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73. A VOLTAIRE.

Berlin, 8 janvier 1789.a

Mon cher ami, je m'étais bien flatté que l'Épître sur l'Humanité pourrait mériter votre approbation par les sentiments qu'elle renferme; mais j'espérais en même temps que vous voudriez bien faire la critique de la poésie et du style.

Je prie donc l'habile philosophe, le grand poëte, de vouloir bien s'abaisser encore, et de faire le grammairien rigide, par amitié pour moi. Je ne me rebuterai point de retoucher une pièce dont le fond a pu plaire à la marquise; et, par ma docilité à suivre vos corrections, vous jugerez du plaisir que je trouve à m'amender.

Que mon Epître sur l'Humanité soit le précurseur de l'ouvrage que vous avez médité; je me trouverai assez récompensé de ce que le mien a été comme l'aurore du vôtre. Courez la même carrière, et ne craignez point qu'un amour-propre mal entendu m'aveugle sur mes productions. L'humanité est un sujet inépuisable; j'ai bégayé mes pensées, c'est à vous de les développer.

Il paraît qu'on se fortifie dans un sentiment lorsqu'on repasse en son esprit toutes les raisons qui l'appuient. C'est ce qui m'a déterminé de traiter le sujet de l'humanité. C'est, selon mon avis, l'unique vertu, et elle doit être principalement le propre de ceux que leur condition distingue dans le monde. Un souverain, grand ou petit, doit être regardé comme un homme dont l'emploi est de remédier, autant qu'il est en son pouvoir, aux misères humaines; il est comme le médecin qui guérit, non pas les maladies du corps, mais les malheurs de ses sujets. La voix des malheureux, les gémissements des misérables, les cris des opprimés, doivent parvenir jusqu'à lui. Soit par pitié pour les autres, soit par un certain retour sur soi-même, il doit


a Le 10 janvier 1739. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 37.)