI, p. 23-29). Voyez aussi t. XVI, p. x, no IX, et p. 139 et suivantes.

Dix, ou plutôt onze des lettres de Frédéric à la comtesse parurent pour la première fois dans le journal allemand Berlinische Monatsschrift, 1787, p. 197 à 226; elles ont été réimprimées dans le Supplément, t. III, p. 49-61, et dans la collection intitulée : Lettres inédites, ou Correspondance de Frédéric II, roi de Prusse, avec M. et madame de Camas. A Berlin, 1802. Nous avons eu la satisfaction de trouver aux archives royales du Cabinet (Caisse 149, F) les originaux de ces onze lettres. Ils nous ont fourni plusieurs passages omis par les anciens éditeurs, et beaucoup de corrections, soit pour le texte, soit pour les dates. Les deux lettres nos 23 et 24 de notre édition avaient été données en une par les anciens éditeurs, sous la fausse date du 2 juin 1763. La collection ci-dessus citée des Lettres inédites contient, de plus, p. 97-119, onze autres lettres de Frédéric à madame de Camas. L'original de l'une de ces lettres, du 17 ou du 18 novembre 1765, appartient maintenant à Son Altesse Royale Mgr le prince Guillaume de Prusse, oncle de Sa Majesté le Roi, qui a daigné nous en faire part, ainsi que de beaucoup d'autres manuscrits. Enfin, nous avons trouvé une lettre tout à fait inédite et sans date avec les onze qui sont déposées aux archives royales du Cabinet; c'est notre no 26. Ainsi notre collection contient en tout vingt-trois lettres de Frédéric à madame de Camas.

Les cinq lettres de la comtesse de Camas au Roi, que nous avons tirées des archives du Cabinet (Caisse 149, F), étaient restées inédites.

<VI>

IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC M. DE JARIGES. (7 et 8 août 1766.)

Philippe-Joseph Pandin de Jariges naquit à Berlin le 13 novembre 1706. Il fut élevé, le 29 octobre 1755, à la dignité de grand chancelier et de ministre d'État, et mourut le 9 novembre 1770. Le lendemain de cet événement, le Roi écrivit la lettre suivante à madame de Seelen, née de Jariges, à Berlin : « Je suis très-touché de la mort de mon grand chancelier, votre père. Ses talents, sa droiture et ses autres qualités personnelles lui avaient concilié toute ma confiance. Je connaissais le prix de son mérite, et sa mémoire me sera toujours précieuse. Tous les patriotes donnent les regrets les plus sincères à sa perte; et je souhaite que cette distinction, jointe à tous les motifs que votre piété vous fournira, apporte quelque adoucissement à votre douleur filiale. Au reste, vous pouvez être persuadée que je ne manquerai pas, dans l'occasion, de vous faire éprouver quelques effets de cette bienveillance dont j'honorais votre père; et, en attendant, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. » Nous avons tiré cette lettre de l'Éloge de M. de Jariges, A Berlin, 1776, p. 25, opuscule qui nous a aussi fourni (p. 16 et 17) les deux pièces du 7 et du 8 août 1766.

V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA. (27 avril 1756 - 22 juin 1767.)

La duchesse Louise-Dorothée de Saxe-Gotha, fille du duc Ernest-Louis de Saxe-Meiningen, naquit le 10 août 1710, et mourut le 22 octobre 1767. Le 17 septembre 1729, elle épousa Frédéric (III), duc de Saxe-Gotha-Altenbourg, qui succéda à son père, Frédéric II, le 23 mars 1732, et dont la sœur épousa, en 1736, Frédéric-Louis, prince de Galles, mort en 1751. La duchesse de Gotha était donc tante du roi George III. C'était une femme d'un noble caractère et d'un esprit fort cultivé. Elle était en correspondance avec Voltaire, d'Alembert, Diderot et Grimm.

Les lettres que Frédéric échangea avec cette femme remarquable sont con<VII>servées aux archives de Gotha. Il y en a en tout soixante-douze, dont soixante-dix de Frédéric et deux de la Duchesse. Les lettres de Frédéric sont pour la plupart autographes, à l'exception des numéros 1, 5, 27, 28, 68 et 72, qui sont de la main d'un secrétaire et signés du Roi. La lettre de la Duchesse, du 15 novembre 1759, no 8, n'existe aux archives de Gotha qu'en copie.

Huit des lettres de Frédéric à la Duchesse, des années 1761, 1764 et 1767, ont été publiées dans l'ouvrage intitulé : Rambles and Researches in Thuringian Saxony by John Frederick Stanford, Esq., M. A., London, 1842, p. 77-88.VII-a Par malheur, il est assez probable que M. Stanford n'a pas pris la peine de se familiariser avec l'écriture du Roi, et connaît peu la langue française; sans cela il n'aurait pu commettre les étranges méprises qu'on rencontre à chaque page de son texte. Six autres lettres de Frédéric à la Duchesse, et une réponse de celle-ci, des années 1762 et 1763, ont été imprimées, avec beaucoup plus de soin, dans le Courrier de Berlin. Journal des sciences, de la littérature et des beaux-arts. Berlin, 1848, in-fol., nos 8-12.VII-b

On peut consulter, au sujet des relations de Frédéric avec la Duchesse antérieurement à leur correspondance familière, les lettres de Frédéric au comte de Gotter, t. XVII, p. 357, 358, 363, 364 et 365. Enfin, on trouve quelques détails intéressants sur le caractère de cette princesse dans l'ouvrage de Hans de Thümmel : Historische, statistische, geographische und topographische Beyträge zur Kenntniss des Herzogthums Altenburg. Altenbourg, 1820, in-fol., p. 57-64.

VI. CORRESPONDANCE DE FREDERIC AVEC CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE. (17 octobre et 26 novembre 1767.)

Nous avons tiré des archives du Cabinet les deux lettres qui forment cette correspondance : celle de Catherine est autographe; la lettre de Frédéric n'existe qu'en copie. Celle-ci fut remise au comte Panin par le comte de Solms-Sonnewalde, envoyé de Prusse à la cour de Saint-Pétersbourg, pour être présentée à <VIII>l'Impératrice. C'est à cette occasion que Frédéric écrivit au comte de Solms la lettre que nous avons cru devoir annexer à sa correspondance avec Catherine II.

VII. LETTRE DE FREDERIC AU BIOGRAPHE DU GÉNÉRAL PAOLI. (25 mai 1769.)

Frédéric entend sans doute par là l'auteur de la Relation de l'Isle de Corse, journal d'un voyage dans cette isle, et Mémoires de Pascal Paoli. Par Jacques Boswell, écuyer. Traduit de l'anglais, sur la seconde édition, par J.-P.-I. du Bois. A la Haye, 1769, in-8. Nous ne saurions dire positivement si la lettre du 25 mai 1769 a été adressée au biographe lui-même, ou au traducteur français. Cette lettre se trouve dans le Mémorial d'un mondain, par M. le comte Max. Lamberg. Au Cap-Corse, 1774, p. 54 et 55, d'où nous l'avons tirée. Quant au général Paoli, nous renvoyons le lecteur à l'Avertissement du t. XIV de notre édition, p. XVI, no XLV.

Outre la Table des matières, nous ajoutons à ce volume une Table chronologique générale des lettres contenues dans les sept groupes dont nous venons de faire l'énumération.

Berlin, le 12 novembre 1850.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.

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I. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE COMTE ALGAROTTI. (OCTOBRE 1739 - 1er JUIN 1764.)[Titelblatt]

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1. AU COMTE ALGAROTTI.

Remusberg, 1er septembre3-a 1739.

Élève d'Horace et d'Euclide,
Citoyen aimable et charmant
Du pays du raisonnement,
Où règne l'arbitre du vide,
Les calculs et les arguments;
Naturalisé par Ovide
Dans l'empire des agréments,
Où la vivacité charmante,
L'imagination brillante,
Préfèrent à la vérité
La fiction et la gaîté;
Nouvel auteur de la lumière,
Phébus de ton pays natal,
C'est ta brillante carrière,
C'est ta science qui l'éclaire,
Qui déjà lui sert de fanal.
La souplesse de ton génie
Te fit naître pour les talents;
C'est Newton en philosophie,
Le Bernin pour les bâtiments,
Homère pour la poésie,
Homère, qui faisait des dieux
Comme les saints se font à Rome,
Où l'on place souvent un homme
Très-indignement dans les cieux.
<4>Oui, déjà Virgile et le Tasse,
Surpris de tes puissants progrès,
Poliment te cèdent la place
Qu'ils pensaient tenir pour jamais.

J'ai tout reçu, mon cher Algarotti, depuis la poésie divine du cygne de Padoue jusqu'aux ouvrages estimables du sublime Candide.4-a Heureux sont les hommes qui peuvent jouir de la compagnie des gens d'esprit! Plus heureux sont les princes qui peuvent les posséder! Un prince qui ne voudrait avoir que de semblables sujets serait réduit à n'avoir pas un empire fort peuplé; je préférerais cependant son indigence à la richesse des autres, et je me trouverais principalement agréablement flatté, si je pouvais compter que

Tu décoreras ces climats
De ta lyre et de ton compas.4-b
Plus que Maron, par ton génie,
Tu pourrais voir couler ta vie
Chez ceux qui marchent sur les pas Et d'Auguste, et de Mécénas.

Passez-moi cette comparaison, et souvenez-vous qu'il faut donner quelque chose à la tyrannie de la rime.

J'espère que ma première lettre vous sera parvenue. J'aurai bientôt achevé la Réfutation de Machiavel; je ne fais à présent que revoir l'ouvrage et corriger quelques négligences de style et quelques fautes contre la pureté de la langue qui peuvent m'être échappées dans le feu de la composition. Je vous adresserai l'ouvrage dès qu'il sera <5>achevé, pour vous prier d'avoir soin de l'impression; je fais ce que je puis pour l'en rendre digne.

Je n'oublierai jamais les huit jours que vous avez passés chez moi. Beaucoup d'étrangers vous ont suivi; mais aucun ne vous a valu, et aucun ne vous vaudra sitôt. Je ne quitterai pas sitôt encore ma retraite, où je vis dans le repos, et partagé entre l'étude et les beaux-arts. Je vous prie que rien n'efface de votre mémoire les citoyens de Remusberg; prenez-les d'ailleurs pour ce qu'il vous plaira, mais ne leur faites jamais injustice sur l'amitié et l'estime qu'ils ont pour vous. Je suis, mon cher Algarotti,

Votre très-fidèlement affectionné
Federic.

2. AU MÊME.

Remusberg, 29 octobre 1739.

Mon cher Algarotti, il n'y a rien de plus obligeant que l'exactitude avec laquelle vous vous acquittez des commissions que je vous ai données pour Pine.5-a Je ferai copier la Henriade, en attendant qu'il fasse ressouvenir les Anglais, par les estampes de leurs victoires navales, de leur gloire passée. Il est juste que l'ouvrage de notre Virgile moderne attende la fin de l'impression du Virgile des Romains, et l'équité veut que le cygne de Mantoue chante le premier; il perdrait trop, s'il suivait le cygne de Cirey. Dès que j'aurai reçu les premières feuilles de Virgile, je choisirai la grandeur du papier, et je ferai faire les dessins et les vignettes qui doivent embellir cet ouvrage.

<6>La marquise vient de m'envoyer une traduction italienne de la Henriade par un certain Cabiriano.6-a Elle paraît très-fidèle; ainsi ce poëme, excellent par lui-même, va bientôt passer en toutes les langues, et servir de modèle au poëme épique de toutes les nations. Il le mériterait assurément, car c'est le plus sage et le mieux construit que nous ayons. Je compte d'achever dans trois semaines mon Prince de Machiavel. Si vous vous trouvez encore vers ce temps à Londres, je vous prierai de prendre sur vous le soin de cette impression. J'ai fait ce que j'ai pu pour inspirer de l'horreur au genre humain pour la fausse sagesse de ce politique; j'ai mis au jour les contradictions grossières dans lesquelles il est avec lui-même, et j'ai tâché d'égayer la matière aux endroits que cela m'a paru convenable. On instruit toujours mal lorsqu'on ennuie, et le grand art est de ne point faire bâiller le lecteur. Il ne fallait pas la force d'Hercule pour dompter le monstre de Machiavel, ni l'éloquence de Bossuet pour prouver à des êtres pensants que l'ambition démesurée, la trahison, la perfidie et le meurtre étaient des vices contraires au bien des hommes, et que la véritable politique des rois et de tout honnête homme est d'être bon et juste. Si j'avais cru que ce dessein surpassât mes forces, je ne l'aurais point entrepris.

Je n'aurais point d'un vain honneur
Cherché le frivole avantage,
Car je mesure à ma vigueur
Tous mes efforts et mon courage.
Le Turc, dit-on, en son sérail
A cent beautés pour son usage;
Mais chaque jour un pucelage
Mérite un vigoureux travail.
Qu'il fasse donc, s'il veut, sa ronde,
Qu'Atlas lui seul porte le monde,
<7>Qu'Hercule dompte des géants,
Que les dieux vainquent les Titans,
Une moins illustre victoire,
Honorant assez mes talents,
Suffira toujours à ma gloire.

Je suis ravi de ce que vous conservez encore le souvenir d'un endroit où l'on éternise votre mémoire. Vous êtes immortel chez nous, et le nom d'Algarotti périra aussi peu à Remusberg que celui du dieu Terme chez les Romains. Vos collections de jardinage, mon cher Algarotti, me seront d'autant plus agréables, qu'elles me procureront de vos nouvelles. Je regarde les hommes d'esprit comme des séraphins en comparaison du troupeau vil et méprisable des humains qui ne pensent pas. J'aime à entretenir correspondance avec ces intelligences supérieures, avec ces êtres qui seraient tout à fait spirituels, s'ils n'avaient pas des corps; ce sont l'élite de l'humanité. Je vous prie de faire mes amitiés à mylord Baltimore, dont j'estime véritablement le caractère et la façon de penser; j'espère qu'il aura reçu à présent mon Épître sur la liberté de penser des Anglais. Souvenez-vous toujours des amis que vous vous êtes faits ici en vous montrant simplement, et jugez de ce que ce serait, si nous avions le plaisir de vous posséder toujours.

Je suis avec une véritable estime, mon cher Algarotti,

Votre très-affectionné
Federic.

<8>

3. AU MÊME.

Berlin, 4 décembre 1739.

Mon cher Algarotti, vous devez avoir reçu à présent ma réponse aux beaux vers que vous m'avez envoyés, dont l'esprit sert comme de véhicule à la louange. J'espère de pouvoir bientôt vous envoyer mon Antimachiavel. J'y travaille beaucoup; mais, comme je destine cet ouvrage pour le public, je voudrais bien qu'il fût poli et limé de manière que les dents de la critique n'y trouvassent que peu ou point à mordre. C'est pourquoi je corrige et j'efface à présent les endroits qui pourraient déplaire au lecteur sensé et aux personnes de goût. Je ne me précipite point, et j'aperçois tous les jours de nouvelles fautes. C'est une hydre dont les têtes renaissent à mesure que je les abats. Nous avons reçu ici un très-habile physicien, nommé Célius;8-a c'est un homme qui a pour plus de vingt mille écus d'instruments de physique, et qui est très-versé dans les mathématiques. Il y a actuellement à Londres un grand mécanicien et opticien que le Roi fait voyager. Cet homme promet beaucoup; je crois que vous ne vous repentirez point de le connaître; il s'appelle Lieberkühn.

J'attends la feuille de Virgile avec impatience, pour accélérer l'impression de la belle édition de la Henriade; on commencera cette semaine à la faire copier. Voltaire est à présent à Cirey avec Émilie. Ils iront, à ce qu'ils disent, dans peu à Bruxelles. Je crois que l'air du barreau ne leur conviendra ni à l'un ni à l'autre, et que Paris peut être regardé comme le centre d'attraction vers lequel tout Français gravite naturellement.

Si vous trouvez à Londres quelque ouvrage digne de la curiosité d'un étranger, faites-le-moi savoir, je vous prie. J'ai vu une pièce de<9> mylord Chesterfield, pleine d'esprit, de bonne plaisanterie et d'agréments; elle est sur l'ajustement des dames. N'oubliez pas au moins les singulières productions du docteur Swift. Ses idées nouvelles, hardies et quelquefois extravagantes, m'amusent. J'aime assez ce Rabelais d'Angleterre, principalement lorsqu'il est bien inspiré par la satire, et qu'il s'abandonne à son imagination.

Adieu, cher Algarotti; n'oubliez point ceux que vous avez charmés à Remusberg par votre présence, et soyez persuadé de l'estime parfaite avec laquelle je suis

Votre très-affectionné ami,
Federic.

Mes compliments à mylord Baltimore.

4. AU MÊME.

Berlin, 26 février 1740.

Mon cher Algarotti, je ne sais quelle peut être la raison que vous n'avez point reçu ma lettre. Il y a près d'un mois que je vous ai écrit. J'ai été, depuis ce temps, attaqué d'une fièvre assez forte et d'une colique très-douloureuse, ce qui m'a empêché de répondre à mylord Baltimore. J'ai cependant travaillé autant qu'il m'a été possible, de façon que mon Antimachiavel est achevé, et que je compte de vous l'envoyer dans peu, après y avoir fait quelques corrections.

Ma plume tremblante et timide,
Présentant ses premiers essais
Au public, né censeur rigide,
Pour s'assurer contre ses traits,
<10>Attend que Minerve la guide.
Les partisans de Machiavel,
Peu contents de la façon libre
Dont je leur prodigue mon sel,
Pour venger la gloire du Tibre
Et ce monstre, fils naturel
D'un père encor plus criminel,
Contre moi sonneront l'alarme.
Fleury, quittant d'abord l'autel,
Son chapeau rouge et son missel,
Revêtira sa cotte d'armes;
Et, jusqu'à Rome, Alberoni
Au Vatican fera vacarme
Contre un auteur qui l'a honni.
L'élève de sa politique,
Qui d'Espagne l'avait banni,
Sous sa fontange despotique
Conclura d'un ton ironique
Que le pauvre auteur converti
Sera pour lèse-politique
Très-bien et galamment rôti.
Même à l'autre bout de l'Europe,
Dans ce climat si misanthrope,
Peuplé moitié d'ours et d'humains.
Dont on dit que défunt Ésope
Fut des premiers historiens,
Tu verras la fraude et la ruse,
L'intérêt vil qui les abuse,
Fronder avec des airs hautains
Un ouvrage qui les accuse,
Et qui leur vaudra dans mes mains
Une autre tête de Méduse,
Propre à détruire leurs desseins.

J'ai reçu le paquet d'Italie, les sermons et la musique, dont je vous fais mes remercîments. Je n'ai encore rien reçu d'Angleterre, et je présume que votre ballot ne me parviendra qu'à l'arrivée de l'écuyer du Roi.

<11>Vous êtes un excellent commissionnaire, mon cher Algarotti; j'admire votre exactitude et vos soins infatigables. Je n'ai pas reçu la moindre chose de Pine. La Henriade est copiée et prête à être envoyée. Il ne dépend plus que de l'imprimeur de mettre la main à l'œuvre.

Mandez-moi, je vous prie, si c'est en français ou en italien que vous composez votre Essai sur la guerre civile. Le sujet que vous avez choisi est, sans contredit, le plus intéressant de toutes les histoires de l'univers. L'esprit se plaît en les lisant; les faits remplissent bien l'imagination. Cette histoire est, en comparaison de celle de nos temps, ce qu'est l'épopée à l'égard de l'idylle. Tout y tend au grand et au sublime.

Envoyez-moi, je vous prie, votre traduction de Pétrone; je suis persuadé qu'elle surpasse autant Pétrone que l'Art d'aimer de Bernard est préférable à celui d'Ovide.

Nous regardons ici d'un œil stoïque les débats du parlement d'Angleterre, les troubles de Pologne, la conquête des Russiens, les pertes de l'Empereur, les guerres des Français, et les projets ambitieux des Espagnols. Il me semble que nous jouons le rôle des astronomes, qui président les révolutions des planètes, mais qui ne les règlent pas. Notre emploi sera peut-être de faire des calendriers politiques à l'usage des cafés de l'Europe.

Mandez-moi, je vous prie, si vous n'avez pas reçu ma lettre, sans date, du 15 ou du 17 de janvier. Si vous ne l'avez pas reçue, il faut qu'elle soit égarée. Elle est en réponse sur votre maladie.

Mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous savez, avec cette liberté qui vous sied si bien, et qui convient à tout être pensant; et principalement informez-moi de ce qui vous regarde, car vous pouvez être persuadé que je vous aime et vous estimerai toujours.

<12>

5. AU MÊME.

Berlin, 15 avril 1740.

Poursuivez vos travaux, aimable Algarotti.
Votre feu généreux ne s'est point ralenti,
Et, quittant le compas,12-a déjà sous votre plume,
Pour l'honneur des Romains, s'épaissit un volume.
L'univers est pour vous un jardin bigarré,
Peint par l'émail des fleurs, ou de fruits décoré,
Où, toujours voltigeant en abeille légère,
Vous butinez le miel de parterre en parterre,
Et préparez pour nous des sucs si bienfaisants.
Que ne promettent point tous vos heureux talents!
Par vous le grand Newton ressuscite à Venise,
Et Jules César renaît aux bords de la Tamise.

Je souhaite que ce Jules César, conduit par son auteur, puisse arriver bientôt à Berlin, et que j'aie le plaisir de l'applaudir en votre présence. Vous n'avez rien perdu en ma lettre; ce ne sont que quelques mauvais vers de moins dans le monde, et quelque verbiage inutile de dérobé à votre connaissance. Comme vous êtes poëte, mon cher Algarotti, je ne m'étonne point que vous compariez un morceau de papier barbouillé par moi chétif à des flottes somptueuses qui apportent des trésors du nouveau monde.

L'heureuse imagination,
Le ton d'une muse polie,
L'agrément de la fiction,
La vivacité du génie
De vos poëtes d'Italie,
Et l'hyperbole en action,
Par leur science si féconde Ont
souvent étonné le monde.
<13>Relevant de petits objets,
Et rabaissant de grands sujets,
Tout leur est soumis à la ronde.
Sublime éloquence, art divin,
Vous savez nous plaire et séduire,
Et, maîtresse du genre humain,
Tout l'univers est votre empire.

Mais il faut à cette éloquence des Cicérons, des Voltaires ou des Algarotti; sans quoi elle ressemblerait à un squelette privé de chairs et de ces parties du corps humain qui l'embellissent et lui donnent la vie.

J'attends tous vos ouvrages avec beaucoup de curiosité et d'impatience. Encore un coup de plume, et je vous enverrai le Machiavel, qui est d'ailleurs tout achevé. Pour vous amuser en attendant, j'ajoute à cette lettre deux Épîtres sur l'usage de la fortune13-a et sur la constance dans les difficultés de la vie et dans l'adversité,13-b avec un conte auquel un médecin a donné lieu.13-c Vous trouverez ces amusements assez frivoles, vous qui êtes dans un pays où l'on ne gagne que des batailles, et où l'on ne frappe que de ces grands coups qui décident de la fortune des empires et du sort des nations. Je voudrais, pour ma satisfaction, que vos libraires fussent aussi diligents que vos généraux. Pine me fait extrêmement languir. J'ai la Henriade prête, et je n'attends que cette feuille éternelle de Virgile, qui paraît être collée pour jamais dans son imprimerie. Il me semble au moins qu'on devrait quelque préférence à Voltaire, car

Virgile, lui cédant la place
Qu'il obtint jadis au Parnasse,
Lui devait bien le même honneur
Chez maître Pine l'imprimeur.

<14>J'attends de vos nouvelles, et je me flatte que vous voudrez bien avoir soin de tout ce qui regarde ces impressions, auxquelles je m'intéresse beaucoup. Adieu, mon cher Algarotti; vous pouvez être persuadé de toute mon estime.

Federic.

6. AU MÊME.

Remusberg, 19 mai 1740.

A ma muse vive et légère
Ne fais pas trop d'attention;
Mes vers ne sont faits que pour plaire,
Et non pour la dissection.

Vous entrez dans un détail des Épîtres que je vous ai envoyées, mon cher Algarotti, qui me fait trembler. Vous examinez avec un microscope des traits grossiers qu'il ne faut voir que de loin et d'une manière superficielle. Je me rends trop justice pour ne pas savoir jusqu'où s'étendent mes forces. Indépendamment de ce que je viens de vous dire, vous trouverez dans cette lettre deux nouvelles Épîtres, l'une sur la nécessité de l'étude,14-a et l'autre sur l'infamie de la fausseté.14-b J'y ai ajouté un conte sur un mort qu'on n'a point enterré, puisqu'un prêtre avait promis sa résurrection.14-c Le fond de l'histoire est vrai au pied de la lettre, et semblable en tout à la manière dont je l'ai rapporté; l'imagination a achevé le reste.

<15>

Vous, qui naquîtes dans ces lieux
Où Virgile parla le langage des dieux,
Qui l'apprîtes dès la nourrice,
Jugez avec plus de justice
De mes vers négligés et souvent ennuyeux.
Entouré de frimas, environné de glace,
La lyre tombe de mes mains.
Non, pour cultiver l'art d'Horace,
Il faut un plus beau ciel et de plus doux destins.

Je suis persuadé que la Vie de César que vous composez fera honneur à ce vainqueur des Gaules.

Ce généreux usurpateur
Me plaira mieux dans vos ouvrages
Qu'à Rome, au milieu des hommages
D'un peuple dont il fut vainqueur.

Comme je m'aperçois des délais de Pine, j'ai pris la résolution de faire imprimer l'Antimachiavel en Hollande, et je vous prie, en même temps, de vous informer combien coûteraient tous les caractères d'argent les plus beaux que l'on a, et qui font la collection d'une imprimerie complète. J'ai envie de les acheter, afin de faire imprimer la Henriade sous mes yeux.

De la bavarde Renommée
Prenant les ailes et la voix,
Du cygne de Cirey je louerai les exploits.
La Henriade relimée,
De nouvelles beautés sans cesse ranimée,
Jusqu'aux brahmanes des Chinois
Et des rives de l'Idumée
Volera, comme je prévois.

Je ne sais que répondre à votre charmante gazette, sinon que la nôtre, jusqu'à présent, ne fournit que des sujets tristes, et qu'elle pourrait, comme je le prévois et le crains, fournir dans peu des ma<16>tières encore plus tragiques. Ce qu'il y a de sûr, c'est que nous n'avons point de bals ni de mascarades, que nous ne conquérons point de royaumes; mais aussi n'avons-nous point de guerre. C'est à présent le temps de notre sommeil et de l'inaction. Il faut croire que, lorsqu'il aura duré son période, un autre lui succédera. Je sais bien que, pour ce qui me regarde, je souhaite avec beaucoup d'empressement que mon temps vienne de vous revoir. Vous êtes trop aimable pour qu'on puisse vous connaître sans vous désirer. Faites donc, je vous prie, que je puisse bientôt me satisfaire, et soyez persuadé que je suis plein d'estime et d'amitié pour vous. Adieu.

7. AU MÊME.

Charlottenbourg, 3 juin 1740.

Mon cher Algarotti, mon sort a changé. Je vous attends avec impatience; ne me faites point languir.

Federic.

Ce 3 juin an de salut 1740, quatrième jour du règne de mon adorable maître.

Venez, Algarotti, des bords de la Tamise,
Partager avec nous notre destin heureux.
Hâtez-vous d'arriver en ces aimables lieux;
Vous y retrouverez Liberté pour devise.

Ceci doit vous faire entendre que depuis quatre jours Frédéric II a succédé à Frédéric-Guillaume.

<17>

Tout son peuple avec nous ne se sent pas de joie.
Lui seul, en tendre fils, à la douleur en proie,
Peu sensible aux attraits d'un destin si flatteur,
Mérite d'être aimé, de régner sur ton cœur.

Ne gaudia igitur nostra moreris. Algarotti venturo, Phosphore, redde diem.17-a

Mille et mille compliments au digne mylord Baltimore. Je le salue par tous les cinq points de géométrie.

Le Roi s'est déclaré maçon, et moi de même, à la suite de mon héros. Considérez-moi comme un maître maçon.

Le Roi a commencé par répandre ses bienfaits sur son peuple; il le nourrit, et ne fait, de jour à autre, que de donner à pleines mains. Après cela, parlez-moi de Titus. Venez bientôt.

Votre tendre ami et serviteur,
Baron Keyserlingk.

8. AU MÊME.

Charlottenbourg, 21 juin 1740.

Mon cher cygne de Padoue, j'ai reçu vos lettres avec bien du plaisir; mais j'avoue que j'ai encore dix fois plus d'empressement à vous voir vous-même qu'à lire vos lettres. Je vous prie de me satisfaire au plus tôt, et d'être persuadé que, malgré l'accablement d'affaires dans lequel je me trouve, je sens cependant beaucoup que vous me manquez. Satisfaites-moi donc le plus promptement qu'il vous sera<18> possible. Ayez soin de l'imprimerie la meilleure et la plus complète que vous pourrez trouver, et soyez bien persuadé de l'estime que j'ai pour vous.

9. AU MÊME.

Remusberg, 11 octobre 1740.

Mon cher Algarotti, j'ai vu par votre lettre que vous étiez content du décorateur de Pesne. Il faut qu'il attende mon arrivée, pour que je voie son ouvrage. Votre lettre au comédien est belle et flatteuse pour lui et pour moi; mais il me semble que vous n'auriez pas dû tant appuyer sur la magnificence, car à présent il va demander le double de ce qu'il aurait demandé sans cela.

J'ai toujours la fièvre à peu près de même; j'ai cependant fait l'exorde du poëme que vous savez. Il faudra encore bien amasser des matériaux et arranger des faits avant que d'avoir arrangé et plié le sujet aux règles de l'épopée; mais nous y aviserons.

Je me retrouve ici chez moi, et plus rendu à moi-même qu'à nul autre endroit. Dès que j'aurai encore fait un voyage à Berlin, je reviens ici pour ne plus quitter Remusberg.

Faites mes compliments à Maupertuis, et dites-lui que j'avais arrangé dans ma tête de quoi lui donner de l'occupation suffisante. Je vais prendre ma fièvre. Adieu; je vous reverrai, je crois, dimanche ou mardi.

<19>

10. AU MÊME.

Remusberg, 24 octobre 1740.

Ami, le sexe de Berlin
Est ou bien prude, ou bien catin,
Et le sort de toutes nos belles
Est de passer par mainte main.
Plaire, aimer, paraître fidèles,
Est l'effet de l'amour du gain;
Mais, faites à donner, à prendre,
Leur générosité sait rendre,
Le soir, tout l'acquis du matin.
De Naple un certain dieu mutin,
Dieu de douleur, de repentance,
Dit-on, s'assujettit la France,
Et ravagea comme un lutin
Tout c .. friand, tout v .. enclin
Au plaisir de l'intempérance.
Bientôt du dieu la véhémence
Le transporta chez le Germain.
Ce n'est que par reconnaissance
Que quelque équitable p.....
Vient de restituer son bien
Au gentil cygne de Florence.

J'en suis bien fâché, car je paye ma quote-part du malheur qui vient de vous arriver. Vous êtes à Berlin, et je suis à Remusberg. Votre secret sera inviolablement gardé; l'honneur de ma nation me tient trop à cœur pour que je m'avise de divulguer qu'on a maltraité à Berlin un homme que j'estime et que je chéris.

Prenez toutes les précautions que votre santé exige, et ne venez ici que lorsque vous le pourrez sans risque. Je travaille, en attendant, tantôt à une ode, tantôt à quelque autre pièce; le tout cependant légèrement, car mon corps cacochyme ne permet guère à mon <20>âme de s'élever aussi haut que celle des Algarotti et des Voltaire. La maladie enchaîne mon esprit, et tient mon imagination en cage.

Je crois que M. de Coincy est très-bien à Strasbourg, et qu'il serait de trop ici. Ne prenons que la fleur du genre humain, et émondons les feuilles inutiles et les racines pourries; un bouquet doit être choisi. J'ai reçu deux éditions complètes du Machiavel. Gresset m'adresse une ode où il me démasque tout net. Je ne saurais qu'y faire, je suis né pour être découvert. Je l'ai été comme comte Dufour,20-a je le suis comme auteur. Il n'y a de ressource pour moi que dans un fonds inépuisable d'effronterie.

Du centre de la Faculté,
Ma fidèle fièvre salue
Votre nouvelle infirmité.
Mais craignez qu'à pas de tortue
Sa douleur cuisante et aiguë
Pour quitter votre humanité
Ne soit et rétive, et têtue.
Comment vous quitter autrement?
Lorsqu'on fait tant que vous connaître,
Aimable cygne, on ne peut être
Qu'enchanté de vos agréments.

Vous connaissez mes sentiments; il serait superflu de vous répéter combien je vous estime.

11. AU MÊME.

Mon cher Algarotti, j'ai vu par votre lettre la façon favorable dont vous jugez de mon ébauche de Machiavel; mais je me rends assez justice en même temps pour me dire que vous avez désarmé votre<21> critique à cette lecture, et que vous avez cru que c'est toujours beaucoup lorsque l'ouvrage d'un roi peut atteindre au médiocre.

Je passe au sujet le plus solide de votre lettre, où il s'agit de votre personne et de mes intérêts. Je vous avoue que je connais peu ou, pour mieux dire, personne qui ait, autant que vous, des talents pour toutes les choses généralement. Je suis sûr que vous êtes capable, plus que qui que ce soit, pour être employé dans des affaires solides; mais par cela même, mon cher Algarotti, souvenez-vous du caccia riserbata. Il faut vous réserver pour de bonnes occasions. Ma négociation avec l'Angleterre se terminera vers le retour du Captain21-a en Angleterre, et vraisemblablement alors tout doit être fini et réglé. Mais il se pourra trouver des endroits où vous me serez infiniment plus nécessaire, et où il s'agira de connaître premièrement le terrain. Je vous réserverai pour les bonnes occasions. Mais cependant, si entre ci et ce temps-là vous avez envie de faire quelque voyage, je m'offre volontiers à vous en fournir les frais d'une façon convenable, et de vous donner un titre qui pourra vous acheminer à quelque chose de plus haut. Parlez-moi naturellement, et soyez persuadé que je me ferai un plaisir de vous obliger et de faire votre fortune. Mais soyez toujours rond et sincère. Parlez-moi sans détour, et ne me cachez jamais vos vues et vos idées; tant qu'elles seront faisables, je n'y serai jamais contraire. Mais il est bien naturel que je commence par penser à moi-même, et que je ne me prive point du plaisir de vous voir, sans que j'en aie une raison d'intérêt suffisante, ou que vous ayez envie de faire un voyage pour quelque temps.

Vous connaissez l'amitié et l'estime que j'ai pour vous.

<22>

12. AU MÊME.

Remusberg, 28 octobre 1740.

Mon cher Algarotti, je conviens de très-bon cœur que mon Machiavel contient les fautes que vous m'indiquez; je suis même très-persuadé qu'on pourrait y ajouter et y diminuer une infinité de choses qui rendraient le livre beaucoup meilleur qu'il n'est. Mais la mort de l'Empereur fait de moi un très-mauvais correcteur. C'est une époque fatale pour mon livre, et peut-être glorieuse pour ma personne. Je suis bien aise que le gros du livre vous ait plu; je fais plus de cas du suffrage d'un homme sensé et pénétrant que de l'éloge ou du blâme du vulgaire des auteurs,

De tous ces vils auteurs dont la vaine cohue
Croasse dans la fange aux pieds de l'Hélicon,
Se poursuit par envie, et se traîne en tortue
Sur les pas d'Apollon.

Vous pouvez garder le livre en toute sûreté, car j'en ai reçu aujourd'hui une vingtaine d'exemplaires.

Nous faisons ici tout doucement les Césars et les Antoines,22-a en attendant que nous puissions les imiter plus réellement. C'est ce que l'on appelle peloter en attendant partie.

Je suis bien aise que les images de ces grands hommes vous aient fait plaisir au cabinet des médailles. J'aurais souhaité seulement que leur vue eût eu le mérite de vous guérir, comme on le prétend de l'image miraculeuse de la sainte dame de Lorette.

Je n'irai point à Berlin. Une bagatelle comme est la mort de l'Empereur ne demande pas de grands mouvements. Tout était prévu, tout était arrangé. Ainsi il ne s'agit que d'exécuter des desseins que j'ai roulés depuis longtemps dans ma tête.

<23>Les médecins m'ont promis que dans quinze jours la fièvre ferait divorce avec moi, et je leur ai promis de les payer comme un roi catholique payerait en pareille occasion un pape qui lui donnerait dispense.

M. de Beauvau a du feu au c.., qui le presse de venir ici. Il croit quitter Berlin au plus tôt; mais je suis sûr qu'il n'en bougera pas les premiers six mois. Voltaire arrivera ici dans quinze jours. Émilie est à Fontainebleau, et lui, il part de la Haye. Ne pouvant aller en France, la Prusse sera le pis aller.

J'attends toujours que vous vouliez vous déclarer sur votre sort. Dites-moi, je vous prie, ce qu'il vous faut, et ce que vous voulez pour que composition se fasse, et que je puisse voir jour à votre établissement. J'attends le tout avec impatience, vous assurant que je suis tout à vous.

13. AU MÊME.

Remusberg, 2 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, dans ce temps de crise je n'ai guère eu le temps de vous écrire. Les grandes nouvelles qui, depuis huit jours, se succèdent si promptement donnent de l'occupation à la politique, et les affaires commencent à prendre un train si sérieux, qu'il ne suffit pas d'une prudence ordinaire pour se conduire, et que, pour bien faire, il faudrait percer dans l'avenir, et lire dans le livre des destins les conjonctures et les combinaisons des temps futurs.

La première de vos lettres n'est pas l'hymne d'un cygne mourant, mais c'est le chant d'une sirène, qui, étant trop flatteur, séduirait<24> très-facilement quiconque voudrait se croire tout ce qu'une imagination italienne est capable de créer. La seconde est à peu près telle qu'Antoine l'eût écrite à César, dans les temps que ce dernier faisait la conquête de l'Angleterre.

Je suis persuadé que c'est pour vous le plus grand plaisir du monde d'être à la veille des plus grands événements de l'Europe, et de voir débrouiller une fusée qui assurément ne sera ni facile ni prompte à mettre en ordre. Les tableaux de nos temps vous fourniront des crayons de ce qu'étaient ces grandes révolutions du temps de la république romaine, et vous donneront peut-être encore plus de force pour les décrire, comme de certains peintres, qui se proposent le sujet de Troie en flammes, sont bien aises de voir des embrasements pour en avoir l'imagination plus frappée.

Expliquez-vous un peu plus clairement sur votre sujet, je vous prie, afin que je puisse vous satisfaire selon votre façon de penser. Quant au titre, ce sera pour cet hiver, à Berlin; quant au reste, je voudrais un langage un peu moins énigmatique.

Adieu, cher cygne; je vous souhaite le retour de votre santé et de vos forces, en vous assurant de mon amitié et de mon estime.

Federic.

14. AU MÊME.

Remusberg, 8 novembre 1740.

Ton Apollon te fait voler au ciel,
Tandis, ami, que, rampant sur la terre,
Je suis en butte aux carreaux du tonnerre,
A la malice, aux dévots dont le fiel
<25>Avec fureur cent fois a fait la guerre
A maint humain bien moins qu'eux criminel.
Mais laissons là leur imbécile engeance
Hurler l'erreur et prêcher l'abstinence
Du sein du luxe et de leurs passions.
Tu veux percer la carrière immense
De l'avenir, et voir les actions
Que le Destin avec tant de constance
Aux curieux bouillants d'impatience
Cacha toujours très-scrupuleusement.
Pour te parler tant soit peu sensément,
A ce palais25-a qu'on trouve dans Voltaire,
Temple où Henri fut conduit par son père,
Où tout paraît nu devant le Destin,
Si son auteur t'en montre le chemin,
Entièrement tu peux te satisfaire.
Mais, si tu veux, d'un fantasque tableau,
En ta faveur, de ce nouveau chaos
Je vais ici te barbouiller l'histoire,
De Jean Callot25-b empruntant le pinceau.
Premièrement, vois bouillonner la gloire
Au feu d'enfer attisé d'un démon;
Vois tous les fous d'un nom dans la mémoire
Boire à l'excès de ce fatal poison;
Vois, dans ses mains secouant un brandon,
Spectre hideux, femelle affreuse et noire,
Parlant toujours langage de grimoire,
Et s'appuyant sur le sombre Soupçon,
Sur le Secret, et marchant à tâtons,
La Politique, implacable harpie,
Et l'Intérêt, qui lui donna le jour,
Insinuer toute leur troupe impie
Auprès des rois, en inonder leur cour,
Et de leurs traits blesser les cœurs d'envie,
Souffler la haine, et brouiller sans retour
<26>Mille voisins de qui la race amie
Par maint hymen signalait leur amour.
Déjà j'entends l'orage du tambour,
De cent héros je vois briller la rage
Sous les beaux noms d'audace et de courage;
Déjà je vois envahir cent États,
Et tant d'humains, moissonnés avant l'âge,
Précipités dans la nuit du trépas;
De tous côtés je vois croître l'orage,
Je vois plus d'un illustre et grand naufrage,
Et l'univers tout couvert de soldats;
Je vois .... Petit-Jean vit bien davantage,26-a
A vous, à votre imagination
C'est à finir, car ma muse essoufflée,
De la fureur et de l'ambition
Te crayonnant la désolation,
Fuyant le meurtre, et craignant la mêlée,
S'est promptement de ces lieux envolée.

Voilà une belle histoire des choses que vous prévoyez. Si don Louis d'Acunha, le cardinal Alberoni ou l'Hercule mitré avaient des commis qui leur fissent de pareils plans, je crois qu'ils sortiraient avec deux oreilles de moins de leurs cabinets. Vous vous en contenterez cependant pour le présent. C'est à vous d'imaginer de plus tout ce qu'il vous plaira. Quant aux affaires de votre petite politique particulière, nous en aviserons à Berlin, et je crois que j'aurai dans peu des moyens entre mes mains pour vous rendre satisfait et content.

Adieu, cher cygne; faites-moi entendre quelquefois de votre chant, mais que ce ne soit point selon la fiction des poëtes, en rendant l'âme aux bords du Simoïs. Je veux de vos lettres, vous bien portant et même mieux qu'à présent. Vous connaissez et êtes persuadé de l'estime que j'ai pour vous.

<27>

15. AU MÊME.

Remusberg, 13 novembre 1740.

Mon cher cygne, vous êtes né, je crois, pour voir arriver de vos jours de grands événements. Voilà donc l'impératrice de toutes les Russies morte, ce qui va faire un terrible changement dans les affaires de cet immense empire. En Saxe, on joue aux osselets, et l'on est plein de l'orgueil le plus parfait qu'il y ait dans le monde; en France, on joue au plus fin, et l'on guette sa proie; en Hollande, on tremble, et l'on fait pis encore; à Vienne, on se tourne de tous côtés pour prendre une bonne résolution, on a la gangrène dans le corps, et l'on craint une opération douloureuse, seul remède qui pourrait la guérir; à Remusberg, on danse, on fait des vers, et l'on n'a plus la fièvre; à Berlin, les cygnes qui se sont brûlé les ailes se les font guérir; et en Danemark, le Roi et ses sujets mangent du gruau et du sarrasin à en crever. Voilà la gazette d'aujourd'hui. Adieu, cher cygne. A Berlin, un quart d'heure d'entretien sur vos affaires les mettra, j'espère, dans une situation que vous pourrez être content.

16. AU MÊME.

Remusberg, 16 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je suis fait pour les tristes événements. Je viens d'apprendre la mort de Suhm,27-a mon ami intime, qui m'aimait aussi sincèrement que je l'aimais, et qui m'a témoigné jusqu'à sa mort la<28> confiance qu'il avait en mon amitié et dans ma tendresse, dont il était persuadé. Je voudrais plutôt avoir perdu des millions. On ne retrouve guère des gens qui ont tant d'esprit joint avec tant de candeur et de sentiment. Mon cœur en portera le deuil, et cela, d'une façon plus profonde qu'on ne le porte pour la plupart des parents. Sa mémoire durera autant qu'une goutte de sang circulera dans mes veines, et sa famille sera la mienne. Adieu; je ne puis parler d'autre chose; le cœur me saigne, et la douleur en est trop vive pour penser à autre chose qu'à cette plaie.

Federic.

17. AU MÊME.

Remusberg, 21 novembre 1740.

Mon cher cygne de Padoue, Voltaire est arrivé tout étincelant de nouvelles beautés, et bien autrement sociable qu'à Clèves. Il est de très-bonne humeur, et se plaint moins de ses indispositions que d'ordinaire. Il n'y a rien de plus frivole que nos occupations. Nous quintessencions des odes, nous déchiquetons des vers, nous faisons l'anatomie de pensées, et tout cela, en observant ponctuellement l'amour du prochain. Que faisons-nous encore? Nous dansons à nous essouffler, nous mangeons à nous crever, nous perdons notre argent au jeu, nous chatouillons nos oreilles par une harmonie pleine de mollesse, et qui, incitant à l'amour, fait naître d'autres chatouillements. Chienne de vie! direz-vous, non pas de celle de Remusberg, mais de celle que vous passez dans des regrets et des souffrances.

Enfin voilà comme le monde est fait, et voilà comme l'on vit dans la petite contrée de Remusberg. J'avais oublié de vous dire que<29> Maupertuis est si amoureux des nombres et des chiffres, qu'il préfère a plus b minus x à toute la société d'ici. Je ne sais si c'est qu'il aime tant l'algèbre, ou si notre monde l'ennuie. Du moins sais-je bien que le cygne de Padoue manque beaucoup à notre société, malgré le cygne de Cirey et celui de Mitau. Adieu, illustre invalide de l'empire de l'Amour. Guérissez-vous des blessures de Cythère, et faites du moins que nous profitions à Berlin de votre esprit, tandis que les p...... ne pourront profiter de votre corps.

18. AU MÊME.

Ruppin, 29 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je ressens autant de plaisir de vous revoir après une longue absence qu'en pouvait trouver Médor de se rapprocher de sa chère Angélique, avec la différence que mon esprit tout seul participe à cette volupté, et qu'il n'aime à courtiser le vôtre que pour se réchauffer au feu de votre brillant génie.

Mon arrivée à Berlin produirait, je pense, un aussi mauvais sujet de médaille que le nom d'Hercule pouvait établir une conformité entre le cardinal roi et le héros païen. Cependant il se trouverait des médailleurs capables de graver l'une, comme il s'est trouvé un Le Moine assez flasque pour peindre l'autre.

Les Anglais, enfin, vont faire les héros, et les ordres du cabinet royal ont rendu les vents favorables à l'amiral Norris. Remarquez seulement que, lorsqu'il s'agissait de roter à Torbay, le duc de Cumberland y était, et qu'il est absent lorsqu'on met actuellement à la voile. Il danse à Saint-James, au lieu de combattre à la Jamaïque. Je<30> ne sais pas trop encore ce que feront les troupes de terre; mais je présume qu'elles n'auront pas les vents contraires, et j'ai assez de foi pour croire que les circonstances nouvelles et les combinaisons futures rempliront bien les quatre pages des gazettes. Heureux Algarotti, que vous allez avoir de plaisir, sans avoir de peine, ni le rude soin de votre gloire à conserver! Vous verrez la tragédie, et vous sifflerez les acteurs qui ne représenteront pas bien, tandis que la Gaussin, Du Frêne, Crébillon ou Voltaire tremblent pour le succès de la pièce, et emploient toute leur capacité et leurs talents pour la faire réussir.

C'est ainsi que, dans le monde, le ciel partage les destins; les uns sont nés pour travailler, les autres pour jouir. Je vous souhaite et ne vous envie point tout ce que la Providence a daigné faire pour vous, à condition que vous m'aimiez, et que vous soyez persuadé de l'estime que j'ai et que j'aurai toute ma vie pour le cygne de Padoue. Adieu.

Federic.

Keyserlingk doit être à présent à Berlin, sain et guéri de toute infirmité.

19. AU MÊME.

Milkau, 20 décembre 1740.

Vous allez donc partir, et vous négocierez, tandis que nous combattrons. Je suis sur le point d'investir Glogau, et, dès que je commencerai le siége, cela ira bien vite. Ils ne peuvent tenir que trois jours,<31> et de là nous volerons à Breslau, où j'espère de trouver des intelligences et de pousser, cet hiver, jusqu'à la Neisse.

Adieu; voyagez en paix et négociez avec succès, et soyez aussi heureux que vous êtes aimable. Quelques services que vous me rendiez, ils n'approcheront jamais du plaisir que me fait votre présence.

20. AU MÊME.

Ottmachau, 17 janvier 1741.

J'ai commencé à régler la figure de la Prusse. Le contour n'en sera pas tout à fait régulier, car la Silésie entière est conquise, hors une misérable bicoque que je tiendrai peut-être bloquée jusqu'au printemps qui vient.

Toute cette conquête n'a coûté jusqu'à présent que la perte de vingt hommes et de deux officiers, dont l'un est le pauvre de Rége,31-a que vous avez vu à Berlin.

Vous me manquez beaucoup. Dès que vous aurez parlé d'affaires, vous voudrez bien me l'écrire. Dans tous ces soixante milles que j'ai faits, je n'ai trouvé aucun humain comparable au cygne de Padoue. Je donnerais volontiers dix lieues cubiques de terre pour un génie semblable au vôtre. Mais je m'aperçois que je vais vous prier de revenir me rejoindre, lorsque vous n'êtes pas encore arrivé. Hâtez-vous donc d'arriver, d'exécuter votre commission, et de revoler à moi. Je voudrais que vous eussiez le chapeau de Fortunatus; c'est la seule chose qu'on puisse vous souhaiter.

Adieu, cher cygne de Padoue; pensez, je vous prie, quelquefois<32> à ceux qui se font échiner ici pour la gloire, et surtout n'oubliez pas vos amis, qui pensent mille fois à vous.

Federic.

21. AU MÊME.

Camp de Hermsdorf, 15 juin 1741.

Mon cher Algarotti, je vous attends avec bien de l'impatience, plus aise de vous posséder comme ami que de recevoir de vos lettres comme ministre. Vous êtes à présent à Lyon, où je vois votre esprit enrichi de tout ce que l'industrie des manufacturiers a produit de rare et d'utile dans cette ville. Je ne sais pas trop ce que l'on dit de moi en France, mais tant sais-je bien que ma réputation ne fleure pas baume à Vienne. On fait des prières publiques contre moi, et peu s'en faut que ceux qui consultent fort l'Apocalypse ne me débitent pour l'Antechrist.

Vous pouvez venir en toute sûreté de Berlin à Breslau, et de là vous ne viendrez au camp qu'à bonnes enseignes. Ne craignez point le sort de Maupertuis. Il se l'est attiré en quelque façon, et je vous réponds corps pour corps de votre sûreté.

Adieu, cher cygne de Padoue. Dès que je vous saurai arrivé, vous aurez de mes nouvelles, et cela, amplement. Ne doutez point de l'estime que j'ai pour vous.

<33>

22. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 29 janvier 1742.



Sire,

Votre Majesté, fût-elle aux trousses des Autrichiens, voudra bien me permettre de la féliciter sur l'empereur qu'elle a fait élire, et dont elle va conserver les États. Les Césars donnaient tantôt un roi aux Daces, et tantôt aux Parthes; V. M. donne un empereur à la plus puissante partie de l'Europe. Voilà encore une bataille que V. M. a fait perdre à la reine de Hongrie à Francfort, bataille après laquelle il faut bien qu'elle songe sérieusement à la paix. Ce ne sera pas cette Paix que nous peignent les poëtes, déesse aimable, mère des arts et de l'abondance, et suivie des plaisirs; mais un squelette de divinité mutilé en grande partie et tout estropié, enfant de la dure Nécessité. Ils voient maintenant à Vienne, Sire, la prophétie de V. M. accomplie dans toute sa plénitude; et il n'a fallu pour cela ni des siècles, ni les semaines de Daniel. Cet homme,33-a Sire, dont V. M. a battu le prince par des manœuvres d'esprit si élégantes et si fines, a dit une chose, d'ailleurs, que V. M. vient de fortement prouver : qu'il fait beau de prophétiser quand on est inspiré par soixante mille hommes. Voilà donc V. M. roi prophète autant par sa science dans la musique et par la beauté de ses vers que par l'accomplissement de ses prédictions, et plus prophète encore par rapport à la force de l'inspiration. Je ne sais pas, au reste, si ce roi tant vanté gagnait, en passant, les cœurs d'une ville entière, comme V. M. vient de faire à Dresde. Elle s'est élevé un temple dont tous les honnêtes gens aimables sont les sacrificateurs, et qui retentit continuellement du concert harmonieux de ses louanges. On se flatte, Sire, que V. M. va repasser par ici après sa belle expédition, dans laquelle elle va imiter César par la profon<34>deur du dessein autant que par la célérité de l'exécution. Puissé-je, Sire, la voir bientôt, couronnée de nouveaux lauriers, faire succéder les plaisirs aux travaux, repasser de Thrace à Cythère!

23. AU COMTE ALGAROTTI.



Cygne le plus inconstant et le plus léger du monde,

Le lutin qui promène ma vagabonde destinée m'a conduit à Olmütz, de là à la tête des armées, et me conduira de là Dieu sait où. Les Français ont donné un empereur aux Allemands; les Autrichiens ont escroqué son héritage à cet empereur; les Saxons veulent les en chasser de leur canapé; les Prussiens veulent courir au secours de leurs alliés au travers des boues, des frimas, des travaux et des dangers. La paix s'ensuivra, si elle peut; mais tant sais-je bien qu'elle sera toujours très-agréable à tout le monde; que la reine du bal payera, à la vérité, les violons, mais qu'elle sera trop heureuse de se délasser de la fatigue de la danse.

J'ai vu Dresde en lanterne magique; je ne sais quand j'y repasserai. Comme je n'aime point à faire les choses à demi, je ne partirai d'ici qu'après avoir bien consolidé mon ouvrage. Cela fini, et la paix venue, je me rendrai aux arts, et Berlin aux plaisirs. Pour vous, papillon inconstant et volage, je ne sais ce que vous deviendrez. Emporté par le feu de votre imagination, peut-être irez-vous griller sous le brasier de l'équateur; peut-être irez-vous avec Maupertuis grelotter en Islande. Que m'importe quel climat vous habiterez, dès que ce n'est pas le mien?

<35>Adieu; ne demandez rien d'une tête dont les traits d'imagination ne consistent qu'en paille hachée, en foin et en farine. Je donne ce métier à tous les diables, et je le fais cependant volontiers. Voilà à quoi l'on peut connaître les contradictions de l'esprit humain. Adieu encore une lois, aimable, mais trop léger Algarotti; ne m'oubliez pas dans les glaçons de la Moravie; et, de l'Opéra de Dresde, envoyez-moi, s'il se peut, par le souffle de Zéphire, quelques bouffées des roulements de la Faustine.35-a

Federic.

Mes compliments à ce jésuite qui ferait un homme aimable, s'il n'était point ecclésiastique, et qui a assez de mérite pour être païen comme nous.

24. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 9 février 1742.



Sire,

Si je ne savais pas combien d'âmes il y a dans le corps de Votre Majesté, je serais étonné de tout ce qu'elle peut faire à la fois. Quoi donc! dans le temps que V. M. va faire la plus importante marche qu'on ait peut-être faite depuis Pharsale et Philippes; dans le temps qu'elle court sauver l'Empire, l'Empereur, la France et les alliés, elle trouve sous sa main les comparaisons et les traits que Chapelle35-b et<36> Chaulieu ne trouvaient que dans le sein du Temple36-a et dans le repos de Paris! La paille hachée et le foin deviennent entre les mains de V. M. du myrte et des roses, en attendant qu'ils se changent en lauriers. Les Grâces, mêlées avec les grenadiers, suivent Anacréon, qui marche sur les traces de César. V. M. a donné peut-être bataille à l'heure qu'il est, et a remporté une seconde victoire dans sa première année militaire. C'est bien, Sire, le plus brillant rôle que prince ait jamais joué, que celui que V. M. joue à présent. Maîtresse des destins, dont elle tient le livre entre ses mains, elle va en faire chanter une page aux Autrichiens sur la basse continue du canon. Rien de plus glorieux pour V. M. que de finir à la tête de ses alliés une guerre qu'elle a commencée sans en vouloir aucun, et de redonner la paix à cette Europe qu'elle a mise en feu. Puisse cette paix aimable venir bientôt mêler son olivier aux lauriers dont V. M. est couronnée! et puisse Berlin, après avoir été aussi longtemps la Sparte de l'Europe, en devenir l'Athènes! Que les beaux-arts, maintenant arrêtés peut-être en quelque méchant cabaret sur la route, arrivent enfin à sa résidence, et que mes inscriptions pour les trois bâtiments qui ne sont encore que sur les tablettes de leur Apollodore soient bientôt gravées dans le bronze! Mais surtout qu'Apollon lui-même, après avoir quitté ses flèches, ministres de la mort, reprenne sa lyre, organe du plaisir, et nous redonne de ces chansons qui seront aussi immortelles que ses campagnes; il m'était tombé dans l'esprit de dire : de ces chansons qui seront aussi immortelles que ses blessures sont mortelles. Mais n'est-ce pas, Sire, que le jeu de mots aurait été fade? n'est-ce pas, prince aimable à qui l'on peut proposer un problème d'esprit à la tranchée, et qui peut faire une épigramme sur les hussards auxquels il donne la chasse? Ces chansons immortelles m'attireront toujours à Berlin, soit du brasier de l'équateur, soit de la glacière de<37> l'Islande, et Frédéric sera toujours pour moi ce que Lalagé était pour Horace. Il est, Sire, je crois, ridicule de découvrir de la sorte ses sentiments et ses faiblesses aux princes autant qu'aux femmes. C'est le plus sûr moyen de ne jamais coucher avec les unes, et de geler toujours dans l'antichambre des autres. Mais le moyen de conserver son sang-froid avec un prince qui, après avoir été les délices de tous les particuliers, a été la maîtresse de toutes les puissances de l'Europe; d'un prince qui a dans l'esprit toutes les grâces de la coquetterie, cette mère charmante de la volupté; d'un prince, enfin, qui sait faire tourner la tête aux jésuites mêmes, quand il le veut! Tout ce que je prends la liberté de dire là à V. M., qui ferait une déclaration dans toutes les formes en cas de besoin, prouvera au moins à V. M. la constance du goût de ce cygne qu'il lui plaît d'appeler le plus inconstant et le plus léger du monde. Quand il serait possible que les princes pussent avoir des torts avec les particuliers, et quand il serait possible, ce qui est plus impossible encore, que V. M. les eût tous avec moi, je l'aimerais toujours, parce qu'elle est l'homme le plus aimable qu'il y ait au monde. Voilà, Sire, toute royauté à part, ma confession de foi, dont je serais, s'il le fallait, l'apôtre et le martyr. Si la Divinité doit quelque reconnaissance aux mortels, que V. M. aime un peu son fidèle croyant, et qu'elle se souvienne de temps à autre, au milieu de ses trophées et de ses victoires, de celui qui aura toujours l'honneur d'être, etc.

P. S. Le père Guarini, pénétré des bontés de V. M., se met à ses pieds; il ne lui manque qu'un plumet blanc et un panier, et des cheveux frisés; il ne lui manque enfin que l'uniforme des gens aimables. Que dirai-je à V. M. de la Faustine? Les extases des nations, qu'elle a causées, ne lui paraissent rien en comparaison des applaudissements de ce prince dont on ne saurait entendre parler sans l'admirer, et qu'on ne saurait voir sans l'aimer. Voici un air, Sire, avec ses pas<38>sages favoris, qu'elle prend la liberté de lui envoyer. J'ai eu beau appeler Zéphire, afin qu'il en fût le porteur; il n'y a eu que Borée qui m'ait répondu. On se prépare ici à donner un nouvel opéra à V. M., même au milieu du carême, où la musique, chez nous, n'est que pour les anges et les âmes dévotes. Que le libérateur de l'Allemagne, que le sauveur de la ligue veuille bientôt changer les tambours et les trompettes contre la flûte et les violons, et Lobkowitz contre la Faustine.

25. AU COMTE ALGAROTTI.

Znaym, 27 février

Mon cher cygne, l'homme propose, et l'événement dispose. Je vous avais écrit une grande lettre, moitié vers, moitié prose, assurément point pour être lue de MM. les hussards; cependant ces malheureux me l'ont escamotée, de façon qu'il ne dépend que de vous de la leur redemander. J'ai ici un travail prodigieux et d'un détail énorme, de façon que les Muses se reposent, attendant partie. Je ne sais si je pourrai sitôt quitter résidence, à cause qu'il arrive tout plein d'événements qui demandent prompte résolution, et que, si je partais, et que, par la négligence de l'un ou de l'autre, les choses tournassent à mal, tout le monde m'en chargerait. L'on paye bien cher ce désir de réputation, et il en coûte bien des peines et des soins pour l'acquérir et pour se la conserver. Adieu; ma page ne me permet pas que je vous en dise davantage.

Federic.

Mes compliments au jésuite par excellence.

<39>

26. AU MÊME.

Selowitz, 20 mars 1742.

Mon cher Algarotti, je suis ici dans un endroit qui appartenait au chancelier de cour Sinzendorff. C'est une maison de plaisance extrêmement belle, attachée à un jardin qui aurait été beau, si le maître l'avait achevé, le tout situé aux bords d'une rivière qu'on appelle la Schwarza, et aux pieds d'une montagne que sa fécondité a rendue fameuse parmi les meilleures vignes de ce pays.

Cette rive, toujours au doux repos fidèle,
Semble au bruit du canon étrangère et nouvelle.
Au lieu des voluptés, de la profusion,
Tout s'apprête au carnage, à la destruction.
Ces arbres, qu'une main bienfaisante et soigneuse
Cultivait pour orner cette campagne heureuse,
Sont d'abord destinés pour combler ces fossés
Qu'à Brünn les ennemis autour d'eux ont creusés;
Et ces troupeaux nombreux qui couvraient la prairie
De nos soldats vainqueurs calment la faim hardie;
La vigne se transforme en fagot de sarment,
Et partout en soldat se change le paysan.
Ainsi, lorsque les vents précurseurs des orages
Du nord et du couchant rassemblent les nuages,
Que la tempête gronde et le ciel s'obscurcit,
Le choc des éléments se prépare à grand bruit.

Nous nous attendons dans peu à une bataille qui aura pour objet les intérêts de l'Europe entière divisée. La victoire décidera du sort de l'Empereur, de la fortune de la maison d'Autriche, du partage des alliés, et de la préséance de la France ou des puissances maritimes. Ses influences s'étendront des glaçons de Finlande jusqu'aux vents étésiens de Naples.

<40>

On verra, dans ce jour immortel pour l'histoire,
Ce que peut le courage et l'amour de la gloire
Contre le frêle orgueil, l'intérêt, le devoir,
La rage, la fureur avec le désespoir.
O champs de la Morave, émules de l'Epire!
De l'univers entier vous fixerez l'empire,
Et vos flots, teints du sang des belliqueux Germains,
Iront vers les deux mers annoncer les destins.
De Cadix à Vibourg, d'Albion à Messine,
Tout attend de nos bras sa gloire ou sa ruine.

Dans une crise de cette importance, vous me passerez, j'espère, quelque négligence dans mes vers. Il est bien difficile de toiser des syllabes et de faire mouvoir une machine plus compliquée que celle de Marly en même temps.

Maintenant je dois vous dire que, dans cette lettre que je vous avais adressée, mais que les hussards ont sans doute lue, je vous priais de m'envoyer un air de l'opéra de Lucio Papirio,40-a dont les paroles sont : All'onor mio rifletti, etc. Souffrez que je vous réitère la prière que je vous faisais de me l'envoyer.

Je vous crois encore à Dresde, occupé à entendre la Faustine, à converser ce jésuite par excellence, à manger maigre, et à faire tant bien que mal le catholique et l'amoureux zélé. Il ne faut point de vigueur pour l'un de ces métiers, et beaucoup de tempérament pour l'autre. Je souhaite que vous réussissiez en tous les deux, pourvu que vous n'oubliiez pas des amis absents qui rament à présent comme des misérables sur la grande galère des événements de l'Europe.

Je suis avec bien de l'estime votre admirateur et votre ami. Adieu.

F.

<41>

27. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 3 avril 1742.



Sire,

Voici l'air que Votre Majesté demande, et qui était assurément le plus beau de l'opéra. Il est grand et noble, et tel qu'il convient à la dignité d'un dictateur qui prêche la sévérité; et il tâche, par ses sons mâles et vigoureux, d'atteindre le vol majestueux de l'aigle romaine. Mais cela s'appelle porter des vases à Samos que parler musique à V. M., c'est-à-dire à un prince qui sait faire là-dessus le procès à l'Italie, et qui peut donner du vigoureux et du mâle aux sons de la flûte molle et efféminée. V. M. me pardonnera donc cet écart. Mais il me semble d'être avec elle quand j'ai l'honneur de lui écrire, et je me rappelle toujours ces conversations charmantes que nous avons eues ensemble depuis la Vistule jusqu'au Rhin, pleines de feu, d'imagination et d'une variété infinie, conversations que toutes les lettres de V. M. réveillent toujours dans mon esprit. Eh bien, Sire, voilà donc V. M., à la veille d'une bataille, aussi gaie et gaillarde que si le bal ou l'opéra l'attendaient. On a beaucoup admiré des héros qui dormaient profondément la nuit avant une bataille; que sera-ce de V. M., qui, se préparant au combat, fait des vers, de la musique, des entrechats peut-être? Pour moi chétif, j'ai vécu pendant quelque temps dans la douce espérance de la revoir ici. On avait préparé un opéra pour V. M., et on lui aurait donné Titus, tandis qu'elle leur aurait fait voir César. Pour Dieu, Sire, V. M. veut-elle donc faire la guerre toute sa vie, camper toujours, être au milieu de la désolation, pester contre les hussards, et faire pester ceux à qui ces malheureux enlèvent ses ordres et ses lettres? Il y a des moments, épargnez-moi, Sire, l'excommunication militaire, où je trouve presque qu'on a eu raison de dire :

<42>

Altro non è la guerra,
Che l'orror della terra.
Altro non è l'onore,
Che noja ed errore;
E s'imita il Tonante
Sol con l'essere amante.

Voilà, Sire, en tout cas, des paroles que V. M. pourra mettre en musique pour s'amuser, car, de la façon dont elle y va, elle ne m'a pas l'air d'en approuver le sens. Je les ai écrites moi-même en tremblant, craignant que le dieu Mars ne vînt me tirer par l'oreille, comme Apollon fit à Horace qui se mêlait de batailles et de guerre. J'attendrai, Sire, ses nouveaux triomphes pour en parler, quoiqu'il n'y ait personne qui pût mieux chanter ses conquêtes que V. M. même, comme ces Français de la Henriade :42-a

Français, vous savez vaincre et chanter vos conquêtes;
Il n'est point de lauriers qui ne couvrent vos têtes.

28. AU COMTE ALGAROTTI.

Chrudim, en Bohême, 18 avril 1742.

Mon cher cygne de Padoue, vos conjectures ne sont pas sans fondement. Bellone ne goûte point vos raisonnements sur la guerre. Elle dit. :

De Rome et de l'antique Grèce,
D'où sortaient autrefois des peuples de héros,
O Mars! qu'est devenue l'espèce?
<43>A ces héros fameux comparons les nouveaux.
Nos modernes Romains sont bardaches et sots,
Des baladins pleins de bassesse,
C....., b...... ou bigots.

Si j'ai conduit la plume de Bellone, ce n'a été qu'en tremblant, dans l'appréhension de mériter les foudres d'Épicure et de Cythère.

O vous, leur ministre charmant,
Dont l'esprit et le sentiment,
Dans la débauche et la faiblesse,
Sait ménager l'assortiment
Du goût, de la délicatesse,
Et qui pour vos opinions
Trouvez toujours avec adresse
De si convaincantes raisons,
Qu'elles nous entraînent sans cesse,
Faites ma paix avec vos dieux,
Et que leurs foudres radieux,
Dont vous avez senti la rage,
N'abîment point en leur ravage
Un mortel qui fut né pour eux.

Nous ferons la guerre, selon toutes les apparences, jusqu'à ce que l'ennemi voudra faire la paix. M. de Broglie m'a envoyé des rapports moyennant lesquels il prétendait que les ennemis allaient l'attaquer, et que, vu sa grande faiblesse, il serait obligé de se retirer et de montrer à l'ennemi une partie qu'il n'est pas honnête de nommer. Je suis venu à son secours à portée de Prague, à quoi les Saxons, qui ne trouvent aucun goût à la Moravie, et moins encore à la guerre, m'ont engagé. Je suis sur la défensive en Moravie, et je prépare ici une offensive vigoureuse pour la campagne que nous ouvrirons dans six semaines.

Voilà une gazette militaire que je vous fais pour vous mettre au fait de nos opérations, et afin que, indépendamment des gazetins de<44> Vienne, vous sachiez à quoi vous en tenir. Les Autrichiens ne désirent point de publier la vérité; dans les circonstances fâcheuses où ils sont, ils voudraient se faire illusion à eux-mêmes.

A la sévère vérité,
Qui dans un noir chagrin les plonge,
Ils préfèrent la fausseté
Et les ombres flatteurs d'un agréable songe.

Il y a quelquefois des erreurs plus douces qu'un grand nombre de vérités. Telles sont, par exemple, l'opinion d'être aimé de certaines personnes; les distractions qui vous transportent auprès d'elles, et vous font croire que vous les voyez, parlez, et que vous vivez avec elles; la force de l'imagination qui vous représente d'agréables objets, souvent lorsque, pour le local, vous vous trouvez dans les déserts de la Thébaïde; d'agréables sons, de beaux airs dont on se souvient. A propos de beaux airs, j'ai reçu celui que vous m'avez envoyé, dont je fais un grand cas. Je vous prie de féliciter il Sassone de ce qu'il en est auteur.

Vous pourriez me faire un grandissime plaisir, si vous vouliez vous charger d'une commission, la conduire avec beaucoup de secret et votre dextérité ordinaire, et choisir bien vos biais pour la faire réussir : c'est de me faire avoir Pinti, dont la voix me charme. Cela sera difficile, vous rencontrerez des difficultés; mais c'est par cela même que je vous prie de vous en charger, puisque je ne connais que vous capable de vaincre ces obstacles. Vous pouvez offrir jusqu'à quatre mille écus44-a à ce Pinti, et faire l'accord comme vous le trouverez le plus convenable.

Troupe des doux Plaisirs, enfants chéris des dieux,
Accourez pour remplir mes sens voluptueux;
Ouvrez-vous, portes de la vie,
Assouvissez l'ardeur que promettent mes feux;
<45>Et vous, parfums de l'Arabie,
Et vous, nectar de la Hongrie,
Prodiguez-moi tous deux vos goûts délicieux;
Vous, ravissante mélodie,
Dont les effets miraculeux
Des organes au cœur font sentir leur magie,
La flatteuse douceur d'une mélancolie,
Ou les accès plus vifs de sentiments joyeux
Où l'âme, en soi-même tranquille,
Se dégageant du soin futile,
Sait goûter cette extase et ces moments heureux
Dont jouit le peuple des cieux;
Venez, troupe des arts, troupe à jamais utile,
Établissez chez moi votre immortel asile.

29. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 2 mai 1742.



Sire,

Toutes les lettres dont Votre Majesté m'honore sont assurément dignes du cèdre; mais je voudrais, Sire, que la dernière fût écrite sur du linge incombustible, afin que, dans la suite des siècles, victorieuse même du feu, elle pût être à jamais un monument des bontés dont V. M. daigne m'honorer. La postérité y verrait les trésors de son esprit ouverts plus que jamais dans les beaux vers dont elle est enrichie; elle y admirerait les grands projets dont son âme est remplie; et elle m'envierait des badinages et des expressions de la part d'un roi qui fera ses délices et son admiration, des expressions, dis-je, qu'on n'est accoutumé d'entendre que dans la bouche de celles dont<46> on est le plus aimé. Quels commentaires et quelles recherches ne ferait-on pas sur moi? Je serais perpétuellement dans les bouches des hommes; mon nom vivrait à côté de celui de V. M., et, en parlant d'Achille, on se souviendrait quelquefois de Patrocle. Par quel endroit, Sire, ai-je mérité ces nouvelles faveurs de la part de V. M.? Est-ce parce que j'aime et admire V. M.? Mais, Sire, si la crainte doit augmenter à proportion de la quantité de rivaux que l'on a, dans quelles inquiétudes ne dois-je point vivre? J'en ai pour le moins tout autant que le nombre de ceux qui ont eu l'honneur de la voir, ou qui lisent la gazette, ne fût-ce que celle de Vienne. Mais, Sire, V. M., non contente de tant de marques de bonté, non contente de me faire vivre dans des tableaux poétiques que le Corrége français avouerait lui-même, elle m'honore encore de ses ordres. Ce serait, Sire, mettre le comble à mon bonheur, si je ne trouvais pas dans moi-même des obstacles insurmontables pour les exécuter; et il faut bien, Sire, que je me plaigne du sort, en ce que, de tant de commissions dont V. M. pourrait m'honorer, il m'en fait justement tomber une en partage, dont je ne saurais faire gloire, et pour laquelle je me sens tout à fait inepte. Tout ce qui peut me consoler, Sire, c'est que, si je n'obtiens pas par le succès le plaisir de lui obéir, je ne saurais pas assurément perdre, par l'aveu de mon incapacité, le trésor inestimable de son estime, que je regarderai toujours comme ce que je puis posséder de plus précieux dans le monde. D'ailleurs, Sire, si V. M. me permet d'ajouter encore deux mots là-dessus, je crois que le plus sûr moyen d'avoir ce qu'elle souhaite, c'est de le demander, ou de faire insinuer ses intentions à la cour. Ils ne pourront que savoir gré à V. M. de ce qu'elle leur procurera un moyen de serrer plus que jamais avec V. M. les nœuds d'une amitié qui leur doit être et si agréable, et si utile. Pour moi, Sire, je prépare mon admiration pour tout ce qu'elle va nous faire voir dans un mois. Je suis sûr qu'elle taillera de la bonne besogne aux Autrichiens et à la re<47>nommée. Tout le monde est convaincu, Sire, que la destinée de l'Empire et de l'Europe est entre vos mains. Lancez la foudre, Sire, comme Jupiter, mais rendez aussi comme lui la paix à la terre et la sérénité au ciel dès que sa justice est satisfaite.

30. AU COMTE ALGAROTTI.

Chrudim, 10 mai 1742.

Doux cygne, vous me dites très-éloquemment que vous voudriez que ma lettre fût écrite sur une matière incombustible pour immortaliser votre nom. Je m'étonne de cet excès de modestie chez un Italien qui s'est fait imprimer, et qui est affiché, comme bel esprit en vers et en prose, par toute l'Europe. Je pensais que vous me demanderiez d'être gravé en bronze pour vous être bien acquitté de la commission que je vous avais donnée. La chronique scandaleuse publie que vous devenez résident du roi de Pologne à Venise, et que vous avez obtenu cette faveur par la protection du père Guarini. Je vous félicite de ce nouvel emploi; apparemment c'est pour cette raison que vous n'avez pas osé parler à Pinti. M. l'Italien polonais, vous allez donc professer la politique dans votre terre natale, et faire deux fois par mois une utile gazette à votre roi du Nord des événements de l'Orient. Je me verrai encore dans le cas de vous dire avec cet illustre Romain : Cicéron philosophe salue Atticus homme d'État.

Je ne pense pas que l'on ose vous charger de quelque autre commission à Venise, sinon de complimenter l'Aurore, que vous voyez, pour ainsi dire, à la toilette, étant aux portes de l'Orient. Dites-lui,<48> je vous prie, d'être un peu plus matinale et de nous bien chauffer, car nous en aurons grand besoin.

Je m'attends à vous voir bientôt briller dans les gazettes, et que votre nom fera oublier dans peu ceux des Tarouca, des chevalier Temple et des Ormea. Des soins qui n'ont pas le bonheur de vous plaire, j'entends des occupations militaires, m'empêchent de vous en dire davantage pour cette fois. Vous ne pouvez attendre de moi que de la guerre. C'est à vous autres ministres à négocier la paix; si vous la souhaitez tant, vous n'avez qu'à vous y employer. Je vous admirerai, si vous y réussissez, et je n'en serai pas moins avec estime et amitié, etc.

31. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 20 mai 1742.



Sire,

Voilà l'objet que je m'étais proposé dans mon séjour de Dresde bien rempli. Je voulais être à portée des nouvelles, et V. M. nous en donne de bien grandes et de bien importantes. V. M. a commencé la guerre, et, selon toutes les apparences, elle va la finir par la glorieuse victoire qu'elle vient de remporter dans les plaines de Chotusitz. Ne dirait-on pas, Sire, que V. M. a choisi ce champ de bataille exprès pour la commodité des poëtes, qui trouveront dans Mollwitz et dans Chotusitz des rimes toutes faites? Je l'en félicite, Sire, et fais mon compliment à M. de Broglie, qu'elle a tiré d'imbroglio, à Prague, qu'elle a sauvé, et à la Saxe, qu'elle vient de garantir. On prépare ici des canonnades et des Te Deum; et assurément ils ne sauraient em<49>ployer pour une plus belle occasion leur orchestre et leur poudre. Je ne crois pas, Sire, qu'on ait jamais donné de bataille qui ait décidé de tant de choses à la fois, et il était réservé à V. M. de la gagner, comme à la tête et au bras tout ensemble de la ligue. Je féliciterais V. M. encore davantage sur ce nouvel accroissement de gloire, si je connaissais moins les qualités de son cœur. La perte de tant de braves gens, et le triste état surtout de celui qui s'est toujours rendu si digne de son estime et de sa faveur,49-a doit avoir diminué, le jour même de son triomphe, la vivacité du plus grand plaisir dont le cœur humain soit susceptible, et que V. M. aurait mérité de ressentir dans toute sa pureté et son étendue.

V. M. sent bien que, après avoir parlé de ses actions, tout ce que j'ajouterai ne peut être que fort court, quoiqu'il me regarde personnellement. La chronique qui me met si avant dans les bonnes grâces du père Guarini, et qui me donne des lettres de créance pour le sénat de Venise, m'honore trop, et n'est pas assez bien informée. Les égards que le père Guarini peut m'avoir témoignés, je les dois reconnaître de V. M., qui a daigné lui parler de moi avec quelque bonté;49-b et quant à ce ministère, enfant supposé de cette nouvelle faveur, ni à aucune autre chose qui puisse lui ressembler ni de près ni de loin, il n'en a pas été jamais question; je n'y ai pas plus songé qu'à me faire chartreux ou à louer une maison de plaisance à Trachineen.49-c Si V. M. avait daigné examiner la vérité de ce fait, elle n'aurait pas assurément cru que ma prétendue ambassade fût la cause de ce que je me suis excusé de la commission de parler à Pinti; elle m'aurait rendu<50> la justice, au lieu de chercher la raison de mes excuses dans une fausse histoire, de la trouver dans mon véritable caractère.

Avant de faire mes adieux à l'Allemagne, à qui il doit suffire pour toute gloire d'avoir donné la naissance à V. M., avant, dis-je, de lui faire mes adieux, ce qui sera bientôt, j'aurai l'honneur d'informer V. M. au vrai de mes marches, afin qu'elle puisse rectifier, au cas qu'il en valût la peine, les articles de la chronique qui pourraient me regarder. L'étude et les muses vont m'occuper tout entier; et je doute que V. M. puisse voir mon nom ailleurs que dans quelque journal littéraire ou au bas de mes lettres.

32. AU COMTE ALGAROTTI.

Camp de Brzezy, 29 mai 1742.

Cygne harmonieux, vous savez donner tant de relief aux matières qui passent par vos mains, que je ne m'étonne point que la bataille de Chotusitz en ait participé. La relation que vous en lirez est de ma plume, et exacte, et conforme à la plus sévère vérité.50-a

Quelles réflexions ne fournit point la maison d'Autriche sur la destinée des grandes monarchies! Que si les malheurs des particuliers nous font rentrer en nous-mêmes, combien plus l'infortune d'une famille et d'un État qui, depuis quelques siècles, était en possession de donner des lois à la plus grande partie de l'Europe chrétienne! Ce sont de ces événements qui font connaître la fragilité des fortunes terrestres, et la perpétuelle vicissitude par laquelle les destins produisent de nouvelles décorations sur ce théâtre dont nous tous sommes les acteurs.

<51>Vous trouverez peut-être ces réflexions trop morales; c'est cependant la guerre qui apprend à en faire de sérieuses. Les jours de la plupart des hommes coulent d'une allure assez égale, et se ressemblent presque tous. Ici, ce sont des hasards perpétuels, plus ou moins grands, selon qu'on les sait diminuer par la prudence et une vigilance infatigable. Ce sont des moments critiques où la sagesse humaine se trouve impuissante, et d'autant plus embarrassée dans le choix du parti qu'elle doit prendre, qu'il est difficile de démêler, entre vingt projets qu'on imagine, quel est le véritable de l'ennemi. C'est un abîme de détails où souvent les fautes des plus petits membres rejaillissent sur la totalité du corps. En un mot, il est bon que la guerre ait des périodes dans le monde, comme les contagions en ont parmi les humains; sans quoi une vie aussi pleine de travaux, d'inquiétudes et de soins, absorberait bientôt et les forces, et la capacité de ceux qui s'y sont voués.

Les chirurgiens assurent que Rottembourg est hors de danger; je le trouve très-bien pour son état. Je ne sais si c'est que l'on se flatte de ce que l'on désire; toutefois j'espère bien de lui.

Les Français ont eu un petit avantage sur le prince Lobkowitz; ils ont envoyé, à ce sujet, plus de courriers aux cours étrangères qu'ils n'ont tué de soldats à l'ennemi. Ce sont les premiers lauriers qu'ils cueillent cette campagne, d'autant plus précieux, qu'ils osaient à peine y aspirer.

Vous voilà dans les sentiments que je vous ai toujours désirés, j'entends, dévoué aux lettres. Soyez sûr que vous avez choisi non seulement le bon parti, mais l'unique à prendre. C'est, je crois, de tous les genres de vie le plus heureux que celui de l'étude, puisque l'on apprend à se suffire à soi-même, et que des livres, de l'encre et des réflexions ne font jamais faux bond, dans quelque état que l'on se trouve. Dès que la guerre sera terminée, vous me verrez philosophe et plus attaché à l'étude que jamais.

<52>J'ai bien parcouru la carte de l'Allemagne, et je l'ai examinée toute la matinée. Ce qui m'a fait grand plaisir dans cette étude, c'est que je crois avoir trouvé que le plus court chemin de Dresde en Italie passe par Czaslau. Je vous invite donc de passer par mon camp et de vous y reposer quelques jours, afin que je puisse jouir pendant ce temps-là des grâces de votre esprit et des traits diserts qu'aiguise votre pénétration et votre langue.

Vous connaissez toute l'étendue de l'amitié que j'ai pour vous; c'est pourquoi je n'en répète rien. Vale.

33. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 23 juin 1742.



Sire,

Je félicite les beaux-arts, la musique et la philosophie de ce qu'elles vont à la fin posséder V. M. Elles regagneront aisément le temps perdu, si V. M. se prend pendant la paix comme elle a fait à la guerre. Apollon, Minerve et V. M. vont être logés dans toute la magnificence de l'ancienne Rome. La curiosité de V. M. va exciter l'Académie à de nouvelles découvertes, et ses exploits vont fournir au Parnasse matière à des chants nouveaux. Mais quels beaux vers n'entendrait-on pas, s'il était permis aux héros de se chanter eux-mêmes!

<53>

34. DU MÊME.

Dresde, 11 juillet 1742.



Sire,

Je me trouve précisément, par rapport à Votre Majesté, dans un cas tout semblable à celui où se trouva jadis Horace par rapport à Tibère. « Puisque Septimius, lui écrivait-il,53-a me force, seigneur, à vous le recommander, et croit que ma recommandation sera puissante pour lui faire obtenir une place auprès de vous, il sait apparemment beaucoup mieux que moi-même le crédit que je puis avoir auprès de votre personne. J'ai eu beau faire pour éviter une pareille commission, il m'a fallu enfin céder, et risquer, seigneur, de vous être peut-être importun, pour ne point paraître peu serviable à mes amis. » Si V. M. veut maintenant substituer à Septimius M. le marquis Galeazzo Arconati, Milanais, qui est auprès du nonce à Cologne, et à la place auprès de Tibère la prépositure de Soest, en Westphalie, qui doit vaquer par la mort du baron de Fürstenberg, elle saura de quoi il s'agit. Je prends la liberté d'en écrire à V. M., forcé par les instances d'une personne à qui je ne saurais le refuser, et qui exige de mon amitié d'en écrire seulement à V. M., persuadé d'ailleurs que la grâce sera accordée. V. M. verra par là si l'Italie est le pays de la foi. Pour moi, Sire, qui respire depuis longtemps l'air ultramontain, je lui ai écrit que le nombre des aspirants à ces places était, dans ses États, fort nombreux, comme il le serait partout ailleurs; que je ne croyais pas que V. M. voulait préférer un étranger et un inconnu à des gentilshommes ses sujets, et qui avaient peut-être versé leur sang à son service; que d'ailleurs je ne voyais nullement les raisons qui le feraient juger que ma recommandation auprès de V. M. valût mieux que celle de tout autre; bref, qu'il pouvait croire tout ce qu'il voulait, mais qu'il n'aurait rien, et qu'il pouvait regarder la prépositure<54> comme un véritable objet de la foi. J'espère que V. M. voudra bien, en grâce au moins du véritable jugement que j'ai porté sur tout ceci, me pardonner depositum, comme dit Horace, ob amici jussa pudorem,54-a et qu'elle me permettra de la féliciter encore une fois sur la prépositure que V. M. a sur les affaires d'Europe, qui est un objet réel et véritable. Si ses augustes ancêtres, pour me servir d'un morceau de harangue de V. M., levaient leurs têtes sacrées et poudreuses du fond de leurs respectables tombeaux, que de belles choses ne diraient-ils pas à V. M. pour avoir porté la grandeur de sa maison et la gloire de ses armes à ce point d'élévation que V. M. seule pouvait atteindre et saura conserver! Ils diraient de V. M., en style à la vérité un peu gothique, la valeur à peu près de ce que Virgile disait d'Auguste :

Imperium terris, animos aequabit Olympo.54-b

Je commence à parler à V. M. le langage de ces Muses qu'elle va cultiver et caresser, pour qui la Sprée va devenir l'Hippocrène, et Rheinsberg le Parnasse. A propos de ces Muses, que V. M. va loger aussi superbement à Berlin, je la prie de me permettre de lui envoyer moi-même les trois inscriptions que j'avais imaginées pour les trois bâtiments que l'on va construire, à la requête de son architecte Apollodore;54-c elles sont un peu changées depuis le temps qu'elles ont été faites.

Pour le théâtre :54-d

Federicus Borussorum Rex compositis armis Apollini et Musis donum dedit;

<55>pour l'Académie des sciences :

Federicus Borussorum Rex Germania pacata Minervae reduci aedes
sacravit
;

pour le palais :

Federicus Borussorum Rex amplificato imperio sibi et Urbi.

La première, Sire, qui exprime le présent que V. M. fait du théâtre à Apollon et aux Muses, après avoir posé la foudre, est imitée d'une inscription qui est sur un obélisque qu'Auguste transporta d'Égypte à Rome, et dont il fit présent au Soleil dans le champ de Mars, après avoir réduit ce royaume en province romaine. Il ne fallait pas, je crois, Sire, pour ce qu'on doit faire à Berlin, chercher des modèles autre part que dans Rome triomphante.

La seconde exprime, comme V. M. voit, d'une manière simple et antique, la dédicace que V. M., comme grand pontife, fait d'un temple à Minerve, qui est de retour après la pacification de l'Allemagne, ouvrage de ses mains.

La troisième, aussi courte que son palais sera vaste, dit que V. M., après avoir reculé les bornes de son empire, a bâti pour son usage particulier autant que pour l'ornement de la ville en général. Ici encore, Sire, je puise dans Rome, et appelle Berlin la Ville, tout court, ou la Ville par excellence, ainsi qu'en usaient les anciens par rapport à Rome. J'appelle aussi les États de V. M. imperium, suivant la latinité de Cicéron, plutôt que celle de la bulle d'or.

Si V. M. permettait qu'après son nom on ajoutât le titre de Silesiacus, les inscriptions n'en seraient que mieux : on rendrait à V. M. tout ce qu'on lui doit. V. M. a assurément mérité ce titre mieux que beaucoup d'empereurs n'ont mérité celui de Dacicus ou Parthicus, et autant que Drusus a mérité celui de Germanicus.

Il est peut-être un peu ridicule qu'un auteur se commente lui-même, surtout devant un lecteur aussi éclairé que V. M.; mais, Sire,<56> j'ai dans mes commentaires en vue, plutôt que de la convaincre de la bonté de mes inscriptions, de lui faire sentir l'admiration et le profond respect avec lequel je suis, etc.

35. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 18 juillet 1742.

Cygne harmonieux, tant ultramontain qu'à Padoue, vous avez malheureusement deviné trop juste : la prévôté de Soest était donnée, il y a trois semaines, au jeune comte de Finck; ainsi elle n'est plus à donner actuellement. Vous manderez donc à votre Italien qu'il daignera attendre à une autre fois. Je crois qu'un certain autre Italien de Dresde ne sera pas non plus trop content de moi. Mais il y a des cas, dans le monde, où il est bien difficile de satisfaire un chacun; et souvent ceux qui se plaignent, à le bien examiner, ont à se reprocher eux-mêmes la raison de leur mécontentement.

Vous faites les plus belles inscriptions du monde; mais il leur faudrait et d'autres sujets, et d'autres palais pour les faire briller. Une paix salutaire à l'Europe, et dont l'époque prévenait de trois semaines en vitesse celle que mes alliés auraient faite, ne peut manquer de faire fleurir les arts et les sciences. Je crois que je ne puis mieux employer mon temps qu'en leur consacrant mes veilles. Il faut que mes occupations de la paix soient aussi utiles à l'État que l'ont pu être mes soins à la guerre. En un mot, c'est une saison différente de la vie politique. La paix, qui produit tout, est semblable au printemps, et la guerre, qui détruit, est semblable à l'automne, où les moissons et les vendanges se font.

<57>J'aurais répondu à votre lettre précédente, si j'en avais eu le temps. Mes occupations, après une assez longue absence, se sont beaucoup accrues, et, pour n'avoir pas fait d'affaires de longtemps, il en a fallu faire beaucoup à la fois. J'attends tout ce qu'il y a de bon en fait de chanteurs d'Italie; enfin j'aurai les meilleurs chapons harmonieux de l'Allemagne. Nos danseurs sont presque tous arrivés. Le théâtre sera achevé au mois de novembre, et, l'année qui vient, les comédiens arriveront. Les académiciens les suivront, comme de raison. La folie marche avant la sagesse; et des nez armés de lunettes et des mains chargées de compas, ne marchant qu'à pas graves, doivent arriver plus tard que des cabrioleurs français qui sautent avec des tambourins. Je vous souhaite santé, vie et contentement, et que, dans quelque sphère que vous gravitiez, vous n'oubliiez point ceux qui vous ont admiré lorsqu'ils ont vécu avec vous, et qui, dans vos lettres, célèbrent la commémoration de votre aimable compagnie. Adieu.

Federic.

P. S. Il y a une danseuse57-a ici dont la touchante beauté doit surpasser de cent piques les charmes de la Campioli; c'est la Vénus de Médicis en comparaison de la Diane d'Éphèse.

<58>

36. AU MÊME.

AU BEAU CYGNE DE PADOUE.

La sagesse, il est vrai, nous dénote le sage;
Mais, ami, dans notre jeune âge,
L'orgueil prématuré de se faire admirer
Ne vaut pas la joyeuse vie,
Ni les écarts brillants de l'aimable folie
Que les Catons peuvent blâmer,
Mais que le vrai bon sens très-prudemment allie
Avec la vraie philosophie
Et l'art heureux de plaire et de se faire aimer.
Ainsi, mêlant au badinage
De tes charmants propos la force de l'image
Et le nerf des bonnes leçons
Qu'en tes moëlleux discours, à table ou en voyage,
Avidement nous écoutons,
Ton esprit me transporte en une galerie
Où des plus précieux tableaux
Le spectacle enchanteur sans cesse se varie,
Où les derniers sont les plus beaux,
Où Corrége et Poussin étalent leur génie
Avec les Lancrets, les Watteaux.58-a
Tantôt tu me transporte en ces champs pleins d'alarmes
Où le comédien et l'auteur
Au sein de Melpomène ont fait verser nos larmes,
Tantôt dans ces lieux pleins de charmes
Où le correct et doux censeur
Fait, même en le jouant, rire le spectateur.
O mortel trop charmant! ô mortel trop aimable!
<59>Sacrifiez pour moi les schah, les Chouli-Kans,
Laissez l'Islande et les volcans;
Et que j'aie à jamais le plaisir ineffable,
Durant la trame de mes ans,
D'entendre vos discours, de lire votre prose,
Et de chanter vos divins vers.
Ami, que ce parti, que mon cœur vous propose,
Vous tienne lieu de l'univers.

Federic.

37. AU MÊME.

Potsdam, 10 août 1742.

Mon cher Algarotti, j'ai été fort aise de l'espèce de prophétie que vous me faites dans votre lettre, comme si l'Allemagne et la Prusse pouvaient se flatter de vous revoir un jour dans leur froid climat. Quelque mauvaise opinion que vous ayez du goût de ces nations, je puis cependant vous assurer qu'elles vous considéreront comme une aurore boréale qui vient éclairer leurs ténèbres. Ce phénomène nous serait plus agréable encore, si le public osait se flatter que nous devrions votre présence à nous-mêmes, et point aux influences attrayantes de Plutus, qui réside dans ces contrées. Apparemment que vous avez oublié toutes les offres que je vous ai faites, à tant de différentes reprises, de vous faire un établissement solide dans lequel vous auriez même eu lieu d'être content de ma générosité. Mais le mépris que vous faisiez d'une nation trop sotte pour avoir le bonheur de vous posséder vous a fait constamment refuser tous les avantages que j'avais intention de vous faire; de façon que c'est à vos propres refus que vous avez lieu de vous en prendre, si votre intérêt n'a pas trouvé<60> son compte à Berlin. Votre mérite, il est sûr, est impayable; mais c'est par cette même raison que, tout roi que je suis, je me trouve dans l'insuffisance de le récompenser, et réduit à la simple admiration. Il ne me reste qu'à chérir votre esprit malgré l'absence, et d'estimer votre personne, que vous m'avez jugé indigne de posséder. Ce sont les sentiments que je vous conserverai toujours, incapable de présumer trop bien de moi-même pour le langage flatteur que vous tenez, mais aussi incapable de vous faire injustice sur votre esprit et vos talents, dont je serai toujours l'admirateur. Adieu.

38. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 24 août 1742.



Sire,

Je ne fatiguerais pas Votre Majesté par mes lettres, s'il ne me semblait que V. M. me fasse un reproche que je ne crois pas mériter. Elle paraît croire que le dieu Plutus puisse me ramener dans ses États. Je crois, Sire, d'être assez esprit fort envers cette divinité, l'objet des vœux de l'univers, tandis que V. M. paraît me supposer bigot à brûler, bien attaché à sa religion. Mais comme la plupart des esprits forts ne laissent pas pourtant de rendre un certain culte à l'Être suprême, celui que je rends à ce dieu est de tâcher de ne point dissiper le peu de bien qu'il m'a donné. Voilà, Sire, l'objet de ma lettre, dans laquelle j'ai pris la liberté de lui représenter l'argent que j'ai dépensé dans mon séjour à Berlin et en Silésie, où il plut à V. M. de m'appeler. D'ailleurs, Sire, si V. M. croit que je mérite avoir dépensé seize à dix-sept cents ducats pour avoir osé refuser douze cents écus par an, et conservé ma liberté, je m'en rapporte aux volontés de V. M.,<61> d'autant plus que tous ces détails sont tout aussi ennuyeux pour elle qu'ils sont inutiles pour celui qui est avec le plus profond respect, etc.

39. AU COMTE ALGAROTTI.

Salzthal, 10 septembre 1742.

Si je ne consultais que les bienséances, je ne devrais pas répondre à la dernière lettre que vous venez de m'écrire. Le style et les expressions en sont si peu mesurés, qu'assurément je ne pouvais mieux faire que de garder le silence. Mais un reste de bonté que j'ai pour vous, et le plaisir de confondre votre suffisance, me portent à vous demander, assurément pour la dernière fois de ma vie, si vous voulez vous engager chez moi, et à quelles conditions. Ne pensez point aux affaires et aux emplois qui ne vous conviennent point, mais à une bonne pension et beaucoup de liberté.

Si vous refusez ce parti, je vous prie de ne plus penser à moi ni pour votre établissement, ni pour vos affaires, ni pour votre intérêt.

Federic.

40. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 17 septembre 1742.



Sire,

Je serais inconsolable toute ma vie, si je croyais mériter en la moindre chose, je ne dirai pas la colère de V. M., mais un refroidissement des<62> bontés dont il lui a plu jusqu'à présent de m'honorer. J'ai été, Sire, interdit en lisant sa lettre, et j'ai d'abord eu recours à la minute de celle que j'ai eu l'honneur de lui écrire en dernier lieu, pour me condamner tout le premier, au cas que j'eusse manqué au profond respect qui est dû et que je rends à V. M. avec ce plaisir que l'on sent en faisant les choses auxquelles on est plus porté par inclination qu'obligé par devoir. Après avoir relu cette lettre quatre ou cinq fois avec toute l'attention et la critique imaginable, j'ai cru m'apercevoir, Sire, que l'expression « tandis que V. M. paraît me supposer bien attaché à sa religion, » si V. M. l'a prise dans le sens que cette religion se rapporte à elle-même, et non au dieu Plutus, dont il est parlé la ligne d'auparavant, c'est ce qui a dû choquer V. M. Mais je lui proteste sur mon honneur que moi, je l'ai rapportée au dieu Plutus, par une espèce d'italianisme, peut-être, qui m'a fait dire en français la religion de Plutus, comme on dit en italien la religione degli dei, et en latin religio deorum. J'avoue, Sire, que la rigoureuse grammaire, selon laquelle V. M. a pris mon expression, me condamne; mais l'équité, selon laquelle je la prie de juger de moi-même, doit m'absoudre; car il faudrait que je fusse le plus fou et le plus étourdi de tous les hommes pour aller, de propos délibéré, écrire des choses peu mesurées à V. M., et il faudrait que j'eusse bien d'autres folies remarquables dans le monde pour en venir à une aussi considérable et aussi dangereuse que celle-là. C'est bien à moi, Sire, dans ce cas-ci, à dire avec Lucrèce :

Tantum religio potuit suadere malorum.62-a

D'ailleurs, Sire, tout homme qui est étranger à la France ne parle pas et n'écrit pas le français comme fait V. M. Par rapport à moi, j'ai écrit mes Dialogues sur la lumière, mon César, et beaucoup d'autres bagatelles, en italien, sachant ne pas connaître assez la correction et<63> l'élégance du français pour le faire dans une langue qui est plus répandue en Europe, et qui par conséquent aurait flatté davantage la petite ambition d'un auteur qui écrit, au bout du compte, pour être lu le plus qu'il lui est possible. Je me suis vu même estropier dans une traduction française, et je n'ai pas osé, malgré l'amour-propre, en entreprendre une moi-même, craignant peut-être de m'estropier davantage. Cet aveu de mon ignorance, que je fais à V. M., et que je suis prêt à faire au public, V. M. aura senti mille et mille fois combien il est sincère, par beaucoup de fautes qu'elle aura remarquées dans mes lettres. J'ai beaucoup compté et je compte encore sur son indulgence, en écrivant à V. M. dans cette langue; et si je l'ai autrefois chérie comme une langue que V. M. a comme adoptée, et dans laquelle elle a écrit tant de belles choses, je ne saurais plus la chérir lorsqu'elle a pu faire croire à V. M. que j'ai voulu l'offenser.

Après tout cet égoïsme, que je prie V. M. de vouloir bien pardonner à la vérité, je passe aux offres qu'elle veut bien encore me faire, et qui me font sentir que la main du Seigneur ne s'est pas tout à fait retirée de dessus ma tête. V. M. m'offre une bonne pension et beaucoup de liberté, choses naturellement contraires, que la bonté de V. M. pour moi veut bien concilier ensemble. Je suis bien éloigné, Sire, de refuser un parti qui m'approche de la personne de V. M. Elle sait que, quant à présent, je m'en vais chez moi, où mes affaires m'appellent et m'obligent d'être pour quelque temps. Je serais charmé, Sire, d'aller passer de temps en temps une année à Berlin; ce serait pour moi une année de réjouissance, comme le retour des olympiades l'était pour les Grecs, et des jeux séculaires pour les Romains. Je regarderai tout ce que V. M. voudra bien m'accorder, cette année-là, pour les frais des voyages et de mon séjour à Berlin, comme une grâce d'autant plus grande de V. M., qu'elle viendra par là à me payer de mon propre plaisir. Mais la chose, Sire, dont je la supplie le plus ardemment, c'est de ne point imputer à mon cœur les fautes de mon<64> esprit, c'est le retour de cette grâce sans laquelle tous mes projets seraient vains, et toute la douceur que je pourrais espérer dans la vie ne deviendrait que chagrin et amertume. Hélas! Sire, que je puisse encore me flatter que V. M. redeviendra pour moi ce prince aimable dans le visage de qui je lisais mon bonheur, qui me permettait de l'approcher à toute heure, et qui faisait les délices aussi bien que l'honneur de ma vie. Comment, Sire, aurais-je pu penser à l'offenser? Assurément, Sire, si V. M. pouvait me pardonner une pensée aussi peu pardonnable que celle-ci, je ne me la pardonnerais jamais à moi-même. Si j'ai erré en quelque chose, je suis plus à plaindre qu'à condamner, et j'espère que V. M. daignera se rappeler que

Errer est d'un mortel, pardonner est divin.64-a

Je suis avec le plus profond respect, etc.

41. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 18 mars 1747.

J'ai été bien aise d'apprendre que vous êtes arrivé à Berlin, et je serai plus réjoui encore lorsque je vous verrai ici. Votre brillante imagination, votre génie et vos talents sont des passe-ports qui vous feront bien recevoir dans tous les pays qui ne seront pas barbares. Depuis six ans que vous avez fait le plongeon pour moi, je n'ai appris de vos nouvelles que par la cinquième ou sixième main; mais je n'en suis pas moins charmé de vous voir revenu sur l'eau. Ferez-<65>vous encore souvent le plongeon? irez-vous à Dresde, à Venise, à Vienne, ou à Rome? êtes-vous conseiller de guerre du roi de Pologne, ou son ambassadeur nommé auprès de votre patrie? En un mot, jusqu'où peuvent aller les prétentions que nous avons à faire sur votre personne? Adieu; j'attends toutes ces réponses de votre propre bouche, et j'aurai alors la satisfaction de vous assurer de mon estime.65-a

42. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 11 mars 1748.



Sire,

Je renvoie à Votre Majesté un écrit65-b dont j'aurais bien voulu garder copie. J'y ai vu les différents états du Brandebourg par rapport à l'industrie, au progrès des arts et des sciences; mais j'y ai vu encore mieux ce génie qui, ayant égalé les plus grands hommes de Sparte par ses exploits, égale maintenant les plus grands d'Athènes par ses écrits. Rien de mieux raisonné, de plus varié, de plus rapide que le corps de l'ouvrage; rien de plus beau que l'introduction et la conclusion. C'est un édifice admirable, orné d'une superbe façade, et dont le fond de la cour est décoré par de somptueux portiques. Réflexions, comparaisons, tout est de la dernière justesse, de la première beauté. L'érudition fortifie le raisonnement, et on y goûte les fruits sous l'agrément des fleurs. Le conquérant de la Silésie, le législateur de la Prusse, l'architecte de Sans-Souci, le compositeur des<66> plus beaux airs de musique, le philosophe le plus élégant, le poëte le plus raisonnable, enfin le prince le plus humain et le plus aimable du siècle, tout cela est peint dans cet ouvrage. Ce que V. M. dit du progrès des beaux-arts dans le Nord, elle le vérifie. Un dieu qui prophétise accomplit en même temps ses oracles.

43. DU MÊME.

Potsdam, 9 août 1749.



Sire,

Voici quelques esquisses de maisons que j'ai tracées, Sire, crasso penicillo, afin que V. M. pût avoir des mouches pour celles qu'elle a déjà fait bâtir. Elles ont chacune autant de front, à peu près, qu'en a chaque terrain qui reste depuis la dernière nouvelle maison à main droite jusqu'à la maison de M. de Kleist.66-a Celle qui est au milieu des trois est la maison que Palladio s'est bâtie pour lui-même, et que l'on voit à Vicence. Je me la suis rappelée, et je crois, Sire, qu'elle ferait un joli effet pour un petit terrain, et qu'elle répandrait de la variété dans le tout, sans trop sortir du goût des autres bâtiments. V. M., qui sait mieux que personne au monde ce que c'est qu'harmonie et unité, cette âme des beaux-arts, en jugera beaucoup mieux que tout autre. Pour moi, Sire, je sais bien que, fût-on Apollodore même, on ne devrait présenter qu'en tremblant des dessins d'architecture à un Trajan qui sait être lui-même son Apollodore.

<67>

44. DU MÊME.

Berlin, 27 août 1749.



Sire,

Mon livre67-a étant tout prêt pour l'impression, j'espère que Votre Majesté voudra bien me permettre de rester à Berlin le temps qui sera nécessaire pour le faire imprimer. En même temps, Sire, je profiterai de cet intervalle pour me mettre à un régime de vie tel que les médecins jugent le plus convenable à ma santé. Notre santé fait notre philosophie, dit l'Anacréon du Temple.67-b J'espère que l'usage des diaphorétiques, des martiaux, beaucoup d'exercice et une diète fort sévère, en redonnant à la circulation du sang toute sa vivacité, m'affermiront plus que jamais dans la philosophie aimable de Sans-Souci, que V. M. sait prêcher en nouvel Horace, avec toutes les grâces de l'imagination aussi bien qu'avec toute la force du raisonnement.

45. DU MÊME.

Berlin, 31 août 1749.



Sire,

Ayant eu, ces jours passés, deux faiblesses, M. de La Mettrie, Sire, a bien voulu rester ici pour avoir soin de moi. Mais, ne voulant pas<68> abuser de son temps, je l'ai prié moi-même de se rendre à Potsdam, après avoir concerté avec lui les remèdes les plus convenables à ce qui demande chez moi un plus prompt secours. Ce sont les bouillons de vipère, que je commencerai demain; je ne discontinuerai pas les eaux, mais ce seront celles de Selters, que je mêle avec un peu de vin à mon dîner. M. de Lieberkühn68-a avait opiné pour celles d'Éger; mais il me faudra, avant tout, tâcher de remettre de la vigueur dans la machine, qui est totalement abattue. Les pouls sont bas, le sang comme engourdi, la respiration la plupart du temps embarrassée. Je demande pardon à V. M. de lui présenter des idées aussi tristes; mais j'ai cru, Sire, que l'intérêt que V. M. daigne prendre à mon état m'imposait le devoir d'entrer dans ce détail. Au cas, Sire, que mon heure soit venue, je serai trop heureux, si j'emporte quelque regret de V. M.

46. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 1er septembre 1749.

Je connais si bien les maux dont vous vous plaignez, j'en ai été incommodé si longtemps, que c'est moins moi que l'expérience qui vous parle par ma bouche. Ce n'est point une maladie dangereuse. Le principe en est un sang âcre et épaissi qui, circulant mal, s'arrête dans les petites veines du bas-ventre, où, comme vous le savez, la circulation est naturellement plus lente que dans les autres parties du<69> corps. Cette arrêtation cause des constrictions dans les boyaux, qui, au lieu de faire leur mouvement vermiculaire, se resserrent en différentes parties, arrêtent les vents, pressent et soulèvent le diaphragme, et causent les anxiétés dont vous vous plaignez. Les eaux de Selters ne sont pas suffisantes pour y apporter un remède suffisant. Il faudra que vous en veniez aux eaux d'Éger, auxquelles je crois devoir la principale obligation de mon rétablissement. Vos médecins vous auront conseillé sans doute de vous garder de tous les mets qui gonflent, comme des légumes, des fruits, etc. Il faut peu manger le soir, tenir bonne diète, boire un peu d'eau, la nuit, quand les anxiétés vous prennent, avoir beaucoup de patience, vous dissiper l'esprit, et vous garder de toutes les choses qui échauffent. Votre principale attention doit être de vous conserver le ventre libre, et de vous égayer par tout ce qui peut vous distraire de votre mal. Je ne vous dis pas un mot que je n'aie pratiqué, et dont je ne me sois bien trouvé moi-même. Vous avez cru que c'était encore beaucoup de vous servir d'un médecin, et sûrement vous n'imaginiez pas que je me mettrais de la partie. Mon cher Algarotti, je vous plains véritablement : n'est-ce pas assez d'être malade, et faut-il encore essuyer, pour surcroît, les mauvais raisonnements de vos médecins à gages, et de ceux qui s'en mêlent encore d'ailleurs? Mais un mal ne vient jamais sans l'autre, et l'on ne pouvait mieux accompagner la souffrance qu'en y associant la Faculté.

Je souhaite d'apprendre de bonnes nouvelles de votre santé. Gardez La Mettrie ou renvoyez-le, selon qu'il pourra vous amuser, et si les véritables médecins l'approuvent, prenez, vers la fin de ce mois, les eaux d'Éger avec moi.

<70>

47. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 2 septembre 1749.



Sire,

Bien loin qu'un mal ne vienne jamais sans l'autre, Votre Majesté m'a bien prouvé le contraire par la lettre dont elle daigne m'honorer. Je vois, Sire, que Jupiter n'a pas tant versé sur moi de ce tonneau qu'il a apparemment à sa gauche, qu'il n'ait encore voulu ouvrir celui qui est à sa droite. La consultation que V. M. veut bien m'envoyer, car Apollon est aussi médecin, est une émanation divine de ce tonneau bienfaisant, et sera probablement un baume à mes maux. Malgré l'abattement où je suis, la confiance qu'un malade doit avoir en son médecin ne me manque assurément pas, car je me fie presque autant à Federic signé au bas d'une consultation que je me fierais à Federic même à la tête de soixante mille hommes. J'ai déjà commencé, Sire, à suivre les prescriptions de V. M. Ma diète est très-sévère, et je me suis retranché absolument le souper. L'impression de mon livre m'est une dissipation agréable, à moins que la lenteur des imprimeurs ne dérange la sécrétion de ce suc si nécessaire à l'équilibre de l'économie animale. Je rends à V. M. les plus humbles grâces de la permission qu'elle m'accorde touchant M. de La Mettrie, et bien plus encore de ce que V. M. veut que j'achève ma guérison sous ses yeux mêmes. C'est une bien forte raison pour hâter mon imprimeur, afin de pouvoir me rendre auprès de l'auguste médecin dont j'ai l'honneur d'être le malade.

<71>

48. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 6 septembre 1749.

Voici un canevas très en abrégé de l'opéra de Coriolan. Je me suis assujetti à la voix de nos chanteurs, au caprice des décorateurs, et aux règles de la musique. La scène la plus pathétique est celle de Paolino avec son père; mais comme le récitatif n'est pas son fort, il faut mettre ce qu'il y a de plus touchant dans la bouche de l'Astrua, ce qui pourra fournir un récitatif avec accompagnement. Vous verrez que je n'ai pas voulu faire un long opéra; s'il dure trois heures et un quart avec les ballets, cela suffit. Je vous prie de le faire étendre par Villati,71-a mais d'avoir l'œil qu'il n'ait de longs récitatifs que dans la scène cinquième du troisième acte. Le récitatif de l'Astrua, du premier acte, n'a pas besoin d'être trop long. Le récit du sénateur Benedetta,71-b à la fin de l'opéra, doit être touchant, sans accompagnement, parce que ce sénateur le fait sans passion; mais cependant il faut que le poëte touche tous les points que j'indique.

Quant aux pensées, je vous prie de les lui fournir, et de faire que cette pièce tienne un peu de la tragédie française. Au poëte permis de piller tous les beaux endroits applicables au sujet; et lorsque le poëte n'aura plus besoin de mon brouillon, il faut le remettre à Graun, parce qu'il y a toutes sortes de choses pour les airs, dont le détail le regarde nécessairement. Soyez le Prométhée de notre poëte, soufflez-lui ce feu divin que vous avez pris dans les cieux, et que votre inspection suffise à produire d'aussi belles choses que les grands talents en ont pu mettre au jour. Le public et moi vous aurons l'obli<72>gation d'avoir illustré notre spectacle et de nous avoir fourni des plaisirs raisonnables.

49. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 11 septembre 1749.



Sire,

Je supplie Votre Majesté de me permettre de la féliciter sur son opéra de Coriolan, dont elle va voir l'effet beaucoup mieux encore que V. M. n'a pu faire à la lecture. Je l'ai entendu répéter deux fois; tout l'intérêt s'y trouve, malgré la brièveté des récitatifs, et V. M. a donné ses ordres pour la musique de façon que, au milieu de la variété la plus agréable, ce même intérêt y est augmenté au point que Coriolan va tirer presque autant de larmes des beaux yeux de Berlin qu'en a tiré Iphigénie le carnaval passé. V. M. a trouvé la plus sûre méthode d'avoir les plus beaux opéras du monde : c'est de les faire elle-même;

.....totamque infusa per artus
Mens agitat molem
.72-a

Si après Coriolan, Sire, il est permis de parler de moi, je dirai à V. M. que M. Lieberkühn a voulu absolument que je commençasse à prendre les eaux d'Éger depuis quelques jours. Il regarde ce remède, tout comme V. M., comme la base fondamentale de ma guérison; il me semble même que je commence à en ressentir les bons effets. V. M. aura vu sans doute le specificum universale, pour ainsi dire, dans une lettre de M. Cataneo72-b dont M. le comte de Podewils<73> m'a parlé. Quoique je sois aussi incrédule sur ces sortes de remèdes que je le suis sur le mouvement perpétuel et sur les quadratures du cercle qu'on nous donne tous les jours, je m'en vais pourtant écrire à Venise pour tâcher de savoir au juste quelques particularités là-dessus. Mais en même temps, Sire, je regarde cette espèce de foi que je trouve maintenant en moi-même comme un symptôme de ma maladie.

Mon impression ne va pas aussi vite que je le voudrais, mais autant qu'il m'est possible de la faire aller. Il paraît que mon imprimeur ait pris la devise : Festina lente.

Oserais-je demander à V. M., dont les instants valent les années des autres,73-a quelle Épître, quelle ode, quel poëme elle a maintenant entre les mains? Nous consumons notre vie à tourner quelques phrases, à arranger des mots; V. M., dans ses heures perdues, peut créer les plus belles choses, qui feront à jamais les délices de ceux qui sauront ce que c'est que de marier la philosophie la plus utile à la plus agréable poésie.

50. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 12 septembre 1749.

Je suis bien aise de vous savoir aux eaux d'Éger. Je suis sûr qu'après la cure vous vous sentirez soulagé de beaucoup. Vous faites bien plus sagement que moi avec vos ouvrages : vous les limez, et, après, vous<74> les faites imprimer; pour moi, j'imprime, je me repens, et puis je corrige. Vous me demandez ce que je fais. J'efface beaucoup. J'en suis à ma huitième Épître, et, pour n'y pas revenir si souvent, je les laisserai encore reposer toutes; je les reverrai dans quelque temps, ensuite de quoi on procédera à l'impression. Nous aurons cette après-dînée l'épreuve de Coriolan. Je pourrai vous en dire des nouvelles lorsque je l'aurai entendu.

Voltaire vient de faire un tour qui est indigne. Il mériterait d'être fleurdelisé au Parnasse. C'est bien dommage qu'une âme aussi lâche soit unie à un aussi beau génie. Il a les gentillesses et les malices d'un singe. Je vous conterai ce que c'est, lorsque je vous reverrai; cependant je ne ferai semblant de rien, car j'en ai besoin pour l'étude de l'élocution française. On peut apprendre de bonnes choses d'un scélérat. Je veux savoir son français; que m'importe sa morale? Cet homme a trouvé le moyen de réunir les contraires. On admire son esprit, en même temps qu'on méprise son caractère. La du Châtelet74-a est accouchée d'un livre, et l'on attend encore l'enfant; peut-être que, par distraction, elle oubliera d'accoucher, ou, si l'embryon paraît, ce sera des œuvres mêlées.

Je vous prie, ne vous servez point du panacée que Cataneo annonce. Je ne crois aucune des nouvelles qu'il mande, quand même elles sont vraies; je ne voudrais me servir d'aucune médecine qu'il loue, quand même il en aurait fait l'épreuve, et surtout d'un panacée. Ce sont des chimistes qui les inventent. On y a grande foi quand ils paraissent, mais on ne tarde pas à s'en désabuser. Je vous recommande la belle humeur, le régime, la dissipation, et d'avoir soin de cette machine qui vous fait si bien penser. Adieu.

<75>

51. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 15 septembre 1749.



Sire,

La dernière lettre dont Votre Majesté m'a honoré est si remplie de bonté, qu'il m'est impossible d'en remercier V. M. autant que je suis capable de sentir combien je lui dois. Ma santé, Sire, à laquelle V. M. daigne prendre autant de part, irait mieux, si le mauvais temps qui est survenu n'avait troublé l'effet des eaux. J'en suis à la fin, et je m'en vais me mettre au vin de vipère, en gardant toujours un régime fort exact, et surtout le soir, où je ne soupe point du tout. Ce que V. M. m'a fait l'honneur de me mander touchant ce beau génie qui fait tant d'honneur au siècle me fait gémir sur l'humanité. L'embryon dont madame du Châtelet doit accoucher est charmant. V. M. donnerait bien de la besogne à plus d'un Plutarque, s'il fallait écrire toutes ses belles actions et recueillir tous ses bons mots.

Tartini me mande, Sire, que son meilleur écolier, Pasquale Bini, a été obligé de quitter le service qu'il avait à Rome, et qu'il en cherche ailleurs. Il a la confiance de s'adresser à moi pour que je tâche de placer un homme auquel il s'intéresse comme à un de ses meilleurs ouvrages. L'orchestre de V. M. est trop bien pourvu pour qu'il puisse aspirer à son service. J'ai cru pourtant, Sire, qu'il était du devoir d'un serviteur de V. M. de ne pas recommander ailleurs un tel homme, si recommandable par la supériorité de son talent, avant que V. M. sût qu'elle était la maîtresse d'en disposer.

<76>

52. DU MÊME.

Berlin, 17 septembre 1749.



Sire,

Le prince de Lobkowitz m'a invité, Sire, d'aller passer sept ou huit jours à Sagan; il soutient, Sire, que le mouvement du voyage et de la vie active que l'on mène chez lui fera beaucoup de bien à ma santé, et les médecins en conviennent. Ainsi, Sire, si V. M. a la bonté de l'agréer, j'irai prendre ce remède, qui ne sera point du tout amer comme le sont ceux de M. Lieberkühn. Je redoublerai, Sire, mes soins à mon retour, afin que mon impression aille plus vite encore, s'il est possible, et tâcherai de regagner le temps employé à cette cure, qui sera toute prise de la médecine gymnastique. Le temps s'étant mis au beau, j'espère que les eaux feront beaucoup de bien à V. M., quoique, Sire, la santé de V. M. pourrait s'en passer, grâce à Dieu; et elle est à présent aussi bien remise qu'elle a été toujours précieuse.

Tene magis salvum populus velit, an populum tu,
Servet in ambiguo, qui consulit et tibi et Urbi
Juppiter.76-a

Si nous étions dans les beaux temps de l'antiquité, l'on ne verrait que sacrifices à la déesse Hygiée, que feraient les sujets de V. M. pour remercier cette divinité bienfaisante d'avoir répandu ses dons sur leur Titus. Mais quels seront les sacrifices ou plutôt les évocations que fera le pauvre Voltaire? Je le plains réellement d'avoir perdu ce qu'il ne retrouvera peut-être jamais; la perte d'une femme qu'on aime, et avec qui on passait sa vie, est irréparable pour ceux qui ne commandent pas des armées et ne gouvernent pas des États. J'en suis d'autant plus fâché, Sire, que ce malheur dérangera peut-être<77> son voyage, et retardera le plaisir que V. M. se proposait avec ce grand maître dans un art dans lequel V. M. l'est d'autant plus, qu'elle en veut convenir le moins.

Je reçois dans le moment, Sire, les Amazones de madame Du Boccage, qu'elle me charge de présenter à V. M. comme un hommage (ce sont ses propres paroles) que tout auteur doit à celui qui les surpasse et les protége.

53. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 septembre 1749.

Je vous suis fort obligé de la tragédie que vous m'avez envoyée. Je ne l'ai pas lue encore. Il dépendra de vous d'aller à Sagan, à condition que vous me donnerez aussi huit jours ici. J'aime mieux vous entendre que de vous lire dans une langue que je ne suis qu'en hésitant. Voltaire déclame trop dans son affliction, ce qui me fait juger qu'il se consolera vite. Je vous souhaite un heureux voyage et de la santé. Vous faites ce que les honnêtes gens doivent faire, qui est de vous divertir avec vos rivaux, et de remettre la décision des préférences au sentiment de votre maîtresse.

<78>

54. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 23 septembre 1749.



Sire,

Le mauvais temps qu'on a eu, Sire, les derniers jours, et la crainte où était le prince de Lobkowitz d'exposer Salimbeni aux injures de l'air, ont été cause que notre retour a été retardé. Les plaisirs de la campagne ont été chez moi troublés par quelques attaques de ma maladie, et surtout par deux consultations de médecine que j'ai reçues d'Italie. Tout effrayantes qu'elles sont, je pourrais bien, Sire, m'en moquer, si, malgré les remèdes, je ne ressentais pas toujours du poids dans le corps, de petites sueurs, des espèces de faiblesses et des suffocations, surtout quand je suis en compagnie à table, et que je mange, ce qui fait des sensations bien désagréables dans un temps où l'on en devrait éprouver de tout autres. La chaleur de la chambre, dans une saison où elle devient si nécessaire, augmente encore toutes ces incommodités. Je suis condamné unanimement à la diète la plus médicinale, et je me vois interdit, Dieu sait même pour combien de temps, le souper, ce temps de plaisir avec quoi ceux quos aequus amavit Juppiter78-a couronnent la journée. Voilà un serviteur bien accommodé que V. M. a dans ma personne! J'irai bientôt faire ma cour à V. M., espérant qu'elle daignera bien me plaindre, si je suis obligé de me retrancher la meilleure partie des plaisirs de la vie pour me soumettre aux peines d'une cure devenue trop nécessaire. Mais je voudrais bien, Sire, que V. M. dût croire que je lui ferai dignement ma cour devant le public en continuant l'impression d'un ouvrage pour lequel je n'ai repris tant de fois le rabot et la lime que pour le rendre moins indigne de tout ce que renferme en soi le nom de Frédéric.

<79>

55. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 25 septembre 1749.

Assidu courtisan du beau dieu de Cythère,
Du goût, des Grâces et des Ris,
Algarotti, qui savez plaire
Aux belles, aux savants, à tous genres d'esprits,
D'où vous vient cette hypocondrie
Que le médecin, par flatterie,
Appelle je ne sais comment?
Moi qui ne suis pas si savant,
Je pense que la maladie
Qui vous rend inquiet et rêveur,
Au lieu d'attaquer votre vie,
Ne s'attache qu'à votre cœur.
Oui, cette fièvre qui le brûle
Pendant la nuit, pendant le jour,
Paraît à mon œil incrédule
Certain mal qu'on nomme l'amour.
Que je suis irrité que ce mal vous excède!
Lorsqu'on possède vos talents,
Tant d'esprit et tant d'agréments,
Il ne tiendrait qu'à vous d'y trouver du remède.

Si vous ne vous trouvez pas mieux de votre voyage de Sagan, c'est que ce n'était ni à la chasse ni à Diane de vous guérir, mais à certaine déesse qui se manifeste dans les beaux yeux de la Denis,79-a qui avait jadis un temple à Gnide, et qui reçoit à présent un culte égal par l'hommage que tout homme sensible rend à la beauté. Je souhaite que vous ayez moins besoin de médecins que de maquereaux, de diète que de plaisir, et du galbanum des chimistes que du vin d'Aï, qui fait circuler le sang plus rapidement, et porte la joie au cerveau.

<80>Je serai bien aise de vous voir ici. J'aime mieux l'auteur que l'ouvrage. Vos couches seront différées de quelques jours; mais le livre parviendra toujours à terme, et le plaisir de vous entendre est plus vif que celui de vous lire. Adieu; j'espère que vous porterez votre réponse verbaliter.

56. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 24 novembre 1749.



Sire,

Je prends la liberté d'envoyer à Sans-Souci des graines de brocoli qui me sont arrivées d'Italie. Je souhaite, Sire, que, pour l'honneur de mon pays et pour le plaisir de V. M., elles viennent à bien. Mon livre est venu, de son côté, tant bien que mal; j'en suis presque à la fin, à force de corriger tous les jours des épreuves et d'aller à la chasse des points et des virgules, chasse bien ennuyeuse après avoir tué des cerfs et des sangliers. Je suis bien aise, Sire, d'être dehors de cette galère de la littérature, à présent que le temps des plaisirs va commencer. Tout répète, tout se prépare à célébrer les fêtes de Bacchus. La paix se montre aux sujets de V. M. tout aussi gaie et magnifique que la guerre a été redoutable à ses ennemis. Mais V. M., qui, tandis même qu'elle avait les armes à la main, maniait la plume pour faire des dessins dans le goût des plus grands maîtres, et des vers dignes de Voltaire, que fait-elle maintenant, si j'ose le lui demander? Quelque nouvelle Épître, telle qu'Horace l'aurait faite, s'il avait écrit en français, quelque nouvelle comédie, peut-être, que Molière aurait voulu avoir imaginée, s'il avait été à Berlin, seront le fruit de ses heures de loisir. Il y a bien longtemps, Sire, que je n'ai assisté à ces lectures<81> où le roi, le législateur, le conquérant, disparaissent pour faire place au poëte et au bel esprit, qui seuls, dans ces moments-là, absorbaient notre admiration. Elle augmente à l'infini quand les idées de tout ce qu'est V. M. se présentent en foule à notre imagination animée. C'est bien de votre âme, Sire, que l'on doit dire : divinae particulam aurae.81-a

57. AU COMTE ALGAROTTI.

(Potsdam) 25 novembre 1749.

Il y a entre nous ce commerce qu'Hésiode dit qu'il y a entre la terre et le ciel. Je vous donne quelques vapeurs, et vous me rendez une rosée abondante. Je ne travaille qu'à des misères, et vous avez la complaisance pour mes ouvrages qu'ont les cardinaux courtisans pour les mandements de notre bon pape. Je vous remercie des graines de brocoli; c'était le seul moyen d'en manger de bons. Vous en aurez les prémices. Mais je serai plus aise encore de voir la nouvelle édition de votre Newtonianisme, surtout si vous vous donnez la peine de vous traduire. J'ai une ébullition de sang, mêlée avec de petits accès de fièvre qui dérangent mon genre de vie. On ne travaille pas facilement lorsqu'on se sent presque continuellement échauffé.

Je serai lundi à Berlin, où j'admirerai les scappate de l'Astrua et les cabrioles de la Denis. Je vous ai envoyé une nouvelle besogne pour Villati. Cela n'occupera que la centième de vos âmes, et fournira un beau spectacle au public. Adieu; en vous remerciant de vos graines et de vos soins, j'espère de vous revoir lundi.

Federic.

<82>

58. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 28 novembre 1749.



Sire,

En exécution des ordres de Votre Majesté, j'ai travaillé avec M. Villati pour l'opéra de mars.82-a En voici, Sire, le plan rédigé selon les instructions et le canevas que M. Darget m'a envoyés par ordre de V. M. Le trop peu de temps que l'on a eu, vu la répétition qui s'est faite même hier au soir, n'a pas permis de copier le cahier que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M., et où il a été nécessaire de faire des corrections ce matin. V. M. aura la bonté de le faire renvoyer avec ses ordres ultérieurs et les corrections qu'elle jugera nécessaires, afin que le poëte puisse procéder à la versification; il a déjà commencé à y mettre la main. Je lui ai fait sentir, au milieu de ses catarrhes et de ses fluxions, que l'âme et la célérité de César doivent passer, autant qu'il est possible, dans ses serviteurs. Je suis au désespoir, Sire, que la santé de V. M. ne réponde pas tout à fait à nos vœux, quoique j'espère, Sire, qu'à présent elle sera rétablie. V. M. ne sait peut-être pas, qu'elle me permette de le lui dire, combien cette santé est nécessaire au progrès des arts et des sciences, à la gloire de sa nation, au bonheur de l'Europe. Au nom de tout cela, Sire, je supplie V. M. d'en avoir ce soin qui soit proportionné à la conservation d'une santé aussi précieuse. M. Schmidt, que je viens de voir, est après les planches qui doivent orner ce livre, qui sera dans la bibliothèque d'Apollon, relié dans le cèdre. Il voit déjà japper dans sa chambre la levrette que V. M. veut bien lui donner, et se prépare à la dessiner et à la graver même.

<83>

59. DU MÊME.

Berlin, 22 janvier 1750.



Sire,

Un gros rhume de poitrine m'a empêché, Sire, ce matin, de faire ma cour à V. M., et m'empêche aujourd'hui d'assister à une lecture qui charmera autant qu'elle instruira l'Académie et le public. V. M. pourrait bien m'en dédommager, car il faudra attendre bien longtemps avant de voir cette excellente pièce imprimée. Je n'ose pas demander cette grâce à V. M.; mais si l'envie que j'ai de relire le mémoire de V. M. pouvait m'en obtenir la lecture, je n'envierais assurément pas le bonheur du public. J'ai l'honneur d'envoyer ci-joint à V. M. une lettre que je viens de recevoir de madame Du Boccage; V. M. verra comment une Muse française chante les louanges de V. M. en italien.

60. AU COMTE ALGAROTTI.

Je dirai demain à Darget de vous envoyer mon Essai sur les lois;83-a vous l'avez entendu une fois. Comme il y a encore à attendre avant qu'on l'imprime, vous me ferez plaisir de me dire votre sentiment sur ce que vous jugerez qui exige des corrections. Je vous dois des remarques excellentes que vous m'avez fait faire sur une infinité de mes pièces, et vous augmenterez l'obligation que je vous ai, en me parlant sincèrement sur ce nouveau mémoire.

L'italien de madame Du Boccage est si français, que je n'en ai pas<84> perdu un mot. Elle me fait bien de l'honneur d'augmenter mes titres. On est généralement de l'opinion que les princes allemands n'en sauraient jamais assez avoir. Je me contente de celui de Philosophe de Sans-Souci,84-a et de votre ami. Je me flatte que votre rhume, n'étant pas de Cythère, passera bientôt, et que le cygne de Padoue chantera encore de longues années avant que de mourir.

Federic.

61. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 23 janvier 1750.



Sire,

Je viens de relire le Mémoire sur les lois. Il m'a semblé tel qu'à la première lecture, c'est-à-dire, plein d'érudition et d'esprit, et qui plus est, de raison et d'humanité. L'exemple des grands hommes qui ont échoué en traitant des lois dans de gros volumes, et celui d'un législateur qui va au but en fort peu de pages, prouvent bien la vérité de ce qu'on a dit : Heureux les arts, s'il n'y avait que les artistes qui en jugeassent! Je félicite, Sire, l'Académie, dont les mémoires seront enrichis par un morceau aussi précieux. Voilà, Sire, les remarques que fait faire une pareille lecture, qui m'a comblé de reconnaissance autant que d'admiration.

<85>

62. DU MÊME.

Berlin, 2 mai 1750.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté douze boutargues que j'ai reçues de Venise, et je prends la liberté d'envoyer en même temps à V. M. un écrit que je ne voudrais pas qu'elle jugeât digne d'envelopper ces mêmes boutargues. C'est la lettre qui est devant le César de M. de Voltaire, refondue et telle que je voudrais qu'on la réimprimât à la première édition de ses œuvres. Il y est parlé du théâtre français, et si V. M., qui mérite une des premières places sur le Parnasse de cette nation, trouvait que ce que je dis de leur théâtre est juste, couvert de son égide, je ne craindrais aucune critique, l'abbé Desfontaines revînt-il en vie.

C'est peut-être téméraire à moi, Sire, d'oser interrompre le temps précieux de V. M. par de semblables bagatelles; mais elle a souvent la bonté de descendre jusqu'à nous, et je puis par là rendre compte d'une certaine façon à V. M. de la manière dont j'emploie mon temps à Berlin. Je fais des alternatives des exercices du corps et de ceux de l'esprit, et principalement du manége à l'étude. V. M. va rire; mais Boerhaave, ce grand docteur, alla au manége à soixante ans, et après une telle autorité, y allant par les mêmes raisons, je ne fais point difficulté d'y aller à l'âge de trente-sept ans. Et en effet, Sire, il serait trop ridicule si, montant à cheval pour donner du jeu au sang dans les anastomoses des vaisseaux capillaires, on allait se casser les vertèbres du cou. Le matin, depuis dix heures jusqu'à midi, et le soir, depuis neuf jusqu'à minuit, je travaille à des lettres qui roulent ou sur quelques matières philosophiques, ou sur la poésie, ou sur la peinture et les beaux-arts; et j'en ai bien une vingtaine de prêtes. Ce sont des lettres à la postérité, autant que des lettres à des amis; et si<86> jamais elles sont rendues à leur adresse, ce qui me fait le plus grand plaisir, Sire, c'est qu'on y lira le nom de V. M., qu'on ne saurait pas plus taire en parlant de sciences et de beaux-arts qu'en parlant de guerre et de politique. Elles prouveront, autant que mes Dialogues, que j'ai eu le bonheur de voir V. M., et que j'ai su la voir.

63. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 5 mai 1750.

J'ai bien reçu votre lettre du 2 de ce mois, et je vous remercie du présent que vous me faites de douze boutargues de Venise. Je suis également sensible à l'attention que vous me marquez en m'envoyant votre lettre sur le César de Voltaire. Ce morceau aura sans doute l'approbation de tout le monde, puisqu'il est de votre goût. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

64. AU MÊME.

Potsdam, 6 décembre 1750.

Pour vous répondre à la lettre que vous m'avez faite le 4 du courant, je vous dirai qu'il dépendra du bon plaisir du duc de Modène<87> s'il veut envoyer un ministre à ma cour, quoique d'ailleurs la chose me saurait être assez indifférente.

Federic.

65. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 février 1751.



Sire,

Voici une lettre du pape, que je viens de recevoir, et que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M. Je suis bien sûr, Sire, que V. M. entendra aussi bien la prose du saint-père qu'elle entend les vers de Metastasio. Les sentiments remplis d'admiration qu'il a pour V. M., il les a de commun avec tous les fidèles et les infidèles aussi, et l'on n'attaquera jamais son infaillibilité de ce côté-là. Les soins paternels qu'il a pour les catholiques sujets de V. M., et qu'il recommande à sa protection, doivent être bien remplis par les grâces dont V. M. comble ces mêmes catholiques. J'eus occasion, Sire, dans mon dernier voyage en Italie, d'en faire un détail exact au cardinal Doria, légat de Bologne, qui me fit plusieurs questions là-dessus, et me fit voir une longue lettre qu'il avait reçue ces jours-là du pape, dont une partie roulait sur l'église catholique de Berlin. Ce que dit le saint-père dans la lettre que j'ai l'honneur d'envoyer à V. M. n'est sans doute que l'effet d'un zèle qui demande à V. M. la continuation de ses grâces et de ses bienfaits.

Je prends, Sire, cette occasion pour demander à V. M. la permission d'aller passer quelques jours à Berlin, et suis avec le plus profond respect, etc.

<88>

66. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 20 février 1751.

Je vous renvoie la lettre du pape, et je vous suis tout à fait obligé du soin que vous avez pris de m'en rendre compte. Je suis charmé de voir l'estime qu'il fait de votre personne et de vos ouvrages. Quoique je sente combien je suis éloigné de mériter les choses flatteuses que ce prince vous dit pour moi, je n'en suis pas moins vivement sensible au bonheur d'avoir quelque part dans son souvenir et dans son attention. Vous savez la manière dont je pense sur ce qui intéresse ce grand homme, et combien j'admire en lui ces qualités éminentes qui nous retracent tout ce qu'on a vénéré le plus dans les Athanase, les Cyrille, les Augustin et tous ces hommes célèbres qui réunissaient à la fois les talents les plus distingués de l'esprit et les vertus les plus dignes du pontificat. Vous pouvez, mieux qu'un autre, être le garant de mon admiration et de mes sentiments pour le saint-père, et de la façon dont les catholiques sont non seulement tolérés, mais même protégés dans mes États. Je permets bien volontiers que vous le fassiez connaître à Rome quand l'occasion s'en présentera. Je trouve bon aussi que vous alliez à Berlin pour quelques jours, suivant la permission que vous m'en demandez; et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<89>

67. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 19 avril 1751.



Sire,

Par la lettre que j'ai l'honneur d'envoyer, Sire, à Votre Majesté, elle verra l'usage que j'ai fait de la permission que V. M. me donna de faire savoir ses sentiments au pape, et la joie dont il en a été pénétré. V. M. lui a mis du baume dans le sang; et si les protestants, Sire, doivent à V. M. la conservation de leurs droits et de leurs libertés, les catholiques devront à V. M. la prolongation des jours du saint-père.

68. DU MÊME.

Potsdam, 11 juillet 1751.



Sire,

M. Darget m'a assuré que Votre Majesté accordait à ma prière l'Ovide que V. M. a fait imprimer.89-a Non mihi (pour parler avec le même Ovide89-b) sed totidem linguis sint satis ora decem pour en remercier V. M. Je suis avec le plus profond respect, etc.

<90>

69. DU MÊME.

Potsdam, 4 août 1751.



Sire,

Selon les ordres de Votre Majesté, j'ai écrit, Sire, pour le palais Pitti et pour le nouveau Palladio qu'on imprime à Venise; et j'espère que V. M. voudra faire aux architectes de Venise le même honneur qu'elle a fait à ceux de Rome et de Versailles, de naturaliser, pour ainsi dire, quelques-unes de leurs productions, et de les entremêler aux siennes. Potsdam va devenir une école d'architecture, autant qu'il est une école de guerre. C'est ainsi que le champ de Mars était orné d'édifices superbes, et que des guerriers poudreux se mettaient à l'ombre d'un portique qui était en même temps dessiné par un apprenti Apollodore. Je supplie V. M. de trouver bon que j'aille pour quelques jours à Berlin.

70. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 6 août 1751.

J'ai reçu votre lettre du 4 de ce mois. Je trouve fort bon que vous fassiez venir de Rome ces dessins du palais Pitti, et de Venise le nouveau Palladio; c'est un soin dont je vous suis obligé. Je placerai volontiers ces ouvrages dans ma bibliothèque. Tout ce qui est bon a chez moi droit de bourgeoisie, et vous savez que je n'ai là-dessus de préjugés ni pour les pays, ni pour les auteurs. Vous pouvez au reste demeurer quelques jours à Berlin, suivant la permission que vous<91> m'en demandez. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

71. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 13 décembre 1751.



Sire,

Par la lettre ci-jointe, que j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté, elle verra comme le cardinal Quirini va nous envoyer cinq cents ducats d'or pour notre église, et comme il espère que ce bel exemple sera suivi par les cardinaux ses confrères, et par le pape même. Il a pris l'affaire si fort à cœur, qu'il semble n'avoir que cette pensée en tête, ce qui me ferait presque bien augurer du succès. V. M. verra dans la même lettre l'envie qu'il a de présenter à V. M. deux de ses médailles, et de les accompagner d'une lettre. Il me demande mon avis là-dessus, et mon avis ne sera que conforme aux ordres de V. M. J'ai reçu en même temps, Sire, une lettre d'Angleterre par laquelle on me mande qu'on doit avoir envoyé à V. M. les Thermes de Palladio, le palais de Chiswick et la salle égyptienne bâtie en York, que j'avais demandés à mylord Burlington pour V. M. J'espère que V. M. les aura reçus, ainsi qu'un petit chien extrêmement joli que M. de Villiers91-a a envoyé à V. M. dès le printemps passé. M. de Villiers, Sire, se met aux pieds de V. M., et ajoute ces mots, qui ne sauraient être affaiblis par la traduction : To express what I feel would be almost as difficult as to return the obligation. Et voilà comme V. M. a fait des conquêtes en Angleterre, supérieures à celles de César.

<92>

72. AU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 15 décembre 1751.

J'ai bien reçu votre lettre du 13 de ce mois. Je vous sais gré de l'avis que vous m'avez donné de la générosité du cardinal Quirini, et les vœux que vous formez pour qu'elle soit imitée par ses collègues sont une preuve de l'intérêt que vous prenez à l'élévation de votre église. Quant à la lettre du cardinal Quirini que vous m'annoncez, et que je vous renvoie ci-close, je laisse le cardinal le maître de faire là-dessus tout ce qu'il croira lui convenir. Je suis tout à fait sensible aux témoignages de dévouement de M. de Villiers, et vous me ferez plaisir de le lui faire connaître. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

73. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 3 février 1752.



Sire,

Je prends la liberté d'envoyer à Votre Majesté une lettre du marquis Grimaldi, ministre d'Espagne à Stockholm. V. M. y verra la noble ambition d'un homme qui s'est acquis de la réputation parmi les savants, et qui voudrait l'augmenter. C'est M. Buonamici, qui a écrit la campagne de Velletri, De rebus ad Velitras gestis, et trois livres De bello Italico. Il voudrait à présent, Sire, remonter jusqu'à la mort de Charles VI et donner, sous les auspices de V. M., l'histoire générale de la dernière guerre. Les connaisseurs assurent que son histoire ressemble, quant au style, aux Commentaires de César; et V. M. ren<93>drait la ressemblance bien plus parfaite, s'il avait le bonheur d'exécuter son projet. J'attends, Sire, les ordres de V. M. pour faire réponse au marquis de Grimaldi.

74. AU COMTE ALGAROTTI.

(Février 1752.)

J'ai reçu deux de vos lettres, de la boutargue, des truffes, et des dédicaces de livres. Je vous remercie des boutargues, qui étaient admirables; les truffes ont paru aux connaisseurs semblables aux nôtres; et, quant aux dédicaces, il dépend d'un chacun de me dédier des livres ou de ne les point dédier. Je ne connais point l'auteur, et je crois que, s'il s'adressait au cardinal Quirini, son épître dédicatoire serait reçue avec plus d'empressement. Je vous avoue que je suis fort indifférent sur ce petit sujet de vanité, et que j'aime mieux vous voir ici que de lire la dédicace la plus louangère.

75. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 11 avril 1752.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté le plan de la maison de M. Wade, que M. Villiers vient de m'envoyer. Mylord Burlington me mande, Sire, qu'il a fait remettre à M. Michel, secrétaire de V. M.<94> à Londres, le livre des Thermes de Palladio, et d'autres différents plans d'architecture, et je ne doute pas, Sire, que V. M. ne les ait incessamment. M. de Maupertuis me mande que, malgré la belle saison, il n'y a aucun changement en bien touchant sa santé. Il souhaiterait que je fisse un tour à Berlin, et j'espère que V. M. voudra bien que j'y aille voir un homme dont la cendre serait honorée des larmes de V. M.

Si V. M. daignait réfléchir pendant trois ou quatre minutes sur le sujet de l'operetta, nous serions sûrs, Sire, d'avoir deux heures d'un spectacle charmant. Je prendrais avec moi le canevas, et je ferais de mon mieux, Sire, pour que le poëte remplisse les vues de V. M., et que sa viole se monte au ton de la lyre. Je suis avec le plus profond respect, etc.

76. DU MÊME.

(Berlin) 20 avril 1752.

Voici le chef-d'œuvre du poëte lauréat,94-a que j'ai l'honneur, Sire, d'envoyer à V. M. Rien n'est comparable à sa célérité, si ce n'est sa docilité.

Le cardinal Quirini, qui a refusé une somme à Rome, et l'a cédée à Benoît XIII, ne saurait, Sire, refuser l'honneur de l'inscription que V. M. veut bien lui accorder à Berlin. Il en rend à V. M. les plus humbles grâces, et m'a déjà remis une partie de l'argent nécessaire à l'achèvement de la façade de l'église.

<95>M. de Maupertuis se met aux pieds de V. M., et est toujours dans le même état.

Si V. M. daigne approuver l'opéra, et qu'elle n'ait pas d'ordres ultérieurs à me donner là-dessus, j'aurai l'honneur, Sire, de revenir lui faire ma cour à Potsdam.

77. AU COMTE ALGAROTTI.

(21 avril 1752.)

Si vous parlez à Maupertuis, je vous prie de lui dire qu'il ne boive point de café, point de liqueurs, et qu'il s'assujettisse aux lois d'Hippocrate; car, après tout, il faut guérir ou mourir dans les règles. Quant au canevas de l'operetta, je verrai demain après-midi comme nous pourrons l'arranger. Je vous remercie des dessins que vous me procurez d'Angleterre; on me mande que le tout est en chemin.

78. DU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 8 mai 1752.



Sire,

Voici une lettre du cardinal Quirini, et les médailles que vous avez bien voulu, Sire, lui permettre de présenter à V. M. Il est allumé de zèle pour notre église catholique, et un mot de V. M. serait une flamme céleste qui l'embraserait tout à fait. Je vois, Sire, le dehors<96> de notre église achevé de sa façon, pourvu qu'on grave dans la frise de l'entablement de la façade : A. M. C. Quirinus inchoatum perfecit,96-a ou quelque pareille quittance pour son argent.

Mon admiration et ma reconnaissance, Sire, augmentent à proportion que je relis l'ouvrage immortel96-b dont V. M. a daigné me faire part. C'est bien V. M. qui pouvait prendre pour devise :

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.96-c

C'est Minerve qui chante sur la lyre d'Apollon; ce sont les leçons de la plus profonde philosophie, emmiellées par les charmes des plus beaux vers. Quantité de ces beaux vers seront retenus sans doute par ceux qui ont le bonheur de les lire; mais ne leur sera-t-il pas permis de les redire aux autres? ne leur serait-il pas permis de citer ce qui mérite tant de l'être? Je demande cette grâce à V. M., quelques gouttes de ce baume précieux pour faire durer mes faibles écrits.

79. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 24 septembre 1752.

Je vous envoie ci-joint une réponse de ma part à la lettre du cardinal Quirini que vous m'avez fait tenir. Vous pourrez la lui envoyer, et le remercier encore en même temps de sa générosité et des senti<97>ments qu'il veut bien me témoigner. Si ce cardinal Quirini n'est pas le premier cardinal de l'univers, l'auteur le meilleur à lire, le savant le plus agréable à fréquenter, il est toutefois un bon diable à qui l'amour-propre et le désir de l'immortalité font faire des actions charitables et utiles au genre humain. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

80. AU MÊME.

Quoique je ne voie pas trop quelles affaires pressantes vous pouvez avoir chez vous, cependant je ne vous empêche point de faire le voyage d'Italie. Vous pourriez partir au mois de février et revenir à celui d'octobre 1753, y voir le cardinal Quirini, arranger vos affaires, passer à Herculanum ou bien où il vous plaira, revoir les lieux où Cicéron harangua, où écrivit Virgile, où soupira Tibulle, où rampa Ovide, et où des fainéants tonsurés donnent à présent des bénédictions auxquelles on ne croit guère.

81. DU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, 7 février 1753.



Sire,

Ce que Votre Majesté m'avait prédit touchant les mauvais chemins ne s'est vérifié que trop. M. Gröben, qui m'a joint à Dessau, aura <98>conté à V. M. une partie des accidents qui me sont arrivés en chemin. Verser, casser la voiture, être quatorze heures à faire trois milles, cherchant les chemins sous les neiges, ont été les suites du voyage. Étant arrivé hier au soir, après des peines infinies, avec un mal de gorge et un peu de fièvre, on m'a annoncé qu'il me serait impossible d'avancer du côté de Cobourg; les roues de devant de mon carrosse étant trop basses, je n'aurais jamais pu faire chemin à travers les neiges, qui étaient plus fortes que jamais; que, en traîneau, on ne pouvait pas aller; que la poste ordinaire avait retardé plus de douze heures, malgré la hauteur des roues de ses chariots, et que, si les neiges venaient à se fondre, j'aurais été obligé de rester dans quelque misérable village quatre ou cinq jours; finalement, que la seule route qui me restait à prendre pour aller en Italie, quoique très-longue, était celle de Dresde, de Prague et de Vienne, où les chemins étaient battus, et où je n'avais rien à craindre des eaux. Après bien des consultations, j'ai pris le seul parti qui me restait à prendre, et je suis arrivé, il y a un quart d'heure, à Leipzig. J'ai cru de mon devoir, Sire, d'avertir de tout cela V. M., et, quoique mon changement de route était une chose nécessaire, d'en attendre l'agrément de V. M.

82. AU COMTE ALGAROTTI.

(Février 1753.)

Si vous ne pouvez pas passer par Cobourg, il vous convient sans doute mieux de prendre le chemin de Vienne, et je m'y oppose d'autant moins, que je suis persuadé que je n'ai rien à appréhender de votre part, et que vous agirez envers moi en honnête homme. J'ai<99> oublié de vous dire que, si vous allez à Rome, il convient de faire au pape un compliment très-poli de ma part, et de lui recommander notre église de Berlin. Quand vous serez arrivé en Italie, écrivez-moi, s'il vous plaît, et mandez-moi de Venise ce qu'on y dit du Turc. Adieu; je vous souhaite un plus heureux voyage que vous ne l'avez eu jusqu'à présent.

83. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 7 mars 1753.



Sire,

Après un voyage des plus longs et des plus pénibles, je suis arrivé enfin à Venise. J'ai encore pu voir les derniers jours du plus maigre carnaval du monde.

Les nouvelles que l'on a ici de Constantinople ne parlent que de la tranquillité qui y règne moyennant les libéralités du Grand Seigneur et la conduite du grand vizir. On n'est pas pourtant sans crainte, dit-on, de quelque nouvelle révolution, et l'on croit la guerre indubitable, si jamais le Grand Seigneur vient à être déposé. J'espère que V. M. aura reçu, à l'heure qu'il est, la verdée. Je prends la liberté d'envoyer à V. M. quelques boutargues qui partiront à la première occasion.

<100>

84. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 25 mars 1753.

J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez écrite. Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles. Parlez-moi des spectacles et des nouveautés que vous remarquerez dans ce pays fertile en génies inventifs. Envoyez-moi la boutargue quand vous pourrez. Je serai toujours charmé de vous donner des marques de ma protection et de ma bienveillance, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Si vous allez à Herculanum, tâchez, s'il se peut, de m'en apporter quelque bloc de marbre, comme les juifs qui reviennent de la Palestine apportent de la terre où était leur temple à leurs confrères.

85. AU MÊME.

Je vous remercie de la belle musique que vous m'avez envoyée. A l'entendre, j'aurais cru que, depuis Vinci et Hasse, les Huns et les Gépides auraient ravagé la Lombardie, et, en la détruisant, y auraient porté leur goût bizarre et barbare. On pourrait appliquer à vos compositeurs le mot de Waldstörchel : « Tu fais des notes sans faire de la musique. »100-a Je crains plus que jamais pour votre santé de<101>puis que je vous sais dans une université de médecins. Il faut qu'ils entendent bien mal leur métier, s'il ne s'en trouve pas un d'assez adroit pour vous dépêcher là-bas. Je sens tous les jours, avec les progrès de l'âge, augmenter mon incrédulité pour les historiens, théologiens et médecins. Il n'y a que peu de vérités connues dans le monde; nous les cherchons, et, chemin faisant, nous nous contentons des fables qu'on nous forge, et de l'éloquence des charlatans. Vous n'allez donc point à Herculanum? J'en suis fâché; c'est le phénomène de notre siècle; et si de si fortes entraves ne me retenaient pas ici, je ferais cinq cents lieues pour voir une ville antique ressuscitée de dessous les cendres du Vésuve. Je vous remercie des épreuves de marbres, que j'ai bien reçues. Il m'en est venu une bonne provision d'Italie; si cependant vous vouliez me commander delle agate gialle di colori diversi, des morceaux assez grands pour faire deux grandes tables et deux grandes cheminées, vous me feriez plaisir. Adieu, cygne de Padoue, élève harmonieux du cygne de Mantoue; j'espère de vous revoir ici au mois d'octobre, en dépit de la Faculté et de vos assassins.

86. AU MÊME.

(Octobre 1753.)

Vous ne trouverez pas étrange, mon cher Algarotti, que je me sépare de la confrérie des poëtes, depuis qu'il se trouve de si grands faquins parmi eux. J'ai fait les poésies que je vous ai données, pour m'amuser. Cela n'était bon que pour cet objet; mais je ne veux ni être lu, ni être transcrit. Raphaël doit être copié, Phidias imité,<102> Virgile lu. Pour moi, je dois être ignoré. Il en est de mes ouvrages comme de la musique des dilettanti. On doit se rendre justice, et ne pas sortir de sa sphère. Je connais la mienne, qui est assez étroite, et je me ressouviens de la Sallé, qui, après avoir plu à Londres, fut sifflée depuis qu'elle s'avisa de danser habillée en homme. Je souhaite que l'Italie vous ennuie au point de vous la faire quitter bientôt. Vous voyez que les médecins de Padoue ont le sort de tous les autres de l'Europe. Si vos opéras sont mauvais, vous en trouverez ici un nouveau qui peut-être ne les surpassera pas. C'est Montézuma. J'ai choisi ce sujet, et je l'accommode à présent. Vous sentez bien que j'intéresserai pour Montézuma, que Cortès sera le tyran, et que par conséquent on pourra lâcher, en musique même, quelque lardon contre la barbarie de la R. Cr. Mais j'oublie que vous êtes dans un pays d'inquisition; je vous en fais mes excuses, et j'espère de vous revoir bientôt dans un pays hérétique où l'opéra même peut servir à réformer les mœurs et à détruire les superstitions.

87. DU COMTE ALGAROTTI.

Padoue, 12 novembre 1753.



Sire,

La lettre dont Votre Majesté m'a honoré dernièrement m'a encore trouvé à Padoue, sur le point de faire un petit voyage pour essayer mes forces. J'ai été à Vicence, où j'ai vu ce que j'espère bientôt revoir à Potsdam. Mais à peine ai-je donné un coup d'œil à Palladio, qu'il m'a fallu garder la chambre pendant deux jours. Le peu de nourriture qu'il me faut prendre me rend extrêmement sensible à toute sorte d'intempérie d'air. Je n'écoute pas les médecins, Sire, surtout<103> lorsqu'ils me répètent qu'il faudrait absolument passer l'hiver en Italie. Je me flatte d'être en état de partir pendant le froid, lorsque les fibres ont plus de ton, et seront en état de soutenir la fatigue d'un long voyage.

Je suis bien charmé, Sire, que V. M. ait choisi pour son opéra le sujet de Montézuma. La différence des habits entre les Espagnols et les Américains, la nouveauté des décorations, feront sans doute un spectacle charmant; et je suis bien sûr que, grâce à V. M., l'Amérique fournira de nouveaux plaisirs à notre âme, ainsi qu'elle fournit de la matière à notre luxe et des agréments à notre palais.

Je dois, Sire, obéir aveuglément à V. M. sur ce qu'elle m'ordonne touchant ses vers.103-a Mais quel beau champ n'aurait-on pas, Sire, s'il était permis de lui faire des représentations!

Parum sepultae distat inertiae
Celata virtus,103-b

pourrait-on lui dire. Pourquoi, Sire, envier le plaisir d'admirer le plus rare poëte, qui, au milieu des plus grandes affaires,

Monta sur l'Hélicon sur les pas du plaisir,103-c

et y fait monter sur les mêmes pas les élus qu'il a bien voulu choisir pour ses lecteurs? Je dois en remercier d'autant plus V. M., qu'elle a bien daigné me mettre de ce nombre. Mais j'avoue, Sire, que je ne suis pas si selfish, comme disent les Anglais, que je ne souhaitasse que tout le monde fût enchanté de ces vers que V. M. a écrits tandis qu'Apollon chantait.

<104>

88. DU MÊME.

Venise, 11 janvier 1754.



Sire,

Dans le temps que je me flattais d'être en chemin pour me mettre aux pieds de V. M., me voilà encore à Venise. La saison qu'il fait ici depuis trois mois est des plus affreuses, et à Venise on ne voit pas plus le soleil qu'à Londres. Ma santé est encore dans un état qu'il y a bien plus d'apparence que je serais tombé malade en chemin, qu'il n'y en avait du dernier voyage que je fis. Si jamais, Sire, j'ai connu ce que vaut la santé, c'est par ce que me coûte à présent le peu qui m'en reste. Il est bien sûr, Sire, que dans tel état que je sois, d'abord que le temps commencera à s'adoucir, je me mettrai en chemin, et j'irai faire ma cour à V. M.,

Cum Zephyris, si concedes, et hirundine prima.104-a

J'ai envoyé à V. M. quelques boutargues qu'on m'a données comme d'une pâte très-fine; je me flatte qu'elles agréeront à V. M., et elle en aura toujours de la même espèce.

Les plaisirs du carnaval sont des plus maigres. Les opéras ne sont ni à voir ni à entendre. On est bien éloigné ici d'étaler aux yeux le spectacle magnifique du nouveau monde ou de l'ancienne Rome, et de toucher le cœur par les actions d'un Sylla ou par les aventures d'un Montézuma; on est toujours réduit à la ressource déjà usée de changer le théâtre dans la boutique d'un miroitier.

J'ai été encore dernièrement passer quelques jours à mon infirmerie de Padoue, et n'ai assurément pas regretté la capitale. Je vois assez souvent M. l'ambassadeur de France,104-b qui est bien fait pour re<105>présenter la plus aimable nation du monde. Il se flatte, Sire, que la route où il est entré pourra le mener encore faire sa cour à V. M. Il a bien des titres pour vous admirer, Sire, comme ministre, comme un des Quarante, comme homme d'esprit. Je le verrais encore plus souvent, s'il n'avait pas un si bon cuisinier; il est triste que ma raison ait toujours à combattre des envies qui restent toujours à un estomac qui n'a plus la force de les satisfaire.

89. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 9 février 1754.

Je m'étonne que les médecins d'Italie et l'air natal ne vous aient pas encore guéri. Je comprends que les médecins sont les mêmes partout. Tant que leur art ne sera pas perfectionné, ils ne seront que les témoins des maladies.

J'ai vu à Berlin un comte, ou je ne sais quoi, qui se nomme Menefolio. A nous autres Allemands il a paru fou; je ne sais ce qu'il paraîtra aux Italiens. Il travaille depuis trente ans à une comédie dont il est lui-même le sujet principal. Il dort tout le jour, se lève à sept heures du soir, dîne à minuit, soupe à sept heures du matin, et travaille sa comédie. Il dit, sans cependant en être cru, que tout le monde vivait à présent ainsi en Italie. Comme il défait et refait sans cesse sa comédie, elle aura le sort de l'ouvrage de Pénélope, et je crois que ce beau phénix du théâtre ne sera pas représenté de sitôt.

Formey a lu à l'Académie les Éloges de MM. d'Arnim et de Münchow, et l'Académie s'est opposée à leur impression. J'ai été curieux de les lire. Jamais il n'y a eu bavardage plus inepte et plus plat.<106> Formey a voulu avoir de l'esprit; il a fait assaut contre la nature, et certainement cela n'a pas tourné à son avantage.

Le fou s'est dit mort à Colmar, pour entendre ce qu'on dirait de lui. Je vous envoie son épitaphe :

Ci-gît le seigneur Arouet,
Qui de friponner eut manie.
Ce bel esprit, toujours adrait,
N'oublia pas son intérêt,
En passant même à l'autre vie.
Lorsqu'il vit le sombre Achéron,
Il chicana le prix du passage de l'onde,
Si bien que le brutal Caron,
D'un coup de pied au ventre appliqué sans façon,
Nous l'a renvoyé dans ce monde.106-a

Je vois bien que je ne vous reverrai qu'avec les cigognes et les hirondelles, et je compte que vous aurez si bien arrangé vos affaires en Italie, que vous ne serez plus obligé d'y retourner de sitôt. Adieu.

90. AU MÊME.

Ce 15.

J'ai reçu des graines de melon, de la musique, et le portrait d'une danseuse. Je vous remercie des premières, j'entendrai ces jours-ci la musique, et quant au portrait de la danseuse, je le trouve très-joli; mais il faut savoir son prix avant que de procéder à l'engagement. Huit cents ducats est trop pour une troisième danseuse; mais si nous pouvons nous accorder, ce sera une affaire pour l'année qui vient. Je vous renvoie le portrait, qui pourra rappeler à la vie vos esprits<107> engourdis, et vous faire préluder sur l'illusion de la jouissance, attendant la réalité. Chiqua107-a fait des merveilles ici. Adieu; je vous souhaite santé, contentement et repos.

F.

91. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 8 mai 1754.



Sire,

Je ne saurais remercier assez Votre Majesté des vers dont elle a voulu me faire part. Ils sont extrêmement plaisants, et de main de maître. Oserais-je dire à V. M. qu'elle aurait dû aussi me faire envoyer l'Éloge que l'abbé de Prades a lu à l'Académie? Je m'imagine qu'il sera à mettre à côté des Éloges de MM. Stille et Jordan, et à côté de ceux de Fontenelle. Je suis bien fâché, Sire, que V. M. ait été à même de faire un pareil honneur au pauvre Knobelsdorff. Je ne verrai plus un homme avec lequel j'avais été lié de tous temps par l'amitié et par l'estime. Il avait bien du talent, et, si c'était un philosophe scythe, il n'honorait pas moins les vertus d'Alexandre. Je connais si bien M. le comte Menefolio par le portrait que V. M. en fait, que je le tiens vu; et pour sa comédie, je la tiens lue. V. M. a bien raison de ne pas croire l'Italie faite comme lui. Hélas! Sire, j'aurais bien voulu en apporter à V. M. une relation plus exacte; mais il faudrait que celui qui connaît si bien l'Europe qu'il importe de connaître, et dont il fait une si grande partie, se contentât de la relation de Padoue et<108> d'un petit quartier de Venise. J'avoue, Sire, qu'il a été bien douloureux pour moi d'avoir été si longtemps éloigné de V. M. pour être confiné à Padoue. Ce n'est pas un moindre sujet de chagrin pour moi, Sire, de voir que je ne saurais sortir du régime et de la vie médicale sans traîner une vie languissante qui éteint la parcelle du feu divin qui est en nous, et sans essuyer de ces incommodités qui sont pis que les maladies :

..... quid enim? concurritur : horae
Momento cita mors venit, aut victoria laeta.108-a

Quoique l'aisance entière dont je jouis ici, et l'air natal, commencent à me faire ressentir quelque bénéfice, mon cœur vole aux pieds de V. M. J'y serai bientôt moi-même, et seconderai ses mouvements. V. M. verra elle-même et jugera mon état. Je crains bien, Sire, que V. M. ne saura que faire d'un homme qui ne peut être, pour ainsi dire, au ton des autres. Ce qui doit me consoler en toute chose, c'est que je suis attaché non pas à un homme roi, mais à un roi homme, comme a dit M. Chesterfield de V. M.

J'attends toujours après les ordres dont V. M. voulait me charger touchant les agates, et serai charmé de savoir si les boutargues ont réussi, afin d'en commander et d'en avoir toujours de la même espèce.

<109>

92. AU COMTE ALGAROTTI.

Ce 26.

Je ne sais quand je vous reverrai ici. Le temps commence à s'adoucir, les alouettes à chanter, les grenouilles à croasser.109-a Il ne manque que les hirondelles et les cigognes; j'espère que vous arriverez en leur compagnie. Mon Opéra-comique, qui vient de débarquer, m'assure que votre santé se remet, et que vous n'attendiez que le beau temps. Je crois que vos médecins de Padoue sont comme le docteur Balouard de la comédie, qu'ils parlent beaucoup, et guérissent peu. C'est peut-être leur nombre qui nuit à votre santé. Maupertuis va revenir; il a triomphé de son mal en dépit des médecins, et a fait manquer une grande réputation à quelqu'un qu'il eût voulu charger de sa cure. On dit ici que vous aurez bientôt de nouveaux troubles en Italie; ce sont des discours de l'arbre de Cracovie.109-b Je ne m'étonnerais cependant pas qu'on se disputât la possession de ce beau pays. Si j'avais été de Charlemagne, au lieu de m'amuser à conquérir des païens d'en deçà l'Elbe, j'aurais établi mon empire à Rome. Peut-être serions-nous encore païens de cette affaire; mais le malheur ne serait pas grand, et on pourrait plaisanter sur Jupiter et Vénus plus joliment que sur M.... et J...... Votre confrère en Belzébuth s'est brouillé à Colmar avec les jésuites. Ce n'est pas l'action la plus prudente de sa vie. On dit qu'on pourra l'obliger à abandonner l'Alsace.<110> Il est étonnant que l'âge ne corrige point de la folie, et que cet homme, si estimable par les talents de l'esprit, soit aussi méprisable par sa conduite. Il y a ici un chevalier Masson, venu de France, qui paraît aussi sensé que nombre de ses compatriotes qui l'ont précédé m'ont paru fous. Il est lettré, et semble avoir du fonds; je ne le connais pas assez pour en juger avec certitude. Mon opéra attend votre retour; vous lui servirez de Lucine, pour que le sieur Tagliazucchi en accouche heureusement. J'y ai mis toute la chaleur dont je suis capable; mais la chaleur de nous autres auteurs septentrionaux ne passerait que pour glace en Italie. Adieu. Je compte que ce sera la dernière lettre que je vous écrirai, ou je prendrai vos mois pour des ois prophétiques du grand prophète Daniel.110-a

Fr.

93. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 17 mai 1754.



Sire,

J'ai fait après Pâques une petite tournée à Vérone pour me remettre en train de voyager. Je comptais, Sire, aller au lac de Garde, qui, dans la belle saison, est l'endroit le plus délicieux de l'État de Venise; mais, la saison étant encore trop rude, j'ai été à Mantoue revoir les bâtiments de Jules Romain, dont je pourrai apporter à V. M. quelque esquisse, et de là j'ai été à Parme, où j'ai vu le Corrége, et n'ai point vu l'Infant, qui était à la chasse. Au retour de mon petit voyage, j'ai trouvé à Padoue la lettre dont V. M. m'honore. Je suis charmé d'entendre que Maupertuis jouisse d'une santé parfaite. Il me mande que les turbots et les soles de Saint-Malo l'ont tout à fait remis. Il est<111> bien heureux, tandis que moi, j'ai toujours de la peine à digérer les poulets, et je me vois exclu de la bonne chère et presque de la bonne compagnie. Les nouvelles qui occupent le plus ici sont nos différends avec la république de Gênes, qui seront sans doute terminés à l'amiable, et la négociation de M. de Löwendal pour entrer au service des Vénitiens. L'opéra de V. M. attend mon retour, sans doute pour avoir un admirateur de plus.

Quant à moi, j'attends à tout moment des nouvelles précises touchant la qualité des chemins et la hauteur des eaux, qui sont maintenant débordées par la fonte subite des neiges qu'il a fait, pour me déterminer si je prendrai le chemin du Tyrol ou de Vienne. Celui que je croirai me mener le plus tôt aux pieds de V. M. est certainement celui que je croirai le meilleur, et que je choisirai.

94. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 30 juillet 1754.

J'ai reçu votre lettre par laquelle vous me marquez que votre mauvaise santé vous oblige de me demander votre congé. C'est pour la seconde fois que je vous l'accorde. J'aurais cru que votre air natal vous aurait mieux traité, et qu'il ne vous aurait pas fait perdre votre santé, qui me parut très-bonne lorsque vous partîtes d'ici. Je souhaite qu'il répare le mal qu'il vous a fait, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

<112>

95. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 27 juillet 1755.



Sire,

Je me crois en devoir, Sire, de me mettre aux pieds de Votre Majesté à l'occasion de l'arrivée et du départ de ce pays-ci de S. A. R. madame la margrave de Baireuth. Dans le séjour extrêmement court qu'elle a fait à Venise, le gouvernement s'est extrêmement empressé de lui rendre toute sorte d'honneurs. On allait des honneurs passer aux fêtes, si S. A. R. avait pu accorder encore quelques jours aux empressements du gouvernement. On aurait voulu, Sire, fêter de même que l'on a honoré dans la personne de S. A. R. la sœur du plus grand des rois.

96. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 19 août 1755.

Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez à l'occasion du passage de ma sœur, madame la margrave de Baireuth, par Venise. La politesse de vos compatriotes m'était connue, et vous seul auriez bien suffi pour m'en donner l'idée que je dois en avoir. Je conserve toujours pour vous les mêmes sentiments d'estime et de bienveillance que je vous témoignais lorsque vous étiez ici, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<113>

97. DU COMTE ALGAROTTI.

Venise, 26 avril 1755.



Sire,

Le livre que j'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté ne contient qu'une esquisse des sentiments d'admiration envers V. M. qui seront toujours présents à mon esprit, comme ceux de la reconnaissance seront toujours gravés dans mon cœur; et si ce livre avait le bonheur d'être approuvé par V. M., j'oserais me flatter que non seulement il rendrait témoignage de mes sentiments au public, mais même à la postérité.

98. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 15 novembre 1755.

Je n'ai reçu votre lettre, quoique datée du mois d'avril, que depuis fort peu de jours. Je vous remercie avant d'avoir lu votre ouvrage; c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. J'ai été pourtant trop à portée de vous connaître, pour que je ne pusse pas déjà en porter un jugement qui ne s'éloignerait guère de la vérité. J'ai au reste toujours les mêmes sentiments à votre égard, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

<114>

99. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 26 octobre 1756.



Sire,M'a-t-on vu le dernier paraître aux champs de Mars?114-a

Votre Majesté peut avec raison répéter ce beau vers, et vos ennemis doivent bien se mordre les doigts de vous avoir forcé à paraître. L'entreprise de V. M.114-b était digne de César, votre confrère en gloire, qui maturandum semper existimavit; et l'exécution en a été de même. La nouvelle gloire dont V. M. vient de se couvrir fait honneur au siècle et à l'humanité. Il n'appartenait qu'à V. M. d'élever l'histoire moderne à la dignité de l'ancienne. Io triumphe! Je suis avec le plus profond respect, etc.

100. DU MÊME.

Bologne, 9 novembre 1756.



Sire,

Votre Majesté voudra bien me permettre d'écrire encore un mot après une armée entière prise à discrétion. On n'a jamais entendu parler de pareille entreprise depuis celle de César en Espagne contre Afranius et Petreius. Mais celle de V. M. est bien différente. Il n'avait contre lui que ces messieurs, et V. M. avait les Saxons et les Autrichiens tout ensemble. Vous nous faites perdre, Sire, le goût pour<115> l'histoire ancienne. Caesar in eam spem venerat, se sine pugna et sine vulnere suorum rem conficere posse, quod re frumentaria adversarios interclusisset..... Cur denique fortunam periclitaretur, praesertim cum non minus esset imperatoris, consilio superare quam gladio?115-a Tout cela était fort beau avant la bataille de Lowositz et la capitulation de Königstein. Continuez, Sire, à effacer César et à éclairer le siècle. Je vois déjà la Bohême inondée par vos troupes victorieuses, et vos ennemis forcés à vous demander humblement cette paix que vous leur accordiez si généreusement à la tête de votre armée.

101. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 27 novembre 1756.

Comme vous m'avez paru, par votre lettre, prendre part à ce qui se passe dans ce pays, je vous envoie la relation de la campagne. Vous ne la trouverez certainement pas conforme à tout ce que vous avez lu ou entendu raconter, mais, quoi qu'il en soit, elle n'en est pas moins exacte. Je vous remercie des témoignages d'attachement que vous continuez de me donner; soyez assuré que je vous en sais un véritable gré, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

<116>

102. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 21 décembre 1756.



Sire,

Les écrits de Votre Majesté ne sont pas moins admirables que ses actions. Il est bien indifférent à V. M. d'avoir des génials dans ce coin du monde, qui ne voit jamais de troupes que celles qui viennent le ravager. Mais V. M. en a tout plein, et les plus zélés partisans des ennemis de V. M. sont forcés de sentir la solidité des raisons sur lesquelles est appuyée la cause de V. M., et d'admirer la force des mesures que V. M. sait prendre pour la soutenir. Mais combien de grandes choses sont renfermées dans la courte relation dont il a plu à V. M. de m'honorer! Eodem animo dixit quo bellavit.116-a Je ne doute nullement, Sire, que, avec les légions que V. M. a sous ses ordres et le conseil qu'elle a dans sa tête, elle ne fasse encore, s'il est possible, de plus grandes choses que celles qu'elle vient de faire. Qu'il est glorieux, Sire, d'appartenir à un prince qui remplit de sa gloire l'univers entier!

103. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 27 décembre 1756.

Tout ce que nous avons fait cette année n'est qu'un faible prélude de ce que vous apprendrez l'année prochaine. Nous avons commencé un peu trop tard pour pouvoir entreprendre beaucoup. Mais, quoi<117> que nous fassions, nous ne nous flattons pas assez pour ne pas sentir que nous ne vivons pas dans le siècle des Césars. Tout ce qu'on peut faire à présent, c'est, je crois, d'atteindre au plus haut point de la médiocrité. Les bornes du siècle ne s'étendent pas plus loin. Je vous remercie de vos bons sentiments à notre égard et de votre bon souvenir; soyez assuré de ma bienveillance, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

P. S. Les bagatelles qui se sont passées cette année ici ne sont qu'un prélude de la prochaine, et nous n'avons encore rien fait, si nous n'imitons César dans la journée de Pharsale.

104. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 25 janvier 1757.



Sire,

La lettre que Votre Majesté a daigné m'écrire en dernier lieu est bien honorable pour moi, et j'ose dire qu'elle n'est pas moins glorieuse à V. M. Les bontés que V. M. me marque sont égales à la grandeur d'âme qu'elle y fait paraître,

Nil actum reputans si quid superesset agendum.117-a

Je vois bien que c'est le mot de V. M., mot dont elle remplira bien scrupuleusement toute l'étendue. A un prince qui a tous les talents et toutes les vertus, tel que V. M., il ne faut que l'occasion. Vos en<118>nemis, Sire, vous l'ont présentée, et vous, malgré eux, vous allez vous faire plus grand que jamais.

105. DU MÊME.

Bologne, 16 mai 1757.



Sire,

Je sais bien que Votre Majesté ne veut pas encore qu'on la félicite, nonobstant les grandes choses qu'elle vient de faire,

Nil actum reputans si quid superesset agendum.

Il nous semble pourtant, à nous autres, qu'entrer en Bohême en cinq colonnes, vis-à-vis d'un ennemi qui y a toutes ses forces rassemblées, pour faire une guerre offensive, le battre en deux endroits, le mettre en fuite dans les autres, lui prendre ses principaux magasins, le forcer de quitter son fameux camp de Budin, le recogner sous Prague, dont il sera probablement obligé de décamper, faute de vivres, et de vous abandonner toute la Bohême, il nous semble, dis-je, que cela aurait fait chanter pour le moins cinq Te Deum dans tout autre pays. Continuez, Sire, à effacer les plus grands hommes en tout genre, et permettez-nous de nous féliciter d'être nés dans le siècle qui vous a produit.

<119>

106. DU MÊME.

Bologne, 24 mai 1757.



Sire,

Votre Majesté nous avait promis une Pharsale, et vous nous avez bientôt, Sire, tenu parole. On a assuré que V. M., après avoir vaincu comme César, a pleuré comme lui sur le champ de bataille. Vos larmes, Sire, ne vous font pas moins d'honneur que votre victoire. Que vous dirons-nous, Sire? Tout ce qu'on pourrait dire est infiniment au-dessous de ce que V. M. fait. Terra siluit in conspectu ejus.119-a

107. L'ABBÉ DE PRADES AU COMTE ALGAROTTI.

Au camp devant Prague, 10 mai 1757.

Le Roi m'a ordonné, monsieur, ne pouvant le faire lui-même, de vous apprendre qu'il vient de gagner près de Prague la bataille de Pharsale. Je crois qu'un récit abrégé de ce qui a précédé cette grande action vous fera plaisir.

Sur la fin de l'hiver, le Roi fit construire des redoutes à toutes les portes de Dresde, et tracer des lignes. Il persuada par là aux ennemis qu'il voulait se tenir sur la défensive. Il entra dans les quartiers de cantonnement le 24 de mars, et ne cessa, dès le moment qu'il y fut, de faire reconnaître des camps dans tous les endroits par où l'on pouvait déboucher dans la Saxe. Enfin, il fit marcher différents<120> corps, et de différents côtés, pour voir si l'ennemi prenait l'alarme, et s'il était réellement convaincu que le Roi n'agirait point offensivement. Il parut, à leurs démarches, qu'ils s'étaient persuadé que le Roi ne voulait point entrer en Bohême, car ils ne faisaient que replier leurs postes avancés. Nos corps revenaient aussi sur leurs pas, ce qui acheva de leur donner le change. Après les avoir ainsi préparés, le Roi quitta, le 20 d'avril, son quartier de cantonnement, et donna le même ordre à toutes les troupes; le 21, son armée se trouva rassemblée à Ottendorf, sur les frontières de Bohême. Le maréchal de Schwerin était entré, de son côté, le 18 en Bohême, dirigeant sa marche sur Jung-Bunzlau, où les ennemis avaient un de leurs plus grands magasins. Le duc de Bevern pénétra en même temps par la Lusace, du côté de Friedland et de Zittau, le prince Maurice du côté d'Éger. Le duc de Bevern devait joindre le maréchal de Schwerin; mais, avant de le joindre, il gagna sur le comte de Königsegg une bataille auprès de Reichenberg. Le prince Maurice joignit le Roi, qui marcha à grandes journées, poussant toujours l'ennemi devant lui. Rien ne résista aux gorges. Nous avions cru être arrêtés au passage de l'Éger; mais le Roi fit une marche de nuit, et ses ponts furent jetés, et la moitié de son armée de l'autre côté, que l'ennemi n'en savait rien. Le maréchal Browne se retira assez vite. On s'était flatté qu'ils attendraient le Roi sur le Weissenberg, poste très-avantageux sous le canon de Prague; mais nous trouvâmes qu'ils avaient passé la Moldau. Il fallut encore passer cette rivière. Le Roi prit vingt bataillons et quelques escadrons avec lui, et fit jeter un pont. On passa sans résistance. Le Roi avait fait ordonner au maréchal de Schwerin de le joindre de l'autre côté de la Moldau. Le 6 de ce mois, il joignit le Roi de grand matin. On reconnut le camp des ennemis, et le Roi, voyant bien qu'il était inattaquable par son front, ordonna au maréchal de Schwerin de marcher par sa gauche, et de faire en sorte de tourner les ennemis et de leur gagner le flanc. Le maréchal marcha,<121> et la marche fut longue. Enfin, il revint, et dit au Roi : « Sire, pour leur flanc, nous l'avons. » Le Roi s'y porta d'abord, fit défiler le reste de l'armée à travers un village qui nous arrêta longtemps. On forma, d'abord après, la première ligne, et le maréchal, qui commandait l'aile gauche, la première ligne se trouvant formée, fit attaquer. Le Roi marcha du côté du centre pour continuer à mettre l'armée en ordre de bataille. Notre gauche souffrit d'abord beaucoup, et les ennemis la menèrent battant près d'une demi-heure. Ce fut là que le maréchal de Schwerin, voyant ce désordre, et que son régiment pliait aussi, prit un drapeau à la main, et, encourageant ses soldats, il reçut un coup de l'eu dans la tête et dans la poitrine, dont il expira sur-le-champ. Le drapeau qu'il tenait à la main couvrit tout son corps. Le Roi continua à donner ses ordres avec le même sang-froid que si tout était bien allé; il envoya des troupes à cette aile gauche, fit rallier les fuyards, et rétablit si bien le combat, que les ennemis, à leur tour, furent battus, et si bien poursuivis, qu'ils ne purent jamais se rallier. La déroute fut totale : ils n'avaient pas deux hommes ensemble; l'infanterie était pêle-mêle avec la cavalerie. Il fallait encore battre leur droite, qui se trouvait dans des postes presque inaccessibles. Nos troupes, malgré leur lassitude et malgré les difficultés presque insurmontables, ne se rebutèrent point. Elles escaladèrent les rochers, chassèrent les ennemis de partout. Leur armée se débanda absolument; une partie fuit du côté de la Sasawa, et l'autre partie entra dans Prague, où il y a environ cinquante mille hommes. Le prince Charles, le maréchal Browne, le prince de Saxe, le prince Louis de Würtemberg et la plus grande partie de leurs généraux y sont aussi. Le Roi est campé avec son armée autour de la ville, et a pris toutes les précautions pour les faire prisonniers, ou du moins pour qu'ils n'en échappent pas sans qu'il leur en coûte horriblement cher. Le duc de Bevern a marché au-devant du maréchal Daun, qui veut tenir encore contenance. Il a ordre de lui livrer bataille. Ainsi<122> le Roi se trouvera par là, en moins d'un mois, avoir conquis un royaume et dissipé presque toutes les forces de la maison d'Autriche. Le maréchal de Browne a été blessé à la jambe; nous avons fait beaucoup de prisonniers, et pris une grande quantité d'étendards, ainsi que des pièces de canon. Outre le maréchal de Schwerin, nous avons perdu le général d'Amstel, le duc de Holstein, le colonel Goltz, M. de Hautcharmoy; les généraux Fouqué, de Winterfeldt, d'Ingersleben, de Kurssel, et plusieurs autres officiers, ont été blessés. On a perdu sans doute beaucoup de braves gens; mais si vous voyiez le terrain, vous seriez surpris qu'on ait pu déloger une armée de pareils postes, ayant surtout une si nombreuse artillerie. Le Roi, malgré les périls auxquels il s'est exposé, est en très-bonne santé. Je suis charmé de vous renouveler dans une si belle occasion les sentiments de la plus parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

108. LE COMTE ALGAROTTI A L'ABBÉ DE PRADES.

Bologne, 4 juin 1757.

On ne saurait être plus sensible que je le suis de ce que le Roi ait daigné songer à moi dans ces grands moments qui vont décider du sort de l'Europe. Vous m'avez appris, monsieur, à admirer distinctement et en détail ce que je n'admirais que confusément et en gros. Votre relation est un portrait bien fidèle de ce grand trait d'histoire, et votre plume ne sait pas moins décrire les manœuvres les plus profondes de la guerre qu'elle sait traiter les sujets de la plus haute philosophie. A considérer le nombre, la qualité, la situation des ennemis à qui le Roi avait affaire, il faut avouer, monsieur, que nous<123> n'avons jamais rien lu de pareil. Rien ne manque à la gloire du Roi, et la mort même du maréchal de Schwerin y ajoute un nouvel éclat. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me mettre aux pieds du Roi, et de lui faire sentir que ma reconnaissance pour ses bontés est égale à l'admiration dont l'univers est saisi au bruit de ses exploits.

Je vous félicite, monsieur, d'avoir été témoin oculaire de tous ces grands événements, qui seront une leçon à la postérité la plus reculée, et serais trop heureux, si je pouvais, dans ce pays-ci, vous donner quelque marque de la parfaite estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

Oserais-je vous prier de présenter mes respects à M. le maréchal Keith?

109. LE MÊME A FRÉDÉRIC.

Bologne, 16 novembre 1757.



Sire,

Je jure à Votre Majesté par votre prévoyance, par votre vaillance, par votre célérité et par tous vos autres attributs, que je n'ai jamais désespéré de la chose publique. Puisqu'il a plu au Dieu des armées de conserver V. M. au milieu de tant de dangers, j'ai toujours cru que la gloire du nom prussien serait montée plus haut que jamais. Après les plus beaux mouvements en Bohême et en Lusace, qui auraient été l'admiration d'un Starhemberg, V. M. vient d'éclipser Gustave-Adolphe dans ces mêmes plaines où sa science avait tant brillé. Cette dernière victoire123-a est un de ces miracles militaires qu'il n'est pas per<124>mis d'opérer qu'aux favoris de Mars les plus intimes, aux fondateurs de la règle. Mais V. M. n'a pas fini d'agir, et nous ne cesserons d'admirer. Que ce siècle va être ennobli par les exploits de V. M.! Il effacera tous ceux qui ont été jusqu'à présent les plus lumineux.

110. DU MÊME.

Bologne, 15 décembre 1757.



Sire,

Je savais bien, Sire, lorsque je félicitais Votre Majesté sur la journée du 5 novembre, que j'aurais dû la féliciter bientôt sur un autre cinq.124-a V. M. voudra donc pardonner à mon empressement une lettre presque inutile. Cet autre cinq met le comble à la gloire de V. M. et la fin à une guerre dont toutes les annales du genre humain ne fournissent rien d'approchant. On dit, Sire, qu'il y a bien peu de charité à vous de faire mourir ainsi vos ennemis de faim et de froid. V. M. aurait dû, disent-ils, les laisser en repos pendant une saison aussi rude, et admirer, en attendant, leur générosité de vous attaquer cinq ou six à la fois. Il m'avait paru, Sire, jusqu'à présent, que V. M., par ces hauts faits, avait élevé l'histoire moderne à la dignité de l'ancienne. Mais je vois bien, Sire, que, par vos exploits merveilleux, V. M. donne à l'histoire l'air du roman. Je souhaite à V. M. longues années et aussi glorieuses que celle-ci.

<125>

111. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 10 janvier 1758.

J'ai bien reçu la lettre que vous m'avez écrite pour me féliciter sur la victoire que j'ai remportée le 5 du mois passé sur l'armée autrichienne. Je suis bien flatté de la part que vous prenez à cet événement, et reçois avec plaisir les vœux que vous formez à ce sujet. Je souhaite qu'ils s'accomplissent; en attendant, me voilà retombé sur mes jambes et prêt à repousser les coups qu'on voudra me porter. Je prie Dieu, au reste, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

112. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 janvier 1758.



Sire,

Res gerere et captos ostendere civibus hostes
Attingit solium Jovis et coelestia tentat,

dit votre Horace;125-a et quel triomphe pour vous, Sire, que trente-six mille prisonniers de guerre faits dans l'espace de quinze jours! Blenheim y est pour peu de chose; V. M. même n'a fait, pour ainsi dire, que préluder à Rossbach. Celle-ci est la véritable apothéose. Et avec quel sang-froid V. M. ne fait-elle pas tout cela! Elle écrit tranquillement de son camp qu'elle est occupée à reprendre Breslau, comme César écrivit à ses amis qu'il faisait devant le préside de Brindisi une<126> jetée dans la mer, ut aut Pompeium cum legionibus capiam, aut Italia prohibeam. Mais la différence est que César, à Brindisi, non cepit Pompeium cum legionibus, et V. M., à Breslau, cepit generales cum bataillonibus.126-a Parmi les grandissimes choses que V. M. a faites en si peu de temps, il y en a une, permettez-moi, Sire, de vous la rappeler, qui m'a infiniment touché. C'est ce lendemain de la journée du 5, lorsque V. M. a bien voulu remercier solennellement son armée. Je suis bien sûr, Sire, que les dixièmes dont elle est composée auront été encore plus touchées des remercîments de leur compagnon et de leur roi que des récompenses dont il les a comblées. Parmi vos triomphes de toute espèce, daignez, Sire, mêler les acclamations et la voix de votre serviteur, qui se félicite d'être né dans votre siècle, et plus encore d'appartenir à V. M.

113. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 16 janvier 1758.

Je suis bien flatté de l'intérêt que vous continuez de prendre au succès de mes armes, et de la nouvelle marque que vous venez de me donner de votre attachement par le compliment que vous me faites à l'occasion de la victoire que j'ai remportée le 5 de décembre sur l'armée autrichienne. Mais, quoique les suites de cet événement aient été aussi rapides qu'importantes, les augures que vous en tirez pour le rétablissement de la paix n'en paraissent pas être moins prématurés, et il y a toute apparence que je servirai encore cette année d'amusement aux gazetiers et à la curiosité de vos nouvellistes.

<127>En attendant, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

114. AU MÊME.

...... 127-aPenitusque in viscera lapsum
Serpentis furiale malum, totamque pererrat;
Tum vero infelix, ingentibus excita monstris,
Immensam sine more furit lymphata per urbem.127-b

La Discorde, s'étant approchée d'Amate, empoisonna son cœur, et elle devint furieuse contre Énée. Vous voyez bien qu'il ne suffit pas de se battre, et qu'il est plus difficile de réduire de méchantes femmes que des hommes vaillants. Je désire autant la paix que mes ennemis ont de l'éloignement pour elle, et, si nous faisons des efforts, il faut l'attribuer à la nécessité :

Saeva necessitas industriam parit.

Vous pourrez vous amuser encore cette année-ci par les gazettes, non de ce qui se passe sur la montagne de l'Apalache127-c et de la querelle des merluches,127-c mais de ce qui décidera de la liberté ou de l'es<128>clavage de l'Europe, qu'un nouveau triumvirat veut subjuguer. Si j'en avais le choix, j'aimerais mieux me trouver dans le parterre que de représenter sur le théâtre; mais, puisque le sort en est jeté, il en faut tenter l'aventure.

Sed nil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae.128-a

Federic.

115. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 10 février 1758.



Sire,

Je laisse juger à Votre Majesté combien je dois me sentir honoré des réponses qu'elle a bien voulu faire à mes lettres, dans un temps où elle roule dans son esprit la destinée de l'Europe. Ce serait grand dommage, Sire, que V. M. ne fût que le sage contemplatif de Lucrèce, et qu'elle fût assise au parterre. V. M. joue trop bien pour n'être pas acteur. J'ai vu dernièrement passer par ici les troupes de Toscane qui marchent en trois colonnes contre V. M. Mais je crois qu'un chapiteau d'ordre prussien renversera aisément toutes ces colonnes d'ordre toscan.

S'il est permis, Sire, après vos hauts faits, d'admirer vos bons mots, V. M. nous en donne ample matière. Quand elle répondit à quelqu'un qui lui parlait de ses deux cinq, « Je n'ai eu qu'un peu de sang-froid et beaucoup de bonheur, » il me semble d'entendre New<129>ton qui répond à quelqu'un qui admirait son puissant génie : « Je n'ai fait que ce qu'aurait fait tout autre by a patient way of thinking. »

Mais la toile va être levée, et nous allons de nouveau battre des mains au triomphateur.

Eheu, quantus equis, quantus adest viris
Sudor! quanta moves funera Austriacae
Genti! jam galeam Federicus et aegida
Currusque et rabiem parat.129-a

Je suis avec le plus profond respect, etc.

P. S. J'espère que V. M. aura reçu les boutargues qui sont élevées à assaisonner sa table militaire.

116. AU COMTE ALGAROTTI.

Grüssau, 18 avril 1758.

Je vous suis très-obligé de la boutargue que vous m'avez envoyée; et comme je ne puis vous envoyer ni production ni fruit de ce pays-ci, je vous envoie, au lieu de votre boutargue, deux petites nouvelles. L'une est que les Français ont été chassés au delà du Rhin avec une perte de trente-trois mille hommes; la seconde, que Schweidnitz est rendu, que l'on y a fait deux cent cinquante officiers prisonniers et quatre mille deux cents hommes. Si vous vous contentez de nouvelles, vous n'avez qu'à envoyer de la boutargue, et on vous donnera<130> du nouveau des environs d'ici. D'ailleurs, je prie le Seigneur Dieu qu'il vous conserve dans sa sainte garde.

117. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 septembre 1758.



Sire,

Votre Majesté confirme de plus en plus les droits incontestables qu'elle a au titre de great and infatigable, que lui a décerné la nation la plus éclairée de l'univers. Y a-t-il rien de plus éclatant que la victoire que V. M. vient de remporter sur les Russes? A quelle paix, Sire, ne devez-vous pas vous attendre? Mais sera-t-elle jamais si glorieuse, qu'elle puisse figurer, Sire, avec vos exploits? A ce compte-là, l'Europe entière serait encore un faible partage pour V. M. Je vous vois, Sire, revenir comme la foudre vers l'occident. Je vois M. Daun se replier sur la Bohême, et MM. les Suédois rester tout perclus sur les bords de la Peene. Le prince de Brunswic ne dément pas, Sire, votre école, et les Anglais, animés par vous, reprennent leur ancienne valeur. Le grand jour approche; que la paix mette le comble à l'apothéose de V. M.

<131>

118. AU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 6 novembre 1758.

La lettre que vous m'avez écrite m'est parvenue par de longs détours, et nos courses ont été si rapides et si continuelles, que je n'ai pu trouver qu'à présent un instant pour vous répondre. Je vous suis obligé de la part que vous prenez à la bataille de Zorndorf. Il y a eu, depuis, bien des événements. Cependant, malgré tant de destinées diverses, la fin de la campagne a tourné de la façon dont vous l'aviez prévu. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

119. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 5 décembre 1758.



Sire,

Annibal a vaincu Marcellus et Fabius. Jamais plus belle guerre n'a été jouée. Il me semble, Sire, s'il est permis aux mortels de raisonner sur les beaux faits des dieux, que l'affaire de Hochkirch est encore plus glorieuse pour V. M. et pour les troupes que V. M. a su former que la victoire même de Zorndorf. C'est grand dommage qu'une aussi glorieuse journée ait été marquée par la mort de tant de braves gens, et surtout du maréchal Keith. Je suis bien sûr que V. M. l'aura honoré de ses larmes. Mais quoi de plus beau, Sire, que la fin de la campagne? Dans le temps que ses ennemis nourrissaient the most sanguine hopes, comme l'expriment les bons amis de V. M., voilà que, par les marches les plus savantes et les mieux concertées, par le plus<132> beau contrapunto de la guerre, V. M. a fait tout d'un coup aller en fumée tous leurs beaux projets; et même elle leur fait sentir de nouveau la pesanteur du corps prussien. Permettez-moi, Sire, d'applaudir à ces nouveaux triomphes, comme j'ai pris la liberté d'applaudir à celui que V. M. a obtenu contre les Russes. Dans la grande journée de Zorndorf, qui sera chantée par la voix du temps, V. M. a entrelacé les lauriers de Henri IV à ceux de Louis XII; elle a joint au titre de Henri celui de Père de la patrie.

120. AU COMTE ALGAROTTI.

Breslau, 4 janvier 1759.

Je ne mérite pas toutes les louanges que vous me donnez; nous nous sommes tirés d'affaire par des à peu près. Mais, avec la multitude de monde auquel il faut nous opposer, il est presque impossible de faire davantage. Nous avons été vaincus, et nous pouvons dire comme François Ier : Tout a été perdu, hors l'honneur. Vous avez grande raison de regretter le maréchal Keith; c'est une perte pour l'armée et pour la société. Daun avait

............................ saisi l'avantage
D'une nuit qui laissait peu de place au courage.132-a

Mais, malgré tout cela, nous sommes encore debout, et nous nous préparons à de nouveaux événements. Peut-être que le Turc, plus chrétien que les puissances catholiques et apostoliques, ne voudra pas que des brigands politiques se donnent les airs de conspirer contre<133> un prince qu'ils ont offensé, et qui ne leur a rien fait. Vivez heureux à Padoue, et priez pour des malheureux apparemment damnés de Dieu, parce qu'ils sont obligés de guerroyer toujours. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

121. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 20 février 1759.



Sire,

Tandis que Votre Majesté ouvre le plus grand théâtre militaire, on ne songe, dans cette partie de l'Italie, qu'au théâtre de la comédie et de l'opéra. On a projeté, à Parme, de prendre ce qu'il y a de bon dans l'opéra français, de le mêler au chant italien, et de donner des spectacles dans le goût de ceux qui ont fait tant de plaisir dans le théâtre de Berlin. Comme j'ai publié, il y a quelques années, maintes réflexions là-dessus, l'on a souhaité que je visse le plan qu'ils se proposaient de suivre. L'infant Don Philippe m'a fait inviter, et j'ai passé quelques jours à la cour de Parme. J'ai été extrêmement flatté d'y paraître comme le serviteur le plus attaché au plus grand prince, qui voit l'Europe réunie pour le combattre et l'admirer. J'ai bien entendu, Sire, le nom prussien célébré par des bouches françaises. L'admiration que l'on a pour V. M. est égale à la façon dont vous avez su vaincre et traiter les vaincus; elle est égale à ces hauts faits en tout genre qui seront à jamais la leçon des siècles à venir. Je suis bien assuré, Sire, que V. M. va, de cette campagne, casser l'arrêt qui semblait l'avoir condamné, comme dit V. M., à guerroyer toujours. Ce que vous avez fait exécuter, Sire, pendant l'hiver, est un bon garant<134> de ce que V. M. fera pendant l'été. Elle va couronner de la façon la plus décisive et la plus glorieuse ses nobles et longs travaux. Je prends la liberté, Sire, d'envoyer à V. M. quelques boutargues pour ses entremets de campagne, et suis avec le plus profond respect, etc.

122. AU COMTE ALGAROTTI.

Rohnstock, 28 mars 1759.

Si l'arrêt doit être cassé, ce sera un bien pour tout le monde; il n'y a certainement point de plaisir à guerroyer toujours. Vos opéras valent mieux que les tragédies sanglantes qu'on joue ici; mais peut-être seront-ils changés en des scènes lugubres, et votre pays, qui a été si souvent l'objet de l'ambition de tant de princes, deviendra le théâtre de spectacles moins riants que ceux de vos comédies. Je vous remercie de vos boutargues, que je recevrai avec plaisir. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

123. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 12 février 1760.



Sire,

Si tu, Imperator maxime, exercitusque valetis, bene est. La fortune aura bien de quoi rougir de ne pas avoir secondé, pendant cette campagne, les plus beaux desseins que jamais on ait formés à la tête<135> des armées. Mais la longanimité de V. M., cette vertu première de ses bons amis les Romains, forcera tous les obstacles, et saura bien assujettir la fortune à la valeur. Je fais seulement les vœux les plus ardents pour que la santé du corps de V. M. égale l'activité de sa grande âme. V. M. nous fait voir ce qu'on ne croyait pas possible à la guerre, et le siècle aura l'obligation à V. M. de l'époque la plus brillante et la plus glorieuse qui soit enregistrée dans les annales du genre humain.

124. AU COMTE ALGAROTTI.

Freyberg, 10 mars 1760.

Il est certain que nous n'avons eu que des malheurs la campagne passée, et que nous nous sommes trouvés à peu près dans la situation des Romains après la bataille de Cannes. L'on aurait pu appliquer de même aux ennemis ce mot de Barca135-a à Annibal : « Tu sais vaincre, etc. » Par malheur pour moi, j'avais un fort accès de goutte à la fin de la campagne, qui m'avait entamé les deux jambes et la main gauche; tout ce que j'ai pu faire a été de me traîner pour être le spectateur de nos désastres. Il faut l'avouer, nous avons un monde prodigieux contre nous; il faut les derniers efforts pour y résister, et il ne faut pas s'étonner si souvent nous souffrons quelque échec. Le Juif errant, s'il a jamais existé, n'a pas mené une vie si errante que la mienne. On devient à la fin comme ces comédiens de campagne qui n'ont ni feu ni lieu; et nous courons le inonde, représenter nos<136> sanglantes tragédies où il plaît à nos ennemis d'en fournir le théâtre. Je vous suis très-obligé de la boutargue que vous m'avez envoyée; elle a été mangée par les troupes des cercles, peut-être par celles de Mayence, que l'Arioste avait prises en aversion. Cette campagne vient d'abîmer la Saxe. J'avais ménagé ce beau pays autant que la fortune me l'avait permis; mais à présent la désolation est partout, et, sans parler du mal moral que cette guerre pourra faire, le mal physique ne sera pas moindre, et nous l'échapperons belle, si la peste ne s'ensuit pas. Misérables fous que nous sommes, qui n'avons qu'un moment à vivre, nous nous rendons ce moment le plus dur que nous pouvons, nous nous plaisons à détruire des chefs-d'œuvre de l'industrie et du temps, et de laisser une mémoire odieuse de nos ravages et des calamités qu'ils ont causées! Vous vivez à présent tranquillement dans une terre qui a été longtemps le théâtre de pareils désastres, et qui le redeviendra avec le temps; jouissez de ce repos, et n'oubliez pas ceux contre qui votre pape a publié une espèce de croisade, et qui sont dans les convulsions de l'inquiétude et dans les illustres embarras des grandes affaires. Sur quoi je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

125. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 9 septembre 1760.



Sire,

Tandis que chacun, Sire, s'arrache des mains vos poésies, et vous admire dans son cabinet, il admire encore davantage V. M. lorsque, en sortant de chez lui, il apprend vos marches admirables et la mé<137>morable journée que vous venez de gagner contre ce Loudon137-a qui était l'Achille d'entre vos ennemis. Si Caesar foro tantum vacasset,137-b il aurait été le plus éloquent des Romains. V. M. aurait été le premier poëte de l'Europe, si elle n'avait pas dû être le premier des hommes.

126. DU MÊME.

Bologne, 1er décembre 1760.



Sire,

Les brouillards autrichiens se sont bientôt dissipés. La vérité a percé, et nous avons su que V. M., après les marches les plus rapides et les plus savantes manœuvres, a remporté près de Torgau la plus glorieuse victoire et la plus féconde en conséquences. Vincere et victoria uti scis. Après avoir si bien battu Loudon, il ne restait à V. M. que de défaire le maréchal Daun, qui mandait avoir remporté une victoire complète, tandis que la bataille n'était pas encore finie. Vos ennemis sont défaits ou muets. Terra siluit in conspectu ejus.137-c

Je ne doute pas que V. M. ne reçoive celle-ci dans Dresde, et je doute fort que M. de Broglie veuille attendre une harangue de vos grenadiers dans l'université de Göttingen. Ainsi ce héros qui a réveillé les Anglais par la victoire de Rossbach les tranquillisera sur Hanovre par celle de Torgau.

J'ai appris avec douleur que vos ennemis, Sire, qui ne peuvent pas battre vos troupes, s'en vengent sur vos statues. Mais j'ai frémi<138> en lisant qu'un coup de feu avait .......138-a Puisse le Dieu des armées conserver toujours une vie si nécessaire à la gloire de l'humanité et au bien de l'univers!

127. AU COMTE ALGAROTTI.

Meissen, 30 décembre 1760.

Je vous remercie de votre lettre obligeante et de la part que vous avez prise à notre victoire de Torgau. Le succès de cette bataille aurait été plus brillant encore, si mon armée avait pu aller aussi rapidement que votre imagination; j'aurais eu Dresde. Trois ou quatre heures de différence m'ont fait manquer cette ville. Je ne puis rien vous dire sur ce qui arrivera chez le prince Ferdinand; la saison, les mauvais chemins empêchent d'agir, et il n'est pas possible de pouvoir traîner, dans ces terrains si rompus, des chariots et des canons. Vous êtes heureux de ne point connaître tous ces embarras. Profitez de votre bonheur, et jouissez à Bologne d'autant de tranquillité que nous avons ici de bruit et de tumulte. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<139>

128. DU COMTE ALGAROTTI.

Bologne, 10 février 1761.



Sire,

J'espère que Votre Majesté recevra dans peu des boutargues et une Vie d'Horace. Je me flatte, Sire, que les boutargues réussiront, et je voudrais bien qu'il en fût de même de mon Horace. S'il peut amuser V. M. pendant quelques quarts d'heure,

Cum tot sustineas et tanta negotia solus,139-a

je crois qu'il ressemble un peu à l'ancien, qui avait aussi le bonheur d'amuser les premiers personnages de son temps. Ces messieurs, pourtant, malgré le bruit qu'ils font encore, et malgré le précieux vernis que leur donnent tant de siècles, n'en déplaise, Sire, à votre modestie et à votre érudition, ne valurent pas assurément Federic. On doit être, Sire, à genoux devant V. M., autant par les bienfaits dont vous comblez vos peuples que par les exploits de votre bras victorieux, qui sait si bien les défendre de tant d'ennemis.

Qui sauve sa patrie est un dieu sur la terre.139-b

Je suis avec le plus profond respect, etc.

<140>

129. M. DE CATT AU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, quartier général, 3 février 1761.



Monsieur,

Le Roi m'a ordonné de vous remercier du livre et de la boutargue que vous lui avez envoyés. Je suis charmé d'avoir cette occasion de faire la connaissance d'une personne si distinguée par ses talents et par son mérite, et de vous assurer de l'estime parfaite avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

130. DU MÊME.

Leipzig, 10 mars 1761.



Monsieur,

Sa Majesté a reçu l'Horace que vous lui avez envoyé; elle vous en remercie. Elle m'ordonne de vous dire que vous avez bien prophétisé l'aventure des Français, qui est arrivée à peu près dans le temps marqué, mais qu'elle aurait mieux aimé qu'on n'eût pas pensé qu'elle pût avoir lieu, et que, quoique l'affaire ait bien réussi, cependant la tâche pour cette campagne sera encore bien pénible.

J'ai l'honneur d'être avec toute la considération possible, etc.

<141>

131. LE COMTE ALGAROTTI A M. DE CATT.

Bologne, 11 avril141-a 1761.



Monsieur,

Je réponds à deux lettres dont vous m'avez honoré, monsieur, de la part de S. M. presque en même temps. Je voudrais bien qu'Horace, militiae quanquam piger et malus,141-b fît un peu ma cour au plus grand d'entre les héros. La tâche de la campagne prochaine sera sans doute pénible; mais il faut de vrais miracles pour les véritables apothéoses, et le Roi continuera à en faire. Je prends la liberté de joindre une lettre au Roi du père Martini, auteur de l'Histoire de la musique, que S. M. devrait avoir reçue à l'heure qu'il est. Je le crois digne de présenter son travail au Roi, parce qu'il est estimé de M. Quantz,141-c et que, au milieu de la corruption moderne, il conserve dans ses compositions la dignité de l'ancienne musique.

Je suis charmé, monsieur, d'avoir une pareille occasion de vous dire combien je me félicite de pouvoir vous marquer l'estime parfaite avec laquelle j'ai l'honneur, etc.

<142>

132. M. DE CATT AU COMTE ALGAROTTI.

Strehlen, quartier général, 3 octobre 1761.



Monsieur,

La lettre dont vous m'avez honoré le 21 d'avril m'est parvenue sur la fin du mois de juin, et, depuis, il n'a pas été possible de faire passer la moindre chose. Je saisis cet instant pour vous dire que l'Horace a fait beaucoup de plaisir, et qu'on m'a chargé de vous en faire bien des remercîments. J'ai remis l'ouvrage de M. Martini; la réponse que j'ai faite a dû parvenir, si on ne l'a pas interceptée.

Vous avez bien jugé que cette campagne serait pénible. S. M., sans cesse occupée, a passé toutes les nuits sur une redoute, depuis le 26 août jusqu'au 10 septembre. Les Russes et les Autrichiens combinés avaient au moins cent trente-trois bataillons et au delà de deux cent quarante escadrons. S. M., par ses précautions et sa contenance, les a forcés de ne rien entreprendre. J'avoue que je serai ravi de voir la fin de tant de scènes douloureuses. Si elles durent encore, la famine et la peste détruiront les malheureux restes que la guerre aura épargnés. Jouissez, monsieur, de votre bonheur, et faites des vœux pour que tous ces fléaux finissent.

Je ne saurais vous exprimer combien je suis flatté d'avoir quelque part dans votre estime; rien ne pourrait égaler le plaisir que j'en ressens que celui de vous connaître personnellement et de vous assurer de l'estime distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

<143>

133. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 5 novembre 1762.



Sire,

Ce n'est pas, Sire, un des exploits les moins glorieux de Votre Majesté que la prise de Schweidnitz. N'avoir rien changé dans le plan de la campagne, nonobstant le départ des Russes; avoir mis le siége devant cette importante place; avoir voulu à discrétion le corps d'armée qui la défendait, et l'avoir eu, et cela, en présence d'un ennemi fort et nombreux qui en avait tenté le secours, c'est l'effet d'un calcul militaire le plus juste et le plus profond. J'en félicite V. M. du bord occidental de la Toscane; ad mare descendit vates tuus.143-a L'état faible de ma santé et une toux très-opiniâtre m'ont forcé d'abandonner le climat froid et inconstant d'au delà l'Apennin pour chercher l'air doux et tempéré de ce côté-ci. On ne connaît presque point ici le souffle du nord, les hivers sont des printemps, et on y voit croître en plein air l'arbore vittoriosa e trionfale dont V. M. s'est couronnée tant de fois.

134. AU COMTE ALGAROTTI.

Leipzig, 9 décembre 1762.

J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez écrite, et ce que vous m'y dites de votre santé affaiblie me fait de la peine. J'espère que l'air doux que vous respirez la rétablira entièrement. Le climat où nous<144> sommes ne ressemble point au vôtre. Mais nous ne sommes pas si délicats; les fatigues qui renaissent sans cesse endurcissent. Mais, si j'avais le choix, j'avoue que je préférerais d'être le spectateur de ces scènes dont je suis acteur bien malgré moi. Tranquille dans ce beau pays que vous habitez, et dans le sein de la paix qui a toujours été l'objet de mes vœux, jouissez de votre bonheur et du repos, et n'allez pas sous ces arbres triomphaux rassembler un concile pour nous excommunier. Priez-y plutôt pour que l'on se joigne à mes vœux, et que l'on fasse cesser les calamités qui affligent l'humanité depuis si longtemps. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

135. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 11 mars 1763.



Sire,

Les vœux de l'humanité et les vôtres sont exaucés. Je félicite Votre Majesté sur sa modération dans le sein de la victoire, et de ce qu'elle va cultiver des lauriers qui ne seront point arrosés par le sang. Oserais-je percer dans le repos glorieux de V. M.? Après avoir ranimé l'industrie et les arts, je vois cette main qui a donné tant de batailles les consacrer à l'immortalité. Ces divinités militaires, les Scipion, les César, les Alexandre, qui ont eu jusqu'à présent notre adoration, ne l'ont pas, ce me semble, trop chèrement achetée : ils n'avaient qu'un seul ennemi en tête, et encore quelquefois quel ennemi! V. M. a eu pendant six années en tête et à dos l'Europe presque entière, entourée par des armées toujours supérieures en nombre et presque égales en discipline. Il n'y avait que V. M. qui pût soutenir la guerre<145> qu'elle vient de terminer par cette glorieuse paix; il n'y a qu'elle qui puisse l'écrire. Eodem animo dixit quo bellavit. Serai-je assez heureux pour parvenir un jour à lire ce livre, la gloire du siècle, qui contiendra les plus beaux fastes de notre espèce? C'est alors que je dirai : Nunc dimittis servum, etc., quia viderunt oculi mei, etc.145-a

136. AU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 14 avril 1763.

Je vous remercie de la part que vous prenez à la paix que nous avons conclue. Faites aussi bien la vôtre avec vos poumons que nous avons fait la nôtre avec les Autrichiens; je l'apprendrai avec plaisir. J'aimerais mieux que vous fussiez à Pise pour autre chose que pour y soigner votre santé, comme dit la chanson du pape. Vous obligera-t-elle de renoncer à l'Allemagne et aux climats hyperboréens? Quoi qu'il en soit, je vous souhaite beaucoup de bonheur.

Les faits arrivés dans cette guerre ne méritent guère la peine de passer à la postérité. Je ne me crois ni assez bon général pour qu'on écrive mon histoire, ni assez bon historien pour publier des ouvrages. Je n'ai eu que trop de regret à voir paraître des pièces que je n'avais travaillées que pour moi, et que la méchanceté et la perfidie d'un malheureux a publiées, en les altérant;145-b mais vous en aurez été déjà assez informé. Je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

<146>

137. DU COMTE ALGAROTTI.

Pise, 9 mars 1764.



Sire,

La récolte, Sire, a été si mauvaise en tout genre, cette année, dans les pays méridionaux, qu'il semble que les boutargues s'en soient ressenties aussi. J'ai pris la liberté, Sire, d'en faire envoyer à V. M. une douzaine. Mais je dois lui demander le plus humblement pardon, si elles ne se présentent pas devant V. M. avec une taille aussi avantageuse qu'à l'ordinaire.

Pouvais-je au moins, Sire, me présenter, moi malingre! Mais, depuis quatre mois, je n'ai eu qu'un petit intervalle de santé dans le peu de temps que M. le comte de Woronzow a passé ici, à Pise. J'en ai profité, Sire, pour voir un homme qui est si fort attaché à V. M., qui a pour elle les sentiments de la plus haute admiration. Il est tout simple que ceux qui sont le plus au fait des affaires, et voient les choses de plus près, admirent le plus V. M., comme les anges et les archanges, qui approchent la Divinité, en connaissent les perfections infiniment mieux que nous autres chétifs mortels.

Je suis avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
le plus humble et le plus obéissant serviteur,
Algarotti.146-a

<147>

138. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 1er juin 1764.

J'ai jugé de l'état de votre santé par la lettre que vous m'avez écrite. Cette main tremblante m'a surpris, et m'a fait une peine infinie. Puissiez-vous vous remettre bientôt! Avec quel plaisir j'apprendrais cette bonne nouvelle! Quoique les médecins de ce pays n'en sachent pas plus long que les vôtres pour prolonger la vie des hommes, un de nos esculapes vient cependant de guérir un étique attaqué des poumons bien plus violemment que ne l'était Maupertuis lorsque vous l'avez vu ici. Vous me ferez plaisir de m'envoyer votre statum morbi pour voir si la consultation de ce médecin ne pourrait pas vous être de quelque secours. Je compterais pour un des moments les plus agréables de ma vie celui où je pourrais vous procurer le rétablissement de votre santé. Je désire de tout mon cœur qu'elle soit bientôt assez forte pour que vous puissiez revenir dans ce pays-ci. Je vous montrerai alors une collection que j'ai faite de tableaux de vos compatriotes. Je dis à leur égard et à celui des peintres français ce que Boileau disait des poëtes :

Jeune, j'aimais Ovide; vieux, j'estime Virgile.147-a

<148>Je vous suis bien obligé de la part que vous prenez à ce qui me regarde, et du tableau de Pesne que vous m'offrez.148-a J'attends à en savoir le prix pour vous marquer où vous pourrez le faire remettre. Au reste, soyez persuadé que la nouvelle la plus agréable pour moi sera d'apprendre par vous-même que vous êtes tout à fait rétabli. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

139. AU CHEVALIER LORENZO GUAZZESI, A PISE.

Potsdam, 12 juin 1764.

C'est avec bien des regrets que j'ai appris par votre lettre la mort du comte Algarotti. Quoique la main tremblante de sa dernière lettre m'eût inquiété, j'espérais cependant qu'il se remettrait, et que j'aurais encore le plaisir de le voir ici.

Désirant de laisser un souvenir de l'estime que j'avais pour votre ami, je vous prie de faire élever sur sa tombe une pierre de marbre avec cette inscription :

HIC JACET
OVIDII AEMULUS
ET
NEUTONI DISCIPULUS.

Vous m'enverrez le compte de ce que vous aurez déboursé à ce<149> sujet, en m'indiquant où je dois ordonner qu'on vous en fasse tenir le montant. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

<150><151>

II. LETTRE DE FRÉDÉRIC A LA VEUVE DU GENERAL DE FORCADE. (10 AVRIL 1765.)[Titelblatt]

<152><153>

A LA VEUVE DU GÉNÉRAL DE FORCADE.

(10 avril 1765.)

Je profite du premier moment de ma convalescence pour vous faire connaître la part que je prends à la perte que vous avez éprouvée, et ce que je veux faire pour soulager votre juste douleur. Je vous donne une première pension de cinq cents écus pour les longs et fidèles services que m'a rendus votre époux, une seconde de pareille somme en considération de votre heureuse fécondité, et une troisième, également de cinq cents écus, pour vous aider à élever vos enfants. Je n'ai plus qu'à vous recommander de faire en sorte qu'ils marchent sur les traces de leur père.

<154><155>

III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC MADAME DE CAMAS (2 AOUT 1744 - 17 OU 18 NOVEMBRE 1765.)[Titelblatt]

<156><157>

1. A MADAME DE CAMAS.

(Potsdam) 2 août 1744.



Ma bonne maman,

Je vous rends mille grâces de ce que vous voulez partager avec moi les soins de l'amitié. Je vous en aime mille fois davantage. Vous saurez ce qui s'est passé ici. Jamais je ne me suis tiré d'un plus grand embarras. Le pauvre Rottembourg a pensé mourir d'une inflammation aux reins; mais je le crois d'aujourd'hui hors d'affaire. Adieu, ma bonne maman; n'oubliez pas un ami avec lequel on joue au roi dépouillé.

Federic.

2. A LA MÊME.

Au camp devant Prague, 12 septembre 1744.

Nous venons d'avoir le triste cas que le prince Guillaume, frère du margrave Charles, a été tué d'un coup de canon qui sortit par hasard de la ville de Prague. Comme il importe extrêmement que S. M. la Reine douairière ne soit informée de cet accident que de la manière la moins frappante dont il soit possible, et qu'elle ne sache d'autres circonstances de la mort de ce pauvre prince, sinon qu'il a été commandé lorsque les tranchées devant la ville ont été ouvertes, vous<158> prendrez vos mesures là-dessus, et vous concerterez préalablement avec le comte de Podewils, afin que l'on n'en parle à la Reine douairière qu'en ce sens-là. Et sur cela, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

158-aJe tremble que l'on ne fasse un conte à ma mère, qui trouble sa tranquillité. Je vous conjure, par tout ce que je puis conjurer, d'écarter de son esprit toute idée sinistre, afin que je la revoie contente et en bonne santé. Mes frères, grâce à Dieu, et moi, nous nous portons à merveille, et la ville sera prise dans deux jours.

Federic.

3. A LA MÊME.

Camp de Wotitz, 25 septembre 1744.

Je suis charmé d'avoir vu par votre lettre avec combien de précaution vous avez insinué à S. M. la Reine douairière la mort du digne prince Guillaume. C'est donc à vos soins que l'adoucissement de cette affligeante nouvelle est dû, ce dont je vous remercie de bien bon cœur, étant au reste

Votre affectionné roi.



158-aMa bonne maman Camas,

Vous êtes la meilleure personne du monde. Je vous embrasse de tout mon cœur pour les soins que vous prenez de ma chère mère; je vous prie de continuer de même, et de ne vous point inquiéter sur<159> le sort d'un individu qui n'a d'autre mérite que de vous être entièrement attaché.

4. A LA MÊME.

Ce 10 (juin 1745).



Ma bonne maman Camas,

J'ai été bien aise de n'avoir pas eu besoin d'implorer vos bons offices pour cette fois.159-a Nous avons été plus heureux que sages, et nous n'osons pas presque nous présenter devant une gouvernante aussi respectable que vous. Je vous rends grâce du fond de mon cœur de la part sincère que vous prenez au succès de mon armée; tout l'État y était intéressé. Pour le coup, il fallait ou vaincre, ou périr. Le bon Dieu a pris notre protection visiblement, et c'est à la Providence et à la multitude de bons et de braves officiers que je dois toute ma fortune. Truchsess est mort; le colonel de Massow de Hacke, Schwerin des gardes, et Hobeck de Bevern.159-b La blessure de Buddenbrock se trouve légère, et il en réchappera beaucoup de ceux que l'on avait jugés perdus du commencement. Adieu, ma bonne maman. Nous allons courir encore la pretantaine pendant une huitaine de jours; après cela, il y a espérance que le bon sens nous reviendra. Daignez m'en faire une provision, car vous autres gens de Berlin en avez toujours à revendre. Je suis avec bien de l'estime

Votre très-fidèle ami,
Federic.

<160>

5. A LA MÊME.

Camp de Chlum, 27 juillet 1745.



Ma chère maman Camas,

Si tout le monde portait le bon sens en croupe, comme vous l'avez sous votre coiffure, on ne verrait point arriver dans le monde autant de folies qu'il s'en fait. Je connais madame de B..... trop bien pour ne point rendre justice à ses mérites, en blâmant la légèreté de ses résolutions. Hélas! vous me dites des choses plus flatteuses que je ne mérite. Je vous prie de m'envoyer toute votre sagesse par le premier courrier, car j'en ai bien besoin dans la situation où je me trouve, et peut-être que ce n'est point à moi à relever dans madame de B..... un défaut dont je puis me trouver coupable moi-même. Nous sommes ici à nous regarder comme des imbéciles, et je vous assure, madame, que vous auriez pitié de la ridicule figure que deux grandes armées font vis-à-vis l'une de l'autre, si vous le voyiez. Nous autres ferrailleurs, nous tournons nos yeux sur Berlin, comme les juifs vers la sainte Sion. Pour mon particulier, je flatte agréablement mon imagination en laissant régner dans mon esprit la douce idée de mes parents, de mes amis et de tant de personnes qui me sont chères à Berlin. C'est à présent le temps de nous rendre dignes de nous divertir cet hiver avec eux de bon cœur, et de nous procurer à tous cette tranquillité d'esprit si nécessaire pour goûter le plaisir. Adieu, ma chère maman; conservez-nous à tous une mère dont vous savez à quel point nous l'adorons, et, lorsque vous faites vos nœuds pendant le silence de vos perroquets, le calme de l'Académie et le sommeil de vos chiens, donnez quelques-unes de vos pensées perdues à vos amis absents, à la tête desquels je prie de me compter.

Federic.

<161>

6. A LA MÊME.

Quartier de Chlum, 12 août 1745.



Ma chère maman Camas,

Il me prend un tendre pour votre correspondance, qui m'empêche de laisser la chose en si bon train. Vous ne trouverez donc pas mauvais que je réponde à votre lettre, sauf de vous interrompre dans le cercle brillant de vos plaisirs champêtres. Je ne sais encore quand et comment nous nous verrons, et tout ce que je puis souhaiter n'y contribue pas beaucoup. Vous devez savoir, mesdames, que ceux qui ont le malheur d'être des politiques se voient si fort assujettis au mouvement général des événements, qu'ils sont obligés de suivre l'impression que le tourbillon fait sur eux. Tout ce que je puis assurer, c'est que je ne serai point fâché de revoir mes pénates, mes parents et mes amis. Ce sont des sentiments que l'on ne doit pas avoir honte d'avouer. Je m'en fais gloire, comme de ceux de l'estime parfaite avec laquelle je vous prie de me compter au nombre de vos bons amis.

Federic.

7. A LA MÊME.

Camp de Semonitz, 30 août 1745.



Madame,

La dernière fois que je vous écrivis, j'avais l'âme bien tranquille, et je ne prévoyais pas le malheur qui allait m'accabler. J'ai perdu en<162> moins de trois mois mes deux plus fidèles amis,162-a des gens avec lesquels j'ai toujours vécu, et dont la douceur de la société, la qualité d'honnête homme, et la véritable amitié que j'avais pour eux, m'ont souvent aidé à vaincre des chagrins et à supporter des maladies. Vous jugez bien qu'il est difficile pour un cœur né sensible comme le mien d'étouffer la douleur profonde que cette perte me cause. Je me trouverai, à mon retour à Berlin, presque étranger dans ma propre patrie et, pour ainsi dire, isolé parmi mes pénates. Je parle à une personne qui a donné des marques de fermeté, en perdant, aussi presque tout d'un coup, tant de personnes qui lui étaient chères; mais, madame, j'avoue que j'admire votre courage sans pouvoir encore l'imiter. Je ne mets mon espérance que dans le temps, qui vient à bout de tout ce qu'il y a dans la nature, et qui commence par affaiblir les impressions de notre cerveau pour nous détruire ensuite nous-mêmes.

Je me faisais un objet de joie de mon retour; maintenant je crains Berlin, Charlottenbourg, Potsdam, en un mot, tous les endroits qui me fourniront un funeste souvenir d'amis que j'ai perdus pour jamais. Soyez tranquilles à Berlin; à moins de grands revers, qu'il est impossible de prévoir, je ne vois pas l'ombre de danger, et si le sort n'a pas résolu de nous abîmer, je ne vois point ce qu'il y a à craindre. Je suis, madame, avec la plus sincère estime


Votre très-fidèle ami,
Federic.

<163>

8. A LA MÊME.

(Semonitz) 10 septembre 1745.



Madame,

Vous savez que j'ai perdu un ami que j'aimais autant que moi-même, et dont je vénère encore la mémoire. Je vous prie, par tous les motifs de l'estime que j'ai pour vous, de servir, avec Knobelsdorff, de tutrice à la pauvre Adélaïde,163-a tant pour avoir soin de sa santé et de son jeune âge que de son éducation lorsque le temps en sera. Vous connaissez la grand' mère, et savez qu'elle n'est pas capable d'élever une fille. Comme je désire que celle-ci soit digne de son père, je demande de l'amitié que vous m'avez toujours témoignée que vous preniez ce reste de mon cher Keyserlingk sous votre protection, et que, à présent et dans un âge plus mûr, vous assistiez la mère de vos conseils et la fille de vos soins. Je regarderai cette attention comme si vous l'aviez pour moi-même, et si quelque chose se peut ajouter à l'estime que j'ai pour vous, soyez sûre que ce choix que je fais de vous, et l'assurance que j'ai que vous l'accepterez, vous fera regarder de moi avec encore plus de considération que jamais. Comme vous n'avez presque plus de parents, j'espère que votre bon cœur ne se refusera pas à ce que je lui demande avec la dernière instance et comme une chose qui pourra véritablement me soulager dans mon affliction. Je suis avec toute l'estime possible

Votre fidèle ami,
Federic.

<164>

9. A LA MÊME.

Camp de Semonitz, 13 septembre 1745.



Madame,

Je vois bien que l'humanité se ressemble toute part, et que les mêmes causes opèrent à peu près les mêmes effets sur des corps organisés comme les nôtres. Mais, madame, ne vous imaginez point que l'embarras des affaires et des conjonctures critiques puisse distraire de la tristesse. Je puis dire par expérience que c'est un mauvais remède. Il y a par malheur aujourd'hui quatre semaines de la cause de mes larmes et de mon affliction;164-a mais, depuis la véhémence des premiers jours, je ne me sens ni moins triste ni plus consolé que je l'étais. Enfin, pourquoi vous entretenir, madame, de ma tristesse, comme si j'avais le dessein de vous la communiquer? Suffit que je porte ma peine comme je le puis. Je ne sais point qui peut avoir divulgué le bruit de mon prochain retour; pour moi, j'en ignore entièrement le terme, et, à vous dire le vrai, je ne m'y attends qu'à la fin de novembre ou au commencement de décembre. Je vous prie de ne point oublier la prière que je vous ai faite dans ma dernière lettre, et que je réitère encore avec vivacité, vous priant de me croire avec bien de l'estime

Votre fidèle ami,
Federic.

<165>

10. A LA MÊME.

Camp de Trautenau, 11 octobre 1745.



Ma bonne maman,

Je n'ai jamais douté de la part que vous prenez à tout le bien qui arrive à l'État, pour vous avoir pu croire insensible à la journée du 30.165-a Ma réputation est en vérité la moindre chose dans une occasion où il s'agit des vengeurs de l'État. Tout ce qui me flatte de cette victoire, c'est d'avoir pu contribuer en quelque chose à la conservation de tant de braves gens qui étaient perdus sans une prompte résolution et une manœuvre hardie que je leur ai fait faire. Voilà, ma chère maman, à quoi je suis sensible. Mais ne pensez pas que je voudrais faire blesser le moindre de mes soldats par vanité ou pour acquérir une fausse gloire dont je suis tout détrompé. J'espère d'être à Berlin le 3 du mois de novembre; notre campagne a grand air d'être finie. N'oubliez pas vos amis dans ce petit période, et que j'aie la consolation, à mon retour, de vous trouver en bonne santé et de vous assurer de vive voix de l'estime avec laquelle je serai toujours

Votre fidèle ami,
Federic.

11. A LA MÊME.

Neustadt, 18 novembre 1760.

Je suis exact à vous répondre et empressé à vous satisfaire; vous aurez un déjeuner, ma bonne maman, de six tasses à café bien jolies,<166> bien diaprées, et accompagnées de tous les petits enjolivements qui en relèvent le prix. Quelques pièces que l'on y ajoute en retarderont l'envoi de quelques jours; mais je me flatte que ce délai contribuera à votre satisfaction, en vous procurant un joujou qui, en vous plaisant, vous fera souvenir de votre vieil adorateur.

Il est singulier comme l'âge se rencontre. Depuis quatre ans j'ai renoncé aux soupers, comme incompatibles avec le métier que je suis obligé de faire; et, les jours de marche, mon dîner consiste dans une tasse de chocolat.

Nous avons couru comme des fous, tout enflés de notre victoire, essayer si nous pouvions chasser les Autrichiens de Dresde; ils se sont moqués de nous du haut de leurs montagnes; je suis revenu sur mes pas, comme un petit garçon, me cacher de dépit dans un des plus maudits villages de la Saxe. A présent il faut chasser de Freyberg et de Chemnitz MM. les cercles,166-a pour avoir de quoi vivre et nous placer. C'est, je vous jure, une chienne de vie, que, excepté Don Quichotte, personne n'a menée que moi. Tout ce train, tout ce désordre qui ne finit point, m'a si fort vieilli, que vous aurez peine à me reconnaître. Du côté droit de la tête, les cheveux me sont tout gris; mes dents se cassent et me tombent; j'ai le visage ridé comme les falbalas d'une jupe, le dos voûté comme un archet, et l'esprit triste et abattu comme un moine de la Trappe. Je vous préviens sur tout cela, afin que, en cas que nous nous voyions encore en chair et en os, vous ne vous trouviez pas trop choquée de ma figure. Il ne me reste que le cœur, qui n'est point changé, et qui conservera, autant que je respirerai, les sentiments d'estime et d'une tendre amitié pour ma bonne maman. Adieu.

Federic.

<167>

12. DE MADAME DE CAMAS.

Magdebourg, 25 avril 1761.



Sire,

M. le comte de Finckenstein me demanda une audience particulière à son arrivée; il me montra la belle tabatière dont V. M. a bien voulu le charger pour moi. Pleine de joie, je voulus me jeter dessus; mais il n'eut garde de lâcher prise que je n'eusse écouté ses explications sur le gris de lin, amour sans fin, et sur les petites fleurs nommées Vergissmeinnicht. J'étais comme folle; je répondais à tout cela : Mais ce cher roi, ce bon roi qui veut bien penser à moi! Et voilà en même temps, Sire, tout ce que mon éloquence me fournit pour bien remercier V. M. Je me trouve donc comme noyée dans la volupté; je prends avec délice mon chocolat dans mes belles tasses, et je prendrai du bon tabac dans ma belle boîte. Ce sont des amusements agréables, en attendant ce bonheur tant désiré de voir V. M. face à face, de la dévorer des yeux, et puis de les fermer pour jamais, s'il le faut. Mais cette paix tant désirée, où reste-t-elle donc? Passerons-nous encore un été rempli d'angoisses? Ce n'est pas à V. M. que j'ai l'impertinence de faire ces questions, c'est à moi-même, et c'est un petit soliloque que je fais à tout moment, et où ce que je me réponds n'est pas des plus satisfaisants. Pour éloigner ces tristes idées, je me mets avec toute la soumission, tout l'attachement et toute la reconnaissance possible aux pieds de V. M., dont je serai jusqu'à la fin de ma vie,



Sire,

la plus humble, plus obéissante et plus soumise sujette,
S. Camas.

<168>

13. A MADAME DE CAMAS.

Ce 27 janvier 1762.

Je me réjouis, ma bonne maman, de ce que vous avez si bon courage, et je vous exhorte fort d'en redoubler encore. Tout finit; ainsi il faut espérer que cette maudite guerre ne sera pas la seule chose éternelle dans ce monde. Depuis que la mort a troussé une certaine catin des pays hyperboréens,168-a notre situation a avantageusement changé, et devient beaucoup plus supportable qu'elle n'était. Il faut espérer que quelques bons événements arriveront encore, dont on pourra profiter pour arriver à une bonne paix.

Vous me parlez de Berlin. Je souhaite beaucoup de vous y savoir tous ensemble. Mais je voudrais, si vous y alliez, que ce ne soit pas comme des oiseaux perchés sur une branche, et que vous y puissiez rester avec la dignité convenable. Cela fait que j'attends le moment où je croirai cette sûreté établie sur de bons fondements, pour vous écrire d'y retourner. Si tout ceci finit bien et honnêtement, que je bénirai le ciel de vous revoir, ma bonne maman, et de vous embrasser! Oui, je dis embrasser, car vous n'avez plus d'autre amant dans le monde que moi, vous ne pouvez plus me donner de la jalousie, et je suis en droit d'exiger un baiser pour prix de ma constance et de l'attachement que j'ai pour vous. Vous pouvez vous y préparer. Finette en dira ce qu'elle voudra; elle en pourra sécher de dépit, car, depuis son défunt duc, elle n'a plus de baiseur.

Adieu, ma bonne maman. Pardon des pauvretés que je vous écris; c'est que je suis seul, que j'oublie quelquefois mes embarras, que je vous aime, et que je profite du plaisir de m'entretenir avec vous.

Federic.

<169>

A LA MÊME.

Quartier de Bettlern, 8 juin 1762.

Je suis bien persuadé, ma bonne maman, de la part sincère que vous prenez aux bons événements qui nous arrivent. Le mal est que nous avons été si bas, qu'il nous faut à présent toute sorte d'événements fortunés pour nous relever; et deux grandes paix, qui pourraient rétablir le calme partout ailleurs, ne sont, en ce moment-ci, qu'un acheminement pour finir la guerre moins malheureusement.

Je souhaite de tout mon cœur que le ciel vous conserve jusqu'à ce que je vous puisse voir, vous entendre et vous embrasser. Selon toutes les apparences, vous pourrez redevenir dans peu les tranquilles et pacifiques habitants de Berlin. Pour nous autres, il faudra guerroyer jusqu'à l'extinction de la chaleur naturelle. Il faut pourtant que tout ceci finisse, et la seule perspective agréable qui me reste à la paix est de vous assurer de vive voix de toute la considération et de l'estime avec laquelle je suis, ma bonne maman, votre fidèle ami,

Federic.

15. A LA MÊME.

Péterswaldau, 19 octobre 1762.

Je voudrais pouvoir prendre tous les jours une forteresse,169-a ma bonne maman, pour recevoir de vos aimables lettres. Mais des imbé<170>ciles de commandants m'en perdent souvent d'une façon honteuse; et quand j'ai des empereurs qui me veulent du bien, on me les étrangle.170-a Jugez, après cela, de la jolie situation où je me trouve. Si notre empereur vivait encore,170-b nous aurions la paix cet hiver, et vous pourriez retourner de plein saut dans votre paradis sablonneux de Berlin. Mais le public, qui se flatte, a cru sans raison que la paix suivrait la prise de Schweidnitz. Vous avez peut-être espéré que cela pourrait être; mais je vous assure, autant que j'y puis comprendre, que nos ennemis n'ont encore aucune envie de s'accommoder. Jugez, après cela, s'il serait prudent de retourner à Berlin, au risque de s'enfuir à Spandow à la première alarme.

Vous me parlez de la pauvre Finette.170-c Hélas! ma bonne maman, depuis six ans je ne plains plus les morts, mais bien les vivants. C'est une chienne de vie que celle que nous menons, et il n'y a aucun regret à y donner. Je vous souhaite beaucoup de patience, ma bonne maman, et toutes les prospérités dont ces temps calamiteux sont susceptibles, surtout que vous conserviez votre bonne humeur, le plus grand et le plus réel trésor que la fortune puisse nous donner. Pour moi, ma vieille amitié et l'estime que je vous ai vouée ne se démentiront jamais. Je suis sûr que vous en êtes persuadée. Adieu, ma bonne maman.

Federic.

<171>

16. A LA MÊME.

Meissen, 20 novembre 1762.

Je vous envoie, ma bonne maman, une bagatelle pour vous faire ressouvenir de moi. Vous pouvez vous servir de cette tabatière pour y mettre du rouge, ou des mouches, ou du tabac, ou des dragées, ou des pilules; mais, à quelque emploi que vous la destiniez, pensez au moins, en voyant ce chien, cet emblème de la fidélité, qui y est peint dessus, que celui qui vous l'envoie passe en attachement pour vous la fidélité de tous les chiens de l'univers, et que son dévouement pour votre personne n'a rien de commun avec la fragilité de la matière qu'on fabrique ici. J'ai commandé ici de la porcelaine pour tout le monde, pour Schönhausen, pour mes belles-sœurs; en un mot, je ne suis riche à présent qu'en cette fragile matière. J'espère que ceux qui en recevront la prendront pour bon argent, car nous sommes des gueux, ma bonne maman; il ne nous reste que l'honneur, la cape, l'épée, et de la porcelaine.

Adieu, ma chère et bonne maman. S'il plaît au ciel, je vous verrai encore face à face, et je réitérerai de vive voix ce que j'ai dit; mais, quoi que je fasse, je n'exprimerai que très-imparfaitement tout ce que mon cœur pense sur votre sujet.

Federic.

<172>

17. DE MADAME DE CAMAS.

Magdebourg, 20 novembre 1762.



Sire,

Rien ne pouvait mieux réjouir mon cœur et mes yeux que la gracieuse lettre et la charmante tabatière que je viens de recevoir. V. M. ne doute certainement pas de ma reconnaissance; mais ne me trouvera-t-elle pas trop impertinente d'oser me souvenir qu'elle me donna, il y a plusieurs années, une boîte de tabac d'Espagne, et qu'elle eut la bonté de me dire qu'elle m'en donnerait quand j'en aurais besoin? J'ai si bien ménagé, en n'en prenant que le matin en me réveillant, que j'en ai encore, mais si peu, si peu, que je tremble d'en voir la fin. Or, il me sera impossible de mettre du gros vilain tabac dans cette jolie tabatière. Je ne me sers ni de rouge, ni de mouches, encore moins de pilules, qui ne servent qu'à me brouiller avec mon bon ami Lesser quand il veut que j'en prenne, et qu'il me dit tout crûment que, quand on est gourmande et paresseuse, il faut prendre médecine. Je lui allègue mille raisons pour n'en rien faire, et il me quitte en riant et en haussant les épaules. Mais, pour quitter le chapitre de ma vieille carcasse, je dirai à V. M. que c'est à moi que je dois appliquer la fidélité dont mes jolis petits chiens sont l'emblème; je dois la joindre au parfait attachement et à la reconnaissance que je lui dois. Non, Sire, rien n'égalera jamais la vivacité de mes sentiments à cet égard. C'est V. M. qui me fait vivre, et qui me soutient dans l'état où je suis encore malgré mon âge.

Schönhausen est enchanté et plein de reconnaissance pour la porcelaine qu'elle lui destine; enfin V. M. a le don de faire des heureux. L'on met le plus haut prix à tout ce qui vient de sa main, et quand elle n'aurait, comme elle le dit, que l'honneur, la cape et l'épée, avec une bonne provision de gloire, que la modestie l'a empêchée d'ajouter,<173> elle sera toujours le plus grand roi du monde et l'objet de l'admiration et de l'envie des autres souverains. La longueur de cette lettre m'effraye; je la dois finir en me mettant aux pieds de V. M., dont je serai jusqu'à la fin de mes jours,



Sire,

la plus humble, plus obéissante et soumise sujette,
S. de Camas.

18. A MADAME DE CAMAS.

(Meissen) 27 novembre (1762).

Vous voyez, ma bonne maman, avec quelle activité vous êtes servie. Voici le tabac que vous me demandez. Je souhaite que chaque tabatière vous dure six ans, et que vous viviez jusqu'à ce que vous ayez consumé cette provision.

Nous arrangeons ici nos quartiers d'hiver. J'ai encore une petite tournée à faire, et ensuite j'irai chercher la tranquillité à Leipzig, si elle s'y trouve; mais pour moi ce n'est qu'un mot métaphysique qui n'a point de réalité. Entre nous soit dit, c'est une chienne de vie, ma bonne maman, que celle que nous menons; mais il faut faire bonne mine à mauvais jeu. Adieu, ma toute bonne; ne m'oubliez point. Vous auriez grand tort, car personne ne vous aime et considère plus que je le fais.

Federic.

<174>

19. A LA MÊME.

Ce 3 janvier 1763.

En vérité, ma bonne maman, vous êtes bien experte, et je vous félicite de vous connaître si bien en hydropisie. L'aventure qui vient d'arriver est tout ordinaire; il n'y a point de cour, point de couvent même où cela n'arrive. Moi, qui suis fort indulgent pour les faiblesses de notre espèce, je ne lapide point les filles d'honneur qui font des enfants. Elles perpétuent l'espèce, au lieu que ces farouches politiques la détruisent par leurs guerres funestes. On n'est pas toujours maître de soi; on prend une pauvre fille dans un moment de tendresse, on lui dit de si jolies choses, on lui fait un enfant : quel mal y a-t-il à cela? Je vous avoue que j'aime mieux ces tempéraments trop tendres que ces dragons de chasteté qui déchirent leurs semblables, ou ces femmes tracassières, foncièrement méchantes et malfaisantes. Qu'on élève bien cet enfant, qu'on ne prostitue point une famille, et qu'on fasse sans scandale sortir cette pauvre fille de la cour, en ménageant sa réputation autant que possible.

Nous aurons la paix, ma bonne maman, et je me propose bien de rire entre quatre yeux quand j'aurai le plaisir de vous revoir. Adieu, ma bonne maman; je vous embrasse.

Federic.

20. A LA MÊME.

Leipzig, 22 janvier 1763.

Cinquante et un ans, ma bonne maman, ne sont pas une bagatelle. C'est presque toute l'étendue du fuseau de madame Clotho, qui file<175> nos destinées. Je vous rends grâces de ce que vous prenez part à ce que j'en sois là. Vous vous intéressez à un vieil ami, à un serviteur que ni l'âge ni l'absence ne font jamais changer de sentiments, et qui, à présent, espère avec une espèce de persuasion de vous revoir encore et de vous embrasser, si vous voulez bien le permettre. Oui, ma bonne maman, je crois que vous serez à Berlin avant que Flore ait embelli la terre de ses dons, pour m'exprimer poétiquement; et si je me réjouis sincèrement de revoir quelqu'un dans cette capitale, c'est bien vous; mais n'en dites rien. Ceci n'est pas poétique, et doit s'entendre au pied de la lettre. Que le ciel veille sur vos jours, et vous comble d'autant de bénédictions que votre vertu en mérite! Que je vous revoie en santé, contente et satisfaite, et que vous me conserviez toujours votre amitié! Je ne la mérite, ma bonne maman, que par l'attachement inviolable que j'ai pour vous, et que je conserverai jusqu'au moment que la Parque ennemie coupera ma trame.

Federic.

21. DE MADAME DE CAMAS.

Magdebourg, 5 février 1763.

Je me suis bien doutée, Sire, que Votre Majesté se moquerait un peu de moi, mais qu'elle aurait pitié en même temps de cette pauvre fille, qui ne se croit cependant pas aussi malheureuse que je la trouve. Elle veut aller à Stettin, chez madame de Lepel sa sœur, et elle est trop persuadée que son amant l'épousera d'abord après la paix. La Reine a eu soin de faire mettre l'enfant en nourrice par M. Lesser, qui a soin en même temps de tout ce qu'il faut à l'accouchée. Tout<176> cela se fait sans bruit, personne à la cour n'en parle; mais cela n'empêche pas que chacun ne se le dise à l'oreille en ville. Enfin, malgré la compassion qu'elle me fait, je dois pourtant avouer que nous sommes heureuses d'en être quittes; son caractère ne vaut rien, et son trop grand penchant à l'amour est, à mon avis, le moindre de ses défauts.

22. A MADAME DE CAMAS.

Dahlen, 6 mars 1763.

Je vous reverrai donc, ma bonne maman,176-a et j'espère que ce sera vers la fin de ce mois ou au commencement d'avril, et j'espère de vous trouver aussi bien que je vous ai quittée. Pour moi, vous me trouverez vieilli et presque radoteur, gris comme mes ânes, perdant tous les jours une dent, et à demi écloppé par la goutte; mais votre indulgence supportera les infirmités de l'âge, et nous parlerons du vieux temps.

Voilà notre bon margrave de Baireuth qui vient de mourir.176-b Cela me cause une véritable peine. Nous perdons des amis, et les ennemis paraissent vouloir durer en éternité. Ah! ma bonne maman, que je crains Berlin et les vides que j'y trouverai!176-c Mais je ne penserai qu'à vous, et je me ferai illusion sur le reste. Soyez persuadée du plaisir<177> que je me fais de vous assurer de vive voix de la véritable estime et de l'amitié que je vous conserverai jusqu'au tombeau. Adieu.

Federic.

23. A LA MÊME.

Le 9 juillet (1764).

Ma bonne maman, votre lettre et votre souvenir m'ont fait un véritable plaisir, parce qu'ils sont des marques que votre santé va mieux. On m'assure qu'il n'y a aucun danger, et que vous vous remettrez tout à fait. Ma sœur177-a va arriver dans une heure d'ici. Je vous avoue que cela me fait grand plaisir. Nous allons promettre le grand neveu. Son amour est aussi froid que toute sa personne; mais que vous importe? Tâchez, ma bonne maman, à mettre le nez à l'air. Le grand air est la souveraine médecine; il vous remettra du baume dans le sang, et vous guérira tout à fait. Pour moi, je m'y intéresse sincèrement. Vous connaissez mon vieux cœur, qui est toujours le même, et qui est fait pour vous aimer tant qu'il existera. Adieu, ma bonne maman; ayez bien soin de vous remettre, et ne m'oubliez pas.

<178>

24. A LA MÊME.

(Juillet 1764.)

Je montrerai votre lettre, ma bonne maman, à ma sœur, qui sera charmée de ce que vous pensez à elle. Je regrette, à la vérité, de ne point jouir ici de votre présence; mais je trouve que vous avez grande raison de vous ménager, et, dans le fond, je pourrais fort peu profiter ici de votre aimable compagnie, car nous sommes comme dans une diète générale du Saint-Empire romain, environnés de trente princes et princesses; et d'ailleurs mes infirmités m'empêchent d'assister à tous les banquets. Je me trouve aux grandes solennités, et je tâche de prendre quelque repos entre deux. Le vieux baron178-a insulte à mes jambes estropiées; il a couru avec le prince Frédéric à qui se devancera. Pour moi, qui me traîne à cloche-pied, à peu près comme une tortue, je vois la rapidité de leur course ainsi qu'un paralytique qui assisterait à un ballet de Denis.

Bonsoir, ma bonne maman; j'espère de vous revoir quand mes jambes me reviendront, et que je pourrai grimper les escaliers du château qui mènent à votre paradis. Je suis à jamais le plus ancien de vos adorateurs,

Federic.

<179>

25. DE MADAME DE CAMAS.

Le 30, à sept heures du soir.



Sire,

Je me crois obligée d'apprendre à Votre Majesté que, depuis quelques jours, la Reine se trouve très-malade. C'est une fièvre continuelle, accompagnée de fortes oppressions. Il a paru hier des rougeurs que M. Lesser nomme le Friesel. Je joins ici un petit mémoire qu'il croit que V. M. comprendra mieux que ce que je pourrais lui dire. Si elle voulait avoir la bonté d'ordonner à M. Cothenius de venir ici, je serais plus tranquille. Il doit d'ailleurs être déjà au fait de ce qui concerne l'état de la Reine, puisque M. Lesser lui en a fait le rapport tous les jours. Dans l'inquiétude où je suis, je ne puis que me dire avec toute la soumission possible,



Sire,

de Votre Majesté
la plus humble, plus obéissante et, plus soumise sujette,
S.-C. de Camas.

26. A MADAME DE CAMAS.

J'espère, ma bonne maman, qu'il n'y a pas de danger à craindre pour la Reine; les ébullitions de sang ne sortent que par des accès de fièvre violents, et tout ce que le médecin écrit est conforme à l'allure ordinaire de ces sortes de maladies, qui ne se peuvent guérir que par<180> une transpiration abondante. Il faut boire beaucoup de thé, se tenir chaudement; avec cela, le temps guérit sans médecine. Voilà, ma bonne maman, une bordée de médecine que je vous lâche. Je souhaite que ni vous ni personne de mes amis n'en ayez besoin, car il est toujours fâcheux de souffrir. Conservez-vous, ma bonne maman, pour la consolation de vos amis, à la tête desquels je me flatte d'être compté. Adieu; je vous embrasse.

Federic.

27. DE MADAME DE CAMAS.

Le 1er novembre, à sept heures du soir.



Sire,

Votre Majesté est certainement plus habile médecin que le bon Lesser, quoique dans sa recette il n'y ait pas un mot de grec ni de latin; mais sa lettre a causé une satisfaction infinie à la Reine, dans les yeux de laquelle j'ai vu pour la première fois un peu de vivacité. L'ébullition est des plus fortes; j'y soupçonne même du pourpre, quoique le médecin veuille adoucir le terme. Il suit absolument les idées de V. M., ne donne point de médecine, et fait prendre beaucoup de thé à la Reine, en la faisant tenir au lit dans une transpiration égale. Je l'ai prié de mettre ses idées sur le papier ci-joint. Je ne connais point les termes de l'art, et je ne me fie pas à mes lumières. L'inquiétude où je suis me fait peut-être envisager les choses du mauvais côté; je ne puis être tranquille que quand la fièvre et l'oppression seront passées.

A l'égard de ma santé, que V. M. a la bonté de me recommander, je prendrai la liberté de lui dire que, depuis la ceinture en haut, cela<181> va assez bien, mais que mes jambes ont souvent de la peine à me soutenir. C'est une vieille maison dont les fondements s'écroulent. J'espère cependant que, avant de tomber, j'aurai encore le bonheur de faire quelquefois une belle révérence à V. M., et de l'assurer de tout le respect et l'attachement imaginable.

V. M. me permettra, j'espère, de lui donner des nouvelles de la Reine jusqu'à son rétablissement.

S.-C. de Camas.

28. A MADAME DE CAMAS.

(17 ou 18 novembre 1765.)

181-aJe vous suis bien obligé, ma bonne maman, de la part que vous prenez à la perte que nous venons de faire. C'est une perte pour tous les honnêtes gens, car ma sœur était une personne véritablement vertueuse. J'ai su, il y a longtemps, que les hommes sont mortels; j'ai été témoin que sa santé menaçait ruine : mais cela n'empêche pas, ma bonne maman, que je ne sente vivement la privation d'une sœur que la mort m'a arrachée comme des bras. La nature, une tendre amitié, une estime véritable, tous ces sentiments réclament leurs droits, et je sens, ma bonne maman, que je suis plus sensible que raisonnable. Mes larmes, mes regrets sont inutiles; cependant je ne saurais les supprimer. Notre famille me semble une forêt dont un ouragan a renversé les plus beaux arbres, et où l'on voit de distance en distance quelque sapin ébranché qui paraît ne tenir encore à ses<182> racines que pour contempler la chute de ses compagnons, et les dégâts et les ravages qu'a faits la tempête. Je souhaite, ma bonne maman, que ce souffle de la mort se détourne de vous, que nous vous conservions longtemps, et que je puisse encore souvent vous réitérer les assurances de mon ancienne et fidèle amitié.

Federic.

<183>

IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC M. DE JARIGES. (7 ET 8 AOUT 1766.)[Titelblatt]

<184><185>

1. A M. DE JARIGES.

(7 août 1766.)

Comme on sait que Son Excellence aime le bon tabac râpé, on lui propose d'en prendre de cette tabatière, qui lui vient de bonne part.

2. DE M. DE JARIGES.

Le 8 août 1766.

Malgré l'extrême surprise que me causa hier au soir la vue d'une magnifique tabatière sur ma table, je fus d'abord convaincu qu'elle ne pouvait me venir que de la part du Roi mon maître. Il est impossible d'exprimer ce qu'a senti dans cette occasion un cœur qui a été enthousiasmé pour Votre Majesté bien des années avant que d'en être connu. Vous jugerez par là, Sire, des sentiments qu'ont excités les grâces et les bienfaits dont vous me comblez. Que ne puis-je les mériter!

<186><187>

V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA. (27 AVRIL 1756 - 22 JUIN 1767.)[Titelblatt]

<188><189>

1. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

Berlin, 27 avril 1756.



189-aMadame ma cousine,

Mon ministre d'État et grand maître des postes, le comte de Gotter, ayant le déplaisir d'être enveloppé dans un procès injuste avec le grand écuyer, le sieur de Röder, j'ai été charmé d'apprendre par mon susdit ministre l'assistance gracieuse que Votre Altesse veut bien lui prêter dans une affaire où tout le droit paraît être de son côté, pour lui faire obtenir prompte et bonne justice. Il ne s'agit en effet pas ici d'une bagatelle, mais de sauver de sa ruine une terre assez importante, confiée à un homme qui semble avoir abusé de la bonne foi du propriétaire. Que le sieur de Röder rende un compte exact et fidèle à mon susdit ministre de l'administration dont il est chargé de la terre de Molsdorf, qu'il la remette dans l'état où elle doit être suivant ses engagements pris à cet égard, voilà tout ce qu'on désire, et ce que la justice la plus scrupuleuse demande. Comme je prends un intérêt sensible à cette affaire, par rapport au bien de mon service, qui exige indispensablement que le comte de Gotter, qui va faire un tour sur sadite terre, retourne au plus tôt à son poste, ayant résolu de le faire passer en Ost-Frise pour y prendre quelques arrangements de postes, je serai fort aise que ce procès finisse le plus tôt possible à sa satisfaction, tout comme je ne saurais me dispenser de m'informer des suites de cette affaire et de l'accélération de sa décision. V. A. m'obligera le plus sensiblement du monde, si elle veut<190> bien y contribuer par son secours et son assistance. Elle peut compter que je regarderai les généreux offices qu'elle aura la bonté d'employer en faveur d'un ministre dont j'estime infiniment le zèle et les services qu'il m'a rendus, comme une preuve agréable de son amitié pour moi. Je prie V. A. d'être entièrement persuadée d'un fidèle retour de reconnaissance de ma part, aussi bien que des sentiments de considération avec lesquels je suis à jamais,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-affectionné cousin,
Federic.

2. A LA MÊME.

(Dittelstädt) 16 septembre 1757.



Madame,

Je n'oublierai jamais la journée d'hier,190-a qui a satisfait une juste envie que j'ai eue depuis longtemps de voir et d'entendre une princesse que toute l'Europe admire. Je ne m'étonne point, madame, que vous subjuguiez les cœurs; vous êtes certainement faite pour vous attirer l'estime et l'hommage de tous ceux qui ont le bonheur de vous connaître. Mais il m'est incompréhensible comment vous pouvez avoir des ennemis, et comment des peuples qui ne veulent point passer pour barbares peuvent avoir manqué si indignement au respect qu'ils vous doivent et aux considérations que l'on doit à tous les souverains.<191> Que n'ai-je pu voler pour empêcher tant de désordre et tant d'indécence! Je ne puis vous offrir que beaucoup de bonne volonté; mais je sens bien que, dans les circonstances présentes, il faut des effets et de la réalité. Puissé-je être, madame, assez heureux pour vous rendre quelque service! Puisse votre fortune être égale à votre vertu! Je suis avec la plus haute considération,



Madame,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, Federic.

3. A LA MÊME.

(Kirschleben) auprès d'Erfurt, 20 septembre 1757.



Madame,

Rien ne pouvait arriver de plus glorieux à mes troupes que de combattre, madame, sous vos yeux et pour votre défense.191-a Je souhaiterais que leur secours vous pût être plus utile; mais je prévois le contraire. Si je m'opiniâtrais à vouloir soutenir le poste de Gotha par de l'infanterie, je vous ruinerais la ville, madame, en y attirant et y fixant le théâtre de la guerre, au lieu que vous n'aurez à présent à souffrir que des passades qui ne seront pas longues. Je vous rends mille grâces de ce que, pendant le trouble d'une journée comme celle d'hier, vous avez encore trouvé le moment de penser à vos amis et de vous employer pour eux. Je ne négligerai rien de ce que vous avez la bonté de me dire; je profiterai des avis. Fasse le ciel que ce<192> soit pour la délivrance et le salut de l'Allemagne! La plus grande marque d'obéissance que je puisse vous donner consiste certainement dans l'usage que vous me prescrivez de faire de votre lettre. Je l'aurais conservée comme un monument de votre générosité et de votre fermeté; mais, madame, puisque vous en disposez autrement, vos ordres seront exécutés. Persuadé que, si l'on ne peut pas servir ses amis, il faut au moins éviter de leur nuire, que l'on peut être moins circonspect pour ses propres intérêts, mais qu'il faut être prudent et même timide pour ce qui peut les toucher, je suis avec la plus haute estime et la plus parfaite considération,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle et affectionné cousin,
Federic.

4. A LA MÊME.

Breslau, 2 janvier 1758.



Madame,

S'il y a quelque chose de flatteur pour moi dans le monde, c'est de mériter l'approbation d'une princesse, madame, de votre caractère. J'aurais désiré que nos avantages192-a vous en eussent procuré de plus sensibles; mais à présent je ne désespère pas, s'il plaît à la fortune, de pouvoir vous rendre des services plus importants que par le passé. Daignez considérer, madame, la multitude d'ennemis qui m'ont empêché jusqu'ici de pouvoir former un projet suivi en un endroit. J'ai<193> tout lieu d'espérer que les Suédois seront les premiers à revenir de leur égarement, et alors nous aurons les coudées plus franches, ce qui doit nécessairement donner une autre face aux affaires. J'avoue que ces remèdes éloignés ne sont guère consolants pour ceux qui souffrent; mais, comme le printemps n'est pas fort éloigné, j'espère qu'alors vous aurez lieu d'être contente de ma fidélité et de mon zèle. En vérité, madame, la conduite que les Français ont tenue à votre égard est un opprobre éternel pour toute leur nation, et dont les auteurs les plus éloquents ne les laveront jamais dans leurs ouvrages. Je ne vous parle point des Autrichiens. L'on est si accoutumé à leur impertinence ordinaire, qu'il n'y aurait que leurs bons procédés qui paraîtraient étranges. Souffrez, madame, que, au renouvellement de l'année, je joigne mes vœux à ceux de tous ceux qui ont le bonheur de vous connaître, pour votre prospérité et pour votre conservation; personne ne s'y intéresse avec plus de passion que,



Madame,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

5. A LA MÊME.

Breslau, 3 février 1758.



193-aMadame,

Soyez persuadée, je vous supplie, que les nouvelles marques que vous venez de me donner, par votre lettre du 25, de vos bontés et de votre amitié pour moi m'ont vivement pénétré. Je vous en suis infiniment obligé, et n'en perdrai jamais le souvenir. Il est vrai que les affaires paraissent bien brouillées dans le moment présent, ce qui cependant<194> ne m'en fait pas désespérer; et je me persuade que, nonobstant les apparences fâcheuses, elles se changeront, et prendront bientôt une face plus avantageuse. Je suis avec cette haute estime et l'amitié la plus sincère, que vous me connaissez,



Madame,

Votre très-bon et très-fidèle ami.

6. A LA MÊME.

Grüssau, 15 avril 1758.



Madame,

Il me semble que la situation de Votre Altesse a infiniment changé en mieux depuis que je n'ai eu le bonheur de la voir. Les Français sont au delà du Rhin, et cette poignée de troupes de l'Empire sera dissipée ainsi qu'un léger brouillard. Personne ne peut vous forcer, madame, à payer ni à faire ce que vous croyez ne point vous convenir, et, s'il y a eu quelque précipitation dans des temps où les crises étaient les plus violentes, il ne dépendra dans peu que de vous de vous soustraire à des mesures qui doivent répugner à votre façon de penser. Ce sont vos sentiments, c'est votre caractère généreux et cette façon de penser noble, qui m'ont rempli d'admiration194-a pour des qualités si rares dans tous les siècles et encore plus à présent que jamais.

Je suis avec la plus haute estime,



Madame,

Votre très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<195>

7. A LA MÉME.

Sagan, 22 septembre 1759.



Madame,

Je reçois dans toutes les occasions des marques de vos bontés auxquelles je suis sensible autant qu'un honnête homme peut l'être. Ce n'est certainement pas par vos mains, madame, que doit passer ma correspondance à V.195-a Cependant, dans ces circonstances présentes, j'ose vous prier de lui faire parvenir ma réponse, à laquelle je ne mets aucune adresse. La difficulté de faire passer les lettres m'a fait choisir mon frère pour faire parvenir ce billet entre vos mains. Si je donnais carrière à mes sentiments, ce serait ici le moment de les développer; mais, dans ces temps critiques, je crois qu'il vaut mieux de les supprimer, et de me renfermer dans les simples assurances de la haute estime et de l'admiration avec laquelle je suis,



Madame,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

8. DE LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

(Gotha) 15 novembre 1759.



Sire,

Sous le doux espoir que Votre Majesté est actuellement en Saxe pour y établir tranquillement ses quartiers d'hiver, je me flatte de ne rien<196> risquer en lui envoyant la lettre ci-jointe, accompagnée de quelques lignes d'assurances de respect de ma part, et chargeant de tout le paquet le jeune Bechtolsheim, beau-frère de notre ministre, qui aura l'honneur de lui remettre la dépêche et de présenter l'hommage respectueux de nos cœurs à V. M. Selon toute apparence, V. M. verra par l'incluse que les lignes qu'elle daigna m'adresser, il y a quelques semaines, sont arrivées à bon port. La juste appréhension de devenir importune m'a empêchée, Sire, de vous en avertir moi-même plus tôt. Mais j'ose avouer que c'est avec un plaisir infini que je profite de l'occasion présente pour témoigner à V. M. l'intérêt vif et sincère que nous prenons, le Duc et moi, à la fin glorieuse de ses campagnes. Puisse le destin être propice à nos souhaits en récompensant votre courage et votre sagesse! Puissiez-vous cueillir les fruits de vos efforts, et joindre les branches d'olive à vos palmes et à vos lauriers! Que V. M. ne balance pas à me charger des ordres qu'elle voudra donner à notre auteur; il s'y attend, Sire, et je me sens trop flattée de pouvoir vous prouver mon zèle, pour n'en pas rechercher les occasions avec ardeur et empressement.

Accordez-moi, Sire, la continuation de vos bontés, dont dépend le charme de ma vie et le bonheur de toute ma maison. C'est avec l'attachement le plus parfait que j'ai l'honneur d'être, etc.196-a

<197>

9. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

Wilsdruf, 21 novembre 1759.



Madame,

Il n'y a que vos bontés et votre indulgence qui puissent justifier mon incongruité. Vous voulez, madame, que j'abuse encore de ces bontés qui me sont si précieuses; au moins souvenez-vous que c'est pour vous obéir que je fais passer par vos mains une lettre197-a qui ne mérite pas cet honneur. Le hasard, qui se joue si insolemment des projets des hommes, qui se plaît à élever et à détruire,197-b nous a menés jusqu'ici à la fin de la campagne. Les Autrichiens sont entourés de ce côté-ci de l'Elbe; je leur ai fait brûler deux magasins importants en Bohême. Il y a eu quelques affaires qui ont tourné tout à fait à notre avantage, de sorte que je me flatte d'obliger M. Daun de repasser l'Elbe, d'abandonner Dresde, et de prendre le chemin de Zittau et de la Bohême. Je vous entretiens, madame, de nouvelles et d'objets dont je suis journellement frappé, et qui, par votre voisinage, peuvent peut-être attirer votre attention. Je m'étendrais bien davantage, si mon cœur osait s'expliquer sur les sentiments d'admiration, de reconnaissance et d'estime avec lesquels je suis,



Madame ma cousine,

Votre très-fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

<198>

10. A LA MÊME.

Freyberg, 18 (décembre 1759).



Madame,

Vous me gâtez si fort par votre indulgence, vous m'accoutumez si bien à vous avoir des obligations, que je me reproche cent fois d'en pouvoir abuser. Je ne continuerais certainement pas à vous adresser des lettres, si je n'avais espérance que ce commerce pourra être de quelque utilité à l'Angleterre et à l'Europe même, car sans doute la paix est l'état le plus désirable, le plus naturel et le plus heureux pour toutes les nations. C'est pour l'accélérer, madame, que j'abuse de vos bontés, et ce motif m'excuse vis-à-vis de moi-même l'incongruité de mes procédés. Vous faites très-bien, madame, de ne point signer et de ne point apposer vos armes sur des lettres qui, si elles étaient interceptées, vous causeraient quelque sorte de désagréments. La bonté que vous avez de vous intéresser à ma situation m'oblige de vous en rendre compte. Nous avons essuyé ici toute sorte de malheurs,198-a au moment où nous devions le moins nous y attendre. Cependant il nous reste du courage et de l'espérance; voilà des secours sur le point d'arriver, et il y a lieu de croire que la fin de notre campagne sera moins affreuse qu'on n'avait lieu de s'y attendre il y a trois semaines. Puissiez-vous jouir, madame, de tout le bonheur que je vous souhaite! Puisse tout le monde connaître vos vertus, les imiter, et vous admirer comme je le fais! Puissiez-vous être persuadée que rien n'égale les sentiments de la haute estime que je conserverai toute ma vie pour vous, étant,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<199>

11. A LA MÊME.

Freyberg, 16 février 1760.



Madame,

C'est à mon grand regret que j'importune Votre Altesse si souvent par mes lettres. Vos bontés, madame, m'ont gâté; cela vous apprendra à les ménager davantage avec d'autres. Je vous regarde comme une amie respectable, à l'amitié de laquelle j'ai recours dans le besoin. Il est toujours question de la paix, madame; et si l'objet de mes importunités n'était aussi beau, madame, je serais inexcusable vis-à-vis de vous. Cocceji,199-a que j'ai envoyé avec cette lettre à votre cour, doit vous prier de vouloir bien suppéditer et me prêter un sujet quelconque, homme prudent et avisé, qui fit le voyage de France pour donner une lettre au bailli de Froulay,199-b très-honnête homme que je connais, qui pourrait insinuer à sa cour les propositions de paix ci-jointes. Pour vous expliquer en deux mots le joint de la chose, vous saurez, madame, que, après la proposition du congrès qui a été faite à nos ennemis, on a été informé de bonne part que l'Impératrice-Reine et l'impératrice des barbares n'avaient point voulu y donner les mains; au contraire, qu'elles travaillaient, à Paris, à dissuader le roi de France des sentiments pacifiques dont on l'accuse. Vous verrez, par les propositions qu'on lui fait, qu'on lui fournit le moyen de se séparer de ses alliés et de donner malgré eux la paix à l'Europe. C'est pour sonder les esprits et pour savoir, en un mot, à quoi s'en tenir. Si ces propositions agréent en France, les préliminaires s'ensuivront bientôt; sinon, nous saurons au moins à quoi nous en tenir, car vous savez, madame, que l'incertitude est le plus cruel tourment de l'âme. Vous verrez, par tout ceci, de quoi il s'agit; et comme je ne fais<200> aucun pas qu'après en être convenu avec le ministère anglais, je me flatte que cette démarche, si vous daignez l'agréer, pourra nous mener à une fin heureuse et désirable pour l'Allemagne surtout, et pour toute l'Europe également. Ce sera augmenter prodigieusement les obligations et par conséquent la reconnaissance que je vous dois; mais rien n'ajoutera aux sentiments de la parfaite estime et de l'attachement avec lequel je suis,



Madame,

Votre très-affectionné cousin et serviteur,
Federic.

Comme vous concevez l'importance qu'il y a pour nous tous de cacher cette démarche à la cour de Vienne, je ne doute nullement, madame, que vous la leur déguiserez au possible.

200-aPROPOSITIONS DE PAIX.

Il faudra principalement faire sentir à la France que, si elle veut entrer dans les vues de la Grande-Bretagne par rapport à une paix séparée à conclure entre elle, l'Angleterre et les alliés de cette dernière en Allemagne, et faire cause commune ensuite pour forcer les autres puissances d'y accéder, il serait en son pouvoir de terminer la guerre très-promptement, de conserver l'équilibre de l'Allemagne et même de l'Europe entière, et d'obtenir des conditions beaucoup plus favorables qu'elle ne saurait en espérer de toute autre manière.

<201>

12. A LA MÊME.

(Freyberg) ce 28 (février 1760).



Madame,

Les remarques qu'il vous plaît de faire sur ma lettre sont fort justes; mais daignez remarquer que, lorsque l'on agit de concert avec ses alliés, il faut parler de même. Vous en sentez, madame, sans doute l'importance. Si je prenais d'autres mesures, je serais démenti par les Anglais, et me trouverais dans un grand embarras vis-à-vis des Français. Voilà ce qui m'oblige d'en agir de la sorte. Après tout, les Français sont dans le besoin d'argent, et je compte plus sur le manque d'espèces dont le gouvernement souffre que sur sa modération. Après tout, il faut bien se garder de faire le suppliant vis-à-vis de gens naturellement fiers et vains, et cette façon de traiter avec eux est la seule qui les rende traitables. Je vous rends mille grâces de ce que vous avez daigné seconder cette tentative. Peut-être qu'elle réussira; ce serait un grand bien; sinon, je ne vois pas comment cette malheureuse guerre finira. Je suis avec la plus haute estime.



Madame,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur, Federic.

<202>

13. A LA MÉME.

(Freyberg) 5 mars 1760.



Madame,

Vous interprétez si favorablement les explications dans lesquelles je suis entré, que je ne le puis attribuer qu'au support que vous daignez avoir pour mes faiblesses. Je conviens, madame, qu'il y a bien des choses à redire à cette lettre; mais songez qu'il a fallu la concerter, et que je ne suis que l'organe de ceux qui ont bien voulu consentir à cette démarche; cela donnera toujours lieu à quelque ouverture. La plus grande difficulté sera de faire parler ces gens. Ce qu'ils me font dire par V. sont des espèces d'énigmes. Je ne suis point Œdipe, et je crains quelque malentendu qui pourrait nous éloigner trop de notre compte. Il est sûr que la paix est fort à désirer. J'ai une perspective devant moi qui n'est guère riante, et j'aimerais autant nettoyer les étables du roi Augias que de courir d'un bout de l'Allemagne à l'autre pour m'opposer à la multitude de mes ennemis et essuyer peut-être encore de nouveaux malheurs. Mais il y a une certaine fatalité incompréhensible qui pousse les hommes, et qui, en combinant les causes secondes, les entraîne d'une manière irrésistible. Elle produit tout : quand nous voulons la paix, elle veut la guerre; elle guide l'aveugle, et égare l'éclairé. Il faut donc travailler autant qu'on peut pour le bien, sans s'étonner cependant s'il en arrive tout autrement qu'on ne l'avait prévu, car en vérité, madame, les plus profonds politiques n'en savent pas plus sur l'avenir que le plus stupide des hommes. Je prends la liberté de vous envoyer une petite brochure sur les affaires du temps.202-a C'est l'aboiement d'un épagneul pendant qu'un gros tonnerre gronde, qui empêche de l'entendre. Cependant il faut de<203> temps en temps réveiller le public de sa léthargie, et l'obliger à faire des réflexions. Ces semences ne produisent pas d'abord; quelquefois elles portent des fruits avec le temps. Il faut convenir que le terrain est mal préparé pour les recevoir; mais cela fait toujours quelque petit effet. Vous me trouverez peut-être tout aussi impertinent que mylord Bolingbroke; on disait de lui qu'il n'amusait madame de Villette, qui devint ensuite sa femme, que par des papiers politiques qu'il faisait imprimer dans le Craftsman. Je vous rends encore mille grâces, madame, de la bonté, de la politesse et de la générosité avec laquelle vous avez daigné vous prêter à toutes mes vues. Si j'avais du crédit au ciel, vous seriez la plus heureuse princesse d'Allemagne. Contentez-vous de mes vœux et des sentiments de la plus haute estime avec laquelle je suis,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

14. A LA MÉME.

(Freyberg) ce 10 (mars 1760).



Madame,

J'ai reçu avec beaucoup de reconnaissance la lettre qu'il vous a plu de m'écrire. Comme l'incluse ne contient proprement qu'une annonce de son voyage et de ses passe-ports, je crois qu'il vaut mieux de n'y point répondre, pour ne point multiplier les écritures. Je ne<204> doute pas, madame, de la bonté du choix que vous avez fait; la personne, à la vérité, m'est inconnue, mais je me rapporte bien à votre pénétration et à votre discernement. Je suis réellement honteux des peines que je vous cause. Personne désormais ne voudra être de mes amis, quand on apprendra ce qu'il en coûte pour l'être, et combien étrangement j'abuse de la bonne volonté de ceux qui veulent bien m'honorer de leur bienveillance.

Notre situation ici est absolument la même; mais il me paraît, par quelque remuement de troupes dans les quartiers des ennemis et par quelques dispositions, qu'ils porteront toute la force de la guerre vers la Silésie, et qu'ils se tiendront de ce côté-ci sur la défensive. Cela m'obligera peut-être, dans quelque temps, de quitter ces contrées et de me porter du côté où l'ennemi a résolu ses plus grands efforts. Je ne manquerai pas de vous avertir, madame, de mon départ, vous priant de me croire avec les sentiments d'estime et d'admiration,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

15. A LA MÊME.

Freyberg, ce 12 (mars 1760).



Madame,

La lettre de Votre Altesse m'est parvenue en toute sûreté, et je crois qu'actuellement elle doit tenir ma réponse. Je suis confus de celle<205> que je viens de recevoir. Quelque envie que j'aie d'être digne de la bonne opinion, madame, que vous avez de moi, je m'en sens encore bien éloigné. Mais c'est un aiguillon de plus, qui doit augmenter mes efforts pour mériter votre approbation. J'avoue que la bonté de ma cause ne me rassure pas contre les coups du sort. La plupart des fastes de l'antiquité sont remplis d'histoires d'usurpateurs. On voit partout le crime heureux triompher insolemment de l'innocence; ce qui renverse les empires est l'ouvrage d'un moment, et il ne faut quelquefois, pour qu'ils tombent, qu'une tête mal organisée se dérange dans un instant décisif. Je pourrais ajouter à tout ceci que, en réfléchissant sur les lois primitives du monde, on s'aperçoit qu'un de ces premiers principes est le changement; de là toutes ces révolutions, ces prospérités, ces infortunes et ces différents jeux du hasard qui ramènent sans cesse des scènes nouvelles. Peut-être que le période fatal à la Prusse est arrivé; peut-être verra-t-on une nouvelle monarchie despotique des Césars. Je n'en sais rien. Tout cela est possible; mais je réponds que l'on n'en viendra là qu'après avoir répandu des flots de sang, et que certainement je ne serai pas le spectateur des fers de ma patrie et de l'indigne esclavage des Allemands. Voilà, madame, ma résolution ferme, constante, inviolable. Les intérêts dont il s'agit sont si grands, si nobles, qu'ils animeraient un automate. L'amour de la liberté et la haine de toute tyrannie est si naturelle aux hommes, que, à moins d'être des indignes, ils sacrifient volontiers leur vie pour cette liberté. L'avenir nous est caché par un voile impénétrable. La fortune, si changeante, déserte souvent d'un parti à l'autre; peut-être m'arrivera-t-il, cette campagne, autant de bonheur que j'ai éprouvé d'adversités pendant la dernière. La bataille de Denain205-a rétablit la France des grandes pertes qu'elle avait faites pendant dix années consécutives d'infortune. Je vois les dangers qui<206> m'environnent; ils ne me découragent pas, et, en me proposant d'agir avec toute la fermeté possible, je m'abandonne au torrent des événements, qui m'entraîne malgré moi.

Je vois, madame, que vous n'espérez guère en la paix. Vous croyez que des personnes intéressées au nouveau système de la France s'y opposeront. Je dois cependant vous dire que le mal-être du royaume, étant parvenu à son comble, occasionne un cri général de la nation pour la paix, auquel ni ministre ni favori ne résiste longtemps; surtout une raison victorieuse, qui doit inspirer des idées pacifiques, c'est l'épuisement des finances. Cela est certain, et vous pouvez être persuadée que les fonds pour la campagne prochaine ne sont pas trouvés, et que bien s'en faut que les Français soient en état de faire, cette année, de grands efforts. Ce sont là les premiers arguments pour ces politiques durs, arrogants et inhumains. Je suis de même certainement persuadé que M. de Serbelloni se trompe dans ce qu'il a débité au sujet de l'Espagne. J'ai reçu hier une lettre de mylord Marischal, de Madrid, qui me marque que le roi d'Espagne était tout au plus mal disposé pour la maison d'Autriche, qu'il travaillait à la paix, et que j'y trouverais mon compte. On ne paye guère des subsides pour l'entretien de trente mille hommes. L'Espagne peut avoir donné quelques secours au roi de Pologne, mais assurément ils ne seront pas considérables, et M. Serbelloni a trouvé à propos de faire cette fanfaronnade pour inspirer du courage à ses cercles.

Voilà, madame, une lettre qui n'a point de fin. Je suis honteux de mon bavardage et de toutes les misères que je vous mande. J'ai suivi mon plaisir, et je n'ai pas pensé au vôtre. J'ai cru faire conversation avec vous, et cette illusion flatteuse m'a fait abuser de votre temps et de votre patience. Enfin, madame, vous me gâtez tout à fait. Je deviens importun, fâcheux, à charge à mes amis et insupportable à tout le monde. Si vous avez fait le mal, c'est à vous à le guérir; je prendrai en témoignage de vos bontés les corrections et<207> les réprimandes qu'il vous plaira de me donner; elles ne feront qu'ajouter à la haute estime et à l'admiration avec laquelle je suis,



Madame,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

16. A LA MÊME.

(Freyberg) 26 mars 1760.



Madame,

Ce jour a été heureux pour moi. Il m'a procuré trois de vos lettres, l'une plus obligeante que l'autre. L'incluse de Pa. annonce l'arrivée, et que le B. de F. s'était chargé de sa commission, et avait incessamment mis les fers au feu, et qu'il lui procurera le moyen de faire passer la réponse. Il paraît clair qu'il y a deux partis là-bas, qui partent de principes très-différents les uns des autres. Mais, malgré ces intrigues, je ne crois pas qu'il faut désespérer de la paix. J'ai des lettres de Hollande qui me donnent bonne espérance, et peut-être qu'au mois de juin nous en verrons les fruits. Vous avez la bonté de me marquer, madame, l'embarras où vous êtes touchant les lettres. Je ne vois de route que celle de Leipzig. Il y a un corps de Prussiens avancé de nouveau à Zeitz, qui chassera Luszinzky de Gera. Tant que cette petite expédition durera, la correspondance sera sûre; quand cela sera fini, je ne vois de route que celle de Leipzig qui nous reste ouverte.

<208>Voici une réponse à Vol., dont j'ai encore l'incongruité de vous charger.

Si ce livre du philosophe anglais m'apprend à me mieux morigéner, je vous supplie, madame, de me l'indiquer. Je ne le connais pas; mais je le crois bon, s'il mérite votre suffrage. Ce sont les malheurs, madame, qui rendent les hommes philosophes. Ma jeunesse a été l'école de l'adversité, et, depuis, dans un rang tant envié, et qui en impose au peuple par une enflure de grandeur, je n'ai pas manqué de revers et d'infortune. Une chose qui n'est presque arrivée qu'à moi est que j'ai perdu tous mes amis de cœur et mes anciennes connaissances. Ce sont des plaies dont le cœur saigne longtemps, que la philosophie apaise, mais que sa main ne saurait guérir. Le malheur rend sage, il dessille les yeux des préjugés qui les offusquaient, et nous détrompe des objets frivoles. C'est un bien pour les autres, mais un mal pour soi; car il n'y a qu'illusions dans le monde, et ceux qui s'en amusent sont en effet plus heureux que ceux qui en connaissent le néant et les méprisent. On pourrait dire à la philosophie ce que ce fou qui se croyait en paradis disait au médecin qui l'avait guéri et lui demandait son salaire : « Malheureux, veux-tu que je te paye du mal que tu m'as fait? J'étais en paradis, et tu m'en as tiré. »208-a

Voilà, madame, une confession qui ne fait guère honneur à la raison; mais c'est la vérité toute pure. Le stoïcisme est le dernier effort auquel l'esprit humain puisse atteindre; mais pour nous rendre heureux, il nous rend insensibles, et l'homme est un animal plutôt sensible que raisonnable;208-b ses sens ont un puissant empire sur lui, que la nature leur a donné et dont ils abusent souvent, et la guerre que la raison leur fait sans cesse est à peu près semblable à celle que je<209> fais à mes ennemis, dont souvent le grand nombre m'accable. Je crains bien que ces vapeurs de morale ne vous causent, madame, un profond ennui; pourvu qu'elles rendissent votre sommeil meilleur, vous pourriez au moins vous en servir comme d'un soporifique et en user envers moi comme l'abbé Terrasson209-a envers un prêtre de sa paroisse. L'abbé Terrasson avait des insomnies qui le minaient et le conduisaient doucement au tombeau. Un jour qu'il était excédé de ce mal, il envoya chercher ce curé. Le tonsuré arriva, tout fier d'opérer une belle conversion; il triomphait déjà dans le fond de son cœur, quand l'abbé mourant lui dit : « Monsieur le curé, ne pourriez-vous pas me répéter quelqu'un des sermons que je vous ai entendu faire? Je me souviens que je dormais si bien dans votre église! Les médecins m'ont abandonné; mais prêchez, et vous me rendrez la vie. » Puissiez-vous, madame, de longtemps n'avoir besoin, pour votre santé, ni de ses sermons, ni de mes lettres! Puissiez-vous être persuadée, autant que je le voudrais, de la reconnaissance et de la haute estime avec laquelle je suis,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

17. A LA MÊME.

(Freyberg) 30 mars (1760).

Le malade est arrivé ici. Il se trouve beaucoup mieux qu'il n'a été; mais les médecins, par bizarrerie, l'envoient en Angleterre, où il<210> faut qu'il prenne encore quelques remèdes par lesquels sa santé pourra se rétablir entièrement. Il vous est très-obligé de la part que vous prenez à sa situation, et il sent que sa guérison sera plutôt votre ouvrage que celui des médecins. Quelque autre docteur en médecine à grand bonnet donne aussi de bonnes espérances. Il veut se mêler de cette cure; mais il guérira le malade par sympathie, en taillant et bras et jambes à ceux qui n'aiment point le malade, et qui se sont opposés à sa guérison. Voilà de belles apparences; elles peuvent se réaliser; cependant il faut continuer à dire : Nage, et ne t'y fie pas.210-a

18. A LA MÊME.

Freyberg, 1er avril 1760.



Madame,

Vous m'ordonnez de vous dire mon sentiment sur ce que contient l'incluse. Je vous le dirai donc, madame, avec toute la vérité que je vous dois, vous conjurant cependant de ne le pas prendre pour un oracle; et il me paraît que les choses ne sont pas encore assez avancées pour en venir là, parce que personne n'a, jusqu'à présent, dit son mot, et il nous convient d'attendre à quel point la France et l'Angleterre pourront s'accorder touchant leurs propres intérêts, qui vraisemblablement leur sont les plus proches; après quoi il sera temps que chacun dise son mot, et, à en juger selon les apparences, ces discussions deviendront l'occupation du congrès. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Impératrices ne veulent en aucune façon s'entendre à la paix, et que par conséquent cette campagne aura lieu, quoi qu'il en<211> puisse arriver. Quoique la charge me reste seul, et que je garde le nord et le sud de l'Europe sur mes épaules, il en faut passer par là et s'en fier à la fortune, si l'on peut cependant sans présomption se fier à son inconstance. Si vous voulez donc vous fier à mes faibles lumières, je crois, madame, qu'il ne sera temps de parler que lorsque nous aurons des nouvelles d'Angleterre qui marquent que les esprits se rapprochent, et qu'il y a apparence que l'on pourra convenir de la paix. Dès que mes nouvelles me le marqueront, je vous écrirai simplement que l'on disait que vous deviez depuis longtemps une réponse à la princesse de Galles, et que je croyais que cela lui ferait plaisir si vous lui écriviez. Voilà mon sentiment, madame, au vrai, tel que je me le conseillerais à moi-même, si j'étais en votre place. Le Mercure211-a pourra être dans deux jours à Lo.,211-b d'où il pourrait bien encore repasser à Pa.211-c Vous voyez que tout cela ne va pas aussi vite qu'on le désire; mais encore est-ce beaucoup, si l'on peut réussir. Je suis avec la plus haute estime,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<212>

19. A LA MÊME.



Madame,

Je crois qu'il sera bientôt temps d'écrire en Angleterre. Je me recommande à votre souvenir.

20. A LA MÊME.

Meissen, 8 mai 1760.



Madame,

Je me suis persuadé que c'était une espèce de devoir de ma part de vous envoyer ce fatras de vers que l'on m'a volé,212-a et qui paraît au moins avec moins d'incorrections que dans l'édition furtive de Lyon, que les libraires de Hollande ont copiée. Ces vers n'ont été composés, madame, que pour un petit cercle de personnes qui avaient pour moi autant d'indulgence que celle que vous daignez me marquer. Je vous avoue que j'ai pensé tout haut, et que je n'ai point craint d'être trahi. Je ne sais pas même encore actuellement qui accuser du larcin que l'on m'a fait. Je sens qu'il y a bien des matières, dans ce livre, peu faites pour le public; mais ce n'est en vérité pas pour lui que l'ouvrage a été fait. Je connais assez le goût du siècle pour savoir ce qu'il approuve, et mes vers sont trop raisonneurs, trop sérieux et trop dépouillés de cette espèce d'aménité qu'on y demande. Je craignais même qu'on ne me soupçonnât de pouvoir rimer et d'encourir la réputation du proverbe qui dit : fou comme un poëte. Mais toutes mes précautions ont été inutiles. Me voici poëte malgré moi,<213> et j'ai voulu me présenter à vous sous cette qualité, parce que je crois qu'on ne doit rien avoir de caché pour ses amis.

Phihihu a été heureux de trouver grâce devant vos yeux; c'est ce qui m'enhardit à vous envoyer, madame, une Lettre assez singulière.213-a Je me défends de mes dents et de mes griffes, et, si cela paraît un peu trop véhément, je vous supplie de m'obtenir l'absolution de M. Cyprianus213-b ou de son successeur; tout pauvre pécheur en a besoin, et moi surtout, qui, entraîné par les mœurs débordées du siècle, succombe souvent aux tentations du vieux démon qui est sans cesse à rôder à la chasse des âmes.

Je n'ai point de lettres de Londres depuis le 18, que le vent a été contraire. A vous dire naturellement ce que je pense, je m'aperçois que les Anglais ne veulent pas la paix. Il fallait pourtant en faire la tentative pour le bien de l'humanité et pour n'avoir rien à se reprocher; et, confus de n'être pas de votre opinion, madame, au sujet des opérations de la Providence, je ne saurais me désabuser du préjugé dans lequel je suis que, à la guerre, Dieu est pour les gros escadrons. Jusqu'ici, ces gros escadrons se trouvent chez nos ennemis. J'ai habillé en poésie mes rêves métaphysiques sur ce sujet. J'ai tiré les plus considérables exemples que l'histoire nous fournit de hasards fortunés et malheureux, et, si ce n'est pas abuser de votre indulgence, je prendrai la liberté de vous envoyer un jour cette pièce.213-c

J'ai lu Hume, madame, et, pour vous en dire mon sentiment avec toute franchise, je vous avoue qu'il me semble qu'il court trop après les paradoxes, ce qui l'égare quelquefois, et le fait tomber en contradiction avec lui-même; il fouette la religion chrétienne sur les fesses<214> du mahométisme,214-a et partout il en dit ou trop, ou trop peu. La métaphysique, selon mes faibles lumières, veut être traitée avec beaucoup de circonspection, et il ne faut y admettre que des raisonnements rigoureux, où l'évidence soit partout convaincante, ou, si l'on a des ménagements à garder, il vaut mieux se taire. Ce qu'il y a de mieux dans le livre de M. Hume est tiré de Locke; mais l'auteur moderne ne renchérit pas sur l'ancien. Au contraire, il paraît que Locke prête des béquilles à M. Hume pour l'aider à se traîner dans un pays où le terrain semble sans cesse se dérober sous ses pieds. Je vous demande encore mille fois pardon de ce bavardage, madame; je me mêle de vous dire des choses que vous savez et sentez mille fois mieux que moi. Je suis votre enfant gâté; si je vous ennuie, c'est en vérité votre faute. Je vous apprendrai peut-être à moins prodiguer vos bontés, en vous inspirant le repentir de tout ce que vous m'enhardissez à vous écrire. L'homme bénit214-b est encore avec son épée, et sa toque, et son armée, au faubourg de Dresde. Selon toutes les apparences, ce mois-ci se filera jusqu'à sa fin sans qu'il y ait grande effusion de sang. Je ne vous réponds pas du reste, moi, qui ne vois guère au delà du bout de mon nez.

Daignez, madame, être persuadée de tous les sentiments que vous m'inspirez, surtout de la reconnaissance avec laquelle je ne cesserai d'être,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<215>

21. A LA MÊME.

(Schlettau, près de Meissen) ce 17 (mai 1760).



Madame,

J'ai reçu aujourd'hui la lettre du 8 que vous avez eu la bonté de m'écrire. Si vous vous confiez à ma sincérité, je puis vous en répondre; mais si c'est à mon habileté, vous pourriez vous y tromper. Je vous donne, madame, les conseils que je me donnerais à moi-même; c'est tout ce que je puis faire. Vous savez que les projets des hommes et les événements ne s'accordent que rarement, et que notre prudence, resserrée dans des bornes étroites, n'a guère de prise sur l'avenir. Cet avenir est à présent à nos yeux plus obscur que jamais. Je ne sais si le jeune Mercure pourra le débrouiller d'un coup de son caducée; il faut toujours l'espérer à bon compte. Les paquets qui se trouvent pour lui entre vos mains, madame, sont dans le sanctuaire. Ils étaient relatifs à sa première mission, et, si vous daignez les garder jusqu'à son retour, ils lui seront toujours assez tôt rendus.

Permettez que je ne vous réponde pas sur l'article du hasard. C'est une question métaphysique qui me mènerait trop loin. Il est sûr que le bien est sur la terre, mais malheureusement le mal y est aussi. Si donc la Providence fait tout, elle fait le mal, et Dieu, qu'on ne peut se représenter que sous l'image de la bonté même, deviendrait par là un être tyrannique, malfaisant et indigne de notre culte. Selon ma façon de raisonner, je tâche d'être le plus conséquent qu'il m'est possible, et cela m'écarte nécessairement de la façon d'argumenter lâche et flasque des métaphysiciens de l'école. Cependant ne pensez pas, madame, que j'entende par hasard un être indépendant et tel que le paganisme se l'est forgé; je n'attache à ce mot d'autre idée que celle des causes secondes, dont nous ne découvrons les ressorts qu'après l'événement. Mais tout ce qui en résulte est dans l'ordre<216> des choses, parce que ce ne sont que des suites nécessaires des passions qui ont été données aux hommes, et qui contribuent alternativement à leur bonheur et à leur malheur. L'Être suprême a répandu tous ces différents caractères sur la surface de la terre, à peu près comme un jardinier sèmerait au hasard dans un parterre des narcisses, des jasmins, des œillets, des soucis et des violettes; elles croissent au hasard, chacune dans la place où leur semence est tombée, et produisent nécessairement la fleur dont elles contiennent le germe. Ainsi les passions agissent toujours conformément à leur caractère, et le grand architecte s'en embarrasse aussi peu que vous, madame, d'une taupinière de fourmis qui peut se trouver dans vos jardins. Je supprime un beau nombre d'arguments in barbara et celarent, capables de causer une indigestion à l'estomac d'une autruche; mais, en gros, je suis fermement persuadé que le ciel ne s'embarrasse pas de nos misérables démêlés, ni de toutes les pauvretés qui nous tourmentent jusqu'au moment où le quart d'heure de Rabelais sonne,216-a et qu'il faut décamper. On ferait un gros livre des exemples qui autorisent mon opinion; mais ne craignez rien, madame, je me renfermerai dans les bornes épistolaires, et je m'en rapporte à MM. les professeurs en us sur les gros ouvrages; ces messieurs ne ménagent ni le public, ni les libraires. Si la défunte monade de Wolff existait encore, il vous régalerait d'un petit essai en vingt-quatre volumes in-folio, où, après bien des citations de la cosmologie, de la théodicée, etc., etc., etc., il vous prouverait que ce monde-ci est le meilleur des mondes possibles. Pour moi, qui n'en crois rien, et qui sens malheureusement beaucoup de maux, je pourrais lui faire la réponse de ce stoïcien auquel un péripatéticien niait le mouvement : le stoïcien le confondit en marchant devant lui.216-b Les faits portent avec eux un<217> caractère d'évidence auquel la subtilité des sophismes est forcée de céder.

Mais en voilà bien assez sur une matière si abstraite. Soyez persuadée, madame, que je compte pour le plus heureux hasard de ma vie celui qui m'a guidé si bizarrement à votre cour. Le bonheur de ma vie n'a duré qu'un moment. Je me flatte que, si je vois la fin de cette guerre, je pourrai jouir de la même faveur avec moins d'interruption. Ce sont les vœux et l'espérance de celui qui sera à jamais,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

22. A LA MÊME.

Neustadt (près de Meissen), 22 novembre 1760.



Madame,

Après que ma vie errante m'a promené depuis près de six mois de province en province, ce m'est, madame, une véritable consolation de recevoir de vos nouvelles et d'apprendre par vous-même la part que vous daignez prendre à quelques succès qui ont accompagné nos entreprises. Il est sûr que la guerre présente se distingue de toutes les autres par un certain acharnement opiniâtre et atroce qui caractérise l'esprit de nos politiques modernes. Cette campagne a été pour moi la plus cruelle de toutes. Il n'y a pas eu moyen de déloger l'ennemi de son poste avantageux auprès de Dresde. Nous allons prendre nos quartiers. Les circonstances m'obligeront d'avoir une tête à Altenbourg; ce sera cependant en regardant ce pays comme un sanc<218>tuaire. J'ai chargé, madame, votre cavalier d'une proposition; je ne sais si elle sera acceptable. J'ose vous demander deux mots de réponse.

Le Mercure a eu un sort singulier. D'Angleterre il est retourné à Paris, où on l'a mis à la Bastille; puis on l'a relâché et obligé de sortir du royaume, en prenant la route de Turin. Il y a quatre mois qu'il m'en a fait une relation qui mériterait d'être imprimée pour l'extravagance originale et le ridicule des procédés qu'on a eus envers lui. Depuis ce temps, madame, il n'a plus donné signe de vie, de sorte que, s'il n'est pas encore à Turin, je ne saurais vous donner de ses nouvelles.

Tous les arrangements que je prends, et ceux du prince Ferdinand, tendent, madame, à vous délivrer de l'importunité de vos voisins. Dans peu je me flatte que vous en verrez les effets. Mais sera-ce encore à recommencer l'année prochaine?

Je me flatte, madame, que vous voudrez me permettre de vous écrire dans des moments où j'aurai l'esprit plus libre qu'à présent, et je me réserve de vous réitérer alors les assurances de la haute considération, de l'estime et de l'amitié avec laquelle je suis,



Madame,

Votre fidèle ami et cousin,
Federic.

<219>

23. A LA MÊME.

Meissen, 4 décembre 1760.



Madame,

Je comprends que bien des raisons vous empêchent de m'accorder la faveur que je vous ai peut-être trop inconsidérément demandée. Je n'en hais que plus nos ennemis, puisqu'ils en agissent si tyranniquement, et que, s'ils ne peuvent gagner les cœurs, ils veulent au moins contraindre les intentions et gêner jusqu'aux sentiments de bienveillance et d'amitié. Je sais que le prince Ferdinand doit agir; je ne sais ce qui l'arrête, et je m'étonne qu'il ait toléré si longtemps les Français et les Saxons dans une position dont il doit avoir prévu les conséquences. Mais, madame, que me pronostiquez-vous pour l'année prochaine? Encore la guerre et les mêmes situations désespérées dont un hasard favorable m'a su tirer cette année? Je vous le confesse, cette situation est insupportable, et je ne puis envisager cet avenir qu'en frémissant. C'est comme si l'on disait à un homme : Vous êtes tombé deux fois dans la mer sans vous noyer; jetez-vous-y encore. Ne répondrait-il pas : Je rends grâce à mon destin de m'avoir préservé deux fois des dangers éminents que j'ai courus; si je mets ce destin à trop d'épreuves, il m'abandonnera comme un téméraire incorrigible. Voilà, madame, entre vous et moi, ce que je pense de tout ceci. J'en reviens à ce vieux proverbe qui, tout trivial qu'il est, n'en est pas moins vrai : « Tant va la cruche à l'eau, qu'elle se brise à la fin. » Un malheureux moment peut tout renverser, et, d'ailleurs, comment nous flatter de la fortune malgré ce nombre accablant d'ennemis qui conjurent ma perte?

Votre correspondant de Londres me fait bien de l'honneur; mais, madame, s'il avait vu une de ces batailles de ses yeux, il en conserverait une juste horreur, et il conviendrait que, de toutes les passions<220> des hommes, l'ambition est la plus funeste au genre humain. Daignez faire, madame, des assurances de mon estime à M. le duc.

Je pars dans quelques jours pour Leipzig, d'où je compte faire des changements qui tendront à ménager le duché d'Altenbourg et, s'il se peut, à contribuer, avec l'aide du prince Ferdinand, à vous délivrer de l'importun voisinage de vos fâcheux.

Je suis avec tous les sentiments de la plus parfaite considération et d'estime,



Madame,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

24. A LA MÊME.

Leipzig, 3 janvier 1761.



Madame ma cousine,

Chacune de vos lettres, mon adorable duchesse, augmente pour vous mon admiration et ma reconnaissance. Vous surpassez, madame, toutes mes espérances, et vous donnez un bien bel exemple au monde de l'amitié et de ses obligations les plus étendues. Puissé-je y répondre, de mon côté, en vous servant, en vous étant utile, et en pouvant trouver l'occasion de vous prouver que vous n'avez pas obligé un ingrat! Je vous avoue, madame, que je suppose à ce M. Bute220-a un cœur de fer et des entrailles d'airain. Plutôt détournerait-on le cours du Danube, plutôt fondrait-on les rochers de la Thuringe, que de lui faire changer de sentiments. Cependant il est beau de l'entreprendre. Si vous y réussissez, madame, souffrez que j'élève votre entreprise au-dessus de tous les travaux d'Hercule. Je<221> me flatte que la diète sera plus traitable. Les princes commencent tous à concevoir que la guerre qu'on leur faisait faire n'était pas pour eux. La cour de Vienne fait aussi paraître plus de velléités pour la paix que jusqu'ici elle n'en a témoigné, ce qui me donne quelque espérance que nous touchons à la fin de nos maux et de nos embarras. Il en était bien temps. Il n'y a rien de si ridicule que de se battre toujours, surtout quand on ne sait pas pourquoi. Enfin, madame, vous contribuerez à cette paix, qui m'en deviendra plus chère par la part que vous y avez. J'ai aussi donné des ordres à l'instant à l'officier qui est à Gotha, pour qu'il ralentisse sa commission, ne désirant, madame, que de vous témoigner en toute occasion l'ardent désir que j'ai de vous complaire en tout ce qui dépend de moi.

Daignez recevoir ces prémices de mes bonnes intentions comme les arrhes de l'avenir, et comptez-moi, ma chère duchesse, pour le plus zélé de vos amis et de vos adorateurs. Ce sont des sentiments que je me fais gloire de conserver jusqu'au tombeau, étant.



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

25. A LA MÊME.

Leipzig, 12 janvier 1761.



Madame,

La crainte que mes lettres ne fussent interceptées m'a fait jusqu'ici supprimer mes sentiments, lorsque le frère du Mercure arrive à l'im<222>proviste, et me rend la lettre dont vous avez eu, madame, la bonté de le charger. Je vous rends grâce de la manière affectueuse dont vous daignez faire des vœux pour le bien des conjonctures et pour ce qui me regarde. Je vous assure, madame, que, sans vous le dire à vous-même, je vous ai souhaité et vous souhaite tous les jours de ma vie le bonheur que méritent votre vertu distinguée et vos grandes qualités. Ce sont des sentiments qui me resteront pour la vie, parce qu'il m'est impossible d'estimer les personnes ou de donner mon cœur à demi. Vous pouvez juger par conséquent que j'aurais tout fait de moi-même pour contribuer à ce qui vous peut être utile et agréable; mais, comme cette matière me paraît trop délicate pour être confiée au papier, j'en charge votre émissaire, qui, sous votre bon plaisir, pourra vous rapporter verbalement ce qui concerne cet article.

Je suis ici, depuis quatre semaines, dans le pays latin. J'ai, pour m'amuser, passé en revue tous les professeurs de cette université;222-a j'en ai trouvé trois ou quatre remplis de mérite et de belles connaissances, entre autres, un professeur de grec qui m'a semblé avoir plus de jugement et de goût qu'il n'est commun d'en rencontrer dans les savants de notre nation. Mais, dans la foule, j'en ai déterré un qui n'aurait pas échappé à Molière, s'il avait vécu de son temps. Cet homme admirable222-b m'a dit avec une gravité magistrale qu'il avait accouché de soixante volumes in-folio, et qu'il en avait publié deux tous les trois mois. Je lui dis : « Mais, monsieur, vous possédez donc la science universelle? - Aussi fais-je, repartit-il. - Mais, monsieur, tous les trois mois deux volumes in-folio! Y pensez-vous bien? Je n'aurais pas le temps de les écrire; et comment donc avez-vous pu<223> les composer? - Cela partait de là, me dit-il, mettant le doigt sur son front. » Un de ses confrères charitables ajouta : « Et du dictionnaire de Bayle, de Moréri, de Chambers, et de tous les dictionnaires connus, que monsieur a fondus ensemble. - Oui, je les ai refondus ensemble, dit le savant; mais je les ai rendus excellents, car je les ai corrigés tous. »

Puisse le ciel, madame, vous et moi nous préserver, cette année et toutes les autres de notre vie, d'auteurs qui sont pères de soixante volumes in-folio! J'en ai jusqu'à ce moment-ci l'imagination si frappée, que je tremble à l'aspect d'un livre, à moins que ce ne soit un in-douze.

Je vous demande votre indulgence ordinaire en faveur des balivernes que je vous mande. J'ai cru que, dans le temps qui court, c'étaient les seules nouvelles qu'on pouvait mander et recevoir sans causer des sensations désagréables. Daignez me passer l'histoire des professeurs en faveur du sincère attachement avec lequel je suis à jamais,



Madame,

Votre fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

26. A LA MÊME.

(Leipzig) 23 février 1761.



Madame,

Je suis trop heureux, si j'ai pu contribuer en quelque chose à vous délivrer de la tyrannie française et saxonne.223-a Vous êtes au moins<224> vengée, madame; je voudrais qu'il dépendît de moi de réparer aussi facilement les dommages que le pays de Gotha a soufferts. Du moins je n'en comblerai pas la mesure. Mes troupes ont ordre de se conduire avec circonspection et désintéressement. Mais, pour plus de sûreté, elles iront à présent chasser les cercles du bout de la Saxe, où ils sont encore, de sorte que je me flatte, madame, qu'ils ne vous causeront aucune incommodité. Toute cette besogne n'a pas été expédiée aussi vite que je l'aurais désiré; mais il y avait tant de têtes à accorder, que je suis persuadé que vous ne m'en attribuez pas la faute.

Quoi qu'il en soit, il est probable que cet événement contribuera essentiellement à la paix. Elle est désirable pour le bien de l'Allemagne, pour celui de l'humanité, et en vérité pour toutes les parties belligérantes, dont l'ambition ne s'est nourrie que de chimères jusqu'ici, et qui ont abîmé leur pays pour soutenir cette malheureuse et funeste guerre. Le moment le plus heureux de ma vie sera celui où je pourrai vous annoncer, madame, cet heureux événement. En attendant, soyez persuadée que personne ne vous aime, ne vous estime et honore plus que je fais profession de le faire, étant avec la plus haute estime et considération,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<225>

27. A LA MÊME.

Breslau, 22 décembre 1761.



225-aMadame ma cousine,

L'obligeante lettre que Votre Altesse m'a écrite le 8 de ce mois ne m'a été rendue qu'aujourd'hui, et j'ose me flatter que, connaissant ma façon de penser à votre égard, vous serez très-persuadée, madame, que ce me serait un vrai plaisir de me prêter simplement à la demande que vous m'y faites au sujet du comte de Werthern,225-b si, d'ailleurs, je me trouvais au fait de son affaire. Toutefois ledit comte ne me sert pas proprement d'otage; mais c'est plutôt à la réquisition de l'entrepreneur des livraisons qui ont été fournies en conséquence du contrat passé par les états de la Thuringe, auquel ceux-ci ont manqué de satisfaire, que le commissariat de guerre en Saxe s'est vu nécessité, pour moyenner le payement auquel les états se sont engagés en vertu de leur contrat, de prendre des mesures pour la sûreté du payement en question. Je regrette de n'être pas à portée de mon commissariat de guerre en Saxe, les voies de la correspondance étant mal sûres, pour lui demander des éclaircissements sur une affaire où il s'agit du droit du tiers, sans que j'y intéresse directement, et que, en général, mes occupations soient, à l'heure qu'il est, si nombreuses et de nature à me prendre jusqu'aux moments nécessaires pour entrer dans des détails étrangers.

<226>Je vous prie, madame, de me croire avec les sentiments invariables d'une estime distinguée et de la plus parfaite amitié,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-bon cousin,
Federic.

28. A LA MÊME.

Bettlern, 18 mai 1762.



226-aMadame ma cousine,

La lettre qu'il vous a plu, madame, de m'écrire, du 7 de ce mois, m'est un témoignage bien authentique des sentiments d'amitié que vous avez pour moi. J'en sens tout le prix, et V. A. peut s'attendre à un parlait retour, et que je m'empresserai à trouver des occasions où je puisse lui donner à connaître la haute estime et l'amitié très-parfaite avec lesquelles je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-bon cousin.

226-bDans ces moments où mon occupation est immense, vous me<227> pardonnerez, madame, si je ne vous écris pas moi-même; ce n'est ni l'estime et l'amitié, mais le maréchal Daun seul qui m'en empêche.

Fr.

29. A LA MÊME.

Löwenberg, 2 novembre 1762.



Madame,

Votre lettre, et les assurances que vous m'y donnez de la part que vous daignez prendre aux avantages que nous avons eus,227-a m'a fait presque plus de plaisir que ces avantages mêmes. Les succès ne flattent que l'ambition et l'intérêt; mais l'amitié touche le cœur, et il m'est impossible de n'y pas être sensible, connaissant, madame, comme je fais, la noblesse de votre cœur et la sincérité de vos sentiments. J'apprends aujourd'hui une petite victoire que mon frère vient de remporter sur les Autrichiens auprès de Freyberg.227-b Il semble, à la fin, que la fortune se lasse de nous persécuter, et que, après avoir été durant sept campagnes en butte à tous ses coups, elle veut désormais nous traiter avec moins de rigueur. Peut-être que ceci mènera les choses à la paix, et que nos ennemis, trouvant leur mauvaise volonté insuffisante, prendront des sentiments plus modérés et plus humains. J'aime fort, madame, toutes les victoires et les avantages qui mènent à la paix; le reste n'est qu'une effusion de sang et une boucherie inutile. Veuille le ciel que les choses en viennent bientôt là! Peut-être serai-je dans peu dans votre voisinage, madame, et je<228> me flatte qu'il se pourrait qu'une conjoncture assez favorable me mît à portée de vous témoigner de vive voix combien je suis avec les sentiments de la plus haute estime,



Madame,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

30. A LA MÊME.

Meissen, 20 novembre 1762.



Madame,

J'ai été fort flatté de la part que vous daignez prendre, madame, aux succès que nous avons eus durant cette campagne. Il serait à souhaiter que ce fussent autant de lignes qui aboutissent au centre de la paix. Cependant il faut espérer que nous en approchons, si même nous n'y touchons pas à présent immédiatement. Comme mes quartiers s'étendent, cette année, de Plauen et Zwickau vers Langensalza, et que je suis obligé d'en faire la tournée pour régler les choses nécessaires, mon chemin me conduirait naturellement à Gotha. Cependant, comme je sens, madame, que vous avez bien des ménagements à garder, et que je serais inconsolable de vous causer du chagrin, mandez-moi, je vous prie, naturellement, si mon passage pourrait vous porter quelque préjudice, ou non. Je suis persuadé, madame, de votre amitié; ainsi vous pouvez m'écrire ce qui vous convient, sans craindre que je l'interprète d'une manière différente. Si vous croyez que ce petit projet que je forme ne vous porte aucun préjudice, je passerai par Gotha, et vous n'avez qu'à paraître l'avoir ignoré<229> jusqu'à mon arrivée. Si, au contraire, cette démarche peut tirer à la moindre conséquence, je changerai mon chemin, et prendrai une route qui me détournera de votre voisinage. Je vous supplie de m'écrire tout naturellement, sans vous contraindre, car, persuadé, madame, de votre amitié, dont j'ai tant de témoignages, je vous supplie de ne pas croire qu'un refus altère en rien ma façon de penser à votre égard. Je suis avec tous les sentiments de considération et d'estime,



Madame ma cousine,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

31. A LA MÊME.

Meissen, 29 novembre 1762.



Madame,

Autorisé de votre approbation, j'aurai le plaisir infini de vous rendre mes devoirs le 3 de décembre, et de vous réitérer, madame, les plus vives et les plus sincères assurances d'estime et d'amitié.

MM. du commissariat se sont un peu lourdement et grossièrement acquittés de leur charge, dont je vous fais des excuses. Mais daignez considérer, madame, que, en temps de guerre, nulle marchandise ou espèce n'est plus indispensablement nécessaire que celle des hommes. Daignez faire réflexion que, sans la bataille de Freyberg, les pays du Duc auraient été, comme l'année précédente, en proie aux dures extorsions de mes ennemis; que cette bataille a coûté infiniment plus de monde que celui qu'on demande; que toutes mes provinces sont envahies ou entièrement saccagées et dévastées par<230> mes ennemis; que le monde qu'on lève en Saxe est infidèle et même porté à nous trahir; qu'il faut au moins, parmi ce nombre que nous ne nous pouvons dispenser d'employer, quelques gens sur la fidélité desquels on peut compter; enfin, que le petit nombre qu'on demande n'est pas, à beaucoup près, proportionné à celui que d'autres princes fournissent, et que, en négligeant les centaines, on ne parvient pas à former des milliers, qu'il nous faut assembler. Tout ceci sont, madame, des raisons très-pressantes pour ceux qui sont dans la nécessité de se battre, où certainement le nombre n'est pas à mépriser. Si je n'étais pas dans le cruel embarras où je me trouve, j'aurais certainement eu conscience de vous importuner pour une bagatelle; mais, vu le procédé brutal du commissariat, ceci peut passer pour une violence, et il n'y a qu'à crier à Ratisbonne. Je vous expose toutes mes raisons, en les soumettant, madame, à l'équité de votre jugement, et en alléguant la nécessité, souvent plus forte que les lois.

Je jouis déjà d'avance du plaisir que j'aurai de revoir cette amie respectable qui m'a captivé le cœur dès que j'ai eu le bonheur de la connaître. En vous priant, madame, d'être bien persuadée que je vous parle avec toute la franchise possible, et que mon cœur ne dément point ma bouche quand je vous assure que l'on ne saurait être avec plus d'estime et de considération que je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle ami et serviteur,
Federic.

<231>

32. A LA MÊME.

Leipzig, 6 décembre 1762.



Madame,

Je ne tarirais point, mon adorable duchesse, si je vous rendais compte de toute l'impression qu'a faite sur mon cœur l'amitié dont vous m'avez comblé.231-a Je voudrais pouvoir y répondre en entrant en tout ce qui vous peut être agréable. Je prends la liberté de vous envoyer les réponses aux deux mémoires que vous m'avez remis. Je suis mortifié, madame, si je n'ai pu remplir tout à fait vos désirs; mais, si vous saviez la situation où je me trouve, je me flatte que vous y auriez quelques égards. Je me suis trouvé ici accablé d'affaires, et plus encore que je ne l'avais prévu. Cependant, si je trouve jamais jour à pouvoir vous rendre en personne l'hommage d'un cœur qui vous est plus attaché que ceux de vos plus proches parents, je ne négligerai assurément pas la première occasion qui s'en présentera.

MM. les Anglais achèvent de me trahir.231-b Le pauvre M. Mitchel231-c en est tombé en apoplexie. C'est une chose affreuse, mais je n'en parlerai plus. Puissiez-vous, madame, jouir de toutes les prospérités que je vous souhaite, et ne point oublier un ami qui sera jusqu'à sa mort, avec les sentiments de la plus haute estime et de la plus parfaite considération,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<232>

33. A LA MÊME.

Leipzig, 11 décembre 1762.



Madame,

Je reconnais votre bonté et votre indulgence, mon adorable duchesse; c'est elle qui m'enhardit, et qui m'en rend quelquefois très-indigne. La seule qualité que j'aie est d'avoir un instinct qui connaît le mérite, et une âme qui honore la vertu. Voilà ce qui m'a subjugué dès que j'ai eu le bonheur de vous connaître, et voilà ce qui m'attache à votre personne pour la vie. Hélas! madame, un mot que j'ai lâché en passant vous a donné de l'ouvrage plus qu'il n'en fallait. Que je me repens d'avoir lâché ce mot! Pour vous donner une idée de ma situation vis-à-vis de l'Angleterre, vous saurez, madame, que nos traités sont bien différents de la conduite que le ministère britannique tient actuellement envers moi. Il y était stipulé de ne faire ni paix ni trêve sans le consentement de ses alliés. Le reste roulait sur une garantie solennelle et réciproque de toutes nos possessions. J'ai été le seul des alliés de l'Angleterre dont elle sacrifie les intérêts, car les Autrichiens vont se mettre incessamment en possession du duché de Clèves; même M. Bute négocie de tous côtés pour me susciter des ennemis, et pour m'obliger à faire une paix humiliante et désavantageuse. Vous ne sauriez dire des vérités aussi dures à la princesse de Galles sans qu'elle s'en choque; ainsi je crois que le meilleur est de n'en point parler, d'autant plus que les intérêts de l'Allemagne et ceux de la religion protestante sont des arguments dont ce maudit Bute ne fait aucun cas. Il a même déclaré qu'il fallait établir pour principe que l'Angleterre devait en toute occasion sacrifier ses alliés aux intérêts nationaux. Après cela, madame, que nous reste-t-il à dire, sinon que, en renonçant aux sentiments d'honneur et de bonne foi, un traître peut commettre des perfidies sans en rougir, à l'abri de l'impunité dont il jouit par ses charges?

<233>J'ai ensuite examiné ici les affaires de Thuringe. Les états doivent, madame, de l'année 1760, quatre cent mille écus de contribution, et cent cinquante mille écus à un marchand qui s'est chargé de leurs livraisons. On a relâché quelques otages sur leur parole, qui, au lieu de se reproduire après les citations qui leur ont été faites, se sont éclipsés. Tant de duplicité et de mauvaise foi de la part de ces Saxons m'interdit toute voie de douceur, d'autant plus que l'objet qui est à leur charge est considérable, que nous sommes pauvres et ruinés, et qu'il faut chaque jour fournir aux dépenses, qui augmentent au lieu de diminuer. Je me rappelle cent fois cette lettre qu'on connaît de Henri IV, où il mande à un de ses amis de lui faire avoir de l'argent, parce que son pourpoint est déchiré, qu'il n'a plus ni selle ni cheval, et que ses serviteurs exigent de lui leur paye, qu'il ne sait comment leur fournir. On ne sent ces choses que lorsqu'on se trouve dans un cas pareil, et l'on se trouve presque réduit, comme saint Crépin, à voler le cuir pour donner des souliers aux pauvres. Voilà, madame, la source de bien des procédés et des mauvaises manœuvres où je suis réduit par les lois d'une nécessité impérieuse. Une suite de fatalités m'a mis dans cette situation fâcheuse et violente. Il n'est pas aisé de s'en tirer, quoique j'y travaille de tout mon pouvoir. Je sais, ma chère duchesse, que je ne risque rien en vous parlant avec cette franchise, car, dans la situation où je suis, il convient de ne faire remarquer aucun embarras, et même d'affecter d'avoir des ressources pour soutenir la gageure contre tout le monde.

Je vous demande mille pardons de vous avoir entretenue si longtemps sur des matières désagréables qui me touchent beaucoup, à la vérité, mais qui ne sont guère convenables quand on écrit à une princesse respectable à laquelle il y aurait cent autres choses à dire. Ma franchise déplacée, l'ennui que vous causera, madame, cette lettre, enfin ce qu'il y a de trop peu courtois dans ma conduite, tout<234> cela est la suite de votre trop grande indulgence. Cependant je vous promets, madame, que je n'en abuserai jamais, et que personne n'est avec plus de reconnaissance ni avec une plus haute estime que,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

34. DE LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

Gotha, 13 décembre 1762.



Sire,

Je suis comblée des bontés de Votre Majesté. Que ne puis-je lui témoigner à quel point j'y suis sensible, et le désir ardent que je me sens à pouvoir faire des efforts pour me rendre digne de sa précieuse confiance! Que V. M., bien loin de regretter ce mot qu'elle a daigné me dire, me fasse la grâce de me montrer les moyens pour le rendre efficace. Je suis outrée du procédé inouï du ministère britannique; c'est respecter bien peu la dignité royale que de faire agir son maître contre la foi de ses engagements. Il est impossible que les choses en restent là sans qu'il s'ensuive les effets les plus funestes. Il me semble qu'il faudrait tenter tous les moyens que la prudence peut suggérer pour réconcilier à temps les deux plus grandes maisons protestantes qui sont en Allemagne, et de l'union desquelles dépend notre unique<235> salut. Si V. M. voulait permettre que j'écrivisse à la princesse, non comme je l'avais d'abord projeté, mais selon ce qui plairait à V. M., et selon qu'elle voudrait me le dicter; ou bien, Sire, trouveriez-vous plus à propos que le Duc fît cette démarche, parce qu'une lettre de sa part serait plutôt communiquée au Roi et à mylord Bute, et que, sous le titre de frère, on ose parler encore avec plus de liberté, quoique dans le fond cela viendrait absolument au même. Dans ce cas, comme dans le premier, V. M. ne risquerait assurément rien, ni pour le secret, ni pour la discrétion. Nous lui sommes si inviolablement attachés, que son intérêt nous est aussi cher que le nôtre. Disposez de nous, Sire, ordonnez-nous ce que nous devons faire, donnez-nous le canevas de cette lettre et une instruction que nous suivrons scrupuleusement. Si la considération du maintien de la religion protestante et de la liberté germanique ne peut ramener les esprits qui ont pour maxime l'intérêt national, auquel ils sacrifient et bonne foi, et équité, du moins pourrait-on leur faire toucher au doigt que ce même intérêt risquerait tout, s'ils abandonnaient le continent, et laissaient agrandir la cour de Vienne en puissance et en possessions.

C'est bien moi qui ai besoin de demander très-humblement pardon à V. M. de la longueur de ma lettre. Les vôtres, Sire, sont adorables et pleines d'intérêt. Je les aime de toutes mes facultés, j'en suis infiniment flattée. Que votre sort me touche sensiblement! Je ne saurais, Sire, l'exprimer parfaitement. Je ne désespère pourtant pas. Je conviens que c'est une dure épreuve que la situation présente de V. M., mais j'attends tout de son génie inépuisable, de sa sagesse, de son courage; ce sont des ressources fécondes pour elle, et qui l'ont tirée si souvent des plus cruels embarras! D'ailleurs, je me repose sur la bonne Providence, qui ne voudra pas abandonner la juste cause de V. M. De grâce, Sire, ménagez votre santé et votre vie, qui nous<236> sont si chères. Nous perdrions tout en vous perdant; mais, tant que V. M. existe, nous espérons toujours. J'ai l'honneur d'être avec l'attachement le plus respectueux et le plus parfait,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble, très-obéissante servante,
Louise-Dorothée, D. d. S.

35. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

Leipzig, 16 décembre 1762.



Madame,

Si les traces de la vertu et de l'amitié étaient effacées dans le monde, on en retrouverait l'empreinte sacrée, madame, dans votre cœur respectable.236-a Que se peut-il de plus officieux et de plus serviable que les ouvertures que vous daignez me faire? Ah! madame, vous étiez faite pour gouverner des empires et pour réformer par votre admirable exemple la conduite des souverains, presque tous dirigés par une lâche politique qui flétrit en eux ce que leur caractère a d'imposant et de sacré. Vous voulez me secourir, vous m'en proposez les moyens; mais souffrez que, à mon tour, je n'abuse pas de vos généreuses intentions. La matière, ma chère duchesse, est si délicate, et<237> les grands princes sont si pointilleusement sensibles sur ce qui concerne l'examen de leurs actions, que je crains que la lettre la plus modérée de la part du Duc ne refroidisse les sentiments de la princesse de Galles sa sœur237-a à son égard; et les fruits de votre bonne volonté seraient récompensés par des tracasseries de l'Angleterre, ou par une tiédeur de la princesse de Galles, qui nuirait nécessairement à vos intérêts. Ce sont ces raisons, mon adorable duchesse, qui m'empêchent de profiter de vos offres gracieuses; il ne sera point dit que je vous aie porté préjudice, encore moins que je vous aie brouillé avec des parents dont l'amitié vous importe autant à conserver que celle de la princesse de Galles. J'attendrai patiemment que le ministère anglais revienne à lui-même, et sente toute l'indécence de sa conduite, ce qui doit arriver dès que cette première impétuosité et cette fougue qui lui faisait désirer la paix se sera ralentie. Peut-être parviendrons-nous cet hiver à la paix. MM. les cercles veulent retirer leurs troupes : voilà M. de Bamberg, l'électeur de Bavière et celui de Mayence qui s'y sont résolus; les autres les suivront sans doute. Il faut arracher ces tisons de l'embrasement, et peut-être le feu s'éteindra. Les Autrichiens resteront les derniers champions sur l'arène, comme il leur est arrivé dans toutes les guerres. Peut-être leur paix en deviendra-t-elle plus mauvaise. Enfin, madame, il faut espérer que, comme tout finit dans le monde, cette maudite guerre finira aussi. Pour moi, je conserve gravés au fond de mon cœur les sentiments de reconnaissance et d'admiration que vous m'avez inspirés. Vous avez voulu me secourir; cela me suffit, mon adorable duchesse. Vous l'auriez assurément fait, si cela avait été possible, et la volonté doit être prise comme l'action même. Je vous proteste que je le prends ainsi, et que, dans tout le cours de ma vie, je rechercherai<238> les occasions de vous témoigner l'attachement, la tendresse et la considération avec lesquels je suis,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.

36. A LA MÊME.

Leipzig, 22 décembre 1762.



Madame ma cousine,

Une multitude d'affaires qui, loin de diminuer, s'accumule tous les jours, m'a, mon adorable duchesse, empêché de vous répondre plus tôt. Je vous rends mille grâces du tour que vous voulez prendre pour rectifier la façon de penser de gens qui me sacrifient. Je ne me flatte pas que ces remontrances fassent une grande impression; cependant cela peut peut-être devenir utile, et le bien qu'il en résultera me sera d'autant plus agréable, que je le tiendrai de vos bontés, madame, et de votre amitié. Il y a quatre partis réunis contre ce Bute, dont j'ai tant à me plaindre : les ducs de Cumberland, de Newcastle et de Devonshire, joints à M. Pitt, se sont mis à la tête de l'opposition; mais je prévois que, si ce Bute ne se soutient pas comme ministre, il échappera au parlement sous la qualité de favori, et n'en gouvernera pas moins le royaume. Enfin, madame, il arrivera de tout cela ce qu'il plaira à la Providence d'en ordonner, car certainement personne ne prévoit ni ne dispose de l'avenir. Je vous demande mille pardons si je suis obligé de vous quitter, madame; je vous<239> épargne une dissertation politique qui certainement vous aurait ennuyée. On m'interrompt, on ne veut que six ou sept choses à la fois de moi. Je pardonnerais à mes importuns et à ces fâcheux, s'ils ne troublaient pas la conversation que vous me permettez de faire de temps en temps avec vous, madame. Je vous demande mille excuses de l'encre qui tache ma lettre, de mes incongruités, de mon ineptie, en vous suppliant de me croire avec un cœur rempli d'estime et de reconnaissance,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

37. A LA MÊME.

Leipzig, 27 décembre 1762.



Madame ma cousine,

Je suis pénétré, ma divine duchesse, de vos procédés nobles et généreux. Je vous rends mille grâces de la minute que vous daignez me communiquer. Qu'elle fasse l'effet que nous espérons, ou qu'elle soit inutile, je n'en sens pas moins le prix de votre amitié officieuse et de vos louables intentions, et je bénis le ciel, qui, en suscitant d'un côté des ennemis pour me persécuter, me fait trouver d'un autre de ces âmes toutes célestes dont l'amitié généreuse et toutes les vertus devraient servir éternellement de modèles et d'exemples au monde. Si la conduite d'un Bute m'inspire des sentiments d'aversion pour le genre humain, vos vertus, mon adorable duchesse, me réconcilient<240> avec une espèce qui vous a pu produire. Mais pourquoi tous les hommes n'ont-ils pas le cœur et les sentiments de la duchesse de Gotha? Je reconnaîtrais à ces traits l'image du Créateur, qui les a voulu faire semblables à lui-même; la société en serait plus charmante, l'amitié pure en ferait l'essence, et des services réciproques en resserreraient les liens. Je m'abandonne à ces douces rêveries. Malheureusement vous serez, mon adorable duchesse, plus admirée que vous ne ferez d'imitateurs. Pour moi, je compterai pour un des plus grands bonheurs de ma vie d'avoir vécu dans le siècle qui vous a portée, surtout d'avoir possédé votre précieuse amitié et d'en avoir reçu des marques si manifestes. Que ne puis-je, madame, vous témoigner toute l'étendue de ma reconnaissance! Elle ne finira qu'avec ma vie. Jusqu'ici, inutile et à charge à tous mes amis, je ne me suis pas trouvé dans l'occasion de leur témoigner mes sentiments par des effets. Cependant je vous prie, madame, de compter sur moi comme sur votre chevalier qui s'est dévoué à votre service, et comme sur un cœur pénétré de reconnaissance qui vous est à jamais redevable de tout le bien que vous avez voulu lui faire. Ce n'est que votre modestie qui m'empêche de vous dire tout ce que je pense sur votre sujet. J'en ai l'esprit si plein, qu'il m'arrivera assurément, quand on me parlera de guerre, de politique ou de finance, au lieu de répondre sur ce sujet, de me répandre sur les louanges de cette duchesse qui doit occuper la première place dans la mémoire de tout être pensant, pour peu qu'il aime la vertu. Vous m'avez rendu votre enthousiaste, madame, et je trouve tant de douceur à m'abandonner à cette impression, que je ne fais aucun effort pour en arrêter les progrès. Mais il ne faut point ennuyer ceux qui se sont acquis tant de droits à notre estime. Je vous épargne donc, madame, tout ce que je ne puis m'empêcher à divulguer aux autres; je vous épargne tous les vœux que je fais pour vous au sujet de la nouvelle année, non que je les supprime, mais parce que des vœux ne vous servent de rien, et que je voudrais<241> vous prouver mes sentiments par des effets. Ce ne sont point des compliments, mais c'est au pied de la lettre que je suis avec la plus sincère amitié et la plus haute estime,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

38. A LA MÊME.

Leipzig, 10 janvier 1763.



Madame ma cousine,

Vous avez tant d'empire sur mon âme, et votre éloquence est si vive, que je me vois vaincu et obligé de vous satisfaire. Ce comte Werthern, qui ne mérite peut-être pas votre protection, mais pour lequel vous vous intéressez, madame, en faveur d'une personne que vous honorez de votre amitié et qui la mérite, ce comte Werthern, dis-je, tout otage qu'il est, tout coupable qu'il se trouve de n'avoir pas rempli des engagements contractés avec des marchands de Magdebourg pour des lettres de change, sera relâché, moyennant certains tempéraments qui lui seront proposés. Je respecte trop l'amitié, cette passion des belles âmes,241-a pour ne pas entrer, ma chère duchesse, dans votre façon de penser, et contribuer à votre satisfaction.

Je ne sais ce qui arrivera de moi, mais j'augure un peu mieux de l'avenir que je ne l'ai fait, et j'espère me tirer du mauvais pas où j'ai<242> été jusqu'ici. Enfin, madame, on se flatte toujours, car vous savez que les dieux avaient placé l'espérance au fond de la boîte de Pandore.

Je me souviens d'avoir entrevu à Gotha un petit sanctuaire de porcelaine où je n'ai cependant pas été introduit. Ma dévotion pour la déesse qui l'habite m'a inspiré le dessein de lui consacrer une légère offrande. Mais comme les dieux se contentent plutôt de l'intention des hommes que des misères qu'ils leur présentent, je suppose que la déesse de ce lieu pensera de même. Ceci m'a enhardi à lui consacrer le premier ouvrage de porcelaine qui se soit fait à Berlin. Si mon hommage est trouvé trop indigne de la déesse, il n'y a qu'à casser la porcelaine et à l'oublier.

Vous voyez, ma divine duchesse, mon incongruité, mon ineptie et mon imprudence. Réprimandez-moi, si je l'ai mérité, mais que je ne perde pas votre amitié inestimable, chose la plus précieuse que je possède, et daignez ne point croire, pour quelque étourderie qui m'échappe, que j'en suis moins avec la plus grande considération, amitié, estime et reconnaissance,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

39. A LA MÊME.

Leipzig, 25 janvier 1763.



Madame,

Mon existence, à laquelle vous daignez vous intéresser, vous vaut, madame, un ami qui vous est tout dévoué, et qui serait bien tenté<243> de mettre à la tête de tous ses titres les bontés que vous avez pour lui, comme celui qui lui est le plus honorable. Je n'ai que de nouveaux sujets de reconnaissance envers vous, mon adorable duchesse, et envers le Duc votre époux. Si tout le monde vous ressemblait, la société serait trop heureuse; elle ne serait qu'un commerce mutuel de bienfaits, de services rendus et reconnus avec gratitude; ce serait l'âge d'or chanté par les poëtes. Vous me faites goûter, ma chère duchesse, les félicités de cet heureux siècle. Je crois m'y trouver quand je ne pense qu'à vous, qu'à vos nobles procédés, et à ce fonds si pur de vertu qui me rend votre enthousiaste.

Je ne connais point le livre dont vous daignez, madame, me parler. Pour moi, je regarde la superstition comme une ancienne maladie des âmes faibles, causée par la crainte et l'ignorance, et je ne vois dans cet excès d'ambition qui pousse au despotisme qu'un désir effréné d'orgueil et de puissance. Si l'on considère le gouvernement despotique relativement aux sujets du tyran, je ne vois cependant pas qu'on puisse en tout comparer ce culte politique qu'ils rendent à leur despote au culte superstitieux des peuples. Le propre de la superstition est de pousser l'homme au fanatisme, et le propre d'une sujétion dure est de révolter le cœur contre l'oppresseur de la liberté. Aussi n'est-il pas ordinaire que les superstitieux changent l'objet de leur adoration, au lieu qu'on voit que les nations opprimées détrônent ou conspirent contre leurs tyrans. La raison en est que la superstition est volontaire, et que tout esclavage est forcé. Le seul point de réunion qui se rencontre en ce parallèle, c'est le principe, c'est la peur des châtiments, qui est commune à l'esclave et au superstitieux. Ah! ma chère duchesse, que vous allez vous moquer de moi! Vous me parlez d'une nouvelle brochure, et ma lettre vous fait presque un livre sur le même sujet. Mais vous êtes si bonne! Je deviens votre enfant gâté, et moi, étourdi de cinquante et un ans, je m'échappe, je fais des étourderies, et j'abuse de votre indulgence<244> extrême. Punissez-moi, et prescrivez les bornes que vous jugerez convenables à mes indiscrétions. Ce sera une obligation de plus que je vous aurai d'avoir été réformé et corrigé par ma chère duchesse.

J'ai ici deux neveux244-a auxquels je serais bien aise de faire faire connaissance avec mes respectables amis. Si vous ne le désapprouvez pas, ils passeront de leur cousine de Weimar, qu'ils iront voir, chez vous. Puissent-ils profiter de votre exemple et de tout ce qui vous met, madame, dans mon esprit, à cent piques au-dessus de toutes les impératrices de l'univers!

Daignez me conserver ces sentiments de bonté dont je suis si jaloux, en vous assurant, madame, que je ne perdrai aucune occasion en ma vie pour vous prouver la haute estime et la tendre amitié avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

40. A LA MÊME.

Leipzig, 31 janvier 1763.



Madame ma cousine,

Ce n'est pas assez que vous supportiez mes étourderies avec bonté; je vous prie, ma chère duchesse, d'étendre votre indulgence jusqu'à mes neveux. Ils auront la satisfaction de vous saluer. S'ils vous rendent<245> compte, madame, de mes sentiments, vous serez convaincue que je tiens le même langage sur votre sujet, et que la surabondance du cœur répand, sans pouvoir être contenue, les sentiments d'admiration que vous inspirez à ceux qui ont le bonheur de vous connaître. Je dis à mes neveux : Il faut que vous voyiez ma respectable amie, et que vous lui marquiez la reconnaissance que mon cœur lui conservera éternellement. Si je l'avais pu, mon adorable duchesse, je me serais mis de la partie, et je vous aurais présenté mes hommages en personne; mais je suis retenu ici par une raison que vous ne sauriez qu'approuver : nous faisons la paix tout de bon. Ce sont des négociations, c'est un fatras d'écritures, de friponneries à éluder, d'équivoques à éclairer, de subterfuges à prévenir; enfin cette occupation, toute nécessaire qu'elle est, n'est pas amusante, et fatigue étrangement.

Quelle différence de passer les après-dînées dans ces instructives conversations, dans le sein de l'amitié et de la vertu, auprès d'une certaine duchesse que je n'ose nommer, de crainte de blesser sa délicatesse, où la liberté est jointe à la décence, où l'érudition paraît sans faste, le sel de la plaisanterie sans médisance, la politesse sans affectation, et la cour sans cohue! Ce souvenir renouvelle mes regrets, et MM. Collenbach et Fritsch245-a ne m'en consolent pas. Il faut que chacun subisse son sort. Je n'ai aucune prédilection pour celui qui m'est échu; il m'empêche de suivre mes désirs, et m'oblige souvent à faire ce qui me répugne. Je ne trouverai mon destin favorable que lorsqu'il me procurera la satisfaction de vous revoir, madame. Souffrez que je laisse régner cette idée flatteuse dans mon esprit, qui, je l'espère, pourra encore se réaliser quelque jour, et daignez croire que, absent ou présent, en paix ou en guerre, tranquille ou dans le trouble, rien n'altérera les sentiments d'admiration et de reconnais<246>sance que je vous dois, madame. Ils sont trop profondément gravés dans mon cœur pour en être effacés, étant,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.

41. A LA MÉME.

Leipzig, 4 février 1763.



Madame ma cousine,

Vous ne me devez certainement aucune espèce de reconnaissance; au contraire, c'est moi, madame, qui suis dans le cas de vous remercier de ce que vous avez daigné recevoir une bagatelle peu digne de vous être offerte. Vous avez eu égard au cœur, à l'intention, et c'est sans doute ce qui a causé votre extrême indulgence. J'ai pensé être pétrifié en lisant l'ouvrage que vous avez eu la bonté de m'envoyer; c'est la production d'un fou qui a beaucoup d'esprit, d'un philosophe qui ne sort point de son ivresse, et qui, par une suite de son enthousiasme, prend sans cesse son imagination pour sa raison. Il n'y a en vérité que le style de bon dans cet ouvrage; le reste est pitoyable. Il imagine un système, il ne prouve rien; son esprit frappé n'est plein que de ce qu'il a imaginé. Le défaut principal de l'ouvrage est que l'auteur y manque absolument de dialectique. Il n'y a rien de plus facile que de renverser son système de fond en comble; tous ceux qui l'entreprendront y réussiront. Si cet ouvrage a fait crier, c'est avec raison, parce qu'il ne convient à personne de choquer les opi<247>nions du public. Mais dans peu tout sera oublié, parce que cela est mauvais.

Je vous demande pardon, ma chère duchesse, du compte que je vous rends de cette lecture; vous êtes sans doute plus en état d'en juger qu'un autre. Je sais qu'on m'accuse dans le monde de protéger assez volontiers ceux dont la foi n'est pas tout à fait conforme à l'orthodoxie. Cependant ce ne sont ni ceux qui sont incrédules par légèreté, ou par esprit de débauche, ou par air, qui puissent s'attirer mes suffrages; il faut de bonnes, de solides raisons, que l'ouvrage soit écrit avec une exactitude rigoureuse, et avec la décence convenable à quiconque adresse la parole au public. Il n'y a point d'idée plus extravagante que celle de vouloir détruire la superstition. Les préjugés sont la raison du peuple, et ce peuple imbécile mérite-t-il d'être éclairé? Ne voyons-nous pas que la superstition est un des ingrédients que la nature a mis dans la composition de l'homme? Comment lutter contre la nature, comment détruire généralement un instinct si universel? Chacun doit garder ses opinions pour soi, en respectant celles des autres. C'est l'unique moyen de vivre en paix durant le petit pèlerinage que nous faisons en ce monde, et la tranquillité, madame, est peut-être la seule portion de bonheur dont nous soyons susceptibles. Pourquoi la troubler en ferraillant dans des ténèbres métaphysiques contre des furieux qui, s'ils sont vaincus, s'en vengent en rendant leur champion l'exécration du peuple? J'abandonne l'auteur anonyme à son destin. Je lui souhaite qu'il reste anonyme longtemps, ou il risque qu'on lui fasse un mauvais parti. Les tyrans tonsurés auxquels il a affaire n'entendent pas raillerie, et l'enverraient à la potence pour avoir mal raisonné et frondé avec trop d'audace les objets de la vénération publique. Pendant qu'on le recherche en France, et que des prélats zélés préparent son supplice, nous avançons ici, madame, l'ouvrage de la paix, de sorte que les préliminaires pourront être signés le 11 de ce mois. Je suis persuadé,<248> ma chère duchesse, de la part que vous y prenez, et du plaisir que vous ressentirez en voyant finir tant de calamités qui, durant sept années, ont affligé l'Allemagne.

Je compte que mes neveux ont à présent l'avantage de jouir de votre présence et de profiter de vos entretiens. Je leur envie bien ce bonheur, mais je me console sur ce que je pourrai bien un jour avoir mon tour. Permettez-moi de m'en flatter, et rendez justice à l'admiration, l'attachement et la haute estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

42. A LA MÊME.

Leipzig, 10 février 1763.



Madame ma cousine,

Mes neveux arrivent dans ce moment, enchantés de la réception que vous avez bien voulu leur faire. Ils pensent, ma chère duchesse, sur votre sujet tout comme leur oncle et comme tous ceux qui ont eu le bonheur de vous approcher. Ils m'ont fait participer d'une partie de la joie qu'ils ont eue de vous saluer, en me rendant la lettre que vous avez bien voulu m'écrire. C'est un entretien factice dont je jouis, et qui me console de ne pouvoir, madame, vous voir ni vous entendre. J'ai reçu en même temps la lettre par laquelle vous daignez me marquer l'arrivée des jeunes gens. J'aurais été très-content qu'ils<249> prolongeassent leur séjour à Gotha, où ils étaient en si bonnes mains, qu'il n'y avait qu'à profiter pour eux.

J'espère, madame, que vos petits démêlés avec la cour de Meiningen ne tireront à aucune conséquence. Heureuses les querelles des princes qui se terminent en éclats de rire! Les nôtres n'ont coûté que trop de sang, et laisseront encore de longs regrets et des maux à réparer. J'espère que les préliminaires pourront être signés le 15, après quoi chacun pliera bagage et s'en retournera chez soi, où il aurait fait sensément de rester.

J'ai commencé, en attendant que cette paix se fasse, un ouvrage de Rousseau de Genève.249-a Le livre a pour titre Émile, et en vérité, madame, il me ramène bien à votre sentiment : toutes ces productions nouvelles ne valent pas grand' chose; c'est un rabâchage de choses qu'on sait depuis longtemps, décoré de quelques pensées hardies et écrites en style assez élégant. Mais rien d'original, peu de raisonnement solide, et beaucoup d'impudence de la part des auteurs; et cette hardiesse qui tient de l'effronterie indispose le lecteur, de façon que le livre lui devient insupportable, et qu'il le jette par dégoût. Si MM. les auteurs abusaient moins du bel art d'imprimer les pensées que nous possédons, s'ils voulaient bien songer que quiconque fait un mauvais livre, au lieu d'établir sa réputation, éternise sa folie, il ne paraîtrait d'ouvrages que d'un genre capable d'instruire ou de plaire au lecteur. En effet, pourquoi faut-il que le public perde son temps parce qu'un fou s'est avisé de se faire auteur et de débiter ses visions cornues? On dira peut-être : Mais qu'est-il besoin de le lire? On ne le lirait pas, si l'on savait ce qu'il contient, et l'on est la dupe du titre, et quelquefois d'un nom qui a fait un certain bruit. Les siècles d'ignorance souffraient par l'indigence des lettres; nous, au contraire, nous avons à nous plaindre de la prodigalité et de<250> l'abus de la littérature. Cependant, à tout prendre, il vaut mieux être dans l'abondance, car il n'y a qu'à choisir, ce que nos grossiers et tristes aïeux ne pouvaient certainement pas, dans les siècles abrutis où ils vivaient. Toutefois un bon livre est aussi rare à présent qu'un livre était alors.

Nous avons ici un nouveau ministre de Russie, un prince Galizin. Il m'a dit que le prince Charles était chassé de Courlande. Que de ducs ce pauvre pays a eus, madame : le comte de Saxe, Biron et le prince Charles! Je ne voudrais pas être duc de ce pays-là : il est pauvre, le peuple est barbare, le climat triste, et le voisinage affreux. J'aimerais bien mieux, dans le sein du repos et des arts, voir et entendre ma chère duchesse avec sa digne amie. Mais heureusement ces ducs ne connaissent pas ce bonheur; ils sont entichés d'une héroïque folie qu'on nomme l'ambition, et, pourvu qu'ils tiennent leur cour plénière, fût-ce même au Kamtchatka, ils croient être heureux.

En vérité, madame, j'abuse de votre patience; je vous conte des fagots, et il semble que j'aie entrepris de vous ennuyer autant et plus que les auteurs modernes dont je viens de parler. Je me plais à vous entretenir, et je ne m'aperçois pas que j'abuse du privilége de vous ennuyer. Pardon, pardon, ma divine duchesse, je me corrigerai, si je puis tant gagner sur moi. Daignez recevoir avec votre indulgence ordinaire les assurances de mon admiration et de la haute estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<251>

43. A LA MÊME.

Leipzig, 15 février 1763.



Madame ma cousine,

Je vous annonce la paix, ma chère duchesse, comme à ma bonne amie, qui veut bien s'intéresser à ce qui me regarde. Elle a été signée aujourd'hui. Ainsi, Dieu soit loué, voilà une cruelle guerre de terminée.

Comment pouvez-vous penser que mon cœur plein de reconnaissance, mon cœur, si j'ose le dire, qui a le tact fin en mérite, puisse jamais vous oublier? Ne fussiez-vous point duchesse, et fussiez-vous dans la condition la plus basse, il faudrait, ma divine duchesse, vous aimer, vous estimer et vous considérer de même. Votre extrême modestie vous empêche d'en convenir; mais je ne puis m'empêcher à cette fois de vous le dire, quitte à me taire pour l'avenir, si la surabondance de mon cœur blesse votre délicatesse.

Je compte bien, ma chère duchesse, que la paix et l'éloignement n'établiront pas un mur de séparation entre nous. J'y perdrais trop. C'est l'affaire des chevaux de poste de trotter quelques milles de plus. D'ailleurs, je ne me tairai qu'au cas que je devienne importun. Mais votre extrême bonté, votre fonds d'indulgence inépuisable me rassure contre cette juste appréhension. Permettez que je vous remette cette lettre que vous avez daigné me communiquer, ce monument de votre bonté officieuse et de votre amitié; souffrez, ma chère duchesse, que je vous en marque toute ma reconnaissance. Je vous demande mille pardons si j'interromps si brusquement sur cette matière; mais vous pouvez bien juger qu'une nouvelle comme celle du jour entraîne une ample expédition. Ce ne sera pas cependant sans vous assurer de tout ce que mon cœur, mes sentiments et ma recon<252>naissance fournissent sur le sujet d'une personne digne des temps d'Oreste et de Pirithoüs.

Je suis avec toute l'admiration et la plus haute estime,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

44. A LA MÊME.

Dahlen, 19 février 1763.



Madame ma cousine,

J'ai reçu hier à Meissen et aujourd'hui ici les deux lettres par lesquelles vous me témoignez, ma chère duchesse, la part obligeante que vous prenez à notre paix. Je compte si fort sur votre bonté et sur votre amitié, que, lorsqu'il m'arrive quelque fortune, je n'ai rien de plus pressé que de vous la communiquer. Cette paix entraîne un prodigieux ouvrage, et j'en aurai encore pour longtemps, premièrement pour séparer les troupes, ensuite nombre d'arrangements à prendre pour le militaire, plus encore pour les provinces et les finances. Mais l'homme est fait pour travailler, comme le bœuf pour labourer, et il ne faut pas s'en plaindre, et se contenter de sa fortune; comme vous le dites si bien, madame, c'est la seule manière de jouir de ce peu de bonheur qui nous est départi. Vous dites, ma chère duchesse, que ce ne serait point un mal si votre fortune était plus étendue. Le bien serait pour vos sujets; ce serait sur eux que votre main bienfaisante étendrait ses dons avec plus de profusion. Ils le<253> sentent, madame, votre admirable caractère est connu d'eux; je les en ai vus reconnaissants, et persuadés qu'il n'y avait d'autres bornes aux faveurs que vous répandez sur eux que les limites dans lesquelles la fortune vous a circonscrite. Quelle comparaison odieuse pour les Saxons! Ces misérables, abîmés par six années de guerre, ont reçu, avant encore la signature des préliminaires, de nouveaux projets d'impositions. En vérité, ceux qui exercent une telle dureté ne méritent pas d'être heureux. On attend le retour de la cour à Dresde comme la grêle qui abîmera le peu de blé que la stérilité a épargné, comme une tempête, comme la peste, qui frappe également les grands et le peuple, qui ravage et extermine tout. Si Brühl savait à quel point il est en horreur, je crois qu'il prendrait la vie en haine et son poste en aversion. Le public, à la longue, est juste; il apprécie chacun selon son mérite. Il fait quelquefois des jugements précipités; mais le temps le ramène toujours à la vérité.

Daignez, ma chère, mon adorable duchesse, me conserver vos bontés et votre précieuse amitié. Vous me tiendrez lieu et du public, et de tout l'univers. Je dirai comme Cicéron :

Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée.253-a

Vous vous moquerez, madame, de César, de Caton, de Pompée et de moi, et vous aurez raison. Qu'y a-t-il besoin de citer, de me comparer à Caton? Belle comparaison! Enfin je crois entendre que vous dites tout cela, et que madame Buchwald253-b y ajoute : Il est malheureux en comparaisons. Caton était un stoïque forcené, et vous, la plus aimable des femmes. Qu'il s'aille promener avec son Caton, et<254> qu'il se taise plutôt que d'écrire tant de sottises. Madame de Buchwald, je suis de votre avis; mais permettez que je ne finisse pas ma lettre sans prendre congé de mon adorable duchesse. Oui, ma divine duchesse, je ne veux que vous protester que mes sentiments et mon admiration ne finiront qu'avec ma vie, étant,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

45. A LA MÊME.

Dahlen, 22 février 1763.



Madame ma cousine,

Je n'ai pu laisser partir le sieur d'Edelsheim sans le charger, madame, d'une lettre pour vous. Il est de vos admirateurs, comme de raison, ce qui le recommande infiniment dans mon esprit, car, madame, je suis sur votre chapitre comme les catholiques pour leur religion. Quand ils trouvent quelqu'un qui adore la Vierge et croit à la transsubstantiation, ils se lient naturellement avec lui, c'est leur frère en Jésus-Christ; et je regarde ceux qui vous vénèrent comme unis à mon culte et mes frères en la duchesse de Gotha. Vous saurez donc, ma divine duchesse, que nous avons été assemblés en votre nom; vous étiez parmi nous, nous vous avons célébrée dans nos litanies, et vous avons vénérée en esprit. C'était tout ce que pouvait notre dévotion, car nous n'avions point de simulacres ni d'objets palpables de notre culte. Tout se faisait en esprit, seule façon digne de vous<255> vénérer. Edelsheim retourne à la terre sainte; pour moi, séparé de ces lieux bénis, je tourne, les matins, les yeux vers l'occident, j'adresse ma prière à la divinité de cette heureuse contrée, et, si mon éloignement dure, je revêtirai le sac et la cendre pour apaiser l'inclémence du ciel, qui m'éloigne de cette Jérusalem moderne. Quant à ce que j'écris, madame de Buchwald n'y trouvera rien à redire, pour le coup; il n'y a là ni Caton, ni Pompée. Elle se trouve dans le sanctuaire, et elle doit approuver ma dévotion pour la divinité dont elle est la première prêtresse. Dans l'espoir de revoir cette terre de promission, recevez, ma chère duchesse, avec bonté les assurances du plus sincère dévouement et de la plus haute estime avec lesquels je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle ami et serviteur,
Federic.

46. A LA MÊME.

Dahlen, 3 mars 1763.



Madame ma cousine,

Je ne badine en vérité pas, ma chère duchesse, quand je vous compare aux objets du culte du peuple. Je vous le jure, foi d'honneur, que je vous honore et vénère cent fois plus que la Vierge Marie et toutes les saintes du Martyrologe, que je regarde la terre que vous habitez comme un lieu sanctifié par vos vertus; et, comme les juifs regardent pour eux comme une idée consolante de revoir la terre<256> sainte, je me flatte de l'espérance de revoir ce Gotha que vous rendez célèbre, qui est devenu le temple de la plus sublime vertu, le temple de l'amitié, où vous vous plaisez à la cultiver avec une personne estimable, et où vous avez daigné m'en donner, à moi indigne, tant de preuves. Voilà, ma chère duchesse, le commentaire de mes autres lettres. Peut-être que, en qualité de votre dévot, j'ai pris un style trop mystique; peut-être que toutes les matières contentieuses et abstruses d'un traité à digérer ont communiqué la teinture de leur verbiage à ma plume. Enfin, ma chère duchesse, l'enthousiasme s'émancipe quelquefois. L'on doit me pardonner si je célèbre avec vivacité ceux qui m'honorent de leur amitié, vu que, depuis sept années, je n'ai eu affaire qu'à des ennemis qui avaient conjuré ma perte.

J'ai vu ici les représentants de ces ennemis, qui ont échangé les ratifications. La figure de M. Collenbach ne ressemble pas trop à la colombe qui apporta à défunt M. Noé la branche d'olive dans son bec; cependant il a été très-accueilli de tout le monde, car en vérité la paix fait un plaisir général à tout le monde.

Nous commençons à évacuer la Saxe; cependant tout ce mois se passera presque avant que tout soit vidé. Je ne pourrai partir que le 15 de ces environs pour me rendre en Silésie. En attendant, ma divine duchesse, je ferai des vœux pour votre prospérité et pour votre conservation. Votre admirable caractère a fait de trop profondes impressions dans mon cœur pour que je ne vous sois pas attaché pour la vie, et que je ne cherche pas avec empressement les occasions de vous témoigner la haute considération et l'estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<257>

47. A LA MÊME.

Torgau, 14 mars 1763.



Madame ma cousine,

Vos ordres sont exécutés, ma chère duchesse. J'ai fait écrire à Ratisbonne, où j'ai un homme257-a qui, avec une poitrine forte et des termes énergiques, plaidera votre cause.

La Princesse électorale257-b m'a invité de passer à Moritzbourg, chez elle, sur mon passage de Silésie, et je m'acquitterai alors envers elle de la part de votre commission qui regarde la Saxe. Quelque bien que j'aie entendu dire de cette princesse, quelque esprit qu'elle ait, je ne la comparerai pourtant jamais à ma chère duchesse; je demeurerai fidèle à la foi de Gotha, et ne plierai point le genou vis-à-vis des idoles étrangères. Ni les décisions de l'Académie de la Crusca, ni la part qu'elle a au gouvernement de la Saxe, ne pourront me séduire. Qu'elle ait des agréments dans l'esprit, je les lui accorde; qu'elle ait le talent de plaire, je le veux bien; qu'elle soit née pour gouverner un État, je l'en applaudis : mais tout cela ne vaut pas l'excellent caractère ni l'amitié solide d'une certaine duchesse qui m'honore de ses bontés, et dont je conserverai un cœur reconnaissant autant que je serai animé d'un souffle de vie. Je suis discret, je ne la nomme point, je ne veux point commettre sa modestie vis-à-vis l'effusion des sentiments qu'exprimerait une âme sensible et pénétrée d'admiration pour elle. Vous voyez, madame, que vos leçons opèrent, et que j'apprends à contenir ma plume en vous écrivant. Je n'emploie plus d'allégories, plus de Caton, de peur que madame de Buchwald ne me gronde; mais ce que vous ne supprimerez jamais, malgré tout<258> l'ascendant que vous avez pris sur moi, ce sont les protestations de la plus sincère estime et de l'entier dévouement avec lequel je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

48. A LA MÊME.

Berlin, 26 mai 1763.



Madame ma cousine,

Le chevalier d'Edelsheim m'a rendu, ma chère duchesse, la lettre dont vous avez daigné le charger. Un voyage nécessaire que j'ai été obligé de faire en Poméranie m'a empêché d'y répondre plus tôt. Je n'ai jamais douté de la part obligeante que vous daignez prendre à ce qui me regarde, et je me félicite en secret depuis longtemps de vous pouvoir placer à la tête des plus fidèles de mes amis. C'est en ce sens que je prends les choses flatteuses que vous daignez me dire. Un peu de prévention et beaucoup d'indulgence, madame, vous parlent en ma faveur. Il y a en moi beaucoup de volonté de bien faire, et souvent beaucoup de maladresse dans l'exécution. J'ai trouvé de grands maux partout, et, faute de pouvoir y appliquer des topiques, j'ai été obligé d'y substituer des palliatifs. Mais c'est en vérité trop vous parler de ce qui me regarde. Cependant, ma chère duchesse, je dois y ajouter que ce troisième tome dont vous avez la bonté de me parler est un ouvrage tronqué.258-a Mon détracteur a falsifié, corrompu, changé et supposé ce<259> qu'il a voulu. Cet ouvrage, tel que je l'ai fait, ne méritait point de paraître au grand jour; quelques vers de société en faisaient la partie principale, et des choses qui sont bonnes entre amis et dans le moment qu'elles sont faites perdent tout lorsqu'on ignore les allusions et les à-propos. Je n'ai point voulu m'afficher, je n'ai point voulu être auteur; mais, lorsque les puissances de l'Europe conjurèrent pour me dépouiller de mes États, quelques colporteurs de scribes complotèrent pour piller mon portefeuille. Tout le monde a cru que, pour être du bel air, il fallait me faire le mal dont il était capable. Je suis obligé de le souffrir; je fais mieux, je le pardonne.

La feuille périodique que vous daignez m'envoyer est bien écrite; j'en connais l'auteur par réputation; il est natif de Gera, il a fait le Petit prophète.259-a C'est un garçon d'esprit qui s'est beaucoup formé à Paris. Cependant je vous demande en grâce que, s'il veut m'envoyer ses feuilles, il daigne un peu m'épargner. Un homme sans expérience peut trouver du sublime où il n'y en a point; un philosophe n'y trouve qu'une compilation de causes secondes qui, par la bizarrerie de différentes combinaisons, produisent des événements dont le vulgaire s'étonne, et qui en effet sont simples et naturels. Après trente ans de guerre que nos aïeux soutinrent, arriva la paix de Westphalie. Avec les prodigieuses armées que l'on a de nos jours, aucune puissance ne peut fournir au delà de sept à huit campagnes. Il n'y a donc pas à s'étonner que la reine de Hongrie, abandonnée par la Russie, la Suède et la France, menacée par le Turc, sur le point de perdre les cercles, et manquant des fonds nécessaires pour poursuivre le cours de ses animosités, ait enfin consenti à la paix que nous venons de signer. Le miracle aurait été de soutenir la guerre sans argent et sans alliés. Je ne m'étonne point, ma chère duchesse, des mauvais procédés de la cour de Vienne, dont vous vous plaignez; c'est le murmure et le bruit sourd des vagues qui se brisent contre<260> le rivage après que la tempête est calmée. J'ai parlé de vos intérêts à la Princesse électorale en les termes les plus pressants. On m'a promis de prendre fait et cause dans l'affaire de la tutelle de Meiningen. Nous attendons ici journellement l'envoyé du roi de Pologne, et je lui parlerai à lui-même, ma chère duchesse, de vos intérêts. Vous pouvez vous attendre de moi à tous les services dont ma sincère amitié, mon estime et mon admiration pour votre personne sont capables. Je voudrais que les effets en fussent aussi pleins que le désir que j'ai de vous être utile est vif; la disposition, la volonté, l'ardeur de vous servir n'en sera pas moindre, et, quoi qu'il arrive, j'espère d'être assez heureux pour vous en donner des preuves. Ces idées m'occuperont pendant mon voyage de Clèves, à mon retour, et pendant tout le cours de ma vie. Daignez compter, mon adorable duchesse, sur ces sentiments et sur le dévouement entier avec lequel je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

49. A LA MÊME.

Potsdam, 22 juillet 1763.



Madame ma cousine,

J'ai de grandes obligations au sieur Grimm, ma chère duchesse, puisqu'il me procure une lettre de votre part, où vous m'assurez de votre précieux souvenir. Je serais bien fâché que l'éloignement où je me trouve depuis la paix me privât des avantages dont j'ai joui<261> pendant la guerre. Edelsheim et moi, nous sommes ici votre troupeau, nous sommes vos fanatiques, si toutefois on peut l'être en estimant la vertu à l'excès. Nous nous rassemblons en votre nom, et vous rendons un culte en esprit et en vérité. J'ai eu le plaisir, ma chère duchesse, de m'entretenir longuement sur votre sujet avec ma sœur de Brunswic, qui est charmée d'avoir fait votre connaissance. Elle sent tout le prix de votre mérite, et en est pénétrée.

Nous avons ici M. d'Alembert, qui vaut mieux encore en société qu'en ses livres; j'en excepte la géométrie transcendante, dans laquelle il excelle. Il a un caractère naturel, franc et paisible, beaucoup de mémoire, et beaucoup de gaîté dans l'esprit. Je l'excite à faire quelques ouvrages dont je crois que le public m'aura obligation de l'avoir fait accoucher. L'un sera d'étendre et d'entrer en plus grand détail qu'il ne l'a fait dans ses Éléments de philosophie et de géométrie; l'autre, un ouvrage sur toutes les découvertes qu'on a faites en physique depuis le chancelier Bacon, avec des réflexions sur les progrès que nos connaissances pourront acquérir en suivant ces expériences, en les combinant ou en en faisant de nouvelles.

Je n'oserais écrire une lettre pareille à toute autre princesse qu'à vous, madame, qui réunissez toutes les connaissances et tous les talents, et qui pensez que ce qui sert à éclairer l'esprit l'ennoblit infiniment plus que la grandeur et la naissance.

Mes vœux sont toujours les mêmes, madame, pour votre félicité et pour votre conservation. Oserais-je vous prier d'assurer de mon souvenir et de mes attentions votre digne amie, et d'être persuadée de l'attachement et de la considération avec lesquels je suis,



Madame ma cousine,

Votre très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.

<262>

50. A LA MÊME.

Sans-Souci, 27 juillet 1763.



Madame ma cousine,

En vous remerciant, ma chère duchesse, de la lettre que vous venez de m'écrire, je ne saurais qu'applaudir au bulletin que vous avez la bonté de m'envoyer. Il n'est certes pas à l'eau rose, et l'auteur se fait nettement entendre. Je vous avoue, madame, que j'aime les auteurs qui raisonnent juste et s'expliquent nettement. Il y en a, tels que l'abbé Pluquet,262-a par exemple, qui soufflent le froid et le chaud, et qui, en voulant ménager la chèvre et le chou, trouvent le moyen de mécontenter généralement tous leurs lecteurs. Ou il ne faut pas du tout toucher les matières scabreuses, ou, si l'on veut les agiter, il faut que la vérité l'emporte, et qu'elle soit démontrée par des arguments rigoureux qui mettent son évidence en lumière. Cependant je ne conseillerais pas au sieur Grimm de faire imprimer la feuille d'aujourd'hui. Oh! que la Sorbonne s'agiterait! Que de décrets, que d'excommunications, que d'anathèmes! Que de bûchers s'allumeraient! Tout l'essaim des dévots et des saints hypocrites se mettrait en campagne pour fondre sur lui et le déchirer; tant la raison et la vérité sont redoutables à ce corps d'hommes méprisables qui ne vivent que de la superstition des peuples! Nous avons été à la veille d'éprouver les funestes effets de la superstition; nous étions au bord de l'abîme, quand un crachement de sang emporta une femme dont la mort mit fin au complot atroce qui s'était formé pour opprimer, autant qu'il aurait pu, les lueurs de bon sens et de raison qui éclairent l'Allemagne. Quel ravage aurait fait l'intolérance soutenue, appuyée et triomphante par l'appui de la cour de Vienne! Quelle persécu<263>tion affreuse se serait étendue sur les protestants et sur tous ceux qui n'étouffent point les lumières de leur raison! Pour moi, je vous l'avoue, ma chère duchesse, je bénis le ciel de me retrouver ici tranquille, et de penser au moins qu'un tel malheur n'arrivera pas le peu de jours qui me restent à vivre. Je me réjouis de ce que les postes allemandes portent ouvertement de votre cour à mon ermitage des ouvrages où la superstition est terrassée, et où la vérité ose paraître à front découvert. Cependant ces consolations sont bien faibles quand on est privé du bonheur de vous voir face à face, bonheur que je regrette bien d'avoir perdu. Je forme sans cesse quelques projets pour me procurer un jour ce bonheur-là. Ne le trouvez pas mauvais, ma divine duchesse; quand on a eu le bonheur de vous connaître, c'est un mal réel que de souffrir la privation de cet avantage. Je serais peut-être en situation de vous dire ce que feu le maréchal Schulenbourg263-a répondit à un barcarolo qui le pressait de se retirer d'une compagnie qu'il ennuyait : « Il se peut bien que j'ennuie ces gens-là, mais ils me font grand plaisir. » Si je vous ai ennuyée, je vous en demande sincèrement pardon; j'ose vous dire que je le mérite en quelque sorte par la haute estime et l'attachement avec lequel je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

<264>

51. A LA MÊME.

Sans-Souci, 7 août 1763.



Madame ma cousine,

En vérité, M. Grimm, vous êtes un homme admirable; vous me faites le plus grand plaisir du monde, par vos rapsodies, de me procurer des lettres de ma chère duchesse, et, quoique je me soucie fort peu des finances du Roi Très-Chrétien, ni de toutes les sottises qui passent par la tête du peuple français, je reçois vos gazettes avec une satisfaction singulière. Ne vous en enorgueillissez pas, M. Grimm; c'est pour l'amour de l'enveloppe qui me les fait tenir. Voilà, madame, ce que je n'aurais pas eu le cœur de vous dire, mais ce que cependant je ne puis en aucune façon supprimer, parce que cela est très-vrai. Une demoiselle de Wangenheim, qui est attachée à ma sœur de Schwedt, et qui, avec toutes mes nièces et mes arrière-neveux, a été ici, peut m'en servir de témoin. On a bu, ma chère duchesse, à votre santé avec ce zèle que vous inspirez à vos dévots, et nous avons dit ce que je n'ose répéter par respect pour votre modestie. M. d'Alembert vous a admirée sur notre rapport, et se trouve malheureux de n'avoir pu vous rendre ses devoirs jusqu'à présent. Il est digne, madame, d'être ajouté au troupeau de ceux qui ne jurent que par vous, et qui vous rendent un culte en esprit. Il se prépare à faire le voyage d'Italie, pays le plus digne d'attirer la curiosité d'un homme de lettres et d'un philosophe. S'il baise l'ergot du pape, ce ne sera pas par superstition. Le saint-père, quoique infaillible, pourrait se tromper, s'il le prenait sur ce ton; un philosophe se prête aux usages des pays où il se trouve, sans les approuver et sans les critiquer ouvertement. Je ne sais ce qu'il pensera de ce pays.

Nous n'avons depuis huit jours que des pluies et des orages. Je souhaite, ma chère duchesse, qu'il fasse plus beau à Gotha, que<265> votre santé soit bonne, que vous soyez heureuse, que vous daigniez quelquefois vous souvenir du plus fidèle de vos adorateurs, et que vous daigniez me croire invariable dans les sentiments de la haute estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.

52. A LA MÊME.

Sans-Souci, 14 août 1763.



Madame ma cousine,

En vérité, ma chère duchesse, le Catéchisme265-a que vous avez la bonté de m'envoyer ne m'a pas la mine d'avoir été corrigé et approuvé par M. Cyprianus. Ce grand homme se serait gravement scandalisé du commencement de ce saint ouvrage. Il n'eût eu d'indulgence que pour la fin, où il y a quelque passage à la gloire de Martin, non pas celui de Candide, mais de Martin Luther. Ce Catéchisme est tout voltairien; on y reconnaît la touche de l'auteur de l'Épître à Uranie et de tant d'autres. Cependant la probité me force à relever quelque petite faute contre l'histoire, qui est échappée à l'apôtre de l'incrédulité, et je crois qu'il faut préférer la vérité à tout. Cette faute consiste en ce qu'il avance que les Évangiles n'ont commencé à être connus qu'au troisième siècle; or, il est de notoriété publique qu'ils<266> sont cités par les Pères du premier siècle. Mais cela n'affaiblit point les preuves qu'il rapporte. Bien loin de là, il y a des arguments à puiser dans ces Pères du premier siècle, plus propres à établir sa cause, comme, par exemple, sont ce nombre d'Évangiles dont on n'a trié que quatre, l'incertitude de ceux qui les ont composés, les traductions différentes et opposées qu'on en a faites, et enfin les contradictions que ces livres canoniques contiennent encore. Il y aurait peut-être quelques preuves à fortifier, pour que l'ouvrage devînt tout à fait classique. Cependant, tel qu'il est, je le crois très-propre pour servir à l'édification des fidèles. On le réimprime ici avec la correction nécessaire pour qu'on n'accuse pas la secte de citer à faux. Cependant j'ose prédire que ce Catéchisme ne fera pas fortune à Vienne, où l'on est très-affirmatif sur de certaines choses, et très-disposé à faire rôtir ceux qui ne sont pas d'un même sentiment. Ils en seront punis, car l'erreur demeurera leur partage; ils seront taupes, madame, et le demeureront.

Je suis bien fâché de l'accident arrivé au Duc votre époux. Mais, ma chère duchesse, je n'ai pas voulu vous alarmer durant les heures heureuses que j'ai passées dans votre sanctuaire; cependant je me suis aperçu de certaines dispositions de ce bon duc, qui ne me paraissaient pas lui présager une longue carrière. Quelque douloureuse que vous soit cette séparation, madame, il faut vous y attendre et vous y préparer. La part que je prends à tout ce qui vous regarde me fait souhaiter que ce moment se diffère, ainsi que tout ce qui pourrait troubler le repos de vos jours.

J'attends ici toute une volée de neveux et de nièces qui vont arriver en quelques jours. Je me vois à la veille d'être dans peu l'oncle de toute l'Allemagne. J'ai connu une demoiselle de Sonsfeld266-a qui<267> était la tante de tout le monde. Quand on n'est pas grand-père, on peut devenir grand-oncle et servir de risée, par son radotage, à ses arrière-neveux; c'est le cinquième acte de la pièce, et l'on finit par être sifflé. En vérité, ma chère duchesse, je ne saurais le dissimuler, tout dépend pour nous du moment que nous venons au monde, et du moment que nous en sortons. Pour vous, vous ne sauriez jamais assez vivre; la vertu et le mérite devraient jouir du privilége de l'immortalité. Les chrétiens ont mis une foule de saints dans le ciel, qui ne méritent pas, à un millième de différence, d'y être placés comme vous, ma chère duchesse. Cependant laissez la place vacante le plus longtemps qu'il se pourra, pour le bien de l'humanité et de vos amis. Daignez me compter de ce nombre, et même des plus zélés et des plus sincères. Ces sentiments sont plus fortement gravés dans mon âme que si c'était sur de l'airain ou du porphyre; l'absence, ni le temps, mais la mort seule, qui détruit tout, pourra les effacer, étant,



Ma chère duchesse,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

53. A LA MÊME.

Sans-Souci, 6 septembre 1763.



Madame ma cousine,

L'aventure de saint Cyprianus que vous avez la bonté de me conter, ma chère duchesse, m'a paru ressembler à celle qui arriva à Rome<268> lorsqu'une congrégation de cardinaux condamna la doctrine de Galilée sur les antipodes. On voulait, à Rome, que le soleil tournât, et on faisait beaucoup de mauvais raisonnements pour le prouver. Un Anglais qui se trouva par hasard en voyage à Rome dans un temps postérieur prit querelle avec un orthodoxe sur cette matière. L'Italien, s'échauffant dans son harnois, disait : « Sans doute que le soleil tourne, car ne savez-vous pas que Josué a dit : Arrête-toi, soleil? - Eh! c'est précisément depuis ce temps, lui repartit l'Anglais, qu'il demeure immobile. » Si toutes les querelles que le fanatisme occasionne pouvaient être décidées dans ce goût-là, on serait heureux, car, ma chère duchesse, une plaisanterie vaut mieux que des injures et des guerres de religion qui ont inondé de sang toute l'Europe.

Le Dialogue du caloyer est, à la vérité, imprimé. Je ne sais par quel quiproquo l'imprimeur, au lieu de prendre l'exemplaire corrigé, a repris le même que vous avez eu la bonté de m'envoyer, madame; de sorte que ce n'est pas la peine de vous l'offrir.

On ne parle ici que de banqueroutes à Amsterdam et à Hambourg.268-a Il est plaisant que les grands princes qui ont fait la guerre, et qui s'y sont ruinés, n'aient point manqué, et que les marchands qui se sont enrichis par tant d'entreprises aient fait des faillites énormes. Il arrive presque toujours dans le monde le contraire de ce qu'on devait raisonnablement supposer. Ce monde n'a pas le sens commun; tout y va de rebours. Je serais bien embarrassé de dire pourquoi il est, et encore plus pourquoi nous sommes. Pourquoi naître? pourquoi cette enfance imbécile? pourquoi tant de soin de l'éducation de la jeunesse, pour cultiver cette raison qui ne devient jamais raisonnable? pourquoi toujours manger, boire, dormir, nous entre-déchirer, faire des niaiseries, abattre, élever, amasser, dissiper? Enfin tous ces soins qui nous tourmentent tandis que nous vivons sont bien<269> puérils quand on pense que la mort arrive et passe l'éponge sur tout le passé.

Je vous demande mille excuses de ces réflexions, qui se sont échappées de ma plume malgré moi; le sujet en est triste et humiliant. Si tout le monde faisait du bien comme vous, ma divine duchesse, on saurait à quoi les hommes et surtout les grands seigneurs sont bons. En bénissant ceux de cette espèce, il est permis d'être un peu mécontent des autres. Il est sûr que votre admirable caractère ne rend pas indulgent pour ceux que l'on compare à ce modèle. Je ne finirais point sur ce chapitre, si je ne craignais de blesser votre excessive modestie. Je finirai donc comme l'Épître de Boileau :269-a

Je t'admire et me tais.

En vous assurant que mon cœur et mon âme vous sont voués pour toute la durée de mon existence, je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

54. A LA MÊME.

Potsdam, 11 décembre 1763.



Ma chère duchesse,

Vous m'écrivez une lettre qui m'embarrasse un peu, parce que, en vérité, madame, je n'ai pas ma bulle d'or en tête. Par la paix que<270> nous venons de faire, j'ai promis ma voix à l'archiduc Joseph; voilà, ma chère duchesse, tout ce que je sais. Ma promesse m'engage à la remplir; et quoique, lorsque cette élection de l'archiduc fut mise sur le tapis, il y a huit ou dix ans, on recourût alors aux prétentions que quelques princes de l'Empire formaient pour examiner la nécessité de l'élection, c'était pour traîner l'affaire et l'embarrasser de chevilles par le moyen desquelles on pût la faire manquer. Vous voyez vous-même, madame, que le cas n'est pas le même à présent. Cela ne m'empêchera pas cependant de m'intéresser pour les princes, autant que cela est compatible avec mes engagements; et, s'ils ont quelques remarques à faire ou quelques idées à communiquer sur la capitulation, on y fera sans doute réflexion dans le collége électoral. A présent, madame, ne m'en demandez pas davantage, car je suis au bout de mon latin, mais non pas de la haute estime et de la considération avec laquelle je serai toujours,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.

55. A LA MÊME.

(Potsdam) 9 mars 1764.



Madame ma cousine,

Quoique je trouve le sieur Grimm très-incongru de vous charger, ma chère duchesse, de ses lettres, cependant je suis pour cette fois bien aise, puisqu'elles m'en procurent une de votre part. Ce baron<271> de Zuckmantel qui va à Dresde est de ce qu'on appelle hommes à bonnes fortunes. Il a été sur ce pied à Paris; il a été ensuite envoyé à Mannheim, où il a trouvé une approbation singulière. Il a servi, cette guerre, et a été de la garnison de Cassel qui a rendu la ville aux alliés sur la fin de 1762. S'il apporte à Dresde de grosses pensions françaises, cela le fera bien recevoir; mais autrement je doute qu'il jouisse de la même faveur dont il a été comblé à Mannheim.

Mais, madame, je m'égare; je ne sais comment, au lieu de vous écrire, je fais la vie de M. Zuckmantel, qui, au demeurant, m'est tout à fait indifférent. J'ai été trop heureux, madame, de trouver des gens formés par votre main. Je les préférerai à tous autres; ils conservent l'empreinte que vous leur avez donnée, et ils sont marqués au coin de la vigilance et de la fidélité. Vous oublier, madame, n'est pas une chose aussi facile que vous le pensez. J'en atteste M. d'Edelsheim et tous ceux qui m'entourent, que votre nom respectable préside dans tous nos discours. Et comment n'y serait-il pas? Quand on veut citer une princesse qui fait honneur à l'Allemagne, on nomme la duchesse de Gotha; quand on me parle du mariage de mon neveu avec une princesse d'Angleterre,271-a je dis : C'est la nièce de ma chère duchesse; quand on me parle de mes amis, je cite la duchesse de Gotha; faut-il parler de la cour la mieux réglée d'Allemagne, on nomme la vôtre; s'il est question de dames qui possèdent les plus belles connaissances avec la plus grande modestie, qui nommera-t-on? je vous le donne à deviner. Enfin, madame, j'en dirais encore davantage, si j'écrivais à une autre qu'à vous. Pardon, si j'en ai trop dit. La bonne madame Neuenstein271-b me l'obtiendra; car elle sait que, quand on parle de la Duchesse, on ne saurait s'arrêter, et que la parole abonde de quoi le cœur est plein.

<272>Jusqu'ici, l'Europe a eu le diable au corps, et l'on s'est égorgé du couchant à l'aurore. A présent, une autre folie a succédé : on fait des couronnements à droite et à gauche. Pour moi, après avoir échappé à la couronne du martyre, j'ai pris une si grande aversion pour tout ce qui est couronne, depuis celle d'épines jusqu'à la triple tiare de l'imposteur des imposteurs, que même je suis excédé d'en entendre parler. Oui, madame, je m'en vais en Silésie pour appliquer des emplâtres aux provinces blessées, et guérir, si je puis, les profondes plaies que nous a faites la guerre. Mais, quelque part que je sois, mon cœur vous servira de tabernacle, et je porterai en tout lieu le souvenir de ma chère duchesse et les regrets de ne pouvoir pas jouir de sa présence aussi souvent que par le passé. Recevez avec votre indulgence ordinaire les assurances de la parfaite estime et du dévouement avec lequel je suis,



Ma chère duchesse,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

56. A LA MÊME.

Berlin, 7 avril 1764.



Madame ma cousine,

J'ai reçu, ma chère duchesse, votre lettre à mon retour de Silésie, et j'ai ressenti, en la lisant, le plaisir que tout me fait ce qui vient de votre part. Vous m'envoyez en même temps une lettre sur laquelle vous me demandez mon sentiment. Je suis assez embarrassé que dire sur ce sujet. Si vous avez déjà pris un parti, madame, c'est à moi de me taire; sinon, je vois ce qu'il y a pour et contre le mariage dont<273> il est question. Le pour est l'intérêt d'établir la princesse votre fille, mais de l'établir loin de vous, de la marier à un homme que vous ne connaissez point, et où vous ne la reverrez jamais. Le contre consiste à faire changer de religion à une princesse, petite-fille d'Ernest le Pieux, et d'une maison que les protestants ont toujours regardée comme une des colonnes de leur parti, sans compter l'espèce de mépris que s'attirent ceux qui font une pareille démarche. Henri IV a dit que Paris valait bien une messe; je ne crois pas que la place de duchesse d'Orléans vaille autant.

Voilà, madame, tout ce qu'il y a à dire sur ce sujet. C'est à vous à prendre le parti que vous jugerez le plus convenable. Je souhaite qu'il soit heureux, et que, quelque résolution que vous preniez, elle tourne à votre avantage. Voilà la première fois de ma vie que j'ai été consulté sur des cas de conscience. Je m'en ferai vanité, et j'espère de passer avec le temps pour un grand théologien; mais j'ai encore un espace immense à franchir avant que d'y arriver.

Voilà un empereur que les corps évangéliques et catholiques viennent de faire à Francfort. On a fait jurer une capitulation au nouveau roi des Romains, qu'il violera à la première occasion, et l'on criera alors, on parlera de la bulle d'or, et la cour de Vienne s'en moquera. Tout cela fait pitié, et me met quelquefois en colère contre le flegme germanique.

Mais je m'égare encore à vous faire des contes borgnes, ma chère duchesse, au lieu de vous parler de ce qui m'intéresse le plus, qui est de vous assurer de l'estime et de la considération avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<274>

57. A LA MÊME.

(Potsdam) 26 avril 1764.



Madame ma cousine,

Je m'étais presque attendu, ma chère duchesse, au parti que vous avez pris touchant le parti qu'on vous avait proposé pour la princesse votre fille. J'ai d'abord compris que vous ne voudriez pas, par un coup d'éclat comme l'aurait été un changement de religion, démentir la conduite de toute votre famille, en attachant une flétrissure à la personne qui serait obligée de faire le saut périlleux. A envisager les religions philosophiquement, elles sont bien à peu près égales; cependant celle dont le culte est le moins chargé de superstition doit, selon mon avis, être préférée aux autres. C'est sans contredit la protestante, qui, outre cet avantage, a encore celui de ne point être persécutrice. Voilà les deux points pour lesquels, madame, je me déclarerai constamment pour la foi de nos pères. J'avoue que, si j'avais vécu du temps de Martin Luther, j'aurais fort appuyé pour qu'il poussât jusqu'au socinianisme, qui n'est proprement que la religion d'un seul Dieu; mais ce moine et ses confrères, en arrachant la moitié du voile, se sont arrêtés en beau chemin, et ont laissé encore bien des obscurités à éclairer. Mais la vérité paraît peu faite pour l'homme; l'erreur est son partage.274-a Pourvu encore que, en s'égarant dans un labyrinthe de pure métaphysique, on ne devienne pas ennemi, que l'on soit humain, doux, compatissant, et que l'on ne s'acharne pas d'une haine théologale contre ceux qui pensent autrement que nous, on peut passer le reste, et supporter les opinions diverses du genre humain, comme on souffre la diversité de leurs physionomies, de leurs habillements, et des coutumes qu'une longue habitude a rendues nationales. Tout ce que j'ai l'honneur de vous écrire, madame, ne paraîtrait pas orthodoxe au consistoire de M. Cy<275>prianus. Je ne saurais qu'y faire; j'aime mieux être orthodoxe vis-à-vis de la raison universelle, qui a été donnée à l'homme pour le conduire, que vis-à-vis une assemblée de docteurs qui argumente selon Esdras, Matthieu, Jean, Paul, et tout ce tas d'apôtres de la superstition qui ont aveuglé et abruti le monde.

Pour Leurs Majestés Impériales et Romaines, je vous les garantis, madame, empêtrées dans le bourbier de la superstition jusqu'au cou. Voilà cette nouvelle maison d'Autriche qui prend de nouvelles racines sur le trône des Empereurs, et qui, un jour, fera repentir ses adhérents de l'élévation où ils l'ont portée. Mais les erreurs politiques sont souvent aussi difficiles à guérir que les erreurs spéculatives. Pour moi, qui me fais vieux, je vois tous ces événements avec assez d'indifférence. Je ne serai pas le témoin des conséquences qu'ils entraînent, et mes yeux, en mourant, auront la consolation de voir ma patrie libre.

Je vous fais mille excuses, ma chère duchesse, de tout le bavardage que vous recevrez de moi. J'ai le malheur de m'égarer en vous écrivant. Je me crois assez heureux pour converser avec vous, et je m'étends au delà des bornes de la modération. Vous direz, en recevant celle-ci : Quel impitoyable raisonneur! Oh! que je me garderai bien de lui écrire, pour ne point m'attirer des épîtres qui m'ennuient, et qui ne finissent point! Et je l'aurais bien mérité, si je n'attendais pas mon pardon de votre extrême indulgence, à laquelle je n'ai lieu de prétendre qu'en faveur des sentiments de la haute estime et de la considération avec lesquelles je suis,



Ma chère duchesse,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<276>

58. A LA MÊME.

(Potsdam) 18 mai 1764.



Madame ma cousine,

Je suis bien heureux d'avoir fait ma confession à une théologienne aussi indulgente que vous l'êtes, ma chère duchesse. Défunt Cyprianus, de sévère mémoire, m'eût dévoué à l'anathème, et peut-être il aurait rompu tout commerce avec moi comme avec un impie, pour avoir censuré son grand docteur de la réforme, le sieur Luther, sur ce qu'il n'a pas poussé un peu plus loin sa pointe. Plus l'on vit dans ce monde, plus on s'aperçoit que la vérité est peu faite pour devenir le partage des hommes : les voiles de la nature, les bornes étroites de notre esprit, l'amour du merveilleux, dont chaque homme a sa petite portion, l'intérêt et l'imposture, qui se servent des erreurs les plus absurdes pour s'accréditer par elles, enfin tout nous avertit que nous vivons dans le règne des illusions, et que, hors quelques vérités géométriques démontrées, il ne nous est pas donné d'atteindre à la vérité. Il semble, à tout prendre, que nous sommes plutôt placés dans ce monde pour en jouir que pour le connaître, et, quand notre curiosité rend notre raison assez téméraire pour la pousser dans les ténèbres de la métaphysique, nous nous égarons dans cette région obscure, faute de bâton pour nous appuyer et de flambeau pour nous éclairer. Toutes ces considérations, madame, sont assez humiliantes pour l'amour-propre. Cependant c'en serait peu si l'on s'en tenait là, et si elles ne nous inspiraient pas des sentiments de tolérance pour les autres aveugles qui s'égarent par des routes différentes que celles où le hasard nous a conduits. Qui cherche la vérité de bonne foi aura du support pour ses frères. Il n'y a que l'orgueil de l'esprit de parti, et l'intérêt personnel couvert par celui de la cause<277> de Dieu, qui arme les persécuteurs du glaive pris sur l'autel. Voilà pourquoi je me défie de ce zèle enflammé des dévots, et j'aurais envie de leur dire : Tu te fâches, tu dis des injures à ton prochain; tu as donc tort.277-a Mais, madame, nous ne les corrigerons pas; les hommes resteront tels qu'ils ont été toujours : la cour de Vienne sera toujours ambitieuse, le saint office persécuteur, Sa Majesté Très-Chrétienne paillarde, les évêques d'Allemagne des ivrognes, et moi votre plus zélé adorateur. Quand même les autres changeraient de passion, la mienne sera toujours, ma chère duchesse, de vous témoigner en toute occasion les sentiments de l'estime, de l'admiration et de la haute considération avec lesquelles je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

59. A LA MÊME.

Sans-Souci, 11 juin 1764.



Madame ma cousine,

Un accès de goutte à la main gauche a pensé m'empêcher, madame, de vous répondre. Cependant vous faites des miracles, ma chère duchesse; vous guérissez les estropiés, et vous donnez aux manchots la faculté d'écrire. En vérité, si j'étais catholique, je prônerais si bien<278> ce miracle, que la sainte Vierge de Czenstochow deviendrait jalouse du bruit de vos merveilles. Mais nous autres calvinistes, nous y allons si uniment, que nous ne relevons pas seulement les choses extraordinaires qui frappent nos sens, en étonnant nos oreilles. Cependant, madame, après l'épreuve que je viens d'en faire, vous me permettrez de vous invoquer toutes les fois que la goutte m'assaillira. Je dirai : Duchesse secourable, princesse surnaturellement douée des faveurs du ciel, guérissez-moi. Cette petite oraison ne se fera pas en vain, et, après ce que je viens d'éprouver, ce n'est pas à moi de manquer de foi.

La commission que vous me donnez, ma chère duchesse, de mettre à la raison la cour impériale exigerait bien un autre miracle. Nous nous sommes battus durant sept ans entiers à outrance, sans rien avancer par là; mais, si vous vouliez user de ce pouvoir que vous avez exercé si efficacement sur ma main, je ne doute pas que vous ne parvinssiez à resserrer l'ambition des tyrans germaniques dans une sphère plus étroite. Nous sommes à présent assez joliment ensemble, en apparence; mais le diable n'y perd rien, et je ne voudrais pas qu'une occasion favorable se présentât à nos ennemis, car sûrement ils ne la négligeraient pas. Il y a un reste de levain dans les cœurs, qui servira, quand il aura fermenté, d'aliment à une nouvelle guerre. Pour moi, je ne compte pas de la voir; mes yeux seront probablement fermés à la lumière lorsque le cas en existera. Mais cela ne manquera pas d'arriver. Cependant jouissez, en attendant, des douceurs de la vie, ma chère duchesse, et traitez l'avenir avec la même indifférence que le passé qui a précédé le temps de notre naissance. Notre vie est trop courte pour que les soins de l'avenir nous fassent perdre la jouissance du moment présent. Puissiez-vous en profiter de longues années, comblée de toutes les prospérités que vous méritez à si juste titre! Personne ne vous le souhaite plus sincèrement<279> que je le fais. Agréez-en les protestations avec celles de la haute estime et de la sincère amitié avec lesquelles je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

60. A LA MÊME.

(Potsdam) 2 juillet 1764.



Madame ma cousine,

J'ai bien du regret, ma chère duchesse, de ce que vous n'êtes pas la Providence; je me reposerais sur votre puissant appui, et je croirais avec foi et certitude que le monde serait bien gouverné, car vous ne protégeriez assurément pas les superbes, ni les scélérats, comme cela est souvent arrivé de nos jours. Mais, en attendant que vous preniez le gouvernail de l'univers en main, vous me permettrez de vous remercier des bonnes choses que vous me destiniez, et dont je vous ai, mon adorable duchesse, la même obligation comme si je les avais reçues. Pour moi, qui dirige une partie imperceptible de la planète que nous habitons, mon influence y est des plus bornées. Je ne vois guère au delà de mon nez, je me trouve être l'accident, mais pas le mobile des choses, à peu près comme la boue que des roues d'un carrosse jettent par une suite de leur mouvement. Voilà, ma chère duchesse, le rôle que je joue en Europe, et vous voyez qu'il est circonscrit dans une sphère assez étroite. J'avoue, madame, qu'il y a des occasions où l'on peut prévoir l'avenir; mais combien de causes secondes nous sont cachées, qu'il faudrait connaître pour prévoir les<280> événements, et combien de cas fortuits ne changent-ils pas les mesures, les calculs et les systèmes qu'on avait formés laborieusement pour parvenir à ce qu'on se proposait! Ainsi, ma chère duchesse, je crois que l'on se trompe souvent; pour moi, je sais que cela m'est arrivé plus d'une fois, et je crois qu'il en est de même de tous ceux qui se sont mêlés de la politique, les uns plus, les autres moins. Sans doute que nous résistons à la cour de Vienne dans certaines occasions d'éclat; mais, comme on ne fait aucune attention à un chien qui aboie toujours, mais bien à celui dont le cri dénonce des voleurs, nous tâchons quelquefois, mais à propos, de faire du bruit, et cela, seulement lorsque la cour de Vienne affiche trop le despotisme. Mais, madame, cela ne change rien à la nature des choses. Il faudrait négocier mille ans avec la cour de Vienne, et encore serait-ce du temps perdu. Vous savez le proverbe que, si quelqu'un a un soufflet en arrérage à demander à un ministre de l'Empereur, il sollicite vingt ans sans en obtenir le payement. Pour moi, qui ne veux ni soufflet, ni rien d'eux que la justice et la liberté de l'Allemagne, je suis presque sans cesse en dispute avec eux; mais ce n'est que par des victoires qu'on peut obtenir quelques conditions tolérables d'eux, et on ne se bat ni ne remporte pas la victoire tous les jours. Voilà, madame, de la façon que j'envisage les démêlés qu'on a avec ces gens-là. Une longue expérience me les a fait connaître, mais je les ai toujours trouvés tels que j'ai l'honneur de vous les dépeindre. Pour moi, vous me trouverez toujours le même, ma chère duchesse, et vous voudrez bien compter sur l'inviolabilité de mon attachement et sur la haute estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<281>

61. A LA MÊME.

Sans-Souci, 7 août 1764.



Madame ma cousine,

Je profite de toutes les occasions qui se présentent pour vous assurer, ma chère duchesse, de mon admiration et de mon estime. Voici M. d'Edelsheim qui va passer par Gotha. Il sera plus heureux que moi, il pourra, ma chère duchesse, vous voir et vous entendre. Il vous parlera de cette princesse d'Angleterre,281-a votre digne nièce, que nous avons vue ici, et qui désire beaucoup de faire votre connaissance; il vous parlera de fêtes de promesse,281-b de ... que sais-je? Mais, quoi qu'il vous puisse dire, il ne trouvera pas de couleurs assez vives pour vous peindre ces sentiments que vous avez si profondément imprimés dans mon âme, ces sentiments que l'anéantissement seul de mon être pourra détruire. Il faut les sentir pour les exprimer, et vous connaître pour en être atteint. Que je serais heureux, si je pouvais vous les renouveler moi-même et vous assurer de la haute estime avec laquelle je suis,



Ma chère duchesse,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<282>

62. A LA MÊME.

Neisse, 30 août 1764.



Madame ma cousine,

Je suis très-fâché d'apprendre, ma chère duchesse, l'incommodité que vous avez eue aux yeux. J'espère que le mal de votre bonne amie ne sera pas épidémique, et que les yeux, madame, dont vous faites un si bon usage ne vous dénieront point leur service. Je suis charmé d'avoir une occasion de pouvoir vous être de quelque utilité. Il ne dépendra que de vous, ma chère duchesse, d'envoyer le prince votre fils à Sonnenbourg; je stipule simplement pour condition que cet aimable enfant repasse par chez moi, pour que je revoie au moins quelqu'un qui appartient à ma chère duchesse. Je suis ici en voyage, et plein d'occupations. Je me réserve, madame, d'être moins laconique à mon retour, en vous priant d'ajouter foi aux sentiments d'attachement et d'admiration avec lesquels je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

63. A LA MÊME.

Sans-Souci, 9 octobre 1764.



Madame ma cousine,

Je vous rends grâce, ma chère duchesse, de la galanterie que vous me faites de m'envoyer le prince votre fils; il a été reçu ici, non en<283> étranger, mais comme le fils de ma respectable amie. J'ai été charmé de revoir quelqu'un qui vous touche de si près, après ma longue absence, et je vous assure, ma chère duchesse, que tout le monde a loué votre œuvre, et surtout la bonne éducation que vous lui avez donnée. Nous n'avons pas quitté Gotha dans nos entretiens; mais, comme il n'y a aucune joie sans quelque mélange d'amertume, le prince Auguste m'a affligé en m'apprenant la fluxion dont vous êtes incommodée. Pourquoi faut-il, ma chère duchesse, que vous souffriez des infirmités de l'humanité, vous qui êtes si fort au-dessus du reste des humains? Et pourquoi la nature ne respecte-t-elle pas un corps dont l'âme fait les délices de tout être qui pense, et dont la bonté rend tout un duché heureux? Voilà des réflexions qui me conduiraient trop loin, si je m'y abandonnais. Votre digne amie perd sa fille, et vous êtes affligée des yeux. Pour qui donc sont les récompenses, si vous souffrez des peines, et comment se fait-il que si souvent on voie dans le monde le crime triomphant et la vertu malheureuse? Ah! ma chère duchesse, cette machine sur laquelle le hasard nous a placés m'a bien la mine d'aller comme elle peut, sans que personne s'en embarrasse. Mais, pour Dieu, n'en parlez pas à M. Cyprianus, ou je suis perdu à tout jamais.

Le prince votre fils vous dira qu'il m'a trouvé ici en retraite. Je fais un extrait de tous les articles philosophiques de Bayle, dont on fera une édition in-octavo d'environ cinq ou six volumes;283-a elle sera achevée le printemps prochain, et, si vous me le permettez, je vous offrirai un exemplaire. Voilà mes amusements sur mes vieux jours. Mais je vous conte des fagots, et j'abuse peut-être d'un temps précieux que vous employez et mieux, et plus utilement. N'oubliez pas, ma chère duchesse, vos amis absents. Je prierai le prince Auguste de vous faire quelquefois ressouvenir de moi, car rien ne me serait plus insupportable que d'être effacé de votre souvenir. Si l'admiration, si<284> l'amitié, si la plus haute estime pour votre personne mérite que vous daigniez penser à ceux qui vous honorent et vénèrent, personne n'a plus de prétentions ni de droits à votre souvenir que moi, étant,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

64. A LA MÊME.

Potsdam, 31 octobre 1764.



Madame ma cousine,

Je suis bien aise que le prince Auguste vous ait rendu compte, ma chère duchesse, des sentiments distingués que je conserverai pour vous toute ma vie gravés dans mon cœur. Mais, quoi qu'il vous en ait dit, ne pensez pas que cette matière puisse s'épuiser si vite, ni qu'une conversation du prince ait pu vous mettre au fait de tout ce que vous inspirez à ceux qui, comme moi, ont le bonheur de vous connaître. Si j'ai fait une petite sortie sur la Providence, c'est, ma chère duchesse, qu'il n'est en vérité pas bien que vous souffriez. Considérez la brièveté de la vie des hommes, considérez combien ils sont exposés aux traits du mal physique et aux corruptions du mal moral. Le mal est dans le monde, on ne saurait le nier; la question est de savoir qui l'y a mis. Pour moi, je l'ignore profondément, et je féliciterai très-sincèrement le docteur en théologie qui m'en découvrira la cause. Mais, s'il me parle de sa pomme,284-a je le renvoie aux Méta<285>morphoses d'Ovide, à Peau-d'âne, à Barbe-bleue. Et voilà cependant comme on nous traite, et l'on explique des énigmes par des fables! Mais tout cela ne nous touche point. Le monde en va de même, que l'on connaisse ou qu'on ignore les ressorts qui le font aller. Pourvu que la vertu soit épargnée, que vous ne souffriez pas, ma chère duchesse, me voilà content, car personne ne prend plus de part à votre conservation que,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.

65. A LA MÊME.

Potsdam, 22 novembre 1764.



Madame ma cousine,

Votre lettre, ma chère duchesse, m'a fait tout le plaisir imaginable, d'autant plus qu'elle est un témoignage manifeste de ce que vos yeux et votre santé sont remis. Je souhaite que vous vous conserviez de même de longues années, et que les infirmités attachées à l'humanité, par respect pour votre belle âme, n'altèrent point votre corps.

Pour m'acquitter de la commission que vous m'avez donnée, ma chère duchesse, j'ai pris des informations touchant les deux abbayes de princesses qu'il y a en ce pays, et je prends la liberté de vous les envoyer, attendant de ce que vous jugerez à propos de me charger à l'avenir.

Vous avez sans doute grande raison de souhaiter que le mal physique et que le mal moral vous épargnent. Pour le moral, vous en<286> êtes sûre; mais pour le physique, il n'y a eu personne sur cet univers qui ait pu trouver un abri contre ses ravages, ni qui ne se soit heurté l'esprit contre des difficultés insurmontables, en voulant en découvrir l'origine. Mais, quand on vous écrit, ma chère duchesse, il ne vient que des idées du bien moral et physique; vous n'en inspirez pas d'autres. Puisse-t-il toujours habiter chez vous, et puisse votre bonheur égaler votre mérite! Ce sont les vœux que je fais bien sincèrement pour votre personne, en vous priant d'être persuadée de la haute estime avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

66. A LA MÊME.

Berlin, 28 décembre 1764.



Madame ma cousine,

Vos lettres, ma chère duchesse, me font toujours grand plaisir, puisqu'elles m'assurent de la continuation de votre souvenir et de votre bonne santé. Je voudrais, au sujet de la princesse votre fille, pouvoir répondre à la confiance que vous me témoignez; mais, ma chère duchesse, les choses sont toutes différentes que vous vous les figurez. Le chapitre élit les chanoinesses; je n'ai que le droit de les confirmer. C'est des chanoinesses que le chapitre élit des coadjutrices. Mes sœurs ont passé par tous les grades, et je n'ai de droit que d'approuver ce qu'ils ont fait. Il y a, de plus, une de mes nièces de Schwedt et<287> une princesse du margrave Henri qui postulent à Quedlinbourg des charges de chanoinesses; et, comme je n'ai d'influence, dans ce qui regarde ces couvents, que d'un consentement passif, je ne sais pas par quel moyen je pourrais remplir, madame, les vues que vous avez sur la princesse votre fille. Je voudrais, dans ce moment, que mon despotisme s'étendît plus loin, pour être en état de vous servir; mais vous devez reconnaître, ma chère duchesse, que les limites qui bornent mon pouvoir bornent en même temps ma bonne volonté et les offices que je voudrais rendre à mes amis. Souffrez que, à l'occasion de cette lettre, je vous offre mes vœux pour l'année où nous allons entrer, et pour un nombre d'autres que je souhaite que vous passiez avec santé et avec contentement, en vous assurant de la passion et des sentiments distingués d'estime avec lesquels je suis,



Ma chère duchesse,

de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.

67. A LA MÊME.

Berlin, 12 janvier 1765.



Madame ma cousine,

Il a été bien douloureux pour moi, ma chère duchesse, de n'avoir pu vous rendre les services que les lois et les priviléges des abbayes interdisaient. Je ne renonce cependant pas à trouver quelque occasion où je pourrai vous être bon à quelque chose, pour faire oublier l'inutilité dont je vous ai été jusqu'ici.

<288>Je voudrais bien que vous ne souffrissiez aucune des infirmités attachées au sort de l'humanité, et j'en suis d'autant plus affligé, que votre fluxion m'a privé du plaisir de recevoir plus tôt de vos nouvelles.

On me mande à peu près la même chose de Versailles et de la cour palatine, touchant l'impression qu'a faite en ces lieux le choix que le roi des Romains a fait d'une princesse bavaroise. Il n'y a qu'à attendre, et sûrement on verra les Français et les Autrichiens prêts à s'arracher le blanc des yeux, et cela, en peu de temps. L'ambition des uns heurtera l'ambition des autres, et cela finira par une rupture. En attendant, que le roi des Romains épouse qui il lui plaira; je ne saurais me persuader que ce mariage entraîne les suites qu'on suppose à Versailles et à Mannheim. Cette princesse apportera à Vienne une dot, des bijoux, et peut-être quelques seigneuries que la maison de Bavière possède en Bohême, et voilà tout; et, en mettant les choses au pis, ne faut-il pas considérer l'âge de l'électeur de Bavière, qui peut vivre longtemps? Et, au cas que la cour de Vienne, au décès de ce prince, porte ses vues trop loin, il est sûr que cela donnera lieu à une guerre bien vive et bien sanglante. Mais, madame, probablement nous ne la verrons pas; ainsi laissons ces soins à la postérité, sans que cela nous inquiète.

Je vous rends mille grâces de l'intérêt que vous daignez prendre à ma personne, et j'espère, ma chère duchesse, que vous rendez justice à la réciprocité de mes sentiments. Ils seront inviolablement les mêmes, étant avec toute l'estime et la considération possible,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.

<289>

68. A LA MÊME.

Sans-Souci, 5 avril 1765.



289-aMadame ma cousine,

M. Helvétius m'a rendu, ma chère duchesse, la lettre dont vous avez eu la bonté de le charger pour moi.289-b C'était une raison de plus pour qu'il fût bien reçu ici, et je n'aurais pas été étonné, s'il se fût arrêté plus longtemps à Gotha pour avoir le bonheur de vous entendre et de jouir de votre charmante conversation. Il m'a trouvé sur le grabat, garrotté par une goutte impitoyable qui m'a assailli par tous les membres. C'est cette goutte qui m'oblige d'emprunter une main étrangère pour vous marquer, ma chère duchesse, toute la reconnaissance que m'inspire votre souvenir. J'espère de m'en acquitter moi-même aussitôt que j'aurai repris quelque force. Je fais, en attendant, des vœux pour que les maux dont vous avez été incommodée ne vous affligent plus désormais, en vous assurant que personne ne prend plus de part à votre santé, à votre prospérité, à votre conservation, que,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<290>

69. A LA MÊME.

(Potsdam) 17 février 1766.



Madame ma cousine,

Quoiqu'il y ait bien de l'incongruité au sieur Grimm de vous adresser, madame, des paquets pour votre serviteur, je lui sais néanmoins gré de l'obligeante lettre qu'il m'a procurée de votre part. Ne croyez pas, ma chère duchesse, que votre souvenir soit de ceux qui s'effacent légèrement de l'esprit d'un honnête homme. Si je ne vous ai pas importunée par mes lettres, c'est que j'ai respecté la fluxion qui vous afflige la vue, c'est que je n'ai eu à vous écrire que des balivernes, et que des fadaises peuvent plaire un moment et ennuyer à la longue; c'est, enfin, qu'il n'est pas convenable d'abuser de votre indulgence.

Nous avons eu ici des noces,290-a des deuils,290-b et un bout de carnaval, par connivence, pour amuser notre jeunesse. Nous avons eu ici beaucoup d'étrangers, parmi lesquels s'est distingué surtout le prince de Saarbrück290-c par ses manières et par son esprit. A présent, madame, nous attendons la fin de l'hiver et le beau temps, qui amènera des occupations différentes. Je souhaite que les vôtres soient toujours agréables, surtout que la déesse qui préside à la santé vous favorise et nous conserve vos jours précieux. Je m'y intéresse plus que personne, étant avec la plus haute estime,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.

<291>

70. A LA MÊME.

(Potsdam) 26 février 1766.



Madame ma cousine,

Je me trouve sans cesse dans le cas de vous faire des excuses des incongruités ou, pour mieux dire, de l'impertinence du sieur Grimm, qui vous adresse, ma chère duchesse, mes lettres. Ces lettres ne sont point des négociations; ce sont des chansons faites contre La Verdy, contrôleur général des finances, et des Lettres sur les miracles, de Voltaire.291-a Vous voyez, ma chère duchesse, que cela même aggrave l'insolence du correspondant littéraire de vous charger de ces billevesées. Mais les Français sont des fous, et les Allemands qui y restent longtemps le deviennent de même. Pour moi, je profite doucement de leur folie, puisqu'ils me procurent de vos lettres, qui font tomber des bruits qui me faisaient trembler pour votre précieuse santé. Conservez cette santé, ma chère duchesse, pour le bien du sexe tudesque, dont vous faites l'ornement, et pour la satisfaction de vos amis. J'ose me compter des premiers de ce nombre, et je vous prie d'agréer les assurances de mon admiration et de l'attachement avec lequel je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le bon cousin et fidèle ami,
Federic.

<292>

71. A LA MÊME.

(Potsdam) 15 mai 1767.



Madame ma cousine,

Plein de l'agréable souvenir du séjour que j'ai fait à Gotha, surtout de la chère duchesse que j'ai eu le bonheur d'y voir, il m'est passé tout plein d'idées par l'esprit, dans des moments creux, sur quelque alliance de famille qui resserrât entre nous, par les liens du sang, ceux de l'amitié. Je ne vous ferai point, madame, un plus long préambule; je vous dirai tout naturellement ce qui m'est passé par la tête, et vous aurez la bonté de me répondre tout uniment de même, parce que des idées ne sont que des idées, et que je puis me tromper sur ce qui vous convient ou ne vous accommode pas. J'ai réfléchi que l'aîné des princes vos fils était dans un âge où vous penseriez à le marier.292-a J'ai repassé dans mon esprit les princesses qui étaient à peu près de son âge, et il m'a paru que ma nièce, la princesse Auguste de Brunswic,292-b pourrait lui convenir. Je n'en ai parlé à personne, et, si cela se pouvait, ma plume, madame, ne vous le dirait qu'à l'oreille. Peut-être avez-vous d'autres vues; peut-être avez-vous pris des engagements ailleurs, que j'ignore. Au moins ne me sachez pas mauvais gré de ma franchise, et, si vous la taxez d'indiscrétion, ce sera la première et la dernière dont je serai coupable envers vous. Je crois entendre madame de Buchwald qui dit : Le roi de Prusse radote, il se fait maquereau sur ses vieux jours. Elle a raison, nous ne faisons ici que noces et baptêmes. Mais, madame de Buchwald, souvenez-vous au moins que, ayant été malheureusement souvent témoin de la bou<293>cherie de l'espèce humaine, je suis plus obligé qu'un autre à contribuer à la repopulation.

J'espère, ma chère duchesse, que vous prendrez ceci en bonne part, que vous ne vous fâcherez point contre votre ancien adorateur, qui ne cesse de l'être, et que vous voudrez bien croire que tout ce que je vous écris part d'un cœur pénétré de la plus grande estime pour votre personne. C'est avec ces sentiments que je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le bon et fidèle cousin,
Federic.

72. A LA MÊME.

Potsdam, 22 juin 1767.



293-aMadame ma cousine,

Je suis sensiblement touché de la part que Votre Altesse me témoigne, par la lettre qu'elle a eu la bonté de m'écrire du 13 de ce mois, vouloir bien prendre à la mort de mon neveu, le prince Henri;293-b et la façon obligeante dont vous voulez bien, madame, partager la douleur que me cause ce triste événement m'est une nouvelle preuve de votre amitié, et m'engage à vous présenter les vœux que je ne discontinue de faire pour votre précieuse conservation et celle de ceux<294> qui ont l'honneur de vous appartenir, et de vous prier d'être très-convaincue des sentiments de haute estime et d'amitié parfaite avec lesquels je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le bon cousin,
Federic.

<295>

VI. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE. (17 OCTOBRE ET 26 NOVEMBRE 1767.)[Titelblatt]

<296><297>

1. DE CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE.

Moscou, 17 octobre 1767.



Monsieur mon frère,

En conformité des désirs de Votre Majesté, j'ai fait remettre aujourd'hui à son ministre, le comte de Solms, la traduction allemande de l'Instruction297-a que j'ai donnée pour la réformation des lois de la Russie. V. M. n'y trouvera rien de nouveau, rien qu'elle ne sache; elle verra que j'ai fait comme le corbeau de la fable, qui se fit un habit des plumes du paon. Il n'y a, dans cette pièce, de moi que l'arrangement des matières, et, par-ci par-là, une ligne, un mot. Si l'on rassemblait tout ce que j'y ai ajouté, je ne crois pas qu'il y eût au delà de deux ou trois feuilles. La plus grande partie est tirée de l'Esprit des lois du président de Montesquieu, et du Traité des délits et des peines du marquis Beccaria.

V. M. trouvera peut-être extraordinaire que, après cet aveu, je lui envoie une traduction allemande, tandis que la française paraîtrait plus naturelle. En voici la raison. L'original russe ayant été mitigé, corrigé, accommodé à la possibilité et au local, il a été plus aisé, pour ne point faire attendre V. M., d'achever la traduction allemande déjà commencée que d'avoir une demi-copie, demi-traduction française, faute d'avoir quelqu'un qui entendît parfaitement le russe et le<298> français. L'on va cependant commencer incessamment aussi cette dernière traduction. Je dois prévenir V. M. de deux choses : l'une, qu'elle trouvera différents endroits qui lui paraîtront singuliers peut-être; je la prie de se souvenir que j'ai dû m'accommoder souvent au présent, et cependant ne point fermer le chemin à un avenir plus favorable; l'autre, que la langue russe est beaucoup plus énergique et plus riche en expressions que l'allemande, et en inversions que le français; preuve de cela, c'est que, dans la traduction, l'on a souvent été obligé de paraphraser ce qui avait été dit avec un seul mot en russe, et de séparer ce qui ne faisait, pour ainsi dire, qu'un trait de plume. Ceux qui ont reproché à cette dernière langue de manquer de termes, ou se sont trompés, ou n'ont point su cette langue.

Ce me serait une marque bien sensible de l'amitié de V. M. si elle jugeait à propos de me communiquer ses avis sur les défauts de cette pièce. Ils ne pourraient que m'éclairer dans un chemin aussi nouveau que difficile pour moi; et ma docilité à la réformer montrerait à V. M. le cas infini que je fais et de son amitié, et de ses lumières, étant toujours avec la plus haute considération,



Monsieur mon frère,

de Votre Majesté
la bonne sœur, amie et alliée,
Catherine.

<299>

2. A CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE.

Potsdam, 26 novembre 1767.



Madame ma sœur,

Je dois commencer par remercier Votre Majesté Impériale de la faveur qu'elle me fait en me communiquant son ouvrage sur les lois. Permettez-moi de vous dire que c'est un commerce qui a peu d'exemples dans le monde, et j'ose dire, madame, que V. M. I. est la première impératrice qui ait fait de tels présents que celui que je viens de recevoir. Les anciens Grecs, qui étaient de bons appréciateurs du mérite, divinisaient les grands hommes, en réservant la première place aux législateurs, qu'ils jugeaient les véritables bienfaiteurs du genre humain. Ils auraient placé V. M. I. entre Lycurgue et Solon. J'ai commencé, madame, par lire l'ouvrage précieux que vous avez daigné composer, et, pour y porter moins de prévention, je l'ai considéré comme s'il partait d'une plume inconnue; et je vous avoue, madame, que j'ai été charmé non seulement du principe d'humanité et de douceur dont partent ces lois, mais encore de l'ordre, de la liaison des idées, de la grande clarté et précision qui règne dans cet ouvrage, et des connaissances immenses qui s'y trouvent répandues. Je me suis mis, madame, dans votre place, et j'ai d'abord compris que chaque pays demande des considérations particulières, qui exigent que le législateur se prête au génie de la nation, de même que le jardinier doit s'accommoder à son terrain pour y faire prospérer ses plantes. Il y a des vues que V. M. I. se contente d'indiquer, et sur lesquelles sa prudence l'empêche d'insister. Enfin, madame, quoique je ne connaisse pas à fond le génie de la nation que vous gouvernez avec tant de gloire, j'en vois assez pour me persuader que, s'ils se gouvernent par vos sages lois, ils seront le peuple le plus heureux du inonde. Et puisque V. M. I. veut savoir tout ce que je pense<300> sur cette matière, je crois le lui devoir dire naturellement. C'est, madame, que les bonnes lois, faites sur les principes que vous en avez tracés, ont besoin de jurisconsultes pour être mises en exécution dans vos vastes États, et je crois, madame, que, après le bien que vous venez de faire dans la législation, il vous en reste encore un, qui est une académie de droit pour y former les personnes destinées au barreau, tant juges qu'avocats. Quelque simples que soient les lois, il survient des cas litigieux, des affaires compliquées et obscures, où il faut tirer la vérité du fond du puits, qui demandent des avocats et des juges exercés pour les débrouiller.

Voilà, en honneur, tout ce que je puis dire à V. M. I., sinon, madame, que ce monument précieux de vos travaux et de votre activité, que vous daignez me confier, sera conservé comme une des pièces les plus rares de ma bibliothèque. S'il y avait, madame, quelque chose capable d'augmenter mon admiration, c'est le bien que vous venez de faire à un peuple immense. Recevez avec votre bonté ordinaire les assurances de la haute considération avec laquelle je suis,



MADAME MA SœUR,

de Votre Majesté Impériale
le bon frère et allié,
Federic.

<301>

AU COMTE DE SOLMS-SONNEWALDE.301-a

(Potsdam, 26 novembre 1767).

J'ai lu avec admiration l'ouvrage de l'Impératrice. Je n'ai pas voulu dire tout ce que j'en pense, parce qu'elle aurait pu me soupçonner de flatterie; mais je puis vous dire, en ménageant sa modestie, que c'est un ouvrage mâle, nerveux et digne d'un grand homme. L'histoire nous dit que Sémiramis a commandé des armées, la reine Élisabeth a passé pour bonne politique, l'Impératrice-Reine a montré beaucoup de fermeté à l'avénement de son règne; mais aucune femme encore n'avait été législatrice. Cette gloire était réservée à l'impératrice de Russie, qui la mérite.

<302><303>

VII. LETTRE DE FRÉDÉRIC AU BIOGRAPHE DU GÉNÉRAL PAOLI. (25 MAI 1769.)[Titelblatt]

<304><305>

AU BIOGRAPHE DU GÉNÉRAL PAOLI.

Ce 25 mai 1769.

Votre lettre, avec laquelle vous m'avez fait tenir la vie du protecteur et du défenseur de la Corse, du général Paoli, m'a fait plaisir. J'admire, sur tel horizon quelconque, les talents et la vertu; je prends de même un intérêt bien vif à connaître celui qui est le promoteur des uns et l'appréciateur de l'autre. Je m'en tiens volontiers en lui à l'estime publique, qui, dans un pays de liberté, est infaillible, etc. Je prie Dieu, etc.

Federic.


100-a Frédéric parle ici du Petit prophète de Böhmischbroda, ou Prophétie de Gabriel Joannes Nepomucenus Franciscus de Paula Waldstorch, dit Waldstörchel, natif de Böhmischbroda, etc. C'est une satire que le baron de Grimm publia en 1753 contre les prôneurs de la musique française. Il dit, chap. 19 : « Et ainsi que tes musiciens ont fait des notes jusqu'à ce jour, de même ils feront de la musique qui en soit une. »

103-a Voyez ci-dessus, p. 96, 101 et 102.

103-b Horace, Odes, liv. IV, ode 9, v. 29 et 30.

103-c Frédéric, Épître à mon esprit, 1749. Voyez t. X, p. 257.

104-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. VII, v. 13. Voyez t. XVII, p. 368.

104-b L'abbé de Bernis. Voyez t. IV, p. 38, et t. X, p. 123.

106-a Voyez t. XIV, p. 197.

107-a Ce nom, fidèlement copié sur le texte de M. de Raumer, que nous suivons, nous est inconnu. Peut-être Frédéric veut-il parler du signor Crichi, chanteur de l'Opéra-comique, qui vint à Berlin au mois de mars 1754.

108-a Horace, Satires, liv. I, sat. I, v. 7 et 8.

109-a Voyez t. X, p. 12, et ci-dessus, p. 22.

109-b Quitard dit, dans son Dictionnaire des Proverbes : « Les lettres de Cracovie, ainsi nommées par allusion au verbe craquer (mentir), sont des brevets qu'on expédie aux grands hâbleurs. Avoir ses lettres de Cracovie signifie donc être reconnu et proclamé menteur. .... Il y avait autrefois au jardin du Palais-Royal, d'autres disent au jardin du Luxembourg, un arbre qu'on appelait l'arbre de Cracovie, pour la raison que je viens d'indiquer, ou parce que les nouvellistes se réunissaient d'ordinaire sous son ombre pendant les troubles de Pologne. »

110-a Voyez ci-dessus, p. 33.

114-a Frédéric, dit dans l'

Épître XX, A mon esprit

(t. X, p. 252) :

M'a-t-on vu des derniers paraître au champ de Mars?

114-b La bataille de Lowositz, 1er octobre 1756.

115-a César, De bello civili, liv. I, c. 72.

116-a Quintilien, Institutio oratoria, liv. X, chap. 1.

117-a Lucain, Pharsale. chant II, v. 657. Voyez t. X, p. 288.

119-a I Machabées, chap. XI, v. 52, selon la Vulgate : Et sedit Demetrius rex in sede regni sui, et siluit terra in conspectu ejus.

12-a Voyez ci-dessus, p. 4.

123-a Celle de Rossbach.

124-a La victoire de Leuthen.

125-a Épîtres, liv. I, ép. 17, v. 33 et 34.

126-a Allusion au 34e chapitre de la Vie de Jules César, par Suétone.

127-a Le manuscrit de cette lettre est de la main d'un secrétaire, et n'est que signé par le Roi, qui semble vouloir persifler les fréquents passages latins qu'Algarotti, à l'exemple de Montaigne, avait coutume d'insérer dans ses lettres. Dans une lettre à d'Argens, sans date, Frédéric dit : « Quand je suis assez heureux que d'accrocher quelque passage latin, je compare aussitôt mes lettres à celles d'Algarotti, et je m'en impose à moi-même. » Le marquis d'Argens, de son côté, dit dans sa lettre à Frédéric, du 9 mars 1763 : « Non sunt miscenda sacra profanis. Votre Majesté voit que je sais, ainsi qu'Algarotti, citer du latin dans mes lettres. »

127-b Virgile, Énéide, liv. VII, v. 374-377.

127-c Les mots Apalache et merluches font allusion aux causes de la guerre que les Anglais et les Français se faisaient alors en Amérique. Voyez t. VI, p. 10.

128-a Lucrèce, De la nature des choses, liv. II, v. 7-10. Voyez t. XI, p. 53.

129-a Voyez Horace, Odes, liv. I, ode 15, v. 9-12.

13-a Voyez t. XIV, p. 88-93.

13-b L. c., p. 43-49.

13-c L. c., p. 178-180.

132-a Mithridate, par Racine, acte II, scène III. Voyez t. XV, p. 11.

135-a C'est Maharbal qui dit à Annibal ce mot conservé par Tite-Live, liv. XXII, chap, 51 : « Vincere scis, Hannibal; victoria uti nescis. »

137-a Bataille de Liegnitz, le 15 août.

137-b Quintilien, Institutio oratoria, liv. X, chap. 1.

137-c Voyez ci-dessus, p. 119.

138-a Frédéric dit dans sa lettre au marquis d'Argens, du 5 novembre 1760, en parlant de la bataille de Torgau : « J'ai eu un coup de feu qui m'a labouré le haut de la poitrine; mais ce n'est qu'une contusion, un peu de douleur sans danger. »

139-a Horace, Épîtres, liv. II, ép. 1, Ad Augustum, v. 1.

139-b Ce vers est de Frédéric, Épitre à Stille, t. X, p. 154.

14-a Voyez t. XIV, p. 94-101.

14-b Voyez t. XI, p. 91-97.

14-c L. c., p. 116-121.

141-a La réponse de M. de Catt, qu'on lit ci-dessous, commence par ces mots : « La lettre dont vous m'avez honoré le 21 d'avril, etc. »

141-b Horace, Épîtres, liv. II, ép. 1, v. 124.

141-c Fameux joueur de flûte, qui avait donné des leçons à Frédéric dans sa jeunesse. Voyez Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, von J. D. E. Preuss, t. III, p. 480-483, et l'ouvrage du même auteur intitulé : Friedrich der Grosse mit seinen Verwandten und Freunden, p. 340 et 341.

143-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. 7, v. 11.

145-a Saint Luc, chap. II, v. 29 et 30.

145-b Voyez t. X, p. 11.

146-a On lit au dos du manuscrit de cette lettre les mots suivants, de la main de Frédéric : « Catt y fera une réponse obligeante.Frd. »

147-a Ce vers défectueux ne se trouve pas plus dans Boileau que celui que Frédéric cite dans sa lettre à Voltaire, du 17 juin 1738 :
Jeune, j'aimais Ovide; à présent, c'est Horace,et qu'il attribue au même poëte (Œuvres posthumes, t. VIII, p. 371). Dans sa lettre à Maurice de Saxe, du 3 novembre 1746, Frédéric dit : « A vingt ans, Boileau estimait Voiture; à trente ans, il lui préférait Horace. » Peut-être Frédéric a-t-il imité, dans toutes ces citations, quelque vers français, soit de Boileau lui-même, soit de La Fontaine, soit de quelque autre poëte que nous ne pouvons indiquer.

148-a Voyez t. VI, p. 245 et 250, et t. XIV, p. IV et V, et p. 34.

158-a De la main du Roi.

159-a Allusion à la bataille de Hohenfriedeberg, livrée le 4 juin.

159-b Voyez t. III, p. 130. Jean-Ernest de Hobeck était colonel du régiment d'infanterie du duc de Brunswic-Bevern, no 7.

162-a M. Jordan et le baron de Keyserlingk. Voyez t. VII, p. 3-10, t. X, p. 24, t. XI, p. 36, 102, 106 et 134, et t. XVII, p. 321.

163-a Fille unique du baron de Keyserlingk. Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse mit seinen Verwandten und Freunden, p. 109 et 110.

164-a Le baron de Keyserlingk était mort le 13 août. Voyez t. XI, p. 106.

165-a La bataille de Soor.

166-a Voyez t. XII, p. 80 et 82.

168-a Voyez t. V, p. 174, et t. XIV, p. 199.

169-a Allusion à la prise de Schweidnitz, le 9 octobre 1762.

17-a Imité de Martial, liv. VIII, ép. 21, Ad Luciferum.

170-a Voyez t. V, p. 214 et 215.

170-b Pierre III, empereur de Russie, mourut le 17 juillet 1762.

170-c Madame de Camas dit dans sa lettre au Roi, Magdebourg, 12 octobre 1762 : « Je suis persuadée, Sire, que Votre Majesté aura pris quelque part à la mort de mademoiselle de Tettau, qui a souffert si longtemps avec tant de fermeté, sans qu'il parût le moindre changement dans son esprit ni dans son humeur. » Auguste-Marie-Bernardine, fille du lieutenant-colonel Charles de Tettau, et dame d'atour de la Reine, était née à Stettin le 2 décembre 1721. C'est elle que le Roi surnommait Finette. Voyez t. XVII, p. 240 et 271, et ci-dessus, p. 168.

176-a Madame de Camas, de retour de Magdebourg à Berlin, avait écrit au Roi, le 3 mars : « J'avoue que je fus ravie de me trouver au château, où j'arrivai excédée de toutes les entrées et des harangues que la Reine avait essuyées sur la route, et qui retardaient à tout moment notre marche. »

176-b Le margrave Frédéric, beau-frère du Roi, mort le 26 février 1763.

176-c Voyez la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 25 février 1763.

177-a La duchesse Charlotte de Brunswic.

178-a Le baron de Pöllnitz. Voyez t. XI. p. 12, et t. XIII, p. 18.

181-a Cette lettre est la réponse à celle que madame de Camas avait écrite au Roi, le 16 novembre, à l'occasion de la mort de la margrave Sophie, décédée à Schwedt le 13. Voyez t. I, p. 200, et t. X, p. 173.

189-a De la main d'un secrétaire.

190-a Voyez t. IV, p. 166; voyez aussi les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1757, no 128, p. 513 et 514.

191-a Voyez t. IV, p. 166-168, ainsi que les Berlinische Nachrichten, no 115, p. 458.

192-a Les victoires de Rossbach et de Leuthen.

193-a Cette lettre, de la main d'un secrétaire, n'est pas signée dans le manuscrit original.

194-a Le manuscrit offre ici une lacune qui nous a paru pouvoir être remplie par le mot d'admiration ou par quelque terme équivalent.

195-a Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 22 septembre 1759.

196-a Cette lettre se trouve dans le recueil venu de Gotha; mais ce n'est qu'une simple copie sans signature, et terminée, comme dans notre texte, par le mot etc.

197-a La lettre à Voltaire, du 19 novembre 1759.

197-b Voyez l'Épître sur le hasard, t. XII, p. 64-79.

198-a Frédéric fait principalement allusion ici à l'affaire de Maxen. Voyez t. V, p. 31-33.

199-a Le baron Cocceji, capitaine et aide de camp du Roi.

199-b Voyez t. V, p. 43 et 44.

20-a Voyez t. XIV, p. 181.

200-a De la main d'un secrétaire.

202-a Relation de Phihihu, émissaire de l'empereur de la Chine en Europe. Voyez t. XV, p. 159 à 174.

205-a Gagnée par le maréchal de Villars le 24 juillet 1712. Voyez t. I, p. 140.

208-a Voyez t. VIII, p. 46, et t. IX, p. 155. Cette anecdote est racontée par Boileau, satire IV, v. 103.

208-b Voyez t. XIV, p. 73, t. XVII, p. 173, et ci-dessus, p. 181; voyez aussi la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, Leitmeritz, juin 1757.

209-a Voyez t. XVI, p. 91.

21-a Le Roi veut parler du roi d'Angleterre, qui était alors à Hanovre. Il dit dans le Palladion (t. XI, p. 253) :

L'Anglais mordant, trop fier en son domaine,
Nomme son roi le seigneur capitaine.

210-a Cette lettre est sans signature dans le manuscrit.

211-a M. d'Edelsheim. Voyez t. V, p. 43 et 44.

211-b Londres.

211-c Paris.

212-a Les Poésies diverses. Voyez t. X, p. 11 et 111.

213-a Lettre de la marquise de Pompadour à la reine de Hongrie. Voyez t. XV, p. 89-93, et la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 14 mai 1760.

213-b Ernest-Salomon Cyprianus, docteur en théologie et vice-président du consistoire de Gotha, associé externe de l'Académie des sciences de Berlin, né en 1673, mort le 19 septembre 1745.

213-c Épître sur le hasard. Voyez t. XII, p. 64-79.

214-a Le Roi parle ici de l'Histoire naturelle de la religion. Traduit de l'anglais de M. David Hume. A Amsterdam, chez Schneider, 1759, in-8, p. 58 et suivantes.

214-b Le maréchal Daun. Voyez t. XV, p. x, no XIII.

216-a Voyez t. XVI, p. 237.

216-b Voyez Diogène Laërce, liv. VI, chap. 2, §. 41, où Diogène le cynique, pour toute réponse à des arguments contre le mouvement, se met à marcher.

22-a Frédéric avait alors l'intention de jouer avec ses amis la Mort de César, de Voltaire.

220-a Voyez t. V, p. 173, 174, 178, 179 et 248.

222-a Gellert, Gottsched, Ernesti, Reiske, Winkler et Ludovici. Voyez Helden-, Staats- und Lebensgeschichte Friedrichs des Andern. Frankfurt und Leipzig, 1762, t. VI, p. 595 et 596.

222-b Frédéric parle ici de Gottsched, à qui il avait adressé une Épître en 1757. Voyez t. XII, p. 93. Voyez aussi t. X, p. 158.

223-a Voyez t. V, p. 114-116.

225-a De la main d'un secrétaire.

225-b Jean-George-Henri comte de Werthern, né le 19 janvier 1735, épousa, en 1762, la fille de madame de Buchwald, grande gouvernante de la duchesse de Saxe-Gotha. Le Roi le nomma, le 18 novembre 1772, ministre d'État, grand maître de la garde-robe, et chevalier de l'ordre de l'Aigle noir. Le 23 mars 1777, M. de Werthern obtint sa démission, qu'il avait demandée.

226-a De la main d'un secrétaire.

226-b De la main du Roi.

227-a Capitulation de Schweidnitz, 9 octobre.

227-b Le 29 octobre.

231-a Frédéric arriva à Gotha le 3 décembre, et en repartit le 4. Voyez Johann Stephan Pütters Selbstbiographie. Göttingen, 1798, p. 405-409.

231-b Voyez t. V, p. 248 et 249.

231-c Envoyé d'Angleterre à la cour de Prusse. Voyez t. V, p. 75, et t. XII, p. 224.

236-a Voyez t. IV, p. 124, et t. VIII, p. 135 et 279.

237-a Auguste, veuve du prince (Frédéric-Louis) de Galles. Ce prince, fils de George II et père de George III, était mort en 1751.

241-a Voyez t. VIII, p. 58.

244-a Le Prince de Prusse et son frère, le prince Henri. Voyez t. VII, p. 46 et 47.

245-a Voyez t. V, p. 242-248.

249-a Voyez t. IX, p. 224 et 246. Voyez aussi les lettres de Frédéric à mylord Marischal, du 29 juillet et du 1er septembre 1762.

25-a Le palais des Destins, Henriade, chant VII, v. 278 et suiv.

25-b Jacques, et non Jean Callot, célèbre graveur, mourut à Nancy en 1635. Voyez t. XI, p. 159.

253-a Ce vers n'est pas de Cicéron; c'est une imitation d'un vers de Lucain. Voyez t. XV, p. 150.

253-b Julienne-Françoise de Buchwald, née de Neuenstein, grande gouvernante de la duchesse Louise-Dorothée, naquit le 7 octobre 1707, et mourut le 19 décembre 1789. Charles de Dalberg a fait son éloge dans un petit ouvrage intitulé : Madame de Buchwald. Seconde édition. Erfurt, 1787, vingt-quatre pages in-8.

257-a Le baron de Plotho. Voyez t. IV, p. 117 et 118.

257-b Antonie, princesse de Bavière, femme de Frédéric-Christian, prince électoral de Saxe. Voyez la correspondance de Frédéric avec cette princesse.

258-a Frédéric parle ici de la contrefaçon de ses Œuvres du Philosophe de Sans-Souci.

259-a Voyez ci-dessus, p. 100. Selon d'autres, le baron de Grimm était né à Ratisbonne.

26-a Voyez les Plaideurs de Racine, acte III, sc. III.

262-a Auteur d'un ouvrage intitulé : Sur le fatalisme. Il avait publié, en 1762, un Dictionnaire des hérésies, en deux volumes in-12.

263-a Voyez t. XVI, p. vIII, et 109-112.

265-a Catéchisme de l'honnête homme, ou Dialogue entre un caloyer et un homme de bien. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLI, p. 97-125.

266-a Frédéric parle probablement de la gouvernante de sa sœur Wilhelmine. Voyez les Mémoires de Frédérique-Sophie-Wilhelmine, margrave de Baireuth. Brunswic, 1810, t. I, p. 64 et suivantes.

268-a Voyez t. VI, p. 87.

269-a

Épître VIII, Au Roi

, vers 108 :

Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.


27-a Voyez t. XVI, p. 445.

271-a Charles-Guillaume-Ferdinand, prince héréditaire de Brunswic-Wolfenbüttel, épousa, le 16 janvier 1764, la princesse Auguste, sœur de George III.

271-b Voyez ci-dessus, p. 253.

274-a Voyez t. VIII, p. 35-50.

277-a Dans le Jupiter confondu de Lucien, chap. 15, Cyniscus dit à Jupiter : « Tu prends ton foudre, tu as donc tort. » Voyez t. IX, p. 187.

281-a La princesse héréditaire de Brunswic. Voyez ci-dessus, p. 271.

281-b Allusion aux fiançailles du Prince de Prusse et de la princesse Élisabeth de Brunswic, le 18 juillet.

283-a Voyez t. VII, p. v et vI.

284-a La pomme d'Adam, le péché originel.

289-a De la main d'un secrétaire.

289-b Frédéric avait invité Helvétius à venir à Berlin, pour le consulter sur l'établissement de la régie dont il parle t. VI, p. 85.

290-a Les noces du Prince de Prusse et de la princesse Élisabeth de Brunswic, le 14 juillet 1765.

290-b La margrave Sophie de Schwedt, sœur du Roi, était morte le 13 novembre 1765. Voyez ci-dessus, p. 181.

290-c Charles-Guillaume, prince héréditaire de Nassau-Saarbrück-Usingen.

291-a Le Roi veut sans doute parler des vingt lettres de Voltaire intitulées : Questions sur les miracles. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLII, p. 143-289.

292-a Ernest-Louis, prince héréditaire de Saxe-Gotha, né le 30 janvier 1745, épousa, le 21 mars 1769, la princesse Marie-Charlotte-Amélie de Saxe-Meiningen.

292-b Cette princesse, depuis abbesse de Gandersheim, était née le 2 octobre 1749.

293-a De la main d'un secrétaire.

293-b Voyez t. VII, p. 43-56.

297-a L'exemplaire envoyé par l'Impératrice se trouve à la Bibliothèque royale de Berlin (Msc. germ. fol. 167).

3-a Cette date est inexacte, car Frédéric ne fit la connaissance d'Algarotti que vers la fin de septembre. Voyez t. XIV, p. VI, et les lettres de Frédéric à son père, du 25 septembre, à Suhm, du 26 septembre, et à Voltaire, du 10 octobre 1739.

301-a Voyez l'Avertissement en tête de ce volume, p. VII, no VI.

31-a Voyez, t. XI, p. 313.

33-a Machiavel.

35-a Cette célèbre cantatrice avait épousé à Venise le compositeur Hasse, en 1730.

35-b Voyez t. XIV, p. XIII, no XXXV.

36-a On surnommait Chaulieu (voyez t. XVII, p. 36, 42 et 201) l'Anacréon du Temple, parce qu'il possédait dans ce quartier une maison que le duc de Vendôme lui avait donnée.

4-a C'est lord Baltimore que Frédéric désigne ainsi. Voyez t. XIV, p. vI, et 81-87. Le lecteur remarquera que le Candide de Voltaire ne parut qu'en 1759.

4-b Voltaire dit dans son Épître à M. le comte Algarotti, 1735 :

Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas.
Porter, en grelottant, la lyre et le compas.

Il ajoute en note : « M. Algarotti faisait très-bien des vers en sa langue, et avait quelques connaissances en mathématiques. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 118.

40-a Opéra de Hasse, 1742.

42-a Chant VII, vers 381 et 382.

44-a Huit mille écus. (Variante de la copie de M. Frédéric de Raumer.)

49-a Le général-major comte de Rottembourg, ami du Roi, qui eut le bras cassé à la bataille de Chotusitz. Voyez t. II, p. 137 et 168, et t. XVII, p. 230 et 231.

49-b Voyez t. II, p. 122.

49-c Nous ne saurions dire ce que le comte Algarotti entend par le mot Trachineen, à moins qu'il n'ait voulu parler de Trakehnen, où il avait accompagné le Roi peu de temps après l'avénement de ce prince (le 14 et le 15 juillet 1740). Voyez ci-dessus, p. 41, et t. XVI, p. 432.

5-a Voyez t. VIII, p. III.

50-a Voyez t. II, p. 161-169.

53-a Épîtres, liv. I, ép. IX.

54-a Épîtres, l. c., v. 12.

54-b Énéide, liv. VI, v. 783.

54-c Le baron de Knobelsdorff. Voyez t. VII, p. 37-42.

54-d Dans sa lettre à Knobelsdorff, du 10 novembre 1742, Algarotti propose l'inscription telle qu'elle a été placée au frontispice de l'Opéra : Federicus (Fridericus) Rex Apollini et Musis. Voyez Opere del Conte Algarotti. Cremona, 1783, t. IX, p. 16.

57-a Mademoiselle Roland. Voyez t. XV, p. 219 et 220, et t. XVII, p. 260, 276 et 277.

58-a Frédéric aimait beaucoup les tableaux d'Antoine Watteau, mort en 1721, et de son imitateur Nicolas Lancret, mort en 1747 (t. XIV, p. 36). Voyez la Description de tout l'intérieur des deux palais de Sans-Souci, de ceux de Potsdam et de Charlottenbourg, contenant l'explication de tous les tableaux, etc., par Matthieu Oesterreich. A Potsdam, 1773, in-4. Voyez aussi t. XVII, p. 163, et la lettre du marquis d'Argens à Frédéric, du 19 octobre 1760.

6-a Le vrai nom de la personne désignée par ce pseudonyme était Ortolani. Voyez t. XVII, p. 34 et 35.

62-a De la nature des choses, liv. I, v. 102.

64-a Ce vers est le 215e du IIIe chant de l'Essai sur la critique, poëme de Pope, traduit de l'anglais par l'abbé Du Resnel. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. IV, p. 147.

65-a Voyez t. XIV, p. 109.

65-b Algarotti parle de la dissertation Des mœurs, des coutumes, de l'industrie, des progrès de l'esprit humain dans les arts et dans les sciences. Voyez t. I, p. XXXVII, et p. 243-273.

66-a Voyez Henri-Louis Manger, Baugeschichte von Potsdam, p. 21.

67-a Le Newtonianisme pour les dames, ou Dialogues sur la lumière, etc. La première édition avait paru en 1736.

67-b

Bonne ou mauvaise santé
Fait notre philosophie.

Ces vers sont les deux derniers de l'Ode de Chaulieu Sur la première attaque de goutte que l'auteur eut, en 1695. Voyez ci-dessus, p. 36.

68-a Jean-Nathanaël Lieberkühn naquit à Berlin en 1711. De retour de ses voyages vers la fin de 1740, il fut bientôt recherché et consulté comme le plus habile médecin de la capitale. Il est surtout célèbre par ses travaux sur l'anatomie. Il mourut en 1756. Voyez t. II, p. 39 et 40, t. XIII, p. 70, et ci-dessus, p. 8. Voyez aussi la lettre de Frédéric à Voltaire, du 4 décembre 1739.

71-a Poëte du Roi.

71-b Le Roi veut probablement parler ici de la cantatrice Benedetta Molteni, chargée du rôle du sénateur Olibrio, qui était écrit pour une voix de soprano.

72-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 726 et 727.

72-b Chargé d'affaires du Roi à Venise.

73-a « Les instants de Frédéric valent des années. » C'est par ces mots que se termine le discours prononcé par Maupertuis, en 1747, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi. Voyez l'Histoire de l'Académie des sciences et belles-lettres. Année 1746. A Berlin, 1748, p. 10-16.

74-a Voyez t. XIV, p. Iv, no VI, p. xv, no XL, et p. 29 et 195; et t. XVII, p. 1, et p. 1-52.

76-a Horace, Épîtres, liv. I, ép. 16, v. 27, 28 et 29.

78-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 129 et 130.

79-a Danseuse de l'Opéra.

8-a Frédéric dit la même chose dans sa lettre à Voltaire, également du 4 décembre 1739; mais le nom de Célius nous est inconnu.

81-a Horace, Satires, liv. II, sat. II, v. 79.

82-a Phaéthon, paroles de Villati (d'après Quinault), musique de Graun. Cet opéra, qui devait être représenté le 27 mars, jour de naissance de la Reine mère, ne put être donné que le 29.

83-a Voyez t. IX, p. 11, no II, et p. 9-37.

84-a Voyez t. X, p. v et vI.

89-a Algarotti parle ici des Œuvres d'Ovide, édition royale, 1750; deux volumes in-8, avec le portrait d'Ovide couronné de roses, gravé par Pierre Tanjé. C'est une traduction en prose; elle ne contient que : t. I, les Amours, l'Art d'aimer et les Élégies écrites de Pont; t. II, le Remède d'amour, les Fastes et les Tristes; et ce n'est que la reproduction de celle de Martignac, publiée à Lyon, en 1697, chez Horace Molin, en six volumes in-12. Voyez la lettre de Darget à Frédéric, du 20 mai 1749.

89-b Ce n'est pas Ovide, mais Virgile qui dit, au VIe livre de l'Énéide, v. 625 :
Non, mihi si linguae centum sint oraque centum, etc.

91-a Voyez t. III, p. 176, 177, et 203-240.

94-a Villati (voyez ci-dessus, p. 71, 81 et 82), mort le 9 juillet 1752. Le chef-d'œuvre mentionné ci -dessus est l'opérette Il Giudizio di Paride.

96-a Le fronton de l'église catholique de Berlin porte trois inscriptions : au milieu, Hedwigi; à droite de ce nom, Federici Regis Clementiae Monumentum; et à gauche, A. M. Quirinus S. R. E. Card. Suo Aere Perfecit.

96-b Algarotti veut parler de l'édition de luxe des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, 1752. Voyez t. X, p. 1 et 11.

96-c Horace, Art poétique, v. 343.

I-a Voyez t. XIV, p. vI et 81; t. XVI, p. 415; et t. XVII, p. 36 et 37.

I-b Voyez t. XIV, p. 181.

II-a Voyez t. X, p. 75 et 255; t. XVI, p. 421; t. XVII, p. 74; voyez aussi la lettre de Frédéric à Voltaire, du 10 octobre 1739.

II-b Voyez t. X, p. 202, et t. XIV, p. 109.

II-c Voyez ci-dessous, p. 148. Ce monument est encastré dans le mur du Campo santo de Pise. Il est assez compliqué. Au-dessous du fronton se trouve l'inscription : Algarotto Ovidii Aemulo Neutoni Discipulo Fridericus Magnus. Les deux derniers mots ont été ajoutés par les parents et les amis du défunt. Plus bas, on voit le buste d'Algarotti en médaillon; à gauche du médaillon, le génie de la mort, un flambeau renversé à la main, à droite, Psyché, et, au-dessous de ce groupe, les mots : Algarottus non omnis; enfin, en descendant toujours, Minerve couchée sur un sarcophage, tenant un livre ouvert, et, sous le sarcophage : Anno Domini MDCCLXIV.
Giovanni Volpato, graveur à Venise, a donné, en 1769, une belle estampe grand in-folio de ce monument, dessinée par Charles Bianconi, à Bologne.

II-d Voyez t. VI, p. 245 et 250.

III-a Ce sont les numéros 3, 9, 12, 18, 21, 25, 26, 28, 35, 53, 84, 89 et 90 de notre édition.

IV-a Voyez t. IV, p. 191.

V-a Voyez les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1766, p. 317. D'après la Berlinische Monatsschrift, mars 1787, p. 226, madame de Camas n'avait à sa mort que soixante-quinze ans.

VII-a Ce sont les numéros 56, 57, 71, 25, 58, 59, 63 et 64 de notre édition.

VII-b Ce sont les numéros 33, 34, 35, 30, 37, 38 et 39 de notre édition.