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44. A VOLTAIRE.

Remusberg, 17 février 1738.a

Monsieur, on vient de me rendre votre lettre du 23 janvier, qui sert de réponse ou plutôt de réfutation à celle du 26 décembre, que je vous avais écrite. Je me repens bien de m'être engagé trop légèrement, et peut-être inconsidérément, dans une discussion métaphysique avec un adversaire qui va me battre à plate couture; mais il n'est plus temps de reculer lorsqu'on a déjà tant fait.

Je me souviens, à cette occasion, d'avoir été présent à une dispute où il s'agissait de la préférence que l'on devait ou à la musique française, ou à l'italienne. Celui qui faisait valoir la française se mit à chanter misérablement une ariette italienne, en soutenant que c'était la plus abominable chose du monde; de quoi on ne disconvenait pas. Après quoi il pria quelqu'un qui chantait très-bien en français, et qui s'en acquitta à merveille, de faire les honneurs de Lulli. Il est certain que, si on avait jugé de ces deux musiques différentes sur cet échantillon, on n'aurait pu que rejeter le goût italien, et au fond je crois qu'on aurait mal jugé.

La métaphysique ne serait-elle pas entre mes mains ce que cette ariette italienne était dans la bouche de ce cavalier qui n'y entendait pas grand' chose? Quoi qu'il en soit, j'ai votre gloire trop à cœur pour vous céder gain de cause sans plus faire de résistance. Vous aurez l'honneur d'avoir vaincu un adversaire intrépide, et qui se servira de toutes les défenses qui lui restent, et de tout son magasin d'arguments, avant que de battre la chamade.

Je me suis aperçu que la différence dans la manière d'argumenter nous éloignait le plus dans les systèmes que nous soutenons. Vous argumentez a posteriori, et moi a priori; ainsi, pour nous conduire


a Le 20 février 1738. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 361.)