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298. DU MARQUIS D'ARGENS.

Avignon, 10 septembre 1765.



Sire,

Votre Majesté aura trouvé étrange que je n'aie pas eu l'honneur de lui écrire depuis la dernière lettre qu'elle avait eu la bonté de m'envoyer. J'étais déjà en chemin pour me rendre à Berlin quand je la reçus; je comptais avoir bientôt la satisfaction de me mettre à ses pieds, lorsque je fus attaqué, cinq jours après mon départ, d'une fièvre chaude qui m'a duré près de deux mois. J'étais dans une petite ville du Dauphiné, appelée Montélimar; enfin, la nature, plutôt que la science du médecin qui me voyait, me tira d'affaire, et me rendit assez de force pour me faire porter sur un brancard jusqu'à un bateau couvert qui me conduisit, en descendant le Rhône, à Avignon. Je comptais pouvoir regagner la Provence et me rendre chez moi pour y trouver les secours nécessaires à l'état de ma santé; mais il me fut impossible d'aller plus loin, parce que j'étais obligé de voyager par terre, et que j'étais trop faible, trop incommodé d'une diarrhée qui m'avait pris lorsque la fièvre m'avait quitté. Je restai donc à Avignon, et je vis par bonheur un très-bon et très-célèbre médecin, qui répara les fautes du premier, et qui m'a tiré d'affaire. Il me reste encore cependant une très-grande faiblesse, et je ne puis sortir de chez moi; mes jambes sont encore très-enflées, car, à force de quinquina et d'autres remèdes que m'avait donnés le premier médecin pour marrêter la fièvre, il m'avait causé un commencement d'hyropisie, dont cependant je n'ai plus rien à craindre aujourd'hui. Voilà, Sire, ce qui m'a empêché de m'acquitter de mon devoir et d'écrire à V. M. Quoique je me flatte qu'elle connaît assez ma probité et ma droiture pour ne pas penser que je cherche à lui en imposer pour justifier mon retardement à me rendre à Potsdam, cependant,