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147. AU MÊME.

Reussendorf, 18 septembre 1760.

J'ai reçu vos deux lettres, mon cher marquis. Il est sûr que j'ai échappé à un très-grand danger, et j'ai eu à Liegnitz tout le bonheur que comportait ma situation. Ce serait beaucoup dans une guerre ordinaire; cette bataille ne devient qu'une escarmouche dans celle-ci, et, en général, mes affaires n'en sont guère avancées. Je ne veux point vous faire des jérémiades, ni vous alarmer de tous les objets de mes craintes et de mes inquiétudes; mais je vous assure qu'elles sont grandes. La crise où je me trouve change de forme; mais rien ne se décide, rien ne nous amène au dénoûment. Je brûle à petit feu; je suis comme un corps que l'on mutile, et qui chaque jour perd quelques-uns de ses membres. Le ciel nous assiste! nous en avons un grand besoin. Vous me parlez toujours de ma personne. Vous devriez bien savoir qu'il n'est pas nécessaire que je vive, mais bien que je fasse mon devoir, et que je combatte pour ma patrie, pour la sauver, s'il y a moyen encore. J'ai eu beaucoup de petits succès, et j'ai grande envie de prendre pour ma devise : Maximus in minimis et minimus in maximis.217-a Vous ne sauriez vous figurer les horribles fatigues que nous avons; cette campagne-ci surpasse toutes les précédentes; je ne sais quelquefois à quel saint me vouer. Mais je ne fais que vous ennuyer par le récit de mes inquiétudes et de mes chagrins. Ma gaieté et ma bonne humeur sont ensevelies avec les personnes chères et respectables auxquelles mon cœur s'était attaché. La fin de ma vie est douloureuse et triste. N'oubliez pas, mon cher marquis, votre vieil ami. Les postes, les correspondances, tout est interrompu; il faut bien des intrigues pour faire passer des lettres, et encore hasarde-t-on beaucoup. Écrivez-moi à tout hasard. Que les Avares ou les<218> oursomans prennent vos lettres, qu'y verraient-ils? et elles me sont toutefois un sujet de consolation. Adieu, mon cher marquis; je vous embrasse.


217-a Voyez t. I, p. 144.