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111. DE VOLTAIRE.

Le 23 février 1740.

Monseigneur, je ne reçus que le 20 le paquet de Votre Altesse Royale, du 3, dans lequel je vis enfin la corniche de l'édifice où chaque souverain devrait souhaiter d'avoir mis une pierre.

Vous me permettez, vous m'ordonnez même de vous parler avec liberté, et vous n'êtes pas de ces princes qui, après avoir voulu qu'on leur parlât librement, sont fâchés qu'on leur obéisse. J'ai peur, au contraire, que dorénavant votre goût pour la vérité ne soit mêlé d'un peu d'amour-propre.

J'aime et j'admire tout le fond de l'ouvrage, et je pars de là pour dire hardiment à V. A. R. qu'il me paraît qu'il y a quelques chapitres un peu longs; transverso calamo signuma y remédiera bien vite, et cet or en filière, devenu plus compacte, en aura plus de poids et de brillant.

Vous commencez la plupart des chapitres par dire ce que Machiavel prétend dans son chapitre que vous réfutez; mais, si V. A. R. a intention qu'on imprime le Machiavel et la réfutation à côté, ne pourra-t-on pas, en ce cas, supprimer ces annonces dont je parle, lesquelles seraient absolument nécessaires, si votre ouvrage était imprimé séparément? Il me semble encore que quelquefois Machiavel se retranche dans un terrain, et V. A. R. le bat dans un autre; au troisième chapitre, par exemple, il dit ces abominables paroles : « Si ha a notare, che gli uomini si debbono o vezzeggiare o spegnere, perchè si vendicano delle leggieri offese; delle gravi non possono. »

V. A. R. s'attache à montrer combien tout ce qui suit de cet oracle de Satan est odieux. Mais le maudit Florentin ne parle que de l'utile.


a Horace, Art poétique. v. 447.