<158> l'occasion. Me voilà, en dépit de moi-même, mon cher marquis, poëte aux yeux de tout l'univers. Cela donnera lieu à des esprits pervers et méchants de faire courir toutes sortes de pièces qu'il leur plaira sous mon nom; mais peut-être cela fera-t-il aussi craindre mes épigrammes. Quoique, dans la guerre que nous faisons, une épigramme soit bien peu de chose en comparaison d'un coup de canon, ces fous de la gloire pourront peut-être me redouter autant que les dangers. Heureux, si ma plume peut servir à défendre ma patrie, et que tous mes sens et toutes mes facultés lui puissent être utiles!

Je fais une terrible chute de tous ces glorieux aux c....... de Champion. J'y ai perdu un fort mauvais cuisinier, et d'ailleurs sans fidélité; mais sa perfidie ne pouvait pas me faire grand mal. J'ai donné à Noël commission de m'en faire venir un des meilleurs que l'on connaisse. Mais je suis insensé de penser à toutes ces choses dans un temps où je ne sais pas si j'atteindrai à la fin de la guerre, et si j'aurai de quoi payer ceux que j'engage. La paix, mon cher marquis, hélas! vos Français ne savent pas s'ils la veulent ou s'ils ne la veulent pas; cela leur a valu l'épigramme suivante :a

Peuple plaisant, aimables fous,
Qui parlez de la paix sans songer à la faire,
Toujours incertains dans vos goûts,
Tantôt furieux, tantôt doux,
Changeant de mœurs, de caractère,
Selon votre inconstance et votre humeur légère,
A la fin donc résolvez-vous :
Avec la Prusse et l'Angleterre
Voulez-vous la paix ou la guerre?
Vous méprisez la mer, Neptune et son courroux,
Et vous vous préparez à subjuguer la terre.
Hélas! tout, je le vois, est à craindre pour nous
De votre milice invincible,


a Cette même épigramme se trouve en tète de la lettre de Frédéric à Voltaire, du 20 mars 1760. Voyez t. XII, p. 154 et 155.