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131. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin. 27 mai 1760.



Sire,

Votre lettre est remplie de sagesse et d'esprit; mais, quelque conséquents que soient vos discours, je ne suis pas convaincu, et je suis toujours persuadé que la fin des affaires sera beaucoup meilleure que vous ne le croyez.

Celui qui dans Rossbach vit les Français soumis,
Qui vainquit dans Lissa ses plus fiers ennemis.
Peut du général Daun éviter les atteintes.
Je crains les vents coulis, et n'ai point d'autres craintes.a

J'ai lu la Lettre de la Pompadour à la Reine; c'est la plus ingénieuse, en même temps la plus sanglante satire. Je ne m'étonne pas qu'elle ait mis au désespoir une femme remplie d'orgueil; mais, après cela, je ne suis point surpris que, par le crédit de la Pompadour, les Français continuent la guerre, quelque besoin qu'ils aient de faire la paix. Cette femme sans sentiments, sans amour pour sa patrie, se soucierait fort peu que la France perdît les Indes orientales et l'Amérique septentrionale, si elle pouvait réussir à se venger.

Les Lettres de votre Chinois font un bruit étonnant; les dévots de toutes les religions se sont unis pour clabauder contre elles, les gens d'esprit rient et les trouvent charmantes. Mais ces gens d'esprit ont peu d'influence sur le peuple; ce sont les sots qui le gouvernent. Les Autrichiens ont fait faire dans plusieurs gazettes des extraits de cet ouvrage, comme s'il était cent fois plus dangereux que Spinoza et Collins. Les auteurs de ces extraits ne vous nomment pas, mais ils


a Parodie des célèbres vers de Joad dans Athalie, acte I, scène I : Celui qui met un frein à la fureur des flots, etc. Voyez t. XIV, p. 203.