<397> vous cite que quelques causes de dégoût; mais j'en ai tant eu durant cette guerre, que la sensibilité de mon âme est épuisée, et qu'il s'est formé un calus d'indifférence et d'insensibilité qui ne me rend presque bon à rien.

Nous n'avons ici ni Neptune, ni Apollon contre nous, mais un Gribeauval, huit mille hommes encore, et des mineurs qui exercent bien notre patience; il n'y a point de belle Hélène dans Schweidnitz, mais il nous manque un Achille, dont je ferais plus de cas que de saint Népomucène, saint Denis ou saint Nicolas, si je l'avais. Nous poussons néanmoins tous les ouvrages autant que la prudence le permet, et, autant que j'en puis juger, je ne crois pas que depuis le commencement du siége il y ait eu six jours de perdus; et dans quel siége n'y en a-t-il pas? Nous ne perdons du moins pas notre temps à haranguer comme vos bavards de Grecs, ni à nous mettre en oraison comme les croisés devant Jérusalem et devant Damiette; mais Schweidnitz se prendra, je n'en suis pas embarrassé. Cela fait, il reste encore une dure besogne, où je vois un brouillard impénétrable qui empêche ma vue de découvrir les objets et les contingents futurs. Sainte Hedwigea ne m'éclaire point; quoique ma céleste parente, j'en tire peu de secours. Aussi j'abandonne l'avenir à la destinée, et je végète, attendant l'événement. Je vous écris naturellement comme je pense. Cela vous ennuiera un peu; cependant croyez qu'il y a du soulagement à décharger son cœur, ayez quelque égard à la situation où je suis. Adieu, mon cher marquis; je n'en dirai pas davantage pour cette fois, et je finis en vous assurant de toute mon amitié.


a Sainte Hedwige, veuve de Henri Ier, dit le Barbu, duc de Silésie, morte en 1243, patronne de l'église catholique de Berlin. Voyez t. XI, p. 182, 187, 214, etc.; et t. XVIII, p. 96.