<154> du monde tué à ses côtés, a vaincu en personne le plus brave homme de la terre. J'aime un poltron qui gagne des batailles.

Je ne dissimulerai pas ses fautes, mais j'élèverai le plus haut que je pourrai, non seulement ce qu'il a fait de grand et de beau, mais ce qu'il a voulu faire. Je voudrais qu'on eût jeté au fond de la mer toutes les histoires qui ne nous retracent que les vices et les fureurs des rois. A quoi servent ces registres de crimes et d'horreurs, qu'à encourager quelquefois un prince faible à des excès dont il aurait honte, s'il n'en voyait des exemples? La fraude et le poison coûteront-ils beaucoup à un pape, quand il lira qu'Alexandre VI s'est soutenu par la fourberie, et a empoisonné ses ennemis?

Plût à Dieu que nous ne connussions des princes que le bien qu'ils ont fait! L'univers serait heureusement trompé, et peut-être nul prince n'oserait donner l'exemple d'être méchant et tyrannique.

Je serai probablement obligé de parler de l'impératrice Marthe, nommée, depuis, Catherine, et du malheureux fils de ce féroce législateur. Oserai-je supplier V. A. R. de me procurer quelque connaissance sur la vie de cette femme singulière, sur les mœurs et sur le genre de mort du czarowitz? J'ai bien peur que cette mort ne ternisse la gloire du Czar. J'ignore si la nature a défait un grand homme d'un fils qui ne l'eût pas imité, ou si le père s'est souillé d'un crime horrible.

Infelix, utcunque ferent ea fata nepotes!a

V. A. R aura-t-elle la bonté de joindre ces éclaircissements à ceux dont elle m'a déjà honoré? Votre destin est de me protéger et de m'instruire, etc.


a Virgile, Énéide, liv. VI, v. 823.